Culture / Quand un penseur nous encourage à résister au Dieu méchant
Vue du jardin de Gethsémani et du Mont des Oliviers à Jérusalem, en 1910. © Eric Matson, National Photo Collection of Israel, Photography dept. Goverment Press Office
Si l’Unique continue d’être invoqué pour justifier guerres et crimes contre l’humanité, à l’enseigne des trois monothéismes en conflit depuis plus de vingt siècles, la survie de la civilisation dépendra de notre capacité à analyser les fondements et les conséquences de «La folie de Dieu», titre d’un essai majeur de Peter Sloterdijk, penseur européen ô combien stimulant. Sur un ton plus polémique, le conteur et romancier Pierre Gripari avait (ré)ouvert le feu avec son «Histoire du méchant Dieu» – à relire avec un grain de sel… Dans un livre plus récent, «Faire parler le ciel», le même Sloterdijk distingue l’apport majeur de la «théopoésie» à la civilisation, où la spiritualité incarnée et réjouie prime sur les dogmes abstraits et les vérités exclusives des théologiens de tout poil...
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C’est cela mes amis: tâchons d’être capables du ciel…</p> <h3>De la bonté «sans idée» et du bon Dieu des braves gens</h3> <p>Notre ami le peintre et écrivain polonais Joseph Czapski (1896-1993), rescapé du massacre de Katyn et qu’on peut considérer comme un juste du XXème siècle, me disait un jour, dans son atelier de Maisons-Laffitte, que le christianisme racontait essentiellement pour lui une histoire de la bonté.</p> <p>Or il était capable de s’ériger aussi vivement contre les chrétiens antisémites que contre les juifs réduisant les Polonais à des antisémites, sans parler des uns et des autres se traitant mutuellement d’affreux fascistes ou de sales communistes, d’hérétiques à extirper ou de mécréants à trucider. Puis un autre soir, alors qu’il perdait la vue, il me demanda de lui lire la nouvelle de Tchekhov intitulée <i>L’étudiant,</i> dont je lui avais parlé plusieurs fois et que j’avais dans ma sacoche – la préférée de l’écrivain et qui fit venir, aux yeux du témoin de toutes les horreurs, de vieilles larmes d’enfant. Tchekhov le médecin positiviste présumé athée! Et qui parlait mieux que personne de l’humble foi de vieilles femmes à la veille de Pâques. 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(...) En ces temps terribles où la démence règne au nom de la gloire des Etats et du bien universel, en ce temps où les hommes ne ressemblent plus à des hommes, où ils ne font que s’agiter comme des branches d’arbres, rouler comme des pierres qui, s’entraînant les unes les autres, comblent les ravins et les fossés, en ce temps de terreur et de démence, la pauvre bonté sans idée n’a pas disparu»…</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576091_unknown1.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="326" /></h4> <h4>«La Folie de Dieu», Peter Sloterdijk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Editions Payot / Pluriel, 190 pages. </h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576172_41z3ymaar3l._ac_uf10001000_ql80_.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="289" /></p> <h4>«L’Histoire du méchant Dieu», Pierre Gripari, Editions de L’Age d’homme, 138 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576252_9782228927987.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="322" /></p> <h4>«Faire parler le ciel», Peter Sloterdijk, Editions Payot / Pluriel, 400 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576440_9782702180365001x.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="303" /></p> <h4>«Vie et Destin», Vassili Grossman, Editions de L’Age d’homme (1980), dernière réédition chez Calmann-Lévy (2023), 1'200 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'quand-un-penseur-nous-encourage-a-resister-au-dieu-mechant', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 56, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'Jean-Louis Kuffer', 'description' => 'Si l’Unique continue d’être invoqué pour justifier guerres et crimes contre l’humanité, à l’enseigne des trois monothéismes en conflit depuis plus de vingt siècles, la survie de la civilisation dépendra de notre capacité à analyser les fondements et les conséquences de «La folie de Dieu», titre d’un essai majeur de Peter Sloterdijk, penseur européen ô combien stimulant. 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Or c’est à un auteur juif (Ah ces Juifs!) et russe (Ah ces Russes!) que j’emprunterai enfin ma conclusion, tirée de <i>Vie et destin</i> de Vassili Grossman.</p> <p>Dans l’histoire du bien qu’il a griffonnée sur ses feuillets, le vieil Ikonnikov, après avoir remarqué que même Hérode ne versait pas le sang au nom du mal, mais «pour son bien à lui», constate que la doctrine de paix et d’amour du Christ aura coûté, à travers les siècles, «plus de souffrances que les crimes des brigands et des criminels faisant le mal pour le mal».</p> <p>Il n’en rejette pas pour autant le message évangélique mais oppose, au «grand bien si terrible» des nations et des églises, des factions et des sectes, la bonté privée, sans témoins, la «petite bonté sans idéologie», la bonté sans pensée que j’ai constatée pour ma part chez mon père et ma mère et que Joseph Czapski «raconte» à sa façon, en peinture, par le truchement de multiples personnages à l’air innocent ou perdu.</p> <p>Et Vassili Grossman de préciser que la bonté du vieux martyr Ikonnikov est «celle d’une vieille qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c’est la bonté d’un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d’un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. 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En ces temps terribles où la démence règne au nom de la gloire des Etats et du bien universel, en ce temps où les hommes ne ressemblent plus à des hommes, où ils ne font que s’agiter comme des branches d’arbres, rouler comme des pierres qui, s’entraînant les unes les autres, comblent les ravins et les fossés, en ce temps de terreur et de démence, la pauvre bonté sans idée n’a pas disparu»…</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576091_unknown1.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="326" /></h4> <h4>«La Folie de Dieu», Peter Sloterdijk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Editions Payot / Pluriel, 190 pages. </h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576172_41z3ymaar3l._ac_uf10001000_ql80_.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="289" /></p> <h4>«L’Histoire du méchant Dieu», Pierre Gripari, Editions de L’Age d’homme, 138 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576252_9782228927987.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="322" /></p> <h4>«Faire parler le ciel», Peter Sloterdijk, Editions Payot / Pluriel, 400 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576440_9782702180365001x.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="303" /></p> <h4>«Vie et Destin», Vassili Grossman, Editions de L’Age d’homme (1980), dernière réédition chez Calmann-Lévy (2023), 1'200 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'quand-un-penseur-nous-encourage-a-resister-au-dieu-mechant', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 56, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4897, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Shmuel T. 