Culture / Si les optimistes vous dépriment lisez plutôt les clairvoyants!
"Optimiste et pessimiste", Vladimir Makovski, 1883. © DR
Au dam de celles et ceux qui «positivent» à tout crin, quitte à se masquer la réalité, certains auteurs, et parfois des plus pessimistes, ont la vertu paradoxale de nous tonifier, tels un Shakespeare, un Pascal, un Leopardi ou un Schopenhauer, dont un certain Challemel-Lacour, académicien lettré et ministre momentané de Jaurès, a tracé les portraits dans un livre vif de style et roboratif au possible.
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Est-il vrai qu’il aurait apprécié le fait de ne pas être maltraité? Est-il vrai qu’il aurait affirmé ces derniers temps qu’il en avait assez de vivre? Et que voit-il par la fenêtre, si tant est que les murs qui l'enferment soient pourvus de la moindre ouverture? 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Mais pas du tout : maintes fois, en effet, l’auteur du redoutable 2084 l’a répété: ce n’est pas à l’islam qu’il en veut, mais à l’islamisme et à l’instrumentalisation sociale et politique du «message» musulman, comparable à l’instrumentalisation faite par tous les fanatiques césaro-papistes des confessions diverses, etc.</p> <p>Freeman Dyson rend hommage à l’auteure de science-fiction Madeleine L'Engle, très prisée des enfants et des ados anglo-saxons (elle a écrit une trentaine de romans les visant en priorité) et qui accorde, en chrétienne atypique, plus d’importance aux scientifiques qu’aux théologiens, coupables, selon elle, de limiter la notion de Dieu alors que «les scientifiques, avec leurs questions, avec leur émerveillement face à la gloire de l’Univers», l’ont aidée dans sa quête de méditation et de contemplation, tant il est vrai que les spécialistes de biologie cellulaire ou d'astrophysique traitent de la nature de l'existence même au fil de questions d’ordre théologique: «quelle est la nature du temps? 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Vous allez vous retrouver en vos jeunes années, quand vous vous interrogiez, graves filles et garçons, sur la place de l’homme dans l’Univers, le mystère de son origine et de ses fins dernières, l’éventualité de présences cousines dans les galaxies poches ou lointaines, enfin tout le branlebas de questions relevant de la religion, de la philosophie, de la métaphysique ou de la science-fiction.</p> <p>Si celle-ci a été «votre truc» entre 13 et 33 ans, soit par les livres de Bradbury et d’Asimov, soit par le cinéma avec Spielberg et autres odyssées de l’espace, vous vous retrouverez en pays de connaissance avec la partie explicitement conjecturale et truffée de trouvailles épatantes de <em>Vivre</em>, schématique à souhait et «limite» naïve quoique frisant le comique burlesque à la Monty Python dans son arborescence «scientifique», avant que le roman, apparemment tout différent des autres ouvrages de Boualem Sansal, ne vous ramène au cœur des préoccupations actuelles de l’écrivain: inquiétudes sociétales (fanatisme religieux et wokisme au menu) et chocs entre cultures et continents, monde en pleine bascule géopolitique et troisième guerre mondiale redoutée, fin des haricots et fuite sur Mars dans la fusée des Musk Brothers & Co, etc.</p> <p>Or je lis plus précisément, dans <em>Vivre</em>, que «les gouvernements n’ont jamais d’autre but que de satisfaire l’appétit insatiable des oligarchies et des camarillas qui les constituent»; et tout à l’heure je lisais ces lignes qui sont comme le «pitch» de ce formidable récit se jouant des codes «populaires» de la SF pour développer une réflexion voltairienne sur l’état actuel de nos sociétés et les hantises et autres fantasmes de survie de nos semblables divers: «Une entité de l’espace vous contacte télépathiquement pour vous annoncer que la Terre va disparaître, frappée par un phénomène naturel, est-il précisé, et qu’il vous incombe personnellement de désigner ceux qui seront sauvés. 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Je m’y attendais, c’est un corps d’élite, les imams, toujours prêts à bondir et à rendre service, comme les scouts »...</p> <h3><strong>Un hymne insolent à la vie libre !</strong></h3> <p>Sacré Boualem, qui fait passer le salut des Terriens par le truchement de la connexion onirique – et quel régal panaché que la suite des réponses de l’imam, du rabbin, du curé et de l’hindouiste vegan, quelle fiesta d’ironie sagace et de lucidité débonnaire quoique sans illusion, aboutissant à une conclusion d’un surprenant optimisme, à savoir que «l’avenir appartient aux gens de bien», ce que Sansal commente tranquillement (je l’imagine plutôt tranquille, ce matin, dans sa réclusion), en ces termes: «Tiens, je crois que c’est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu’est l’humanité, que je cherche depuis des années, L’humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie»…</p> <p>Aussi bien ne me fais-je pas trop de souci, malgré tout, pour ce cher homme dont la force morale, l’intelligence et l’immense savoir «humain», modulés dans ses livres si variés de forme – jusqu’à ce roman d’anticipation parodiant joyeusement la littérature conjecturale pour ados de tous les âges – me font penser qu’il vit son incarcération actuelle, par les morts-vivants du pouvoir, comme une péripétie parmi d’autres, mais combien révélatrice pour nous qui en découvrons les effets de solidarité massive autant que les retombées de haine et d’abjection.</p> <p>Vivre, oui, et d’abord lire ce livre tonique, hymne insolent et généreux à la vie libre (!) au lieu de radoter dans le vide des idéologies «divinement» meurtrières. Boualem Sansal sera-t-il libre à Noël? C’est évidemment à espérer, même si cette fête d’«infidèles» tourne au marché de pacotille. Et les Terriens méritent-ils d’ailleurs d’être sauvés! Salut le mystère!</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404354_g08284.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="161" height="235" /></p> <p><strong>Boualem Sansal. <em>Vivre. Le compte à rebours</em>. </strong><strong>Gallimard, 2024, 233p. </strong></p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404445_laviedanslunivers.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="156" height="248" /></strong></p> <p><strong>Freeman J. Dyson. </strong><strong><em>La vie dans l’univers. Réflexions d’un physicien. </em></strong><strong>Gallimard, Bibliothèques des sciences humaines, 2009. 255p.</strong></p> <hr /> <h2><strong>Entretien avec Boualem Sansal, en 2006 </strong></h2> <p><strong> </strong><strong>(paru dans le quotidien <em>24 heures </em>le 9 mai 2006)</strong></p> <p>Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature algérienne francophone, dont les romans ressaisissent la tragique et complexe réalité contemporaine avec une porosité et une faconde sans pareilles. Après <em>Le serment des barbares</em> (1999), <em>L’enfant fou de l’arbre creux</em> (2000) et <em>Dis-moi le paradis</em> (2003), son quatrième roman, Harraga, s’attache à deux destinées de femmes avec autant d’empathie que de lucidité révoltée. Au printemps 2006, cet auteur qui a «mal à l’Algérie» adressait une lettre ouverte à ses compatriotes intitulée <em>Poste restante: Alger,</em> d’un courage civique impressionnant. Nous avions rencontré l’auteur après cette parution...</p> <p><strong>Comment, Boualem Sansal, vivez-vous aujourd’hui en Algérie?