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Culture

Culture / Miossec regarde (à nouveau) un peu la France

David Glaser

31 janvier 2019

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Rencontrer le chanteur français Miossec, c'est l'assurance de passer un bon moment à analyser de manière humoristique les (mé)faits du personnel politique français. C'est aussi un moyen de sonder la société hexagonale à travers le prisme d'un observateur engagé localement à gauche. Miossec joue le rôle de baromètre, les journalistes ont toujours apprécié ça chez l'auteur-compositeur et interprète de ce qu'on a appelé un temps la «Nouvelle chanson française».



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Ce samedi de concert (26 janvier) à Lausanne, c'est jour de fête «nationale» brestoise dans la métropole lémanique, au moins 300 spectateurs fidèles ont pris place à bord de l'insubmersible club les Docks. Et dans les bagages du plus célèbre artiste représentant la ville portuaire bretonne, on trouve un onzième album. «Les Rescapés» qui signe un cinglant retour aux émotions adolescentes, aux refrains gonflés aux sons légèrement saturés d'une boîte à rythme et aux guitares utilisées comme quand les novices jouaient dans le garage des parents avec ce son punk, brut et plus direct. On aime ce Miossec convoquant quelques maîtres du postpunk anglo-américain comme Colin Newman de Wire ou le duo Alan Vega et Martin Rev, plus connu sous le nom de Suicide.La musique est un vecteur pour la poésie écorchée de Miossec, elle est aussi une éternelle source de questionnement, de doute, de remise complète à plat pour lui. Ce qui anime Christophe Miossec dans son cheminement artistique a à voir avec son profond sens de l'honneur. Quand il estime un album raté, il le dit et promet toujours de ne pas se laisser piéger la prochaine fois. Aujourd'hui, chez ce chanteur et auteur de textes pour Jane Birkin, Juliette Greco ou encore Johnny Hallyday, il y a plus de simplicité, de naturel et d'envie débridée. C'est jouissif, comme si le quinquagénaire reprenait le contrôle artistique total sans parasitage extérieur, sans pression d'une maison de disques d'en faire plus sur les fronts de singles «playlistables».

C'est une deuxième interview en quelques semaines que je réalise, frustré de ne pas avoir pu poser toutes mes questions d'actualité la fois précédente. Et le sujet «gilet jaune» escamoté lors d'une conversation téléphonique compliquée avant Noël, entre les bureaux de Columbia Records à Paris et un Pub de Rive à Genève, revient presque naturellement avant de brancher le micro de l'enregistreur. «Vous avez vu, ça a repris de plus belle avec les gilets jaunes», lâche Miossec à la représentante de sa maison de disques Columbia en Suisse Dominique Saudan. Et on répond que oui. On a vu, sur «Brut» ou sur BFM TV, car on a beau être au chaud dans les loges des Docks, la situation française n'a jamais été aussi loin (la politique suisse semble tellement différente), mais jamais aussi proche des Suisses romands, réseaux sociaux et proximité culturelle obligent. Miossec ne cache pas ce sourire frondeur. Le sourire de celui qui n'a pas toujours été du côté des spectateurs de la révolte. «Je me suis mis à regarder BFM TV du coup», blague-t-il à moitié sérieux. L'interview peut commencer, c'est parti pour une demi-heure de musique, de politique et même de cinéma suisse. Il y a de l'érudition, il y a surtout ce plaisir à échanger en marge de la sortie du numéro 11 Les Rescapés, un album important. Comme un vague retour au source de ce qui était son métier d'avant, le journalisme.

Miossec, La Ville Blanche

Bon Pour La Tête: Vous pensiez un peu au film suisse Dans la Ville Blanche (en 1983) dans la chanson La Ville Blanche de votre album Les Rescapés. Le film se déroule dans l'environnement portuaire de la ville blanche, Lisbonne?