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Meyer, vivant lui-même la déchirure vécue par les Israéliens entre eux. </p> <p>«La vie était propre et simple même après l’assassinat de Rabin, parce que la colère était nourrie d’espoirs. Yoav et son épouse croyaient en la rédemption des hommes», lisons-nous dans la sixième nouvelle de <i>Tribus</i>, intitulée <i>Yoav et Maya</i> et décrivant la vie d’un couple de sexas de bonne foi (lui est le rabbin d’une communauté réformée enseignant l’histoire des religions, et elle est infirmière en oncologie), mais ladite «foi en la rédemption des hommes» a du plomb dans l’aile depuis le 11 septembre (la famille de Yoav l’accompagnait alors aux Etats-Unis pour une série de conférences ), le «judaïsme bonhomme» pratiqué par le couple a subi des coups avec la radicalisation religieuse en marche, et plus particulièrement quand un juge intègre de leur connaissance, ancien président de la Cour suprême, a soudain été placé en résidence surveillée par un sbire du Premier ministre; enfin leur communauté libérale est devenue l’objet d’injures et d’attaques physiques de la part des ultraorthodoxes conspuant les «faux juifs prosélytes d’Amérique», et la conclusion est à fendre le cœur quand ces amoureux de Jérusalem, ces pratiquants d’un «judaïsme de la joie», se font dire, par un fonctionnaire de police des frontières à dégaine de seul véritable défenseur de la tribu, que leur nouveau passeport leur ouvrira désormais toutes les portes, sauf celles de leur pays...</p> <p>La vie décrite, plutôt que les bombes, les destinées personnelles et leurs «petites histoires», ressaisies dans la dérive collective de l’Histoire avec une grande hache, mieux que les analyses expertes et autres explications géo-politiques ou théologico-sociologiques: telle est la matière de ces douze modulations individualisées de la vie des gens à visages de femmes et d’hommes de conditions et de convictions diverses, témoins d’une tragédie aboutissant aujourd’hui, après un odieuse agression de masse islamiste, à un non moins abominable massacre des innocents.</p> <p>Mais que peut faire un écrivain face à la Shoah, face aux pogroms, face aux fatwahs et aux razzias? L’on se rappelle l’injonction de Theodor Adorno, selon lequel «après Auschwitz, écrire de la poésie est barbare», mais de même qu’Adorno s’est rétracté, la Littérature a prouvé depuis lors qu’elle participait bel et bien à la lutte «contre Auschwitz», et c’est la poésie, justement, qui constitue l’une des forces de Shmuel T. Meyer, à savoir la concentration, à chaque page de chacune de ses nouvelles de la beauté et de la bonté dans le contexte humain parfois le plus haineux ou le plus laid, cette nouvelle société israélienne aux prises avec le fanatisme et ce que le penseur allemand Peter Sloterdijk appelle justement «la folie de Dieu». </p> <p>Or nous voici arrivés en ces temps où des citoyens qui ont cru à l’idéal sioniste, déçus voire désespérés par le «messionisme» qui fait danser les Messie avec Satan s’exilent en Allemagne… </p> <p>«Je fous le camp», déclare le jeune Avroumchik. «Définitivement. Vancouver, Melbourne, Auckland, Copenhaugue, Berlin. 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Meyer le 27 juin 2023, au kibboutz Nativ Halamed Hé. L’épilogue, plus que poignant: bouleversant, est daté du 7 octobre 2023. Nous y retrouvons Rafi, en phase terminale de cancer, Nava son épouse et le jeune infirmier Idan du «camp des vainqueurs», petit-neveu de Koby de la Mousrara, mais le contraire de ce perdant: un futur médecin à large kippa qui lance au grand malade: «On les crèvera tous…ces nazis, ne vous en faites pas, Monsieur Rafaël, ces sauvages on les crèvera tous».</p> <p>Alors Nava, plus que jamais éprise de justice et de vérité, de reprendre Idan: «Ce ne sont pas des nazis. Ils ne mécanisent ni n’industrialisent la mort des juifs, ce sont des pogromistes, comme le furent les Roumains, les Ukrainiens, les Polonais, les Baltes, les Russes, les Croates». Et la très belle femme aux cheveux blancs de poursuivre: «J’ai l’âge de ce pays dans lequel j’ai eu la chance de naître, je suis sûre que Rafi dirait "ou la malchance, imagine-toi la Californie en 1948". Je suis née à Jérusalem, imagine-toi Idan. Je suis née dans cette ville que tous les juifs durant toutes les générations espérèrent comme la fin de l’exil, la fin de la haine, la fin des pogroms et du gaz, et des crachats et de la peur»… </p> <p>Et la vieille épouse de Rafi de poursuivre au nom de celui-ci: «Le sionisme nous avait promis plein de choses et notre expérimentation collective de deux mille ans d’exil était tentée d’y apporter foi. Les juifs qui ont toujours espéré quelque chose ont été trahis chaque fois par de faux messies venus de leurs rangs, le sionisme semblait pour certains une espérance crédible qui avait répondu à sa première promesse – le retour du peuple juif sur sa terre ancestrale. Mais il y avait d’autres promesses, Idan. Celle d’être une démocratie généreuse, mais aussi celle d’être le seul endroit au monde où les juifs seraient en sécurité. Et ces deux promesses-là, le sionisme ne les a pas tenues. Notre démocratie? 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De la même façon, Patricia Highsmith – elle-même vive admiratrice de Simenon mais ne prisant guère le genre policier en tant que tel -, n’appréciait pas du tout le titre de « reine du crime » que d’aucuns lui accolaient. </p> <p>Or s’il est vrai que les « purs littéraires », et surtout en France, aiment à séparer ce qui est « vraie littérature » des genres dits mineurs (polar, science-fiction, fantastique, littérature populaire en un mot), il n’est pas moins évident que le roman policier, dit aussi roman noir, thriller ou polar, a ses règles spécifiques qui en font, qu’on le veuille ou non, et sans mépris, un genre particulier.</p> <p>Simenon reconnaissait, le premier, que la série de Maigret obéissait à certains schémas dont il éprouva, à un moment donné, le besoin de se libérer. Cela ne signifie pas que ses Maigret soient forcément schématiques, mais le fait est que le meilleur de Simenon échappe aux normes du polar. Un volume en partie « biographique » de la prestigieuse Pléiade, paru en 2009, témoigne à la fois de la reconnaissance et du niveau de qualité et de profondeur d’au moins une trentaine de romans qu’on taxe tantôt, comme l’auteur, de « romans durs », ou de « romans de l’homme ».</p> <p>C’est ainsi que <em>Lettre à mon juge</em><em> </em>ou <em>le balzacien</em><em> Bourgmestre de Furnes</em>, <em>La neige était sale</em>, <em>Les inconnus dans la maison</em>, <em>Feux rouges</em>, <em>Les gens d’en face</em><em> </em>ou <em>L’homme qui regardait passer les trains</em>, pour ne citer que ceux-là, ressortissent bel et bien à la meilleure littérature, comme il en va de <em>Crime et châtiment</em><em> </em>de Dostoïevski, si proche à l’inverse de certains romans noirs.</p> <p>Mais qui était Simenon, formidable personnage lui-même de roman sans rien de « policier » ? De <em>Pedigree</em> à la <em>Lettre à ma mère</em>, entre sept autres romans, le volume de La Pléiade éclairait incidemment la personnalité même du grand romancier.</p> <h3><strong>Quand le « je » devient « il »</strong></h3> <p>Il aura fallu, à l’été 1940, qu’un médecin lui annonce sa mort à brève échéance (deux ans au plus) pour que Georges Simenon entreprenne soudain, pour son premier fils Marc en bas âge, de rédiger l’histoire de sa propre enfance et de son clan liégeois, «afin qu’il sache »...</p> <p>Dans l’immédiat, interdiction lui était faite de fumer, de boire ou de faire l’amour. Dur, dur pour un homme aussi porté sur la chair que sur la chère, incroyablement fécond (dix romans rien qu’en 39-40 !) et qui venait de payer de sa personne dans l’accueil de 18.000 réfugiés belges à La Rochelle, en tant que « haut commissaire » spécial…</p> <p>À 38 ans, déjà célèbre et richissime, le romancier avait signé plusieurs centaines de romans, sans jamais parler de lui-même. Or c’est en « je » qu’il allait rédiger les cent premiers feuillets d’un texte (réédité plus tard sous le titre de <em>Je me souviens</em>) qu’il soumit à André Gide, lequel lui conseilla de passer à la troisième personne pour se raconter plus librement, comme… dans un roman de Simenon.