</strong></p> <p>Plutôt mal, après une amnistie marquant la réhabilitation des criminels d’hier, qui se retrouvent à plastronner en ville avec une arrogance extraordinaire. La chape d’un ordre moral intolérant se fait de nouveau ressentir, parallèlement à la réintroduction de l’enseignement religieux et à l’occupation des mosquées. Or la population semble l’accepter, tant elle est respectueuse de l’islam.</p> <p><strong>Quelle a été votre éducation personnelle?</strong></p> <p>Je suis né dans une famille où l’on pensait que l’instruction était essentielle. Ayant perdu mon père très tôt, j’ai été soumis, avec mes trois frères, à la discipline rigoureuse d’un grand-père chef de gare qui avait fait la guerre de 14-18, laïc et profondément attaché à la France et à sa culture. Après un début d’études classiques en latin-grec, j’ai cependant bifurqué sur une formation d’ingénieur, l’Algérie de l’indépendance ayant besoin de bâtisseurs et de techniciens plus que de «beaux parleurs», comme on disait alors. C’est pourquoi je me suis retrouvé, en 1992, au poste de Directeur de l’industrie, où m’avait appelé un condisciple devenu ministre.</p> <p><strong>Qu’avez-vous appris dans les allées du pouvoir?</strong></p> <p>Ce qui m’a le plus frappé, c’est la morgue, la corruption, les luttes entre clans et, d’une manière générale, le mépris de la population, ainsi qu’une formidable incompétence des apparatchiks du parti unique.</p> <p><strong>En avez-vous un exemple?</strong></p> <p>Le plus éloquent est ce rapport qu’un ministre m’a chargé d’établir, sur les relations entre l’endettement des pays du Sud méditerranéen et leur niveau de développement. Me fiant aux chiffres de la Banque mondiale et du FMI, j’ai constaté que les pays les plus endettés à régimes autoritaires, à commencer par l’Égypte, étaient aussi les plus déficients en matière de développement, alors qu’Israël, super-endetté, affichait un développement constant. Ce constat a mis le ministre en fureur, qui m’a prié de supprimer la mention d’Israël, ce que l’honnêteté m’interdisait. Je lui ai donc proposé ma démission immédiate, qui a été refusée en même temps qu’on enterrait le rapport. Par la suite, mes positions et mes livres m’ont valu d’être limogé.</p> <p><strong>Comment en êtes-vous venu au roman?</strong></p> <p>Cela s’est fait comme ça, pendant la terreur islamiste qui nous cloîtrait. Or que fait-on dans ces conditions ? On tourne en rond, on remâche les dernières horreurs du jour, on prend des notes sur ce qu’on observe, et tout à coup le « roman » est là, dicté par la vie. C’est ainsi qu’est né Le serment des barbares.</p> <p><strong>Décrire la réalité si fidèlement, comme l’a fait aussi votre ami Rachid Mimouni, ne représentait-il pas un risque?</strong></p> <p>Bien entendu, mais sortir dans la rue était déjà risqué. A propos de mon ami Rachid, la nuit suivant son enterrement en Algérie, des fanatiques ont exhumé son cadavre pour le livrer aux chiens. Ce n’est pas du roman : c’est la réalité, comme <em>Harraga </em>relève d’une réalité vécue.</p> <p><strong>Dans votre lettre ouverte aux Algériens, vous vous en prenez violemment à l’amnistie…</strong></p> <p>Pour aboutir à une vraie réconciliation, il fallait enquêter et rendre la justice. Je ne suis pas contre le pardon, au contraire, mais cette amnistie était une insulte aux victimes et un déni de justice.</p> <p><strong>Pensez-vous être entendu? Et menacé?</strong></p> <p>On m’a appris récemment que le livre faisait l’objet d’une mesure de censure, mais de nombreux compatriotes partagent mon point de vue, même si mes adversaires me font passer pour un « agent de la France » Menacé ? L’Algérie est un grand pays, dans lequel je reste à peu près invisible. Par ailleurs, comme Mimouni, je suis protégé par ma notoriété. 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Celle-ci l’éloigne-t-elle du réel, ou lui permet-elle au contraire de se libérer du «nombrilisme» et de mieux accéder à l’«universel»?</p> <p>De telles questions auront peut-être «fait débat», cet hiver-là, tandis qu’il neigeait sur Vilnius, à tel festival de littérature auquel venait de participer Sarah Popp (quel nom, n’est-ce pas? pour une auteure, autrice, auteuse ou autorelle en langage d’inclusion), qui se réjouissait de revenir en Suisse pour y retrouver, à la veille de son cinquante-neuvième anniversaire, son compagnon Tobie, aussi à l’aise à son piano que devant les fourneaux, et leur fille Matild associée à une mini-troupe d’animateurs de robots-marionnettes au goût dernier cri de la nouvelle génération théâtrale.</p> <p>Alors quoi, un roman de plus sur les «problèmes du roman»? Mais quelle barbe! Et pourtant non: grâce à la neige et au gel, aux avions cloués au sol et donc à l’imprévu illico salué par Tobie («accepte ce qui arrivera» lui chante-t-il au téléphone quand elle lui expose son retard de deux ou trois jours), et Sarah de se réjouir de l’imprévisible occasion de vivre elle ne sait encore quoi alors que, de la fenêtre du bus qui la ramène de l’aéroport en ville, elle voit sans le voir un grand camion blanc dont la cabine figure une petite maisonnette, prélude à un conte à dormir debout. 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Dans le roman de Rose-Marie Pagnard, en tout cas, la morale des bien-pensants, de telle tante bigote ou de tels voisins malveillants dans un village «gonflé de méchanceté», pèse lourdement sur les jugements portés sur telle jeune fille libre ou, d’une génération antérieure, sur telle «fille-mère» passible de la prison. Mais Sarah Popp n’est pas du genre, en tant que romancière, à se contenter d’une «dénonciation» univoque. Est-ce dire qu’elle fuit dans l’équivoque? Pas non plus. Il faudrait alors, par manière de réponse, détailler le roman et ses rebondissements, les multiples facettes de ses personnages, «raconter» le vieil Anders et le pourquoi de sa révolte remontant au calvaire social de sa mère, raconter celle-ci et sa propre façon de se libérer voire de se fiche de son passé, raconter l’amour fou de Sarah et de Tobie en butte au qu’en dira-t-on, raconter la sensualité persistante de Sarah la quasi sexa, raconter Sarah et sa fille, Sarah et l’angoisse, Sarah et les maux - Sarah et les mots, Sarah et la magie des objets, Sarah et la fantaisie de la fée-sorcière Rose-Marie.</p> <p>Rose-Marie Pagnard est poète autant sinon plus qu’elle est romancière, à savoir que chez elle les mots et les images passent avant les «scènes à faire», qui tissent une sorte de tapisserie «musicale» aux détails reproduisant à foison la joyeuse profusion de la réalité.</p> <h3>Féerie kaléidoscopique</h3> <p>Et c’est alors qu’il faudrait citer à qui mieux mieux, quitte à tirer «la ficelle folie». Citer le «sac de tristesse» de l’ancien voisin bûcheron, «vieux mais propre» et fleurant le savon, le bois et le citron. Citer le syndrome des jambes de Sarah dont les cauchemars l’empêchent de dormir car «chaque nuit est un piège», telle étant la part d’ombre de ce tourbillon lumineux de neige comme produite par une usine à farine. Citer les vitrines, les concerts, les biscuits de Noël qui peut être «poussent les pensées vers la mélancolie». Citer la «tête osseuse» à «noblesse de cheval» du faux ogre estimant qu’on est tous des «maltraités de la vie». Citer le «cœur explosif» du passé de Sarah entrevu par Tobie, lequel inspire celle-ci quand il rage. Citer le souvenir pénible du «poulailler paroissial» de la mesquine petite ville. Citer les deux enfants morts emportés par le père dans un carton à chaussures – «il faut beaucoup de calme et de propreté pour que ces faits révèlent leur beauté». 