Paulina Dalmayer. © DR
Il arrive, c’est rare, très rare, qu’un livre signé d’un grand nom ou d’un inconnu, d’une inconnue, paraisse écrit à notre attention personnelle. Comme si l’auteur connaissait nos curiosités, nos peurs, nos interrogations, nos attentes propres. Et la rencontre bouleverse alors le regard que l’on porte sur soi et sur le monde, ou du moins le rend plus aigu pour toujours. Cela m’est arrivé en lisant «Les Héroïques», de Paulina Dalmayer. Cela risque de se passer pour vous aussi, car cette auteure, à force de parler d’elle sans le dire, de ses personnages inventés, touche les cordes sensibles de tant d’entre nous.
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Sa famille vivait à Lwov (ou Lviv), en Ukraine, d’où, après la guerre, les Polonais furent chassés par les Soviétiques vers les abords de l’Allemagne, après que les Juifs aient été éliminés et longtemps encore persécutés. Sous le coup de l’invasion, son père tua ceux qu’il aimait tant, ses chevaux de race, puis écrivit une lettre à Staline pour lui dire sa colère. Il ne fit pas long. Sa mère, folle de théâtre, s’endurcit ensuite à l’extrême, s’usant les mains dans les champs de betteraves. Retrouvée morte, bien plus tard, couverte de fleurs dans le cagibi des lapins, amenée là par la folie de son fils. </span></p> <p><span>Wanda a aimé les hommes, ceux qui aiment les femmes. Elle n’est pas mécontente de se dire qu’elle a vécu libre au long d’un compagnonnage-mariage de quarante ans. Son Edward est-il opportuniste ou héroïque? 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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. 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Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.</p> <p>Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. Tout comme la rivale du vainqueur, arrivée en deuxième position, Elena Lasconi, qui voit là «un retour des jours sombres du communisme». Mme von der Leyen croit bon au contraire d’appuyer le président roumain sortant qui réclame une enquête sur les ingérences hypothétiques de la Russie lors de la campagne, largement menée sur les réseaux sociaux.</p> <h3><strong>Qui veut la peau de Călin Georgescu ?</strong></h3> <p>C’est piquant si l’on songe que sur l’autre bord, l’influence américaine pèse lourd sur ce pays. Son commandant en chef, le général Vlad, a été formé dans la plus haute école militaire aux USA et a même participé à l’opération menée contre l’Irak en 2003. Depuis la guerre en Ukraine, la pression de l’OTAN et des lobbies de l’armement est énorme. Le budget de la défense roumaine a augmenté de 53 %, il représente 3 % du PIB. Une grande base est en construction à la frontière avec la Russie. 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Le discours nationaliste passe bien ailleurs et fort mal là… A noter qu’il ne souhaite nullement la sortie de l’UE mais souhaite y défendre mieux les intérêts de son pays. Comme à peu près tous. </p> <h3><strong>Portrait d’un personnage peu banal</strong></h3> <p>L’image caricaturale qui nous est proposée de ce personnage peu banal est à côté de la plaque. Cet ingénieur agronome écologiste a fait carrière dans les institutions de son pays et aux Nations Unies (avec un passage à Genève). Il maîtrise son propos, plutôt mesuré. Mais avec le sens de la formule. Par exemple, à propos des partis traditionnels qui ont connu bien des cas de magouilles et de corruptions: «ils essuient leurs bottes sales sur le visage de la démocratie!»</p> <p>C’est un conservateur comme on en trouve en France, en Allemagne. Avec en plus des préoccupations sociales, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la condition paysanne. Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. Plus inquiétant pour lui: divers services s’activent pour trouver quelques charges à son encontre qui permettraient d’écarter une nouvelle candidature. «Comme il n’y a rien à me reprocher, il leur faut du temps pour fabriquer des preuves…», commente l’intéressé. Il appelle de ses vœux des enquêteurs internationaux, européens, américains. Ajoutant: «Nous respectons nos partenaires démocratiques, mais j’ai le sentiment qu’ils nous lâchent, j’espère me tromper.»