</p> <p>Ainsi fut écrit <em>Pedigree,</em> pavé de 400 pages et tableau vibrant de vie et d’humanité d’un quartier populaire de Liège au début du XXe siècle. Au premier rang : le jeune Roger Mamelin, entre un père sensible et digne (très proche de Désiré Simenon), et une mère castratrice, découvre tout un monde de petites gens attachants, les vertiges du sexe éprouvés par l’enfant de chœur courant au bordel avec les sous du curé, enfin la vie profuse de la ville ouvrière. 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Bref, une galaxie humaine à ne cesser de découvrir, comme en témoigne l’expo à voir ces jours à la fondation Michalski.</p> <h3><strong>Figures de l’humiliation</strong></h3> <p>Autre univers personnel à découvrir : l’arrière-monde de Patricia Highsmith, dont les <em>Écrits intimes</em> de plus de mille pages, parus en 2021 chez Calmann-Lévy, constituent la meilleure introduction. </p> <p>Bien plus que les secrets d’une « reine du crime », nous y découvrons les soubassements émotionnels et le quotidien professionnel et affectif souvent très difficile d’une insatiable amoureuse qualifiée justement de « poète de l’angoisse » par le grand romancier anglais Graham Greene. Autant que Simenon, Patricia Highsmith a signé des romans et des nouvelles qui ne s’intéressent guère aux aspects techniques policiers ou judiciaires de la criminalité, constituant le fonds des auteurs actuels de polars, mais essentiellement aux motivations obscures de celles et ceux qui « passent à l’acte ». Dès ses premiers écrits de jeune fille, le crime la scotche, mais des flics et des « enquêtes » elle n’a que fiche… </p> <p>Lors d’une visite que je lui rendis en 1988 dans le hameau tessinois d’Aurigeno, me recevant en l’humble maison de pierres où elle logeait avant sa dernière installation sur les hauts d’Ascona, la romancière, peu soucieuse de parler d’elle-même, répondit, à la question que je lui posai, relative à l’origine, selon elle, de la plupart des crimes, par un seul mot : l’humiliation.</p> <p>Or celle-ci est la base évidente de la psychologie du plus emblématique de ses personnages, au nom de Tom Ripley, dont tous les agissements paraissent un exorcisme à l’humiliation nourrie d’envie, de frustration et d’esprit de revanche.</p> <p>On croit avoir tout dit de Ripley en le réduisant à un pervers inquiétant se plaisant en eaux troubles, mais le personnage est beaucoup plus que cela : un homme perdu de notre temps, un type qui rêve d’être quelqu’un, au sens de la société, et le devient en façade, sans être jamais vraiment satisfait, calmé ou justifié.</p> <p>Il faut lire la série des romans dans l’ordre de leur composition pour bien voir d’où vient Tom Ripley, survivant comme par malentendu à la disparition accidentelle de ses parents. C’est un peu la version thriller de <em>L’homme sans qualités,</em> dont l’écriture apparemment plate de Patricia Highsmith ne tisse pas moins un arrière-monde aux insondables profondeurs. Ripley l’informe rêve d’art et y accède par tous les biais, y compris le faux (l’invention de Derwatt) et le simulacre - il peint lui-même à ses heures, comme on dit…</p> <p>Ripley est un humilié qui se rachète en douce, comme il peut, un pas après l’autre. C’est un peu par malentendu qu’il commet son premier meurtre, parce qu’un jeune homme l’a vexé, et pour tout le reste qui justifiait cet énervement du moment, tout ce que symbolisait ce fils d’enfant gâté. Mais Ripley lui-même est un monde, qui suscite de multiples interprétations, comme on l’a vu au cinéma sous les visages successifs du (trop) bel Alain Delon (<em>Plein soleil</em> de René Clément), du plus équivoque Matt Damon (<em>Le talentueux M. 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Pedigree et autres romans, Lettre à ma mère. Edition établie et préfacée par Jacques Dubois et Benoît Denis. Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 699p.</p> <p>Montricher. Fondation Jan Michalski. <a href="https://fondation-janmichalski.com/fr/agenda/simenon?fbclid=IwAR3Ew-xfs48NeLbFnoCl5IrdI8zVgeKdFx-fDBVW12ISDz2IntW1ku_xlUQ_aem_ATVpJq1sLpfhRXj1et6ytZQ6Nomt31-UcZpTbfJ3-c1B2nW_hMACFeaichqJ0nvkx6IWLY9oqljQo0SIfin4abOZ">https://fondation-janmichalski.com/fr/agenda/simenon</a></p> <p>Patricia Highsmith<em>. </em><em>Les écrits intimes de Patricia Highsmith</em> (1941-1995)</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'comment-simenon-et-highsmith-dejouent-les-poncifs-du-polar', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 601, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4840, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Quand le trou noir de notre corps donne du sens à l’écriture', 'subtitle' => 'L’infarctus de l’un, et l’AVC de l’autre, ont suscité deux écrits relevant de la meilleure littérature. 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Moscou» de Michel Ossorguine (Mikhaïl dans la présente réédition), représente un fleuron relativement méconnu des fameux Classiques slaves dirigés par Jacques Catteau et Georges Nivat. 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Condamné à mort une première fois, puis libéré, exilé en Italie, voyageant de là en France où il se livra au journalisme, il revint en Russie dès 1916, adhéra à la Révolution de Février, mais s'éleva contre celle d'Octobre et, en 1919, passa une nouvelle fois à deux doigts de la mort, séjournant quelque temps dans la sinistre fosse du «vaisseau de la mort» de la Loubianka (prison de la Tchéka) qu'il décrit dans les deux livres auxquels le lecteur de langue française a désormais accès: <i>Saisons</i>, son autobiographie, et <i>Une rue à Moscou. </i></p> <p>Expulsé d'Union soviétique en 1922, réfugié à Paris jusqu'en 1940, puis finissant ses jours dans une petite maison située au cœur de la France occupée, Michel Ossorguine semble n'avoir gardé aucun ressentiment à l'égard d'un régime qu'il a certes combattu, acceptant comme une composante de l'âme et de l'histoire de son peuple bien-aimé le dernier état, catastrophique, de la révolution trahie.</p> <p>Aussi peu marxiste que peut l'être un individualiste ennemi des systèmes simplificateurs, ayant éprouvé la vérité de ses opinions au trébuchet de l'expérience et des souffrances humaines, il nous a laissé, avec <i>Une rue à Moscou</i>, le témoignage artistique le plus extraordinaire qui soit sans doute, recouvrant la période de 1914 aux années 1920 – exceptionnel en cela qu'il prend le parti des humains contre celui des idées, celui des destins particuliers contre celui des concepts abstraits.</p> <h3>Une journée merveilleuse</h3> <p>Roman de presque cinq cents pages serrées divisé en tout petits chapitres, <i>Une rue à Moscou</i> s'ouvre sur une merveilleuse journée, dans la maison d'angle d'une ruelle connue sous le nom de Sivtzev Vrajek, domicile d'un vieil ornithologue savant, célèbre dans le monde entier pour ses travaux. </p> <p>C'est le temps du retour des hirondelles, et la délicieuse Tanioucha, petite-fille du professeur, apparaît à la fenêtre, qui va éclairer de son sourire jusqu'aux pages les plus tragiques du livre. Le soir, tout un monde d'amis et de connaissances afflue dans la maison de Sivtzev Vrajek – que l'auteur nous présente d'emblée comme le centre de l'univers –, l'on converse et l'on écoute les dernières compositions d'un musicien de grand talent, Edouard Lvovitch.