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Stevenson comme le conteur fameux mort aux îles Samoa d’un AVC après avoir fait rêver les jeunesses du monde à son île au trésor, un beau garçon surnommé Chasseur qui se fait draguer «grave» par Sarah, laquelle n’est plus à la fin qu’une poussière géante ou qu’une araignée en chocolat sous le balai de la mémoire passée et future, avec les mots de Rose-Marie Pagnard, fée et sorcière-sourcière emmêlée dans ses pinceaux et autres stylos dans sa féerie évoquant «une danse de Lapons endormis», lapins d’Alice et compagnie, sous les étoiles dont les noms (Chevelure de Bérénice ou Petit Lion) «valent le coup de vivre cent ans», enfin Sarah, agitant son kaléidoscope, se dit comme ça, «qu’il ne lui est pas nécessaire de tout comprendre, seulement de vivre et d’être amie de l’imagination».</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1732184054_zoelenlevementdesarahpoppcopie.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="298" /></p> <h4>«L’enlèvement de 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Ainsi Douglas Kennedy, compose-t-il un patchwork où la tendresse généreuse le dispute à la critique du «râleur-né» de l’East Village new yorkais. 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Ca va? Pas trop de bavardages»), du <i>Bel été</i> (prix Strega en juin 1950, consécration à peine relevée par les médias sauf à Turin), <i>Entre femmes seules </i>aux si profondes intuitions psychologiques, <i>Le Métier de vivre</i> à de multiples reprises et la correspondance de l’écrivain d’où l’auteur tire la page saisissante, à valeur d’autoportrait, d’une lettre à Fernanda Pivano, le 25 octobre 1950, où figurent ces mots d’une si terrible lucidité: «Or P. qui sans doute est un solitaire parce qu’en grandissant il a compris qu’on ne peut rien faire qui vaille sinon loin du commerce du monde, est le martyr de ces contradictions. Il veut être seul – et il est seul –, mais il veut l’être au milieu d’un cercle qui le sache (…) P. appelle même tout cela besoin d’expression, de communication, de communion; sa privation, tragédie de la solitude, incommunicabilité des âmes, et ainsi de suite. 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En mémoire de Roland Jaccard (1941-2021)
Vous je vous vois, gentils et un peu naïfs, qui aimez comme moi la vie et les gens, qui prenez les choses du bon côté, comme on dit, qui aimez aller de l’avant, jeunes filles en fleurs ou cheffes de projets décidées, jeunes ou moins jeunes battants de la société qui n’en finissez pas de positiver, vous qui avez choisi de ne voir jamais que la moitié du verre plein, vous incarnez l’optimisme et l’avenir radieux, ou du moins le croyez-vous, mais est-ce si sûr? Ne vous bercez vous pas d’illusions? Votre allant les yeux fermés n’est-il pas que fuite en avant? Votre optimisme n’est-il pas qu’aveuglement?
C’est en tout cas ce que pensent certains, plus ou moins intempestifs. Après Schopenhauer, c’était l’opinion d’un Cioran, dont notre ami Roland Jaccard était le disciple déclaré, et telle était aussi la position du pessimiste le plus radical que représentait le philosophe Albert Caraco. Mais pas besoin d’être excessif pour se demander ce que signifie un optimisme aveuglé…
Prenez le cher André Comte-Sponville, par exemple: pas moins fanatisé que cet honnête commentateur de la philosophie de tous les temps, auteur d’un très éclairant Dictionnaire amoureux de Montaigne, et qui écrit posément ceci: «Les pessimistes m’amusent, par l’exagération, l’esprit de système, la mauvaise foi. Que ne sont-ils déjà morts? C’est tout à fait en leur pouvoir, leur objectait Epicure, si la vie leur déplaît à ce point. Mais voilà: ils prennent trop de plaisir à en dire du mal pour se décider à y mettre fin!»
Et plus loin, s’agissant alors des optimistes: «Puis-je l’avouer? Ils me donnent vite le cafard, par trop de bonheur promis ou prétendu, voire m’écœurent par trop de sucre. Les pessimistes, c’est l’inverse, ils ne donnent envie de vivre, de penser, de lutter, y compris contre eux, par la vérité au moins partielle qu’ils dévoilent, souvent amère, toujours tonique, toujours bonne à prendre, et bien meilleure, pour mon goût, que la meilleure des illusions!»
Et de prendre alors Aragon à témoin, dont on se rappelle pourtant le passé de chantre ébloui de l’avenir radieux du communisme, et qui, fort de son expérience en la matière, écrivait ceci dans son autocritique Valse des adieux, reprise dans Le mentir vrai en 1980: «Je ne connais rien de plus cruel en ce bas monde que les optimistes de décision. Ce sont des êtres d’une méchanceté tapageuse, et dont on jurerait qu’ils se sont donné pour mission d’imposer le règne aveugle de la sottise. (…) Laissez, laissez au pédagogue du tout va bien cette philosophie que tout dément dans la pratique de la vie»…
A préciser, alors, que ces phrases terribles du stalinien repenti, citées non sans malice par Comte-Sponville, figurent au début de la forte préface de celui-ci à un recueil de Portraits de pessimistes (de Shakespeare à Schopenhaur) d’un considérable et très actuel intérêt, daté du début du XXème siècle, exhumé par l’éditeur-découvreur Stéphane Bernard à l’enseigne des éditions des Instants, les six portraits en question (de Shakespeare, Pascal, Byron et Shelley, Leopardi et Schopnehauer) étant tirés d’un plus vaste ouvrage intitulé Etudes et réflexions d’un pessimiste, paru en 1901 sous la signature de Paul-Armand Challemel Lacour.
La question que l’on pourra se poser, à la lecture de ces portraits qui sont à la fois d’un remarquable pyschologue-humaniste et d’un étonnant styliste, et c’est particulièrement vrai pour Shakespeare, c’est de savoir si le terme de «pessimiste» n’est pas trop réducteur – trop «connoté» en noirceur, pour des écrivains dont la vertu majeure est la prise en compte loyale du tragique de l’existence, la lucidité réaliste (Shakespeare) ou la conscience de la misère humaine ( Pascal), et, dans le cas du plus ombrageux des contempteurs de l’optimisme (Schopenhauer), le refus des illusions consolatrices à trop bon compte et l’acceptation sereine, voire «bouddhiste» du réel…
Par-delà la pensée binaire
Dès l’introduction de Comte-Sponville, qui prend la défense de la lucidité des pessimistes et du scepticisme constructif en gardant un recul tout personnel, et ensuite au fil des réflexions de Challemel-Lacour, dont l’expérience de professeur de lettres et philo fut enrichie par son action politique de républicain modéré sous la IIIème République, nous sommes conviés à un exercice constant d’ouverture à d’autres façons de sentir ou de penser, esprit critique à l’appui, de manière très incarnée aussi.
C’est ainsi que, loin du ton professoral ou pédant du spécialiste universitaire, Challemel-Lacour (re)découvre positivement Shakespeare en rêve, visité par le fantôme d’Hamlet qui lui balance un discours assez stupéfiant sur le siècle nouveau: «Les choses seront énormes et les individus petits. Ce sera le règne des masses disciplinées: l’action disparaîtra éparpillée entre des millions d’automates dont chacun ne tirera pas de la puissance d’un cheveu».