Miossec: C'est pas un film d'Alain Tanner? Avec Bruno Ganz? Ah, oui, c'est marrant, je m'étais dit que je l'avais vu quelque part ce titre quand j'ai fait la chanson, J'ai d'ailleurs essayé de voir où et je n'ai pas pu trouvé, car c'était Dans la Ville Blanche. Il y a plein de villes blanches et Brest est vraiment appelée «la ville blanche». Ce qui était amusant, c'est que je voulais refaire une petite chanson sur Brest sans forcément creuser le sillon qui marche ou qui a marché. L'idée était donc de refaire un morceau sur la ville, mais sans l'avoir en étendard et je me rends compte qu'il n'y a que les vrais brestois qui savaient que Brest s'appelait «Brest, la blanche». Parce que Brest est blanc quand tu arrives de la mer. Par la terre, elle est plutôt la grise. Il y a beaucoup de blancheur dans ce gris des maisons, un peu comme à Alger... ou à Villefranche-sur-Mer qui s'appelait «la blanche» après que les Stones soient passés. Car ils ont laissé tous les dealers derrière eux (rires).

Miossec et Printemps Noir, Brest

Vous aviez envie de revenir vers quelque chose de plus organique, de plus incarné avec Les Rescapés, avec des images qui parlent de la terre, de l'écologie par exemple?

Ce n'est pas une volonté. En sortant de Mammifères (Columbia 2016), je savais que j'allais vers ça... Plus c'était acoustique, plus je savais que j'allais revenir finalement aux premières amours. Les Rescapés, c'est presque un disque qui pourrait avoir été fait avant Boire (premier album sous le nom de Miossec, label PIAS, 1995). Dans le prolongement du Printemps Noir, le groupe que j'avais à l'adolescence. C'est un disque que je trouve basique. Il y a des morceaux qui auraient pu être justement fait par Printemps Noir et ça se comprend. A l'épreuve des mecs plus jeunes, de trente balais, je me rends compte qu'il y a certaines «modernités» qui ressurgissent avec des instruments qui vieillissent bien. Bon, il y a d'autres instruments qui vieillissent mal en revanche. Et puis des trucs qui sont vieux pour moi mais qui sont presque dans l'esthétique actuelle. On peut voir des ponts avec des artistes comme Colin Newman et son groupe Wire, l'album 154 de Wire par exemple. L'album A to Z de Colin Newman, voilà encore un exemple. 99% des gens ne le connaissent pas, il y a toujours un plaisir à faire découvrir ce genre d'albums, c'est un disque monstrueux.

Colin Newman, B

Pour parler de cette époque (1980), les effets de production étaient assez minimes sur le son, c'était assez froid.

Les instruments sont comme ça, c'est souvent des guitaristes qui sont assez «cheap» avec leurs effets.

Mais aujourd'hui, Les Rescapés est peut-être mieux que certains de vos autres albums, pour lesquels les moyens de production en studio devaient être aussi importants, non?

Oui, en faisant plus simple. Pour faire un album, t'as beau avoir le «blabla» et la musique, c'est de l'architecture. Je crois que c'est Chuck Berry qui disait ça. J'ai commencé avec les instruments, donc j'ai défini un champ d'action, les couleurs... J'étais sûr, par rapport aux expériences du passé, que pas mal de choses m'avaient échappé, pour le meilleur ou pour le pire. Je ne veux pas me retrouver à courir après mon disque.

On parlait des «gilets jaunes» avant de commencer l'interview: ça vous évoque quoi, cette réaction du peuple au pouvoir en place?

On devrait parler plutôt des peuples. Les «gilets jaunes» représentent un de ces peuples, une sorte de classe moyenne en voie de paupérisation. Les gilets jaunes sur les ronds-points, c'est surtout pour moi l'axe méditerranéen qui est concerné et ça correspond à un certain vote français, à droite et à l'extrême droite. On se rend compte que les gens à la ramasse ne sont même pas «gilets jaunes». Ceux qui sont à la ramasse, eh bien ils sont à la ramasse. A Roubaix, dans le nord, je crois qu'il y avait seulement 25 gilets jaunes. Pourtant, il y a de quoi raconter. Il y a des «pays» comme ça en France, tu vas à Roubaix par exemple. Toute cette grande bourgeoisie du textile est partie, en fait tout le monde est parti. On a laissé le centre-ville de Roubaix s'effondrer. Tout est par terre, là-bas. Il y a des endroits qui perdent leurs habitants et ils ne savent plus comment faire rester les autres. Il n'y a plus d'industrie, plus de boulot...