</p> <p>Il y a là un étudiant ratiocineur, l'une des premières victimes de la guerre toute proche, un savant biologiste, le jeune Vassia préparateur à l'université, un jeune officier plein d'avenir (et l'on verra duquel!) du nom de Stolnikov, la grand-mère Aglaya Dmitrievna, et bien d'autres personnages encore que nous suivrons dans leur destinée.</p> <p>De fait, tandis qu'Edouard Lvovitch exécute au piano son improvisation sur le thème du «Cosmos», la vie, elle, poursuit son œuvre féconde et destructrice à la fois. Pour annoncer la guerre, Ossorguine décrit alors une bataille rangée de fourmis: «Comme un invisible ouragan, comme une catastrophe universelle, une force divine, irrésistible et destructrice traversa l'espace, inconnu même à l'esprit de la fourmi la plus avisée». Et d'enchaîner aussitôt après: «Les armées des fourmis ne furent pas les seules à périr»...</p> <p>Et l'on entre dans le tourbillon. Mais que le lecteur n'imagine pas que le mouvement du livre va s'accélérer, pour céder au pathétique. Non: patiemment, posément, Ossorguine agence sur la muraille chaque élément de son immense fresque, laquelle comptera des visions d'une horreur insoutenable, pondérées cependant par le contrepoint des zones lumineuses de la vie reprenant ses droits.</p> <h3>La duperie compliquée et grandiose</h3> <p>De quoi est faite l'Histoire? A en croire Michel Ossorguine, qui en parle assez longuement dans <i>Saisons,</i> ce ne sont pas les historiens brassant leurs papiers poussiéreux qui nous renseigneront les mieux. Le «bruit du temps», dont parle Ossip Mandelstam, n'est pas à écouter dans les bibliothèques ou les archives, mais c'est dans la rue, dans les cours intérieures des maisons, dans les trains et sur les places qu'il faut lui prêter l'oreille. 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Si toutes les classes sociales ne sont pas représentées par Ossorguine (point de bourgeois ni d'aristocrates, par exemple), il nous invite néanmoins à suivre les faits et gestes d'une poignée de braves gens, parmi lesquels il s'en trouvera de plus vulnérables que les autres – ou de moins chanceux, tout simplement –, qui succomberont à la première vague d'événements.</p> <p>Il en va ainsi du beau Stolnikov, les jambes sectionnées par un obus, homme-tronc monstrueux qui finira par se jeter du haut d'une fenêtre; et d'autres qui, lors des années de famine, «s'arrangeront» comme ils pourront avec le nouveau régime, tel le misérable Zavalichine, devenu bourreau de la Tchéka en sorte de toucher de plus abondantes rations.</p> <p>Or Michel Ossorguine ne juge pas, et n'accuse jamais. Ce n'est pas «omnitolérance» de sa part, car on sent bien la sourde colère qu'il entretient à l'endroit des «grosses légumes», mais cela participe bien plutôt de son choix de décrire et d'expliquer le sort et les réactions d'une humanité moyenne prise dans un engrenage qui la dépasse.</p> <p>C'est là justement que réside l'immense intérêt d'<i>Une rue à Moscou</i>, sans compter la foison de détails observés par l'auteur. Le roman s'achève, après l'audition de l'Opus 37, dernière œuvre d'Edouard Lvovitch dans laquelle le génial musicien (on pense à Chostakovitch) concentre les aboutissants de la tragédie: «Le sens du chaos est né. 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«La guerre pour l’appropriation de Jérusalem est aujourd’hui la guerre mondiale», écrivait le philosophe français Jacques Derrida il y a trente ans de ça, dans un texte intitulé Spectres de Marx (Galilée, 1993), et son confrère allemand Peter Sloterdijk, évoquant la concurrence que se livrent trois eschatologies messianiques «dans la guerre sans merci qu’elles se livrent, directement ou indirectement», toujours selon Derrida, a beau se distancer de ce qu’il estime une «exagération pathétique»: le fait est que les événements actuels du Proche-Orient donnent une nouvelle actualité à cette formule polémique, et d’un clic vous trouverez, ainsi, sur le site d’ARTE, un reportage sur la question cruciale de Jérusalem…
Il y a 25 ans de ça, le soussigné et le jeune écrivain franco-suisse Pascal Janovjak, établi à Ramallah avec sa compagne en mission à Gaza pour la section italienne d’Amnesty international, entreprirent une correspondance apolitique publiée sur Internet et dont les quelque 150 lettres, entre 2008 et 2009, jusqu’à l’opération Plomb durci de l’armée israélienne à Gaza, reflétaient malgré tout, sans parti pris, la situation de plus en plus explosive atteignant aujourd’hui les extrêmes.
Or, au fil de nos lettres, la question de l’influence des religieux israéliens ultra-orthodoxes, en concurrence exacerbée avec celle des intégristes musulmans, me semblait, plus qu’à mon correspondant «sur le terrain» un élément crucial de l’affrontement marqué de part et d’autre, au nom d’un même Dieu unique quoique multiface, par l’exaltation du «crime de devoir sacré», ainsi que l’a fort bien analysé, en 2015, un Etienne Barilier dans son mémorable Vertige de la force.
Pour calmer le jeu en matière de religion
La question religieuse, ou plus particulièrement les occurrences personnelles ou collectives multiples de la foi, relèvent d’une sphère extraordinairement sensible et délicate, où ce que René Girard appelait la «montée aux extrêmes» peut se déclencher à tout moment et sous les prétextes les plus anodins en apparence – on l’a vu avec Salman Rushdie – et c’est donc avec mille précautions, comme pour une opération à cœur ouvert, que Peter Sloterdijk, sans intention blasphématrice quelconque, revient sur ce qui caractérise les trois monothéismes aux zélateurs en bisbille depuis une trentaine de siècles. Son approche distingue ainsi le phénomène religieux dans son ensemble «humain», et les réponses spécifiques du judaïsme, du christianisme et de l’islam.
Avant lui, de grands esprits non moins bien intentionnés, tel un William James, dans L’expérience religieuse, en philosophe passionné de psychologie profonde, ou tel le physicien anglais «rebelle» Freeman Dyson, dans sa conclusion à La Vie de l’univers, constituant une sorte de révérence respectueuse du scientifique à l’imaginaire religieux, avaient tracé les chemins possibles vers une pacification représentant, aujourd’hui, la seule sortie possible, du point de vue des idéologies religieuses, de la «guerre mondiale» évoquée par Derrida.
L'Unique et ses propriétés
Le problème avec l’Unique, pourrait-on dire en simplifiant, c’est qu’il vous accule à l’alternative binaire: avec ou contre. C’est en ces termes qu’Abraham invente un Dieu («suprême seul») situé à la plus haute altitude mais restant jalousement attaché au sol, en ces termes que Moïse (considéré parfois comme un Egyptien de haute lignée) transmet ses lois écrites rompant avec celles des dieux multiples; avec cette violence inouïe que le Dieu de l’Ancien Testament (Exode XXXII, 27) s’exclame: «tuez qui son frère, qui son ami et qui son proche», donnant raison à Pierre Gripari dans son Histoire du méchant Dieu assimilé à un nationaliste endiablé et un raciste génocidaire, avant la mutation chrétienne avec Paul rompant le pacte tribal pour viser l’empire en propagandiste «léniniste» (dixit Sloterdijk), saint Augustin qui prône l’extermination des incroyants et l’islam conjuguant immédiatement, par l’anathème et le sabre, le spirituel et le militaire, etc.
Quant à prétendre que les trois monothéismes coulent chacun d’un seul flot dans le même sens: évidemment pas! Chaque tradition a ses «fous de Dieu», mais aussi ses hommes de bonne volonté surtout soucieux de faire bon ménage entre eux.