En outre, citant un essai référentiel de Nathan Drake consacré à Shakespeare, qui parle de «l’imperturbable sérénité» de celui-ci, Challemel-Lacour, qui avait longtemps vu, en le génial élisabéthain, «le peintre le plus amer des côtés atroces de la nature humaine et des cruautés de la destinée», en vient à nuancer sa vision et comprendre que Shakespeare, plus qu’un pessimiste désespéré, est un réaliste tragique qui a compris «une fois pour toutes la vanité des sermons et l’inutilité des colères contre le sort».
Réaliste, Challemel-Lacour l’est lui aussi à proportion, sans doute, de son expérience politique (il fut ministre des Affaires étrangères en 1883, dans le cabinet de Jules Ferry, après avoir été emprisonné pour ses idées républicaines, et exilé quelques années), et l’importance qu’il donne au corps et à ses misères, dans son approche des génies hypocondres que furent un Pascal ou un Leopardi, lui fait comprendre que la maladie «consiste principalement à voir les choses telles qu’elles sont»...
Passeurs et découvreurs
Ainsi que le rappelle Comte-Sponville, Challemel-Lacour fut l’un des premiers à introduire Schopenhauer en France, dont il raconte la rencontre et l’entretien assez carabiné, pimenté de propos misogynes qui feraient hurler les censeurs actuels du «wokisme», mais l’auteur du «Bouddhiste en Allemagne», sans partager toutes les convictions ni moins encore les humeurs de son redoutable interlocuteur, s’attache du moins à en dégager les traits originaux de la pensée et les vues recevables.
Plus qu’un créateur, avait averti le préfacier, Challemel-Lacour est un passeur, lecteur aussi pénétrant que magistral critique, dont l’humanité du regard nous vaut un émouvant portrait, en chair et en esprit, d’un Leopardi à la fois martyr (double victime de son misérable corps et de son père imbécile) et héros visionnaire.
Challemel-Lacour conclut ceci à propos de Leopardi sans souscrire à ses fulminations les plus noires contre les femmes et la vie, ou contre le progrès à ses yeux illusoire, ni le suivre au bout de son matérialisme, ne sachant pas plus que Giacomo, ni que vous, ni que moi, ce qu’il en est de la matière: «Le dirai-je cependant, il me semble que le pessimisme de Léopardi, qui tourne les yeux vers le passé, est un cordial fortifiant; il dilate toutes les veines généreuses du cœur, il en fait jaillir les haines fécondes et les amours sacrées, tandis que les sermons sur le progrès, les panégyriques de la nature humaine, les apophtegmes sur l’efficacité de la foi, les invocations de l’avenir assoupissent, après avoir quelque temps irrité, comme le tic-tac monotone d’un moulin.»
Challemel-Lacour rappelle aussi que Leopardi nous reste essentiellement comme un homme cherchant la vérité à travers la parole, en poète sourcier et en bouche de vérité – en écrivain de chair et de pensée comme l’était Schopenhauer.
Bref, si vous croyez, optimistes que vous êtes, qu’il n’y aura plus demain que des algorithmes et plus un seul écrivain pour nous embêter, puissiez-vous déchanter! La littérature, les écrivains, les poètes, les passeurs sur les bacs du Léthé, les ronchons sentencieux et les bons enfants, tous sont embarqués et c’est le mérite particulier, en l’occurrence, des éditions des Instants, aux soins très avisés de Stéphane Bernard, de perpétuer cette transmission du sentir et du savoir, du souffrir et du jouir que nous lèguent ces grands fous à la Shakespeare ou à la Baudelaire, à la Sénèque ou à la Schopenhauer qui nous empêchent de dormir en rond sans nous empêcher de rêver, etc.
Notre ami Roland nous avait menacés maintes fois de se suicider, comme son père l’avait fait avant lui, mais il a attendu la fermeture de la plage de Pully et la fin de la saison de ping-pong pour s’y résoudre à la veille de ses 80 ans. Un soir parisien que j’avais envie de ne voir personne, il me dit au téléphone que le sage chinois conseille de «soigner l’homme par l’homme», et c’est ainsi que moi, l’optimiste un peu déprimé, je rejoignis mon compère désabusé et non moins convivial en son restau nippon de la rue des Ciseaux…
«Les pessimistes ne se suicident que rarement, voire nous dissuadent de le faire», relève encore Comte-Sponville, et de conclure sagement en attendant notre prochaine partie d’échecs ou de ping-pong: «Le bonheur n’est pas un devoir. Le malheur, pas une faute. Paix à tous! courage à tous! Que la vie ne corresponde pas aux rêves que nous nous en étions faits, c’est une vérité d’expérience. Mais on aurait tort d’en conclure que c’est la vie qui a tort...»
«Portraits de pessimistes. De Shakespeare à Schopenhauer», Challemel-Lacour, Préface d’André Comte-Sponville, Editions des Instants, 167 pages.
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Mais comment enfermer ses livres? Et que pèsent les décisions de mafieux gouvernementaux dans la balance des destinées universelles? Ces questions sont abordées, avec faconde et malice, dans le dernier roman du plus voltairien des auteurs contemporains. ', 'subtitle_edition' => 'L’arrestation du grand écrivain algérien, le 16 novembre dernier à Alger, relève à la fois de l’infamie et de la logique d’Etat, s’agissant d’un opposant déclaré plus virulent même qu’un Salman Rushdie. Mais comment enfermer ses livres? Et que pèsent les décisions de mafieux gouvernementaux dans la balance des destinées universelles? Ces questions sont abordées, avec faconde et malice, dans le dernier roman du plus voltairien des auteurs contemporains. ', 'content' => '<p>Comment Boualem Sansal se porte-t-il ce matin? Que ressent-il dans sa cellule ou sa chambre de la section pénitentiaire de l’hôpital algérois où il se trouve confiné à ce qu’on sait? Est-il vrai qu’il aurait apprécié le fait de ne pas être maltraité? Est-il vrai qu’il aurait affirmé ces derniers temps qu’il en avait assez de vivre? Et que voit-il par la fenêtre, si tant est que les murs qui l'enferment soient pourvus de la moindre ouverture? S’inquiète-t-il de son sort autant que ses proches, amis et lecteurs, ou prend-il les choses avec détachement, comme l’écrivain-visionnaire, à la fin de <em>Vivre</em>, son dernier roman, incite ses lecteurs à considérer les choses à distance: l’univers incommensurable en général et notre destinée personnelle en particulier ?</p> <p>Telles étaient les questions confuses que je me posais ce matin, après avoir achevé hier soir la lecture annotée de <em>Vivre</em> et avant de reprendre celle de <em>La Vie dans l’univers</em> du physicien rebelle Freeman Dyson (lequel a été délivré de la pesanteur terrestre en 2020) dont certains thèmes se retrouvent dans le roman de Sansal, à commencer par la situation de l’infime créature humaine dans l’immensité des galaxies, l’origine de la vie et ses fins dernières, l’importance de la biotechnologie au XXe siècle et nos relations avec d’éventuelles présences extraterrestres, etc.</p> <p>Le dernier chapitre de <em>La Vie dans l’univers</em> est le plus surprenant, auquel je reviens ce matin pour la 42e fois (l’importance du nombre 42 est d’ailleurs relevée par le narrateur matheux de <em>Vivre</em> ), et qui postule la nécessité prochaine, pour l’humanité, de (ré)concilier son penchant religieux et les savoirs de la Science, avec un aperçu du goût de ce scientifique de haut vol pour les échappées imaginaires de quelques auteurs de science-fiction, où Sansal aurait sans doute sa place aujourd’hui.