Culture / Quentin Mouron nous introduit aux fluides enfers de l’agréable
© Hannah Reding via Unsplash
En phase avec son époque, dont il capte l’esprit et décrypte les codes et les fantasmes, tout en rompant avec son conformisme de masse, l’écrivain nous revient avec un roman-scanner d’une pénétration psycho-sociologique saisissante, sur fond de comédie sociale branchée, avec un titre aussi insolite et poétiquement pertinent que ceux de ses ouvrage précédents: «La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme».
Ils et elles ne savent plus trop où «ielles» en sont, mais elles et ils disent que «ça baigne», et l’on ne saurait mieux conclure que par «monstre cool» alors que «ça» nous concerne tous plus ou moins, que nous le voulions ou non.
Que le nom du capitaine Nemo, figure majeure de nos enfance de petits lecteurs entraînés vingt mille lieues sous les mers, soit devenu le prénom d’un zombie non binaire en jupon rose en qui les nouveaux techniciens de surface des médias se félicitent de découvrir l’emblème d’un monde à sexualité augmentée, n’est qu’un signe parmi d’autres de la fluidification générale, et d’aucuns paniquent ou réagissent en réacs tandis que d’autres «font avec», comme Sam le premier personnage à surgir dans le miroir aux alouettes du dernier roman de Quentin Mouron, se lançant à lui-même ce défi devant sa glace fissurée: «Sois un chien sombre qui aboie devant les tentes de l’existence», et la caravane de ses followers passe…
On ne fait pas plus kitsch dans le genre poético-romantique en vogue sur la Toile, mais c’est exactement «ça» qui arrive à Sam et dont seront informés, tout à l’heure, les 200'000 abonnés de son compte Instagram.
Pour le dire vite (avant de se dire non moins gravement «à vite!»), Sam est devenu influenceur sans le vouloir vraiment, à vrai dire comme tout le monde, vu que c’est effectivement à tous que «ça» arrive depuis que tout un chacun/chacune est connecté(e), d’abord sur Internet et ensuite sur les réseaux et «applis» multiples, surtout les jeunes. Tenez la preuve, la semaine passée: ma petite voisine de sept ans, au prénom d’Océane, devant sa webcam, dansait en pagne arc-en ciel en faisant de la pub pour une marque de blush, à l’insu de sa mère écoresponsable.
Tous influenceurs? Sûrement pas encore, mais quelque chose est bel et bien arrivé, comme on peut le dire aujourd’hui de l’épisode du Covid, et ça vaut d’être raconté…
Or, avec son nouveau roman abordant la «vraie vie» et les faux semblants des influenceurs contemporains, Quentin Mouron nous étonne un fois de plus, comme il l’a fait depuis une douzaine d’années avec dix livres à son actif touchant aux genres divers du roman, de l’essai et de la poésie, apparemment différents les uns des autres mais tenus ensemble, en œuvre organiquement cohérente, par une même vision affirmée, une même porosité sensible et une même qualité d’expression – ce qu’on dira sa «papatte».
Bientôt au mitan de la trentaine, ce «millenial» avéré, pétri de la culture de sa génération et s’en distinguant par un constant décentrage intellectuel et affectif, a été situé dans la filiation d’un Michel Houellebecq, ou parfois d’un Bret Easton Ellis, pour sa façon de moduler des observations «sociétales» et de mêler observation clinique et satire, et l’on pourrait aussi relier son dernier livre au Cercle de Dave Eggers, mais le lascar est à vrai dire hors norme et comparaison, comme tout écrivain de vraie singularité.
Un témoin du nouveau monde
Le nouveau monde – au propre et au figuré puisque Au point d’effusion des égouts (Morattel, 2011) relatait la traversée des States d’un jeune héritier des beatniks de la Route 66 –, et sa novlangue plus ou moins tribale, constituait la substance vivante du premier livre de Quentin (fils d’artiste et d’enseignante vaudois qui l’ont élevé en exil subtil dans une cabane des Laurentides), et c’est en Amérique aussi que se situait son deuxième roman, plus «tchékhovien» d’âme et de tripe, Notre-Dame de la merci (Morattel, 2012) qui annonçait déjà les qualités de cœur et d’esprit d’un auteur de grand avenir capable de mêler l’observation d’un milieu social donné (la classe moyenne en dérive se réfugiant dans la drogue) et l’impact personnel des désastres affectifs.