Sloterdijk rappelle clairement, dans sa fresque follement érudite et foisonnant de détails révélateurs, la façon dont les trois monothéismes, procédant les uns des autres, se rejettent ou se tolèrent, comment leur survie s’est fondée sur la violence à proportion de leur implication politique, comment le Lévitique pré-chrétien «répond» au Dieu intolérant de l’Exode, et comment la dynamique agressive des trois parties en conflit s’est épuisée aujourd’hui malgré les sursauts extrémistes divers.
Liquider la religion comme s’y est employé le biologiste Richard Dawkins, dans son pamphlet sommairement «scientifique» Pour en finir avec Dieu, vivement critiqué par Sloterdijk, ou la réduire à un «opium du peuple» ainsi que l’ont qualifiée les marxistes avant l’avènement d’une nouvelle forme de bigoterie de masse, est évidemment illusoire tant que l’humain reste la bête métaphysique, angoissée ou adorante qu’on sait, mais comment ne pas entendre un ami de la sagesse nous invitant à connaître avant de juger – de comprendre avant de condamner, dans le sillage de ces grands démystificateurs que furent, notamment, un Montaigne, un Spinoza ou un Nietzsche?
Le ciel est à relire, les yeux ouverts
Peter Sloterdijk, dans ses essais multidirectionnels, a toujours prêté, à la littérature, une oreille très attentive et avisée, mais jamais autant, me semble-t-il que dans Faire parler le ciel, constituant une sorte d’anthologie des «messages» que, du «ciel», nous ont envoyés les dieux par le truchement des poètes du théâtre grec, après Homère et les illuminés bibliques ou égyptiens (le ciel des cercueils est alors la nuit de Nout piquetée d’étoiles peintes), avant les injonctions du Très-Haut législateur confinées dans l’Arche (t’es mort si t’y touches) et les kyrielles de générations aux antennes braquées sur la voûte céleste où les hymnes du foldingue Hölderlin se mêlent aux voltiges géniales de l’oiseau Rimbaud…
Le ciel est une page blanche où l’enfant Humanité trace ses premiers mots et ses visions ultimes, et le compositeur Enesco le disait de Jean-Sébastien Bach, ce vieux gamin discipliné: qu’il était capable du ciel. C’est cela mes amis: tâchons d’être capables du ciel…
De la bonté «sans idée» et du bon Dieu des braves gens
Notre ami le peintre et écrivain polonais Joseph Czapski (1896-1993), rescapé du massacre de Katyn et qu’on peut considérer comme un juste du XXème siècle, me disait un jour, dans son atelier de Maisons-Laffitte, que le christianisme racontait essentiellement pour lui une histoire de la bonté.
Or il était capable de s’ériger aussi vivement contre les chrétiens antisémites que contre les juifs réduisant les Polonais à des antisémites, sans parler des uns et des autres se traitant mutuellement d’affreux fascistes ou de sales communistes, d’hérétiques à extirper ou de mécréants à trucider. Puis un autre soir, alors qu’il perdait la vue, il me demanda de lui lire la nouvelle de Tchekhov intitulée L’étudiant, dont je lui avais parlé plusieurs fois et que j’avais dans ma sacoche – la préférée de l’écrivain et qui fit venir, aux yeux du témoin de toutes les horreurs, de vieilles larmes d’enfant. Tchekhov le médecin positiviste présumé athée! Et qui parlait mieux que personne de l’humble foi de vieilles femmes à la veille de Pâques. Or c’est à un auteur juif (Ah ces Juifs!) et russe (Ah ces Russes!) que j’emprunterai enfin ma conclusion, tirée de Vie et destin de Vassili Grossman.
Dans l’histoire du bien qu’il a griffonnée sur ses feuillets, le vieil Ikonnikov, après avoir remarqué que même Hérode ne versait pas le sang au nom du mal, mais «pour son bien à lui», constate que la doctrine de paix et d’amour du Christ aura coûté, à travers les siècles, «plus de souffrances que les crimes des brigands et des criminels faisant le mal pour le mal».
Il n’en rejette pas pour autant le message évangélique mais oppose, au «grand bien si terrible» des nations et des églises, des factions et des sectes, la bonté privée, sans témoins, la «petite bonté sans idéologie», la bonté sans pensée que j’ai constatée pour ma part chez mon père et ma mère et que Joseph Czapski «raconte» à sa façon, en peinture, par le truchement de multiples personnages à l’air innocent ou perdu.
Et Vassili Grossman de préciser que la bonté du vieux martyr Ikonnikov est «celle d’une vieille qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c’est la bonté d’un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d’un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. (...) En ces temps terribles où la démence règne au nom de la gloire des Etats et du bien universel, en ce temps où les hommes ne ressemblent plus à des hommes, où ils ne font que s’agiter comme des branches d’arbres, rouler comme des pierres qui, s’entraînant les unes les autres, comblent les ravins et les fossés, en ce temps de terreur et de démence, la pauvre bonté sans idée n’a pas disparu»…
«La Folie de Dieu», Peter Sloterdijk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Editions Payot / Pluriel, 190 pages.
«L’Histoire du méchant Dieu», Pierre Gripari, Editions de L’Age d’homme, 138 pages.
«Faire parler le ciel», Peter Sloterdijk, Editions Payot / Pluriel, 400 pages.
«Vie et Destin», Vassili Grossman, Editions de L’Age d’homme (1980), dernière réédition chez Calmann-Lévy (2023), 1'200 pages.