</p> <h3><strong>Une intrigue interstellaire</strong></h3> <p>Boualem Sansal ennemi de la religion, au prétexte qu’il y aurait chez lui du Voltaire algérien? Mais pas du tout : maintes fois, en effet, l’auteur du redoutable 2084 l’a répété: ce n’est pas à l’islam qu’il en veut, mais à l’islamisme et à l’instrumentalisation sociale et politique du «message» musulman, comparable à l’instrumentalisation faite par tous les fanatiques césaro-papistes des confessions diverses, etc.</p> <p>Freeman Dyson rend hommage à l’auteure de science-fiction Madeleine L'Engle, très prisée des enfants et des ados anglo-saxons (elle a écrit une trentaine de romans les visant en priorité) et qui accorde, en chrétienne atypique, plus d’importance aux scientifiques qu’aux théologiens, coupables, selon elle, de limiter la notion de Dieu alors que «les scientifiques, avec leurs questions, avec leur émerveillement face à la gloire de l’Univers», l’ont aidée dans sa quête de méditation et de contemplation, tant il est vrai que les spécialistes de biologie cellulaire ou d'astrophysique traitent de la nature de l'existence même au fil de questions d’ordre théologique: «quelle est la nature du temps? 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Quelle est notre part dans l’œuvre de Dieu?», etc.</p> <p>Le nom de Dieu, dans le roman de Boualem Sansal, est repris du «point de vue de Sirius», si l’on peut dire, car le personnage «médiateur» de l’intrigue interstellaire, identifié sous le nom de l’Entité par le narrateur (prof de maths en rupture d’activités universitaires, quadra typique des quadras mâles blancs occidentaux super-éduqués du début du XXIe siècle, dont la compagne Nelly prof de français en zone urbaine sensible combat la décadence de l’enseignement en farouche syndicaliste), n’est elle-même qu’une instance secondaire de la grande horlogerie universelle à peine perturbée, à la fin du roman de Boualem Sansal, par le fracas «provincial» d’une troisième guerre nucléaire dévastant la planète Terre avant sa destruction par effet collatéral «naturel»…</p> <h3><strong>Comme une fable </strong><strong>SF pour ados de tous les âges…</strong></h3> <p>Vous allez vous amuser, sûrement, en lisant le dernier roman de Boualem Sansal. Vous allez vous retrouver en vos jeunes années, quand vous vous interrogiez, graves filles et garçons, sur la place de l’homme dans l’Univers, le mystère de son origine et de ses fins dernières, l’éventualité de présences cousines dans les galaxies poches ou lointaines, enfin tout le branlebas de questions relevant de la religion, de la philosophie, de la métaphysique ou de la science-fiction.</p> <p>Si celle-ci a été «votre truc» entre 13 et 33 ans, soit par les livres de Bradbury et d’Asimov, soit par le cinéma avec Spielberg et autres odyssées de l’espace, vous vous retrouverez en pays de connaissance avec la partie explicitement conjecturale et truffée de trouvailles épatantes de <em>Vivre</em>, schématique à souhait et «limite» naïve quoique frisant le comique burlesque à la Monty Python dans son arborescence «scientifique», avant que le roman, apparemment tout différent des autres ouvrages de Boualem Sansal, ne vous ramène au cœur des préoccupations actuelles de l’écrivain: inquiétudes sociétales (fanatisme religieux et wokisme au menu) et chocs entre cultures et continents, monde en pleine bascule géopolitique et troisième guerre mondiale redoutée, fin des haricots et fuite sur Mars dans la fusée des Musk Brothers & Co, etc.</p> <p>Or je lis plus précisément, dans <em>Vivre</em>, que «les gouvernements n’ont jamais d’autre but que de satisfaire l’appétit insatiable des oligarchies et des camarillas qui les constituent»; et tout à l’heure je lisais ces lignes qui sont comme le «pitch» de ce formidable récit se jouant des codes «populaires» de la SF pour développer une réflexion voltairienne sur l’état actuel de nos sociétés et les hantises et autres fantasmes de survie de nos semblables divers: «Une entité de l’espace vous contacte télépathiquement pour vous annoncer que la Terre va disparaître, frappée par un phénomène naturel, est-il précisé, et qu’il vous incombe personnellement de désigner ceux qui seront sauvés. Elle met à votre disposition un vaisseau qui peut emporter trois milliards de passagers, sur les huit que compte la planète. En les tassant, en les affamant un peu, vous prendrez peut-être un milliard de plus. Messieurs les religieux, nous voulons apprendre de vous. La question est celle-ci: que ferez-vous?» Quelqu’un devait commencer par lancer la discussion, ce fut l’imam. Je m’y attendais, c’est un corps d’élite, les imams, toujours prêts à bondir et à rendre service, comme les scouts »...</p> <h3><strong>Un hymne insolent à la vie libre !</strong></h3> <p>Sacré Boualem, qui fait passer le salut des Terriens par le truchement de la connexion onirique – et quel régal panaché que la suite des réponses de l’imam, du rabbin, du curé et de l’hindouiste vegan, quelle fiesta d’ironie sagace et de lucidité débonnaire quoique sans illusion, aboutissant à une conclusion d’un surprenant optimisme, à savoir que «l’avenir appartient aux gens de bien», ce que Sansal commente tranquillement (je l’imagine plutôt tranquille, ce matin, dans sa réclusion), en ces termes: «Tiens, je crois que c’est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu’est l’humanité, que je cherche depuis des années, L’humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie»…</p> <p>Aussi bien ne me fais-je pas trop de souci, malgré tout, pour ce cher homme dont la force morale, l’intelligence et l’immense savoir «humain», modulés dans ses livres si variés de forme – jusqu’à ce roman d’anticipation parodiant joyeusement la littérature conjecturale pour ados de tous les âges – me font penser qu’il vit son incarcération actuelle, par les morts-vivants du pouvoir, comme une péripétie parmi d’autres, mais combien révélatrice pour nous qui en découvrons les effets de solidarité massive autant que les retombées de haine et d’abjection.</p> <p>Vivre, oui, et d’abord lire ce livre tonique, hymne insolent et généreux à la vie libre (!) au lieu de radoter dans le vide des idéologies «divinement» meurtrières. Boualem Sansal sera-t-il libre à Noël? C’est évidemment à espérer, même si cette fête d’«infidèles» tourne au marché de pacotille. Et les Terriens méritent-ils d’ailleurs d’être sauvés! Salut le mystère!</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404354_g08284.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="161" height="235" /></p> <p><strong>Boualem Sansal. <em>Vivre. Le compte à rebours</em>. </strong><strong>Gallimard, 2024, 233p. </strong></p> <p><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733404445_laviedanslunivers.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="156" height="248" /></strong></p> <p><strong>Freeman J. Dyson. </strong><strong><em>La vie dans l’univers. Réflexions d’un physicien. </em></strong><strong>Gallimard, Bibliothèques des sciences humaines, 2009. 255p.</strong></p> <hr /> <h2><strong>Entretien avec Boualem Sansal, en 2006 </strong></h2> <p><strong> </strong><strong>(paru dans le quotidien <em>24 heures </em>le 9 mai 2006)</strong></p> <p>Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature algérienne francophone, dont les romans ressaisissent la tragique et complexe réalité contemporaine avec une porosité et une faconde sans pareilles. Après <em>Le serment des barbares</em> (1999), <em>L’enfant fou de l’arbre creux</em> (2000) et <em>Dis-moi le paradis</em> (2003), son quatrième roman, Harraga, s’attache à deux destinées de femmes avec autant d’empathie que de lucidité révoltée. Au printemps 2006, cet auteur qui a «mal à l’Algérie» adressait une lettre ouverte à ses compatriotes intitulée <em>Poste restante: Alger,</em> d’un courage civique impressionnant. Nous avions rencontré l’auteur après cette parution...