D’un livre à l’autre, en effet, le thème qu’on pourrait dire de l’amour qui n’est pas aimé, ou de la rupture savourée sur fond de guerre des sexes acclimatée, a connu divers traitements et culmine dans La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme, où l’intime et l’indiscrétion généralisée, le très particulier et les généralisations abusives, la vie affective ou sexuelle et les discours à n’en plus finir soumis aux nouvelles normes morales ou politiques, constituent un univers à la fois fantastique et hyperréel que le verbe de l’écrivain ressaisit avec précision.
Sam, Lola, Hugo, Sixtine, Rocco et les autres…
Lorsqu’il se pointe devant son miroir fêlé, Sam se partage donc entre sa vie de façade, suivie par les abonnés de son compte TikTok, et son «ressenti» réel et privé, toujours marqué par sa rupture avec une certaine Sixtine (pas un clone de la chapelle: une influenceuse célèbre dont le nom de réseau pourrait être Sex-teen), dix mois auparavant, au terme d’une année de probable fol amour, et voici que vie réelle et story virtuelle risquent de se percuter du fait que Sam, comme Sixtine, sont tous deux invités à Venise pour une convention européenne d’influenceurs – mais la seule idée d’aller à Venise, cette ville-cliché, le rebute autant que l’horripilent de plus en plus les soirées à boire et se défoncer, alors même qu’il continue à «poster» des images faisant croire que la fête continue, mais «quand Sam postait des photos à cinq heures du matin, à six heures déjà plus de mille personnes avait liké, ils se demandait qui étaient ces gens qui ne dormaient pas, qui ne fêtaient pas, qui ne lisaient pas, qui regardaient des photos de soirée, qui aimaient qu’il fasse la fête, qu’il soit défoncé, qu’il cite des poètes, il se demandait qui étaient ces femmes et ces hommes du biais, de la procuration, ces femmes et ces hommes de l’aube et du silence»…
Soit dit en passant, la citation qui précède, mélange de lucidité triste et de poésie tendre, est du pur Quentin dont on relèvera, tout au long du livre, comme des précédents, qu’il aime ses personnages. Et de fait nous aimerons Sam, non parce qu’il est né coiffé et se montre plus intelligent que la moyenne, qu’il a touché à tout, un peu couché avec Hugo, passionnément aimé Sixtine qui l’a largué malgré leur succès géant auprès de leur communauté virtuelle qui «leur envoyait des cœurs et des flammes en permanence», mais parce qu’il est Sam, enfant du siècle comme l’est aussi Lola à sa façon toute différente, lucide et aimante – aimant les arts et la permanence, déçue plus souvent qu’à son tour, et avec Hugo elle sera servie une fois de plus – Hugo le journaliste plutôt raté qui se remet difficilement d’avoir un peu couché avec Sam et qu’on retrouvera à Venise comme on retrouvera Sixtine et son nouveau mec du moment, ce Rocco roulant ses mécaniques et rêvant de dormir dans des yourtes et de rencontrer un vrai sourcier ou un vrai énergiologue et/ou de lire du Sylvain Tesson au coin d’un vrai feu – mais assez de spoiling, lecteurices respecté(e)s: à vous le job!
De la fluidité d’une écriture qui danse
De fait, on n’évoquera pas Sixtine en deux mots: on la «vivra» par les mots de Quentin Mouron, comme on vivra cette espèce de poème-missive envoyé aux humains de tous les sexes, dont la forme même mime, par sa fluidité, toutes les «inclusions» actuelles du discours plus ou moins vidé de sens et des idéologies plus ou moins vidées de contenu, l’Agora du moment se trouvant un squat vénitien où Shakespeare en découd avec les «acteurices» de tout bord et de toute dérive, sur fond beaucoup plus stable et solide qu’on ne croirait, qui est aussi le «fonds» d’un certain Milan Kundera aux anges flapis, ou d’un certain Stanislaw Ignacy Wikiewicz annonçant dans les années 20-30 du XXème siècle ce que quelques auteurs lucides, philosophes ou poètes, constatent aujourd’hui même: le triomphe de tous les nivellements et l’urgence de les combattre, fût-ce en dansant sur le volcan…
«La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme», Quentin Mouron, Editions Favre, 176 pages.