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Puis un autre soir, alors qu’il perdait la vue, il me demanda de lui lire la nouvelle de Tchekhov intitulée <i>L’étudiant,</i> dont je lui avais parlé plusieurs fois et que j’avais dans ma sacoche – la préférée de l’écrivain et qui fit venir, aux yeux du témoin de toutes les horreurs, de vieilles larmes d’enfant. Tchekhov le médecin positiviste présumé athée! Et qui parlait mieux que personne de l’humble foi de vieilles femmes à la veille de Pâques. 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(...) En ces temps terribles où la démence règne au nom de la gloire des Etats et du bien universel, en ce temps où les hommes ne ressemblent plus à des hommes, où ils ne font que s’agiter comme des branches d’arbres, rouler comme des pierres qui, s’entraînant les unes les autres, comblent les ravins et les fossés, en ce temps de terreur et de démence, la pauvre bonté sans idée n’a pas disparu»…</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576091_unknown1.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="326" /></h4> <h4>«La Folie de Dieu», Peter Sloterdijk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Editions Payot / Pluriel, 190 pages. </h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576172_41z3ymaar3l._ac_uf10001000_ql80_.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="289" /></p> <h4>«L’Histoire du méchant Dieu», Pierre Gripari, Editions de L’Age d’homme, 138 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576252_9782228927987.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="322" /></p> <h4>«Faire parler le ciel», Peter Sloterdijk, Editions Payot / Pluriel, 400 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576440_9782702180365001x.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="303" /></p> <h4>«Vie et Destin», Vassili Grossman, Editions de L’Age d’homme (1980), dernière réédition chez Calmann-Lévy (2023), 1'200 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'quand-un-penseur-nous-encourage-a-resister-au-dieu-mechant', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 56, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'Jean-Louis Kuffer', 'description' => 'Si l’Unique continue d’être invoqué pour justifier guerres et crimes contre l’humanité, à l’enseigne des trois monothéismes en conflit depuis plus de vingt siècles, la survie de la civilisation dépendra de notre capacité à analyser les fondements et les conséquences de «La folie de Dieu», titre d’un essai majeur de Peter Sloterdijk, penseur européen ô combien stimulant. 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Or c’est à un auteur juif (Ah ces Juifs!) et russe (Ah ces Russes!) que j’emprunterai enfin ma conclusion, tirée de <i>Vie et destin</i> de Vassili Grossman.</p> <p>Dans l’histoire du bien qu’il a griffonnée sur ses feuillets, le vieil Ikonnikov, après avoir remarqué que même Hérode ne versait pas le sang au nom du mal, mais «pour son bien à lui», constate que la doctrine de paix et d’amour du Christ aura coûté, à travers les siècles, «plus de souffrances que les crimes des brigands et des criminels faisant le mal pour le mal».</p> <p>Il n’en rejette pas pour autant le message évangélique mais oppose, au «grand bien si terrible» des nations et des églises, des factions et des sectes, la bonté privée, sans témoins, la «petite bonté sans idéologie», la bonté sans pensée que j’ai constatée pour ma part chez mon père et ma mère et que Joseph Czapski «raconte» à sa façon, en peinture, par le truchement de multiples personnages à l’air innocent ou perdu.</p> <p>Et Vassili Grossman de préciser que la bonté du vieux martyr Ikonnikov est «celle d’une vieille qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c’est la bonté d’un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d’un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. 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En ces temps terribles où la démence règne au nom de la gloire des Etats et du bien universel, en ce temps où les hommes ne ressemblent plus à des hommes, où ils ne font que s’agiter comme des branches d’arbres, rouler comme des pierres qui, s’entraînant les unes les autres, comblent les ravins et les fossés, en ce temps de terreur et de démence, la pauvre bonté sans idée n’a pas disparu»…</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576091_unknown1.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="326" /></h4> <h4>«La Folie de Dieu», Peter Sloterdijk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Editions Payot / Pluriel, 190 pages. </h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576172_41z3ymaar3l._ac_uf10001000_ql80_.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="289" /></p> <h4>«L’Histoire du méchant Dieu», Pierre Gripari, Editions de L’Age d’homme, 138 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576252_9782228927987.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="322" /></p> <h4>«Faire parler le ciel», Peter Sloterdijk, Editions Payot / Pluriel, 400 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705576440_9782702180365001x.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="303" /></p> <h4>«Vie et Destin», Vassili Grossman, Editions de L’Age d’homme (1980), dernière réédition chez Calmann-Lévy (2023), 1'200 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'quand-un-penseur-nous-encourage-a-resister-au-dieu-mechant', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 56, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4897, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Shmuel T. 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Meyer, vivant lui-même la déchirure vécue par les Israéliens entre eux. </p> <p>«La vie était propre et simple même après l’assassinat de Rabin, parce que la colère était nourrie d’espoirs. Yoav et son épouse croyaient en la rédemption des hommes», lisons-nous dans la sixième nouvelle de <i>Tribus</i>, intitulée <i>Yoav et Maya</i> et décrivant la vie d’un couple de sexas de bonne foi (lui est le rabbin d’une communauté réformée enseignant l’histoire des religions, et elle est infirmière en oncologie), mais ladite «foi en la rédemption des hommes» a du plomb dans l’aile depuis le 11 septembre (la famille de Yoav l’accompagnait alors aux Etats-Unis pour une série de conférences ), le «judaïsme bonhomme» pratiqué par le couple a subi des coups avec la radicalisation religieuse en marche, et plus particulièrement quand un juge intègre de leur connaissance, ancien président de la Cour suprême, a soudain été placé en résidence surveillée par un sbire du Premier ministre; enfin leur communauté libérale est devenue l’objet d’injures et d’attaques physiques de la part des ultraorthodoxes conspuant les «faux juifs prosélytes d’Amérique», et la conclusion est à fendre le cœur quand ces amoureux de Jérusalem, ces pratiquants d’un «judaïsme de la joie», se font dire, par un fonctionnaire de police des frontières à dégaine de seul véritable défenseur de la tribu, que leur nouveau passeport leur ouvrira désormais toutes les portes, sauf celles de leur pays...</p> <p>La vie décrite, plutôt que les bombes, les destinées personnelles et leurs «petites histoires», ressaisies dans la dérive collective de l’Histoire avec une grande hache, mieux que les analyses expertes et autres explications géo-politiques ou théologico-sociologiques: telle est la matière de ces douze modulations individualisées de la vie des gens à visages de femmes et d’hommes de conditions et de convictions diverses, témoins d’une tragédie aboutissant aujourd’hui, après un odieuse agression de masse islamiste, à un non moins abominable massacre des innocents.</p> <p>Mais que peut faire un écrivain face à la Shoah, face aux pogroms, face aux fatwahs et aux razzias? L’on se rappelle l’injonction de Theodor Adorno, selon lequel «après Auschwitz, écrire de la poésie est barbare», mais de même qu’Adorno s’est rétracté, la Littérature a prouvé depuis lors qu’elle participait bel et bien à la lutte «contre Auschwitz», et c’est la poésie, justement, qui constitue l’une des forces de Shmuel T. Meyer, à savoir la concentration, à chaque page de chacune de ses nouvelles de la beauté et de la bonté dans le contexte humain parfois le plus haineux ou le plus laid, cette nouvelle société israélienne aux prises avec le fanatisme et ce que le penseur allemand Peter Sloterdijk appelle justement «la folie de Dieu». </p> <p>Or nous voici arrivés en ces temps où des citoyens qui ont cru à l’idéal sioniste, déçus voire désespérés par le «messionisme» qui fait danser les Messie avec Satan s’exilent en Allemagne… </p> <p>«Je fous le camp», déclare le jeune Avroumchik. «Définitivement. Vancouver, Melbourne, Auckland, Copenhaugue, Berlin. 