</p> <h3><strong>L’Union européenne discréditée </strong></h3> <p>Il y a bien lâchage du côté de Mme von der Leyen et ses gens. Soucieux d’abord de s’aligner sur la ligne de l’OTAN et de l’administration Biden, entraînant tant de médias dans ce sillage. Il s’agit là d’une dérive de l’UE et de ses principes. Une fois de plus, la tactique du «deux poids deux mesures». On tance un Erdogan, un Fico (le président slovaque), mais pas un mot sur le président roumain Iohannis qui prolonge son mandat en cassant une élection. 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Le souvenir des amants
Tous les temps forts remontent. En particulier ceux du théâtre, avec le grand Grotowski, jusqu’au fond de la forêt, loin de la politique, dans la quête un peu grandiloquente de «l’essence» des appelés d’une troupe novatrice. Le «Boss» ne sentait pas bon mais le sage préconisait, plus que le discours, l’introspection et l’action. Et puis il y a le souvenir des amants. Celui surtout, médecin lui aussi, qui ressurgit lorsque Wanda a tant besoin de morphine sur son lit d’hôpital. Ce Konrad, à la vie assez abîmée, redevenu amoureux d’elle, accourt à son chevet, lui donne le conseil de ne pas combattre la maladie, c’est sans espoir, mais de consacrer toute son énergie à jouir de chaque minute d’une vie qui bout encore. Il l’aidera à s’échapper du mouroir sanitaire, dans une fin de l’histoire à ne pas révéler tant elle est folle. Mais est-ce vraiment une fin?
Rien n’est plus ennuyeux que de deviner, au début d’une page de roman, comment elle va se prolonger. Alors là, lecteurs exigeants, pas de risques! Le fil du récit est palpitant mais le sursaut des mots l’est tout autant. Ils font mal ici, rire là, stimuler les neurones toujours. Faire revivre ainsi des destinées humaines et celle de la Pologne au passage, brasser les fantasmes, ironiser sur les manies des époques successives, sans lourdeurs, sans leçons, sans desseins idéologiques d’aucune sorte, mener le tout de surprises en surprises, c’est ambitieux et c’est réussi.
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«Les Héroïques», Paulina Dalmayer, Ed. Grasset, 240 pages
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.</p> <p>N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. 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Aucune issue en vue ne donne de vraies raisons d’espérer une amélioration dans ce pays endetté au point de payer plus d’intérêts que le budget de l’armée ou celui de l’éducation supérieure. Un pays livré à une gigantesque machine bureaucratique d’Etat. Un pays déprimé. Avec un président hors du réel, obsédé par son ego. Et une assemblée de tribuns ivres de leur rhétorique, incapables de s’entendre et de remettre les pieds sur terre.</p> <p>Moins grave: <strong>le président de la Corée du Sud</strong>, renouant avec les vieux démons de ce pays, tente d’en faire une dictature manu militari. Il échoue… mais ne se fait pas arrêter pour autant.</p> <p><strong>En Géorgie</strong>, c’est la castagne entre pro-Européens et pro-Russes à coups de poings et de slogans simplistes, enflammés, là aussi hors de toute raison. Les deux camps livrés aux jeux des influences extérieures. A la malédiction des pays charnières en temps de guerre froide… devenant de plus en plus chaude.</p> <p><strong>Au Moyen-Orient</strong>, le premier ministre israélien et ses soutiens messianiques ne cessent d’élargir la guerre au-delà de leur pays. Aucun cessez-le-feu à Gaza où la tragédie n’en finit pas, celui du Liban aussitôt violé, aucune accalmie en Cisjordanie. Et maintenant la Syrie, quitte à soutenir des guerriers islamistes. Bientôt l’Iran dans le collimateur sans doute, avec un Trump plus va-t-en-guerre qu’il n’y paraît sur ce terrain. L’allergie au simple mot paix balaie toute réflexion raisonnable sur l’avenir. Comment peut-on croire que l’expulsion des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, ouvertement souhaitée, vers la Jordanie ou l’Egypte ne conduirait pas à de nouveaux conflits? 