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Et de fait nous aimerons Sam, non parce qu’il est né coiffé et se montre plus intelligent que la moyenne, qu’il a touché à tout, un peu couché avec Hugo, passionnément aimé Sixtine qui l’a largué malgré leur succès géant auprès de leur communauté virtuelle qui «leur envoyait des cœurs et des flammes en permanence», mais parce qu’il est Sam, enfant du siècle comme l’est aussi Lola à sa façon toute différente, lucide et aimante – aimant les arts et la permanence, déçue plus souvent qu’à son tour, et avec Hugo elle sera servie une fois de plus – Hugo le journaliste plutôt raté qui se remet difficilement d’avoir un peu couché avec Sam et qu’on retrouvera à Venise comme on retrouvera Sixtine et son nouveau mec du moment, ce Rocco roulant ses mécaniques et rêvant de dormir dans des yourtes et de rencontrer un vrai sourcier ou un vrai énergiologue et/ou de lire du Sylvain Tesson au coin d’un vrai feu – mais assez de <em>spoiling</em>, lecteurices respecté(e)s: à vous le job!</p> <h3>De la fluidité d’une écriture qui danse</h3> <p>De fait, on n’évoquera pas Sixtine en deux mots: on la «vivra» par les mots de Quentin Mouron, comme on vivra cette espèce de poème-missive envoyé aux humains de tous les sexes, dont la forme même mime, par sa fluidité, toutes les «inclusions» actuelles du discours plus ou moins vidé de sens et des idéologies plus ou moins vidées de contenu, l’Agora du moment se trouvant un squat vénitien où Shakespeare en découd avec les «acteurices» de tout bord et de toute dérive, sur fond beaucoup plus stable et solide qu’on ne croirait, qui est aussi le «fonds» d’un certain Milan Kundera aux anges flapis, ou d’un certain Stanislaw Ignacy Wikiewicz annonçant dans les années 20-30 du XXème siècle ce que quelques auteurs lucides, philosophes ou poètes, constatent aujourd’hui même: le triomphe de tous les nivellements et l’urgence de les combattre, fût-ce en dansant sur le volcan…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1718882920_couvladernierechambredugrandhotelabimehd1rescaled523x99999.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="312" /></p> <h4>«La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme», Quentin Mouron, Editions Favre, 176 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'quentin-mouron-nous-introduit-aux-fluides-enfers-de-l-agreable', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 34, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4974, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Si vous rêvez de Tombouctou, c’est en vous que gît le trésor', 'subtitle' => 'Ravivant la fraîcheur de nos lectures de jeunesse, avec le supplément d’âme de la maturité, le nouveau roman «africain» de René Zahnd, «Le Trésor des Mandingues», nous entraîne dans un périple à double valeur d’hymne à l’amitié, ponctué de belles rencontres humaines, et d’exploration sur le terrain et par l’écrit d’une Afrique méconnue dont le parcours relève de la quête initiatique, sous le patronage occulte de Blaise Cendrars.', 'subtitle_edition' => 'Ravivant la fraîcheur de nos lectures de jeunesse, avec le supplément d’âme de la maturité, le nouveau roman «africain» de René Zahnd, «Le Trésor des Mandingues», nous entraîne dans un périple à double valeur d’hymne à l’amitié, ponctué de belles rencontres humaines, et d’exploration sur le terrain et par l’écrit d’une Afrique méconnue dont le parcours relève de la quête initiatique, sous le patronage occulte de Blaise Cendrars.', 'content' => '<p>Les ruptures ont parfois du bon. Tu te fais larguer et c’est peut-être bien fait, ça te pendait au nez te dit ton compère François qui a toujours le mot pour encourager: tu avais le fil à ta Pat, croit-il malin d’ajouter avant de t’allonger d’autres calembredaines débiles, et patati et patatras – mais tourne donc la page mon poteau, te serine-t-il sévère et facétieux, et c’est parti pour une autre vie n’importe où mais loin de cette «affaire» de Patricia, et pourquoi pas Venise? </p> <p>Cinq pages plus loin, puisque c’est le début d’un roman dont le titre du premier chapitre annonce la situation «au 36<sup>e</sup> dessous» et démarre avec une exclamation amicalement indignée dudit François, «Ce n’est plus du chagrin, c’est de la misère», le Narrateur, qu’on pourrait prénommer René tant il évoque l’auteur par divers traits psychologiques, à part sa passion avérée pour l’Afrique et ses connaissances de naturaliste – mais on évitera de l’associer trop précisément à la cata sentimentale du moment – se retrouve donc bel et bien à traîner son spleen dans la lagune, quand, en quête d’un cadeau à ramener à son compère François, le hasard lui fait pousser la porte d’une bouquinerie francophone tenue par un vieil Africain qui, à l’évocation du nom de Cendrars, lui propose, fin lettré, l’acquisition du <i>Latin mystique</i> de Rémy de Gourmont, dont chacune et chacun se rappelle l’intérêt que le cher Blaise portait à son œuvre de grand érudit, avant de lui offrir, en bonus, la première édition de l’<i>Anthologie nègre </i>du même bourlingueur assortie d’une dédicace manuscrite à un certain M. 