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Meyer le 27 juin 2023, au kibboutz Nativ Halamed Hé. L’épilogue, plus que poignant: bouleversant, est daté du 7 octobre 2023. Nous y retrouvons Rafi, en phase terminale de cancer, Nava son épouse et le jeune infirmier Idan du «camp des vainqueurs», petit-neveu de Koby de la Mousrara, mais le contraire de ce perdant: un futur médecin à large kippa qui lance au grand malade: «On les crèvera tous…ces nazis, ne vous en faites pas, Monsieur Rafaël, ces sauvages on les crèvera tous».</p> <p>Alors Nava, plus que jamais éprise de justice et de vérité, de reprendre Idan: «Ce ne sont pas des nazis. Ils ne mécanisent ni n’industrialisent la mort des juifs, ce sont des pogromistes, comme le furent les Roumains, les Ukrainiens, les Polonais, les Baltes, les Russes, les Croates». Et la très belle femme aux cheveux blancs de poursuivre: «J’ai l’âge de ce pays dans lequel j’ai eu la chance de naître, je suis sûre que Rafi dirait "ou la malchance, imagine-toi la Californie en 1948". Je suis née à Jérusalem, imagine-toi Idan. Je suis née dans cette ville que tous les juifs durant toutes les générations espérèrent comme la fin de l’exil, la fin de la haine, la fin des pogroms et du gaz, et des crachats et de la peur»… </p> <p>Et la vieille épouse de Rafi de poursuivre au nom de celui-ci: «Le sionisme nous avait promis plein de choses et notre expérimentation collective de deux mille ans d’exil était tentée d’y apporter foi. Les juifs qui ont toujours espéré quelque chose ont été trahis chaque fois par de faux messies venus de leurs rangs, le sionisme semblait pour certains une espérance crédible qui avait répondu à sa première promesse – le retour du peuple juif sur sa terre ancestrale. Mais il y avait d’autres promesses, Idan. Celle d’être une démocratie généreuse, mais aussi celle d’être le seul endroit au monde où les juifs seraient en sécurité. Et ces deux promesses-là, le sionisme ne les a pas tenues. Notre démocratie? 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De la même façon, Patricia Highsmith – elle-même vive admiratrice de Simenon mais ne prisant guère le genre policier en tant que tel -, n’appréciait pas du tout le titre de « reine du crime » que d’aucuns lui accolaient. </p> <p>Or s’il est vrai que les « purs littéraires », et surtout en France, aiment à séparer ce qui est « vraie littérature » des genres dits mineurs (polar, science-fiction, fantastique, littérature populaire en un mot), il n’est pas moins évident que le roman policier, dit aussi roman noir, thriller ou polar, a ses règles spécifiques qui en font, qu’on le veuille ou non, et sans mépris, un genre particulier.</p> <p>Simenon reconnaissait, le premier, que la série de Maigret obéissait à certains schémas dont il éprouva, à un moment donné, le besoin de se libérer. Cela ne signifie pas que ses Maigret soient forcément schématiques, mais le fait est que le meilleur de Simenon échappe aux normes du polar. Un volume en partie « biographique » de la prestigieuse Pléiade, paru en 2009, témoigne à la fois de la reconnaissance et du niveau de qualité et de profondeur d’au moins une trentaine de romans qu’on taxe tantôt, comme l’auteur, de « romans durs », ou de « romans de l’homme ».</p> <p>C’est ainsi que <em>Lettre à mon juge</em><em> </em>ou <em>le balzacien</em><em> Bourgmestre de Furnes</em>, <em>La neige était sale</em>, <em>Les inconnus dans la maison</em>, <em>Feux rouges</em>, <em>Les gens d’en face</em><em> </em>ou <em>L’homme qui regardait passer les trains</em>, pour ne citer que ceux-là, ressortissent bel et bien à la meilleure littérature, comme il en va de <em>Crime et châtiment</em><em> </em>de Dostoïevski, si proche à l’inverse de certains romans noirs.</p> <p>Mais qui était Simenon, formidable personnage lui-même de roman sans rien de « policier » ? De <em>Pedigree</em> à la <em>Lettre à ma mère</em>, entre sept autres romans, le volume de La Pléiade éclairait incidemment la personnalité même du grand romancier.</p> <h3><strong>Quand le « je » devient « il »</strong></h3> <p>Il aura fallu, à l’été 1940, qu’un médecin lui annonce sa mort à brève échéance (deux ans au plus) pour que Georges Simenon entreprenne soudain, pour son premier fils Marc en bas âge, de rédiger l’histoire de sa propre enfance et de son clan liégeois, «afin qu’il sache »...</p> <p>Dans l’immédiat, interdiction lui était faite de fumer, de boire ou de faire l’amour. Dur, dur pour un homme aussi porté sur la chair que sur la chère, incroyablement fécond (dix romans rien qu’en 39-40 !) et qui venait de payer de sa personne dans l’accueil de 18.000 réfugiés belges à La Rochelle, en tant que « haut commissaire » spécial…</p> <p>À 38 ans, déjà célèbre et richissime, le romancier avait signé plusieurs centaines de romans, sans jamais parler de lui-même. Or c’est en « je » qu’il allait rédiger les cent premiers feuillets d’un texte (réédité plus tard sous le titre de <em>Je me souviens</em>) qu’il soumit à André Gide, lequel lui conseilla de passer à la troisième personne pour se raconter plus librement, comme… dans un roman de Simenon.</p> <p>Ainsi fut écrit <em>Pedigree,</em> pavé de 400 pages et tableau vibrant de vie et d’humanité d’un quartier populaire de Liège au début du XXe siècle. Au premier rang : le jeune Roger Mamelin, entre un père sensible et digne (très proche de Désiré Simenon), et une mère castratrice, découvre tout un monde de petites gens attachants, les vertiges du sexe éprouvés par l’enfant de chœur courant au bordel avec les sous du curé, enfin la vie profuse de la ville ouvrière. 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Bref, une galaxie humaine à ne cesser de découvrir, comme en témoigne l’expo à voir ces jours à la fondation Michalski.</p> <h3><strong>Figures de l’humiliation</strong></h3> <p>Autre univers personnel à découvrir : l’arrière-monde de Patricia Highsmith, dont les <em>Écrits intimes</em> de plus de mille pages, parus en 2021 chez Calmann-Lévy, constituent la meilleure introduction. </p> <p>Bien plus que les secrets d’une « reine du crime », nous y découvrons les soubassements émotionnels et le quotidien professionnel et affectif souvent très difficile d’une insatiable amoureuse qualifiée justement de « poète de l’angoisse » par le grand romancier anglais Graham Greene. Autant que Simenon, Patricia Highsmith a signé des romans et des nouvelles qui ne s’intéressent guère aux aspects techniques policiers ou judiciaires de la criminalité, constituant le fonds des auteurs actuels de polars, mais essentiellement aux motivations obscures de celles et ceux qui « passent à l’acte ». Dès ses premiers écrits de jeune fille, le crime la scotche, mais des flics et des « enquêtes » elle n’a que fiche… </p> <p>Lors d’une visite que je lui rendis en 1988 dans le hameau tessinois d’Aurigeno, me recevant en l’humble maison de pierres où elle logeait avant sa dernière installation sur les hauts d’Ascona, la romancière, peu soucieuse de parler d’elle-même, répondit, à la question que je lui posai, relative à l’origine, selon elle, de la plupart des crimes, par un seul mot : l’humiliation.</p> <p>Or celle-ci est la base évidente de la psychologie du plus emblématique de ses personnages, au nom de Tom Ripley, dont tous les agissements paraissent un exorcisme à l’humiliation nourrie d’envie, de frustration et d’esprit de revanche.</p> <p>On croit avoir tout dit de Ripley en le réduisant à un pervers inquiétant se plaisant en eaux troubles, mais le personnage est beaucoup plus que cela : un homme perdu de notre temps, un type qui rêve d’être quelqu’un, au sens de la société, et le devient en façade, sans être jamais vraiment satisfait, calmé ou justifié.