</p> <p><strong>Comment, Boualem Sansal, vivez-vous aujourd’hui en Algérie?</strong></p> <p>Plutôt mal, après une amnistie marquant la réhabilitation des criminels d’hier, qui se retrouvent à plastronner en ville avec une arrogance extraordinaire. La chape d’un ordre moral intolérant se fait de nouveau ressentir, parallèlement à la réintroduction de l’enseignement religieux et à l’occupation des mosquées. Or la population semble l’accepter, tant elle est respectueuse de l’islam.</p> <p><strong>Quelle a été votre éducation personnelle?</strong></p> <p>Je suis né dans une famille où l’on pensait que l’instruction était essentielle. Ayant perdu mon père très tôt, j’ai été soumis, avec mes trois frères, à la discipline rigoureuse d’un grand-père chef de gare qui avait fait la guerre de 14-18, laïc et profondément attaché à la France et à sa culture. Après un début d’études classiques en latin-grec, j’ai cependant bifurqué sur une formation d’ingénieur, l’Algérie de l’indépendance ayant besoin de bâtisseurs et de techniciens plus que de «beaux parleurs», comme on disait alors. C’est pourquoi je me suis retrouvé, en 1992, au poste de Directeur de l’industrie, où m’avait appelé un condisciple devenu ministre.</p> <p><strong>Qu’avez-vous appris dans les allées du pouvoir?</strong></p> <p>Ce qui m’a le plus frappé, c’est la morgue, la corruption, les luttes entre clans et, d’une manière générale, le mépris de la population, ainsi qu’une formidable incompétence des apparatchiks du parti unique.</p> <p><strong>En avez-vous un exemple?</strong></p> <p>Le plus éloquent est ce rapport qu’un ministre m’a chargé d’établir, sur les relations entre l’endettement des pays du Sud méditerranéen et leur niveau de développement. Me fiant aux chiffres de la Banque mondiale et du FMI, j’ai constaté que les pays les plus endettés à régimes autoritaires, à commencer par l’Égypte, étaient aussi les plus déficients en matière de développement, alors qu’Israël, super-endetté, affichait un développement constant. Ce constat a mis le ministre en fureur, qui m’a prié de supprimer la mention d’Israël, ce que l’honnêteté m’interdisait. Je lui ai donc proposé ma démission immédiate, qui a été refusée en même temps qu’on enterrait le rapport. Par la suite, mes positions et mes livres m’ont valu d’être limogé.</p> <p><strong>Comment en êtes-vous venu au roman?</strong></p> <p>Cela s’est fait comme ça, pendant la terreur islamiste qui nous cloîtrait. Or que fait-on dans ces conditions ? On tourne en rond, on remâche les dernières horreurs du jour, on prend des notes sur ce qu’on observe, et tout à coup le « roman » est là, dicté par la vie. C’est ainsi qu’est né Le serment des barbares.</p> <p><strong>Décrire la réalité si fidèlement, comme l’a fait aussi votre ami Rachid Mimouni, ne représentait-il pas un risque?</strong></p> <p>Bien entendu, mais sortir dans la rue était déjà risqué. A propos de mon ami Rachid, la nuit suivant son enterrement en Algérie, des fanatiques ont exhumé son cadavre pour le livrer aux chiens. Ce n’est pas du roman : c’est la réalité, comme <em>Harraga </em>relève d’une réalité vécue.</p> <p><strong>Dans votre lettre ouverte aux Algériens, vous vous en prenez violemment à l’amnistie…</strong></p> <p>Pour aboutir à une vraie réconciliation, il fallait enquêter et rendre la justice. Je ne suis pas contre le pardon, au contraire, mais cette amnistie était une insulte aux victimes et un déni de justice.</p> <p><strong>Pensez-vous être entendu? Et menacé?</strong></p> <p>On m’a appris récemment que le livre faisait l’objet d’une mesure de censure, mais de nombreux compatriotes partagent mon point de vue, même si mes adversaires me font passer pour un « agent de la France » Menacé ? L’Algérie est un grand pays, dans lequel je reste à peu près invisible. Par ailleurs, comme Mimouni, je suis protégé par ma notoriété. Mais vous savez : un voyou payé peut me descendre demain de façon anonyme, surtout dans le contexte actuel où, comme je vous le disais, l’islamisme radical repique de plus belle…</p> <p> </p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'lire-vivre-de-boualem-sansal-participe-de-sa-liberation', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 39, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5259, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Tout à la fois fée et sorcière, Rose-Marie Pagnard nous enchante', 'subtitle' => 'L’esprit d’enfance, où la fantaisie transfigure le quotidien, imprègne «L’enlèvement de Sarah Popp», merveille d’imagination poétique et de douce folie humoristique sublimant la platitude et les épreuves de la vie. 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Celle-ci l’éloigne-t-elle du réel, ou lui permet-elle au contraire de se libérer du «nombrilisme» et de mieux accéder à l’«universel»?</p> <p>De telles questions auront peut-être «fait débat», cet hiver-là, tandis qu’il neigeait sur Vilnius, à tel festival de littérature auquel venait de participer Sarah Popp (quel nom, n’est-ce pas? pour une auteure, autrice, auteuse ou autorelle en langage d’inclusion), qui se réjouissait de revenir en Suisse pour y retrouver, à la veille de son cinquante-neuvième anniversaire, son compagnon Tobie, aussi à l’aise à son piano que devant les fourneaux, et leur fille Matild associée à une mini-troupe d’animateurs de robots-marionnettes au goût dernier cri de la nouvelle génération théâtrale.</p> <p>Alors quoi, un roman de plus sur les «problèmes du roman»? Mais quelle barbe! Et pourtant non: grâce à la neige et au gel, aux avions cloués au sol et donc à l’imprévu illico salué par Tobie («accepte ce qui arrivera» lui chante-t-il au téléphone quand elle lui expose son retard de deux ou trois jours), et Sarah de se réjouir de l’imprévisible occasion de vivre elle ne sait encore quoi alors que, de la fenêtre du bus qui la ramène de l’aéroport en ville, elle voit sans le voir un grand camion blanc dont la cabine figure une petite maisonnette, prélude à un conte à dormir debout. 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Ainsi se met-elle bel et bien à écrire des fragments de sa «vraie vie» sur la table de la maisonnette roulante, tandis que la romancière module sa propre vision des choses, où la poésie se joue allègrement des règles de la théorie, autant que des conventions morales.