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A la même enseigne «dualiste», l’on relèvera l’alternance très «physique» du récit à ras le quotidien poussiéreux et son épique relance de lieu en lieu, ponctué de dialogues savoureux entre les deux lascars (on <em>skype</em> n’importe où par les temps qui courent), et maintes inflexions plus méditatives de l’«aventurier mélancolique» que figure le Narrateur, qui nourrissent un véritable parcours initiatique à l’africaine, ponctué de force sages sentences, entre autres formules drolatiques. Tel vieux sage aveugle dira ainsi: «La paroles est la reine de la connaissance. Mais la parole est aussi la reine du mensonge et la reine des secrets». Et telle Mobylette garée sur la rue portera cette maxime avec sa gouaille populaire: «Le crayon de Dieu n’a pas de gomme»…</p> <p>Enfin la lumière éblouissante du jour, et combien de sonores éclats de rire, iront de pair avec un jeu d’ombres plus inquiétantes liées à la part maléfique de la nature humaine, où l’on verra que les pillards blancs d’hier ressortissent à la même crapule que les tueurs d’aujourd’hui se réclamant du Djihad.</p> <h3>Le trésor de l’humaine bonté</h3> <p>Pour beaucoup d’enfants de tous les âges et d’un peu partout, <i>L’Ile au trésor </i>reste l’un des plus beaux livres qui soient, et le lecteur du <i>Trésor des Mandingues </i>ne cesse évidemment d’espérer en savoir plus à propos des «montagnes d’or» évoquées par Cendrars, cher menteur et mentor du non moins cher François, lequel est peut-être le véritable auteur du roman – tels étant les deux lascars férus de farces et attrapes narratives. </p> <p>Dans la foulée du roman, ainsi, l’on apprend que les initiales du fameux M. P. ne sont peut-être pas celles de Mungo Park mais désignaient un certain Mathieu Portalban, négociant en «art nègre» que ses menées de pillard ont fait détester des indigènes mais que Cendrars eût pu rencontrer de son vivant; et ce n’est qu’une incertitude de plus ajoutée au mystère de la mort de Mungo Park et à la réalité du trésor peut-être enfoui dans les montagnes de l’Adrar des Ifoghas, d’où le Narrateur candide devra se faire exfiltrer en hélico pour cause de danger djihadiste très actuel.</p> <p>Au jeu du «romanesque», nous avalerons jusqu’à ces péripéties de thriller ou de série télévisée, mais l’enjeu du <i>Trésor des Mandingues</i> est ailleurs, et plus précisément dans le constat du hogon, maître spirituel des Dogons, qui déclare comme ça au Narrateur, sans le connaître que par son intuition supérieure: «Vous êtes un homme bon. Vous avez le ventre clair». 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Poil au nez…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1717676869_444125491_10234088576742799_4694205545336481227_n.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="345" /></p> <h4>«Le Trésor des Mandingues», René Zahnd, Editions Herodios, 327 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'si-vous-revez-de-tombouctou-c-est-en-vous-que-git-le-tresor', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 30, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4945, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Le beau roman qui ressaisit un accompagnement vital', 'subtitle' => 'Un voisinage banal que la maladie transforme en relation aussi profonde que superficielle en apparence: c’est la trame du nouveau livre de Catherine Lovey, intitulé «histoire de l'homme qui ne voulait pas mourir» et gratifié du Prix Dentan 2024. 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Certes, mais d’une autre façon, qui serait celle d’un Monsieur bien sous tous rapports confiant en la médecine actuelle et semblant d’abord «dans le déni», comme on dit, «positivant» et restant très actif «dans sa partie», faisant en somme «avec» en toute dignité virile, du moins en apparence. </p> <p>Comme beaucoup de nos contemporains, ce Monsieur Sándor a l’air d’être au courant de ce qui lui arrive et sait à quoi riment les thérapies successives qui lui sont proposées – Internet fait de nous tous des semblants d’experts –, collaborant plus ou moins avec les jeunes médecins forcément compétents – rassurons-nous – qui le «gèrent», mais l’aspect médical du récit est à vrai dire très secondaire en dépit de relevés précis, et c’est essentiellement par la narratrice que nous en sommes informés. </p> <p>Du vrai sujet de l’<i>histoire de l’homme qui ne voulait pas mourir</i>, qu’on pourrait dire la part secrète ou mystérieuse des relations humaines en interaction, l’exergue de Sándor Márai, tiré du <i>Journal</i> de 1946, donne alors une idée plus juste: «C’est terriblement difficile de connaître la vérité sur nous-même; sur notre nature, nos tendances, nos désirs. 