Est-ce que ça vous rassure que le pouvoir politique français soit inquiété?

Oh oui, pour la démocratie française... On est les seuls en Europe à avoir cette monarchie déguisée. De toute façon, dès qu'il y a des gens qui descendent dans la rue, c'est bien, c'est qu'il y a quelque chose qui s'exprime. Et Emmanuel Macron a été élu avec 20%... Mais la violence économique, c'est trop. Il y a de grosses erreurs symboliques de commises alors que Macron est le roi des symboles. Sur la question des 80 km/h, il a fait chier tout le monde. Vraiment, les gens qui n'ont pas un avis politique, ils se disent que l’Etat vient les emmerder. Le rapport du Français à la bagnole, c'est quelque chose. Alors, qu'est-ce qu'il vient faire là-dedans? Et ce que ça a ramené l'ISF (impôt sur la fortune), c'est pas terrible au final. Et on ne cherche pas très bien où sont nos évadés fiscaux.

Vous pensez que le France pourrait s'inspirer de la démocratie suisse?

Le référendum permanent? Oui, ça pourrait marcher dans les régions françaises. Mais on n'a pas de «landers» en France. Les régions n'ont pas beaucoup de pouvoir et quand elles en ont, c'est n'importe quoi. Plus tu mets de l'argent dans les régions et plus tu délègues, eh bien plus le système français fait que ça devient mafieux. Tu décentralises mais est-ce que tu décentralises la mafia en même temps?

En Belgique où vous avez vécu, un gouvernement à l'arrêt n'a pas eu de conséquences graves?

La Belgique n'a pas eu de gouvernement pendant 150 jours et l'économie était en super forme car il n'y avait plus aucune loi contraignante qui était votée. Economiquement, ça se développait.

Mais pour en revenir à cette crise politique française, c'est la redistribution qui pose aussi beaucoup problème, l'absence de preuves que les impôts sont reversés ensuite dans les caisses des services publics.

Oui, pour les gens des campagnes, c'est un problème majeur. La France dans son ensemble râle car tu as le bureau de poste qui était le truc bien de chez nous. Et ils les ferment dans les bleds. Tu as les personnes du troisième âge qui n'ont plus de quoi s'y rendre. Si tu n'as pas la bagnole, tu es mort. Avec le prix de l'essence qui a augmenté, c'est pas la peine d'y compter.

Est-ce que vous êtes de ceux qui aiment fumer des clopes dans une voiture diesel (rires)?

Oui, c'est Benjamnin Griveaux, le porte-parole du gouvernement qui parlait de Laurent Wauquiez, le leader des Républicains, et de son entourage, en disant que c'est des mecs qui fument leurs clopes dans leur diesel. Je suis de ceux-là (rires)...

Quel est l'espoir de voir la gauche redevenir forte en France, avec de nouvelles idées, applicables?

Mais l'idée de la gauche, est-ce que les gens ont encore envie de ça? La notion de partage, d'ouverture... il y a des mots qui font tout bizarre aujourd'hui. Ce qui se passe aujourd'hui, c'est passionnant, mais on est dans une science fiction à court terme. On ne sait pas dans quel pays on va se retrouver, ça va être long pour Macron. Et le truc de l'écologie, Hulot est sorti, ça n'embraye pas, il n'y a pas de voix qui émerge car ça ne paye pas dans l’immédiat. Electoralement, il faut être populaire pour être élu. On touche aux limites du genre. Macron s'est fait élire sur une communication. Il est apparu déjà beaucoup dans Un président ne devrait pas dire ça (Stock, 2016, enquête menée par Gérard Davet et Fabrice Lhomme) et François Hollande n'y voit que du feu. Politiquement, c'est fabuleux, c'est Machiavel plus l'art de la guerre, bravo!