</p> <h3>Au dam du «poulailler paroissial»</h3> <p>Comment une romancière d’aujourd’hui doit-elle parler de la violence faite aux femmes, ou des humiliations subies au nom de la morale courante? Le kidnappeur de Sarah Popp, comme les gens «adultes et responsables», croit avoir la réponse, enjoignant la romancière de témoigner comme au commissariat ou au tribunal – aujourd’hui aux assises des médias friands d’accusations – «on veut des noms!» </p> <p>Or ce n’est pas minimiser les souffrances que de les confronter à la complexité de la vie, jamais réductibles aux seules sentences morales. Dans le roman de Rose-Marie Pagnard, en tout cas, la morale des bien-pensants, de telle tante bigote ou de tels voisins malveillants dans un village «gonflé de méchanceté», pèse lourdement sur les jugements portés sur telle jeune fille libre ou, d’une génération antérieure, sur telle «fille-mère» passible de la prison. Mais Sarah Popp n’est pas du genre, en tant que romancière, à se contenter d’une «dénonciation» univoque. Est-ce dire qu’elle fuit dans l’équivoque? Pas non plus. Il faudrait alors, par manière de réponse, détailler le roman et ses rebondissements, les multiples facettes de ses personnages, «raconter» le vieil Anders et le pourquoi de sa révolte remontant au calvaire social de sa mère, raconter celle-ci et sa propre façon de se libérer voire de se fiche de son passé, raconter l’amour fou de Sarah et de Tobie en butte au qu’en dira-t-on, raconter la sensualité persistante de Sarah la quasi sexa, raconter Sarah et sa fille, Sarah et l’angoisse, Sarah et les maux - Sarah et les mots, Sarah et la magie des objets, Sarah et la fantaisie de la fée-sorcière Rose-Marie.</p> <p>Rose-Marie Pagnard est poète autant sinon plus qu’elle est romancière, à savoir que chez elle les mots et les images passent avant les «scènes à faire», qui tissent une sorte de tapisserie «musicale» aux détails reproduisant à foison la joyeuse profusion de la réalité.</p> <h3>Féerie kaléidoscopique</h3> <p>Et c’est alors qu’il faudrait citer à qui mieux mieux, quitte à tirer «la ficelle folie». Citer le «sac de tristesse» de l’ancien voisin bûcheron, «vieux mais propre» et fleurant le savon, le bois et le citron. Citer le syndrome des jambes de Sarah dont les cauchemars l’empêchent de dormir car «chaque nuit est un piège», telle étant la part d’ombre de ce tourbillon lumineux de neige comme produite par une usine à farine. Citer les vitrines, les concerts, les biscuits de Noël qui peut être «poussent les pensées vers la mélancolie». Citer la «tête osseuse» à «noblesse de cheval» du faux ogre estimant qu’on est tous des «maltraités de la vie». Citer le «cœur explosif» du passé de Sarah entrevu par Tobie, lequel inspire celle-ci quand il rage. Citer le souvenir pénible du «poulailler paroissial» de la mesquine petite ville. Citer les deux enfants morts emportés par le père dans un carton à chaussures – «il faut beaucoup de calme et de propreté pour que ces faits révèlent leur beauté». Citer la beauté partout quand on a l’âme clame et propre à l’écart des «bandits en soutanes», ou citer par la fenêtre du bus les bonds de dauphins que suggèrent les ondulations d’un pipeline russe violet sur fond de neige, citer la forêt qui «se serre autour de l’histoire» avec «cette petite histoire humaine à l’intérieur», etc.</p> <p>Rose-Marie Pagnard a l’âge des seniors et la grâce des enfants, ou plutôt de l’enfance en tant qu’instance de l’imagination sans âge, et c’est à l’enfance grave des contes que la fugue dans la neige lituanienne de <i>L’enlèvement de Sarah Popp</i> fait penser, à l’enfance tissée d’émerveillements primesautiers et d’effrois secrets, à ce qui nous reste de bonne rage vivace après les déceptions et les larmes, à ce qui relance notre joie. </p> <p>Dans ce conte foisonnant qui ressemble si fort à la vie, peut-être même plus réel qu’elle, il y aurait, au conditionnel de l’enfance, un poney cinquantenaire aux yeux bleus, un drôle de type nommé Robert Louis Stevenson comme le conteur fameux mort aux îles Samoa d’un AVC après avoir fait rêver les jeunesses du monde à son île au trésor, un beau garçon surnommé Chasseur qui se fait draguer «grave» par Sarah, laquelle n’est plus à la fin qu’une poussière géante ou qu’une araignée en chocolat sous le balai de la mémoire passée et future, avec les mots de Rose-Marie Pagnard, fée et sorcière-sourcière emmêlée dans ses pinceaux et autres stylos dans sa féerie évoquant «une danse de Lapons endormis», lapins d’Alice et compagnie, sous les étoiles dont les noms (Chevelure de Bérénice ou Petit Lion) «valent le coup de vivre cent ans», enfin Sarah, agitant son kaléidoscope, se dit comme ça, «qu’il ne lui est pas nécessaire de tout comprendre, seulement de vivre et d’être amie de l’imagination».</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1732184054_zoelenlevementdesarahpoppcopie.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="298" /></p> <h4>«L’enlèvement de 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tous ceux et celles qui, dans le monde, s’interrogent sur l’évolution de celui-ci, entre attachement et possible effroi.</p> <p>Comme Douglas Kennedy, sur un ton de quasi camaraderie, au fil d’une narration d’une lumineuse intelligence, mais sans pédantisme en dépit de ses richissimes observations en matière d’histoire contemporaine et de politique, de littérature et de création artistique (de superbes pages sur le jazz, notamment) s’implique très personnellement, et sa famille, et ses amis, dans cette traversée à valeur de témoignage intimiste et collectif, je me suis senti impliqué à mon tour, comme d’innombrables lectrices ou lecteurs le seront probablement, me rappelant plus précisément ma première découverte des States, en 1981 (les otages de l’Iran venaient d’être libérés) et mon escale à La Nouvelle Orléans où Kennedy, après une traversée du Texas me rappelant la sienne, voit une île de bonne vie «bohème» au milieu d’une Amérique névrosée soumise au stress et à l’obsession du 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tour de verre investie par un congrès universitaire à l’enseigne de la Modern Language Association, l’Amérique que j’aimais pour avoir lu avec passion les romans de Thomas Wolfe et de William Faulkner ou de Philip Roth, les nouvelles fulgurantes de Flannery O’Connor et les poèmes de Walt Whitman, entre tant d’autres, m’avait immédiatement sidéré par la sottise vulgaire de sa télévision et la coupure évidente séparant ses divers milieux sociaux, classes et races.</p> <p>Ensuite, une première escale à La Nouvelle Orleans, où je découvris un haut lieu du jazz dont parle Kennedy, et la remontée de la côte Est jusqu’à Washington et New York, trimballé par les bus de la compagnie Greyhound où Noirs et Blancs se tenaient à méfiante distance, je passai par tous les stades de l’adhésion et de la répulsion que suscitait une évidente société à deux vitesses, illustrée à foison par le livre de Kennedy.</p> <p>En revanche, et je me rappelle alors quelques vives discussions dans l’entourage de Vladmir Volkoff, enseignant alors à Macon (Georgia) après la parution des <i>Humeurs de la mer</i>, peu de trace alors de l’agressivité opposant les tenants de telle ou telle position idéologique ou politique, alors que Kennedy affirme aujourd’hui que, désormais, «les discussions politiques aux Etats-Unis sont trop souvent réduites à deux individus s’affrontant de loin à grands cris haineux»… </p> <h3>Histoire d’une rupture</h3> <p>Le dépouillement des urnes de ces jours révèle, une fois de plus, la fracture profonde affectant les USA en 2024, dont l’histoire est retracée par Douglas Kennedy dès l’évocation de son enfance, marquée par un père violent, anticommuniste furieux, lui-même jamais guéri du traumatisme de la guerre (200'000 morts à Okinawa…) et partageant la frustration domestique de toute une génération, la mère de l’écrivain vivant de son côté l’humiliation des femmes. 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Ainsi Douglas Kennedy, compose-t-il un patchwork où la tendresse généreuse le dispute à la critique du «râleur-né» de l’East Village new yorkais. Deux autres auteurs «expatriés», à savoir Gore Vidal longtemps établi en Italie, et James Baldwin séjournant en France, sont en outre cités par Kennedy comme exemples de virulents critiques restés fondamentalement attachés à leur pays, comme il l’est lui-même, revenu aux States en 2011 après un long séjour en Irlande et de constants déplacements entre Paris et Berlin, notamment.