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Il y a quelque chose de l’objectivité réaliste d’une Alice Rivaz dans sa façon de camper la narratrice, femme autonome d’aujourd’hui dont la propre fragilité s’affermit à mesure que celle de son voisin le rend plus dépendant à son corps défendant, mais la «brume», l’ambigüité, l’incertitude, les flottements, parfois un malentendu, de soudaines surprises, une constante réserve de part et d’autre et son dépassement, le dévoilement lié à l’accompagnement physique concret, constituent la substance vive, à la fois émouvante et subtilement éclairée par l’intelligence du cœur – Sándor Márai serait le premier à reconnaître le pouvoir de celle-ci –, de ce roman illustrant une relation « itale» en train de se tisser.</p> <h3>Les «personnes vitales» qui nous accompagnent </h3> <p>Il est dit de Monsieur Sándor qu’il n’est pas sentimental, et Thomas Bernhard ne l’était pas du tout non plus. Mais c’est bel et bien à celui-ci que j’ai pensé, et à la notion de «personne vitale» qu’il a introduite dans ses récits autobiographiques, concernant plus précisément le grand-père du grand écrivain autrichien, en lisant le chapitre de <i>cette histoire de l'homme qui ne voulait pas mourir</i> évoquant la tante du protagoniste, avec laquelle celui-ci a entretenu ce qu’on peut dire une relation «vitale».</p> <p>Définir celle-ci n’est pas possible mais chacune et chacun de nous devrait avoir sa «personne vitale», pas forcément modèle ou mentor, relevant de l’amour ou de l’affinité élective mais de façon peut-être secrète ou momentanée, comme ce Monsieur Sándor, après la mort de la sœur de sa mère, «reconnaît» l’importance dans sa vie de cette femme et comme, aussi, l’on constate que Sándor lui-même devient important pour la narratrice du roman, laquelle est traitée aussi comme une «personne vitale» à l’approche de la mort. </p> <p>Dans <i>Les révélations de la mort</i>, le philosophe russe Léon Chestov a montré l’importance cruciale de la grande confrontation imposée au personnage de Tolstoï et au protagoniste du plus beau film d’Akira Kurosava, intitulé <i>Vivre</i> (<i>Ikiru</i>, 1952) et traitant le même sujet que <i>La Mort d’Ivan Illitch. </i>Pourtant c’est essentiellement «du côté de la vie» que Catherine Lovey développe son roman d’un accompagnement, où chacune et chacun reconnaîtra peut-être une «personne vitale» – ce qu’on appelle parfois un ange gardien, ou ce voisin qui deviendra peut-être «une sorte de proche important»…</p> <h3>Attention: vos heures sont comptées</h3> <p>Il y a de quoi pleurer, c’est sûr, à voir quelqu’un qu’on aime en prise avec une maladie aussi sournoise que le cancer – entre autres cadeaux empoisonnés de la vie –, et surtout si la personne fait mine de s’accrocher en planifiant, par exemple, comme ce Monsieur Sándor, un voyage en Australie dont il est rapatrié en catastrophe, ou bien la personne vous cache qu’elle ne peut plus ingurgiter même un bol de soupe ou elle vous tombe dans les bras en essayant de se lever. </p> <p>Vous avez lu <i>Mars </i>de Fritz Zorn (un premier coup pour le cancer), avant <i>Une cuillerée de bleu</i> d’Anne Cuneo, vous avec lu <i>Le Protocole compassionnel</i> d’Hervé Guibert (et de deux pour le sida), vous avez lu plus récemment <i>La mort seul à seul</i> du Hongrois Péter Nádas (l’infarctus comme si vous y étiez), et chaque fois c’est vu «du dedans» par l’intéressé, alors que cette histoire de l’homme qui ne voulait pas mourir est celle aussi «du dehors», des accompagnants: celle qui raconte et deux ou trois amies gravitant solidairement autour du malade en même temps que la narratrice, écoresponsable sur les bords, s’inquiète avec quelques militants du sort d’un bosquet d’arbres citadins en voie d’éradication intempestive (les lois de l’immobilier sont une autre maladie), et c’est de l’état du monde que parle donc aussi ce roman qu’on pourrait dire un récit des temps de la pandémie, qui vous tend son miroir.</p> <p>Arriverez bout au bout de la journée, verrez-vous le prochain Noël ou les couleurs de l’automne de l’année suivante? 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