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Certes, Biden n’est plus en état de lire le livre de Christopher Clark, mais il est douteux que Trump connaisse toutes les dimensions du mot somnambule.</p> <p><strong>En Ukraine</strong>, le président Zelensky, si porteur d’espoir à son élection, devenu un héros à la suite de l’agression russe, titube aujourd’hui. Enfermé dans son discours, il ne sait comment répondre au désir de paix, au ras-le-bol de son peuple devant les souffrances endurées, sous un régime de surcroît corrompu et autoritaire. Aucune guerre ne peut se prolonger lorsque des policiers doivent pourchasser dans les rues les hommes qui se cachent pour ne pas prendre les armes. Certes, Zelensky vient de faire un pas vers l’idée de négociation, mais son obsession du rattachement à l’OTAN la condamne d’avance. </p> <p><strong>Même en Pologne</strong>, le gouvernement de centre-droit de Donald Tusk fait sa petite crise de somnambulisme. Il construit un mur sur plusieurs centaines de kilomètres, non seulement autour du territoire de Kaliningrad, mais le long de la frontière avec la Biélorussie et celle avec l’Ukraine. Il exproprie pour cela des paysans totalement affolés. Il s’agirait de retenir les fantassins russes au cas où ils auraient conquis tout le pays voisin! Cette perspective rocambolesque cache en fait un autre souci: empêcher les Ukrainiens de fuir vers l’ouest sans contrôle, à travers champs et forêts. Enfin, peut-être une préoccupation électorale au passage: démontrer aux sympathisants du parti PIS, hypernationaliste, que les «modérés» prennent aussi au sérieux qu’eux toute croisade antirusse.</p> <p>Bref, ici et là, nombre de dirigeants se font du cinéma. Chacun le leur. Dans l’affrontement, verbal ou militaire, avec le scénario du voisin. Il y a certes, dans tous les conflits, d’autres approches des parties rivales, celles des intérêts objectifs, rationnels. Au plan sécuritaire, économique, sur le partage des richesses et des influences géopolitiques. Mais à ces calculs froids s’ajoutent, dans la tête des responsables, les perceptions fantasmatiques, les obsessions émotionnelles, les ambitions incandescentes. Ce bal des imaginaires conduit aussi dans le mur. Dans le pire du pire.</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1733414363_livsomnambules.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="138" height="218" /></h4> <h4>(1) «Les Somnambules. Eté 1914: comment l’Europe a marché vers la guerre», de Christopher Clark. 672 pages. Ed. Flammarion.</h4> <p> </p>', 'content_edition' => 'En France, les affrontements entre factions – et au sein de chacune – tournent au désastre. Aucune issue en vue ne donne de vraies raisons d’espérer une amélioration dans ce pays endetté au point de payer plus d’intérêts que le budget de l’armée ou celui de l’éducation supérieure. Un pays livré à une gigantesque machine bureaucratique d’Etat. Un pays déprimé. Avec un président hors du réel, obsédé par son ego. Et une assemblée de tribuns ivres de leur rhétorique, incapables de s’entendre et de remettre les pieds sur terre. Moins grave: le président de la Corée du Sud, renouant avec les vieux démons de ce pays, tente d’en faire une dictature manu militari. Il échoue… mais ne se fait pas arrêter pour autant. En Géorgie, c’est la castagne entre pro-Européens et pro-Russes à coups de poings et de slogans simplistes, enflammés, là aussi hors de toute raison. Les deux camps livrés aux jeux des influences extérieures. A la malédiction des pays charnières en temps de guerre froide… devenant de plus en plus chaude. Au Moyen-Orient, le premier ministre israélien et ses soutiens messianiques ne cessent d’élargir la guerre au-delà de leur pays. Aucun cessez-le-feu à Gaza où la tragédie n’en finit pas, celui du Liban aussitôt violé, aucune accalmie en Cisjordanie. 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