</p> <h3>L’avenir à reculons</h3> <p>Alors que nous nous demandons ces jours où ira demain l’Amérique de Trump, l’on peut rappeler que le même Douglas Kennedy nous a proposé l’an dernier un détour par l’avenir, avec un roman d’anticipation grinçant intitulé <i>Et c’est ainsi que nous vivrons,</i> situé en 2045 où les etats désunis ont fait scission en deux entités, l’une représentant une théocratie où l’on brûle les hérétiques comme au bon vieux temps de l’Inquisition espagnole (ou calviniste), l’autre une République dont le progressisme coercitif passe par la surveillance de tous ses citoyens, comme chez Orwell, par un Big Brother évoquant la Corée du nord ou le paradis selon Elon Musk… </p> <p>Fort heureusement, les prédictions catastrophistes des écrivains sont souvent démenties par la complexe réalité humaine, et Douglas Kennedy, tout réaliste et pessimiste qu’il soit, n’en finit pas pour autant de parier pour les «surprises de l’Histoire». Si persuadé qu’il soit qu’une démocratie sociale et progressiste est le seul moyen pour son pays d’aller de l’avant, il poursuit aussi bien le dialogue avec tel ami voyant en Trump la mort de la démocratie américaine et l’éventualité d’un nouveau totalitarisme ploutocratique, autant qu’avec tel autre qui voit en Trump «un président incompris, critiqué à tort». </p> <p>Sans équivoque pour autant, son livre, comme un roman, est un miroir promené le long de la route américaine (une évocation de la Route 66 rappelle le mythe national, avec un éloge chaleureux quoique nuancé de Jack Kerouac le beatnik virant «réac» sur le tard ), dans un «ailleurs» de citoyen du monde qui pourrait être aussi le nôtre…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1730993956_ailleurschezmoi.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="322" /></p> <h4>«Ailleurs, chez moi», Douglas Kennedy, traduit de l'anglais (USA) par Chloé Royer, Editions Belfond, 256 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1730994068_9782266341042ori.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="328" /></p> <h4>«Et c'est ainsi que nous vivrons», Douglas Kennedy, traduit de l'anglais (USA) par Chloé Royer, Editions Belfond/Pocket, 451 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'douglas-kennedy-interroge-l-amerique-qui-le-divise', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 62, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5214, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Pavese, notre ami fragile, nous attend à l’«Hôtel Roma»', 'subtitle' => 'Merveille de sensibilité mimétique, de substance documentaire et de justesse d’expression dans son approche d’un grand écrivain retrouvé à l’été (1950) de son suicide, l’ouvrage de Pierre Adrian restitue à la fois les aspects contradictoires de la personne, complexe et combien âprement attachante, et le génie du poète, avec ses racines piémontaises et de constantes et pertinentes références à ses œuvres relues.', 'subtitle_edition' => 'Merveille de sensibilité mimétique et de justesse d’expression dans son approche d’un grand écrivain retrouvé à l’été (1950) de son suicide, l’ouvrage de Pierre Adrian restitue à la fois les aspects contradictoires de la personne et le génie du poète, avec ses racines piémontaises et de constantes références à ses œuvres.', 'content' => '<p>Il y a des gens, comme ça, à de certains moments particuliers, que vous éprouvez l’irrépressible besoin de prendre dans vos bras, et cette impulsion soudaine se trouve précisément exprimée par le jeune écrivain français Pierre Adrian, à la fin de son <i>Hôtel Roma,</i> dans ces lignes marquant la fin d’une intense recherche menée par lui sur les traces d’un des plus grands auteurs italiens du XXème siècle, en la personne de Cesare Pavese: «<em>Je m’attachais à l’homme à mesure que je l’accompagnais vers la mort. 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Et si vous pensez que le geste de prendre Pavese dans vos bras va vous en rapprocher en moite tendresse, déchantez car le mec est aussi distant, voire impossible avec ses semblables qu’avec les femmes, comme il le sous-entend dans ce fragment du <i>Métier de vivre</i> daté de ses vingt-sept ans: «Comme les grands amants, les grands poètes sont rares. Les velléités, les fureurs et les rêves ne suffisent pas; il faut ce qu’il y a de mieux: des couilles dures. Ce que l’on appelle également le regard olympien».</p> <p>Hélas le péremptoire jeune homme ne sera jamais un «grand amant», mais il pressent en lui le «grand poète» non sans raison, malgré le «vice absurde» qu’il nourrit déjà, et qu’il maudit en toute lucidité. Ainsi le note-t-il aussi en novembre 1937: «Le plus grand tort de celui qui se suicide est non de se tuer mais d’y penser et de ne pas le faire. Rien n’est plus abject que l’état de désintégration morale auquel amène l’idée – l’habitude de l’idée – du suicide. 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Ca va? Pas trop de bavardages»), du <i>Bel été</i> (prix Strega en juin 1950, consécration à peine relevée par les médias sauf à Turin), <i>Entre femmes seules </i>aux si profondes intuitions psychologiques, <i>Le Métier de vivre</i> à de multiples reprises et la correspondance de l’écrivain d’où l’auteur tire la page saisissante, à valeur d’autoportrait, d’une lettre à Fernanda Pivano, le 25 octobre 1950, où figurent ces mots d’une si terrible lucidité: «Or P. qui sans doute est un solitaire parce qu’en grandissant il a compris qu’on ne peut rien faire qui vaille sinon loin du commerce du monde, est le martyr de ces contradictions. Il veut être seul – et il est seul –, mais il veut l’être au milieu d’un cercle qui le sache (…) P. appelle même tout cela besoin d’expression, de communication, de communion; sa privation, tragédie de la solitude, incommunicabilité des âmes, et ainsi de suite. Que pourra faire un tel homme devant l’amour?»</p> <p>Enfin Pierre Adrian a retrouvé à Rome, géant nonagénaire, le dernier compagnon vivant de Pavese au nom de Franco Ferrarotti, qui nous vaut les pages les plus émouvantes <i>d’Hôtel Roma</i>, avec l’évocation des funérailles de Pavese, dont le cercueil fut suivi par des centaines de personnes, le message bouleversant du jeune Italo Calvino, atterré par la mort de son ami, et une conclusion qui oriente l’ensemble de l’ouvrage dans le même sens que les derniers mots de Pavese, le 18 août 1950: «Un clou chasse l’autre. Mais quatre clous font une croix. Mon rôle public, je l’ai accompli – j’ai fait ce que je pouvais. J’ai travaillé, j’ai donné de la poésie aux hommes, j’ai partagé la peine de beaucoup».</p> <p>Et Pierre Adrian de conclure: «Ferrotti m’avait conforté dans la conviction qu’un écrivain peut être l’ami qui vous réconforte et vous aide à tenir. Pavese était devenu un compagnon de route. Je m’étais lié à lui. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Lore 02.12.2022 | 06h15
«Merci pour cet article.
Shakespeare est une source d’inspiration, de réflexion et de créativité sans cesse renouvelée par
les penseurs et artistes contemporains britanniques. C’est un liant social que vous percevez au quotidien dans les grandes villes de ce pays.
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