</p> <p>Il faut lire la série des romans dans l’ordre de leur composition pour bien voir d’où vient Tom Ripley, survivant comme par malentendu à la disparition accidentelle de ses parents. C’est un peu la version thriller de <em>L’homme sans qualités,</em> dont l’écriture apparemment plate de Patricia Highsmith ne tisse pas moins un arrière-monde aux insondables profondeurs. Ripley l’informe rêve d’art et y accède par tous les biais, y compris le faux (l’invention de Derwatt) et le simulacre - il peint lui-même à ses heures, comme on dit…</p> <p>Ripley est un humilié qui se rachète en douce, comme il peut, un pas après l’autre. C’est un peu par malentendu qu’il commet son premier meurtre, parce qu’un jeune homme l’a vexé, et pour tout le reste qui justifiait cet énervement du moment, tout ce que symbolisait ce fils d’enfant gâté. Mais Ripley lui-même est un monde, qui suscite de multiples interprétations, comme on l’a vu au cinéma sous les visages successifs du (trop) bel Alain Delon (<em>Plein soleil</em> de René Clément), du plus équivoque Matt Damon (<em>Le talentueux M. 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Pedigree et autres romans, Lettre à ma mère. Edition établie et préfacée par Jacques Dubois et Benoît Denis. Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 699p.</p> <p>Montricher. Fondation Jan Michalski. <a href="https://fondation-janmichalski.com/fr/agenda/simenon?fbclid=IwAR3Ew-xfs48NeLbFnoCl5IrdI8zVgeKdFx-fDBVW12ISDz2IntW1ku_xlUQ_aem_ATVpJq1sLpfhRXj1et6ytZQ6Nomt31-UcZpTbfJ3-c1B2nW_hMACFeaichqJ0nvkx6IWLY9oqljQo0SIfin4abOZ">https://fondation-janmichalski.com/fr/agenda/simenon</a></p> <p>Patricia Highsmith<em>. </em><em>Les écrits intimes de Patricia Highsmith</em> (1941-1995)</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'comment-simenon-et-highsmith-dejouent-les-poncifs-du-polar', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 601, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 675, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4840, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Quand le trou noir de notre corps donne du sens à l’écriture', 'subtitle' => 'L’infarctus de l’un, et l’AVC de l’autre, ont suscité deux écrits relevant de la meilleure littérature. 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Moscou» de Michel Ossorguine (Mikhaïl dans la présente réédition), représente un fleuron relativement méconnu des fameux Classiques slaves dirigés par Jacques Catteau et Georges Nivat. 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Condamné à mort une première fois, puis libéré, exilé en Italie, voyageant de là en France où il se livra au journalisme, il revint en Russie dès 1916, adhéra à la Révolution de Février, mais s'éleva contre celle d'Octobre et, en 1919, passa une nouvelle fois à deux doigts de la mort, séjournant quelque temps dans la sinistre fosse du «vaisseau de la mort» de la Loubianka (prison de la Tchéka) qu'il décrit dans les deux livres auxquels le lecteur de langue française a désormais accès: <i>Saisons</i>, son autobiographie, et <i>Une rue à Moscou. </i></p> <p>Expulsé d'Union soviétique en 1922, réfugié à Paris jusqu'en 1940, puis finissant ses jours dans une petite maison située au cœur de la France occupée, Michel Ossorguine semble n'avoir gardé aucun ressentiment à l'égard d'un régime qu'il a certes combattu, acceptant comme une composante de l'âme et de l'histoire de son peuple bien-aimé le dernier état, catastrophique, de la révolution trahie.</p> <p>Aussi peu marxiste que peut l'être un individualiste ennemi des systèmes simplificateurs, ayant éprouvé la vérité de ses opinions au trébuchet de l'expérience et des souffrances humaines, il nous a laissé, avec <i>Une rue à Moscou</i>, le témoignage artistique le plus extraordinaire qui soit sans doute, recouvrant la période de 1914 aux années 1920 – exceptionnel en cela qu'il prend le parti des humains contre celui des idées, celui des destins particuliers contre celui des concepts abstraits.</p> <h3>Une journée merveilleuse</h3> <p>Roman de presque cinq cents pages serrées divisé en tout petits chapitres, <i>Une rue à Moscou</i> s'ouvre sur une merveilleuse journée, dans la maison d'angle d'une ruelle connue sous le nom de Sivtzev Vrajek, domicile d'un vieil ornithologue savant, célèbre dans le monde entier pour ses travaux. </p> <p>C'est le temps du retour des hirondelles, et la délicieuse Tanioucha, petite-fille du professeur, apparaît à la fenêtre, qui va éclairer de son sourire jusqu'aux pages les plus tragiques du livre. Le soir, tout un monde d'amis et de connaissances afflue dans la maison de Sivtzev Vrajek – que l'auteur nous présente d'emblée comme le centre de l'univers –, l'on converse et l'on écoute les dernières compositions d'un musicien de grand talent, Edouard Lvovitch.</p> <p>Il y a là un étudiant ratiocineur, l'une des premières victimes de la guerre toute proche, un savant biologiste, le jeune Vassia préparateur à l'université, un jeune officier plein d'avenir (et l'on verra duquel!) du nom de Stolnikov, la grand-mère Aglaya Dmitrievna, et bien d'autres personnages encore que nous suivrons dans leur destinée.</p> <p>De fait, tandis qu'Edouard Lvovitch exécute au piano son improvisation sur le thème du «Cosmos», la vie, elle, poursuit son œuvre féconde et destructrice à la fois. Pour annoncer la guerre, Ossorguine décrit alors une bataille rangée de fourmis: «Comme un invisible ouragan, comme une catastrophe universelle, une force divine, irrésistible et destructrice traversa l'espace, inconnu même à l'esprit de la fourmi la plus avisée». Et d'enchaîner aussitôt après: «Les armées des fourmis ne furent pas les seules à périr»...</p> <p>Et l'on entre dans le tourbillon. Mais que le lecteur n'imagine pas que le mouvement du livre va s'accélérer, pour céder au pathétique. Non: patiemment, posément, Ossorguine agence sur la muraille chaque élément de son immense fresque, laquelle comptera des visions d'une horreur insoutenable, pondérées cependant par le contrepoint des zones lumineuses de la vie reprenant ses droits.</p> <h3>La duperie compliquée et grandiose</h3> <p>De quoi est faite l'Histoire? A en croire Michel Ossorguine, qui en parle assez longuement dans <i>Saisons,</i> ce ne sont pas les historiens brassant leurs papiers poussiéreux qui nous renseigneront les mieux. Le «bruit du temps», dont parle Ossip Mandelstam, n'est pas à écouter dans les bibliothèques ou les archives, mais c'est dans la rue, dans les cours intérieures des maisons, dans les trains et sur les places qu'il faut lui prêter l'oreille. 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Si toutes les classes sociales ne sont pas représentées par Ossorguine (point de bourgeois ni d'aristocrates, par exemple), il nous invite néanmoins à suivre les faits et gestes d'une poignée de braves gens, parmi lesquels il s'en trouvera de plus vulnérables que les autres – ou de moins chanceux, tout simplement –, qui succomberont à la première vague d'événements.</p> <p>Il en va ainsi du beau Stolnikov, les jambes sectionnées par un obus, homme-tronc monstrueux qui finira par se jeter du haut d'une fenêtre; et d'autres qui, lors des années de famine, «s'arrangeront» comme ils pourront avec le nouveau régime, tel le misérable Zavalichine, devenu bourreau de la Tchéka en sorte de toucher de plus abondantes rations.</p> <p>Or Michel Ossorguine ne juge pas, et n'accuse jamais. Ce n'est pas «omnitolérance» de sa part, car on sent bien la sourde colère qu'il entretient à l'endroit des «grosses légumes», mais cela participe bien plutôt de son choix de décrire et d'expliquer le sort et les réactions d'une humanité moyenne prise dans un engrenage qui la dépasse.</p> <p>C'est là justement que réside l'immense intérêt d'<i>Une rue à Moscou</i>, sans compter la foison de détails observés par l'auteur. Le roman s'achève, après l'audition de l'Opus 37, dernière œuvre d'Edouard Lvovitch dans laquelle le génial musicien (on pense à Chostakovitch) concentre les aboutissants de la tragédie: «Le sens du chaos est né. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Alain Schaeffer 27.01.2024 | 15h08
«Le psaume 103 raconte avec beauté combien Dieu est bon, plein de tendresse et d'amour. On ne lit pas la Bible à la lettre, au premier degré nombre de passages difficiles faisant paraître un Dieu sévère, et qui nécessitent une analyse en fonction du contexte historique de rédaction en incluant une dimension anthropologique dans ce qu'ils reflètent du Créateur. Il serait par exemple important de relever dans ceux-ci que Dieu a horreur de l'injustice. Un choix théologique doit être fait comme il est fait par quantités de chrétiens engagés dans des œuvres humanitaires, philanthropes et de justice sociale au point que beaucoup de personnes -pour beaucoup non chrétiennes- résument la spiritualité chrétienne à l'amour et au pardon.»