Et l'élu local français, vous qui l'avez été brièvement au sein d'une équipe communale, un élu à l'ancienne proche de ses administrés, mais pas toujours libre de dire non aux plus puissants, c'est encore un système à l'ancienne qui prévaut?

L'élu local est aussi ancien que l'élu national dans ce cas. François Hollande était tellement content de fréquenter des grands de France, ces grands décideurs, d'être invité à leur table, d'être un des leurs. Il veut revenir et il est persuadé d'y parvenir. Pour moi, c'est un ravi de la crèche et c'est indécent.

Pour parler des personnes qui font en revanche avancer, il y a cette rencontre déterminante que vous avez faite à Ifremer, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer à Brest, un chercheur nommé Laurent Chauvaud. En quoi ses recherches vous ont inspiré?

L'Ifremer, c'est à côté de chez moi, mon père était plongeur sous-marin, ils ont le bathyscaphe, un submersible, tout cela fait partie de mon paysage depuis que je suis gamin. Laurent Chauvaud, je l'ai rencontré à une exposition de photos passionnante. J'y ai vu le travail de ce chercheur avec des tableaux remplis de chiffres criants. Il essaye un peu par tous les biais de faire entendre ses résultats et j'ai l'impression qu'il pisse parfois dans un violon, bref c'est un combat. Il a notamment fait un travail de recherche très précis sur les coquilles Saint-Jacques et leur raréfaction. C'est pris au sérieux par le monde scientifique car c'est un vrai directeur de recherche du CNRS. Il bénéficie donc d'un gros budget pour faire ses recherches. Mais c'est effrayant de voir combien c'est difficile, ce scientifique qui plonge sous la glace passe toute une vie à réunir les éléments qui font qu'on devrait sauter en l'air. Et les gens s'en foutent. Je lisais une étude commentée par Le Monde hier qui disait que pour les nouvelles générations de consommateurs nés après 1997 (les industriels veulent savoir comment sont les nouvelles générations pour pouvoir vendre leurs produits) et leurs préoccupations, par rapport aux «milléniums», ce n'est pas du tout l'écologie. Cette préoccupation se casse la gueule d'ailleurs.

Pour finir, revenons à la musique si vous le voulez bien. On vient d'apprendre la mort de Michel Legrand: ça vous inspire quoi ce parcours de musicien du cinéma et du jazz, qui avait gagné trois Oscars à Hollywood?

Depuis que je suis gamin, je le trouve insupportable. Des gens qui l'ont fréquenté le disent aussi. Il était sûr de lui-même, il parlait de lui en permanence... Sa musique s'en ressent: ça parle beaucoup. Il y a pas trop de silences chez Michel.

On vous a lu et vu citer l'auteur français Henri Calet. Chez lui, il y a des notions récurrentes d'emprisonnement, d'arnaque, de prison mentale, de retour de prison (la vraie) ou d'enfermement, c'est toujours présent dans vos disques aussi, pourquoi un tel besoin de chanter ce thème?

La musique, pour moi, c'est s’échapper, se trouver une liberté... Cette notion de faire de la musique pour ne pas retourner au bureau, ne pas se retrouver dans un environnement professionnel stressant, c'est ça en fait.

Avez-vous encore beaucoup de doutes quand vous composez et enregistrez?

Oui, qu'il n'y ait pas de doutes, ce n'est pas marrant. Je me retrouve encore à me persuader que je fais fausse route en me disant «Christophe t'as 54 balais là, ça merde... on se calme». Je me dis toujours que demain, ce sera peut-être mieux, que le prochain disque va être vraiment supérieur. C'est de la naïveté. Mais c'est marrant à voir. Je trouve bien d'être animé par cette volonté que ce soit vivant.

Des dix albums précédents, quel est votre préféré?

Le premier Boire. Après, tu ne vois que les erreurs. C'est pour cela que les concerts ont une vertu curative. Tu refais les arrangements des morceaux, tu leur donnes une nouvelle vie et tu as l'impression qu'ils sont plus beaux.

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