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Culture / Laisse tomber la laisse: Juan Branco et son pamphlet «Coup d’Etat»


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Le communiqué de presse parle d’un «traité anarchiste» mais on ne peut être que perplexe devant cette affirmation vu que Juan Branco défend avec passion l’Etat. Faisant référence à Malcolm X et à Pier Paolo Pasolini, à Napoléon et Charles de Gaulle, notre célèbre agitateur, nostalgique de la Résistance et du gaullisme, semble dans son nouvel ouvrage, «Coup d’Etat», vouloir incarner les Evangiles, devenir l’Abbé Pierre du Droit...



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Etatiste et souverainiste revendiqué, Branco veut aussi redonner à la France, fille aînée de l’Eglise et mère de la République, sa grandeur ancienne. Son ouvrage Crépuscule a été vendu à 150'000 exemplaires. Très présent pendant la révolte des Gilets jaunes, il aimerait bien remettre ça, oui,  s’emparer de tous les lieux de pouvoir, guillotiner à tours de bras et enfin redonner au peuple sa souveraineté.

Le bilan

Pour cela, il commence par faire un bilan de l’état actuel de la France en alignant le tout-venant des banalités habituelles sur la question, mais avec quelque chose en plus, la quille donc de son arche: l’amour! Nous devons sortir du système-monde créé par les Etats-Unis après 1945 et abandonner la consommation pour retrouver notre capacité à nous aimer et à nous lier, écrit-il. Les possédants ont peur. Leur appareil répressif s’effrite. Nous vivons la fin du modèle fondé sur les énergies fossiles. La classe moyenne est encore du côté du pouvoir mais cela pourrait changer. Les dominants ont perdu leur capacité à faire illusion et à fabriquer de la croyance. Bref, écrit-il littéralement, nous devons décapiter nos dirigeants, rouvrir des bagnes lointains, mettre en prison un certain nombre d’oligarques, changer radicalement le fonctionnement de la justice, faire élire les magistrats, transformer le droit pénal pour qu’il soit au service du peuple et contre un certain nombre d’élites dépravées.

Le pouvoir et la classe dirigeante

Le pouvoir nous échappe mais il échappe aussi à l’Etat. Nos dominants ne produisent plus rien. Ils ne sont plus que des pilleurs corrompus. L’homme le plus riche de France (et du monde), Bernard Arnault, est un médiocre satrape chargé d’habiller la vacuité des dominants. Nos hôpitaux, la recherche, la police, la justice, l’enseignement vont à vau-l’eau. Oui, l'auteur s’inquiète de l’état de la police – sûr décidément que ce n’est pas un anarchiste. Lorsque vous servez un Etat qui représente votre volonté, il y a une forme de noblesse à se sacrifier à lui, dit-il aussi.

Actuellement, nous sommes dans une dépravation qui est liée à la marchandisation du rapport à l’autre. Ce qui lui fait le plus violence aujourd’hui, c’est le sentiment de solitude généralisé. L’insurrection ne doit pas venir du haut mais être le fait de l’ensemble de la société.

Nous devons retrouver des valeurs d’honneur, de sacrifice, de dignité, nous resouverainiser.

Il aligne ses exigences: services publics, démocratie directe, sécurité, justice, liberté, souveraineté. 

Nous subissons une domination monétaire et militaire, commerciale, culturelle et industrielle de la part des Américains, parachevée par celle de l’espace public par les GAFAM créateurs d’outils très performants chargés de collecter l’ensemble des données de nos vies privées et d’en faire des instruments au service de leurs intérêts. Ils contrôlent nos échanges et orientent nos désirs et nos pulsions. Tout révolutionnaire en herbe voit l’ensemble des informations concernant sa vie privée captées et stockées. Oui, à l’aide de leur panoptique, ils nous endorment, nous orientent, nous formatent et nous transforment en sujet docile désouverainisé. Vu l’importance de l’abstention, les députés n’ont plus de légitimité.

Bref, il nous dit et nous redit que les puissants veulent nous empêcher de nous aimer, de nous émanciper et que, victimes laissées à l’abandon dans des paysages dévastés, nous devons nous défaire de notre allergie à la notion de pouvoir. Chacun doit s’interroger: qui veut-il être? Il faut reconstituer un peuple. La justice est la meilleure approche de l’éternité, la mère de toutes les révoltes. Oui, la perte de fonction, de rôle, de capacité à aimer, la perte de la possibilité de se lier à l’autre, d’avoir des amitiés, d’avoir une estime de soi, d’aimer l’autre sexe, l’humiliation doivent être transformés en de puissants vecteurs révolutionnaires.

La classe dirigeante est composée d’élèves des grandes écoles. Il n’y aurait ni fils d’ouvrier, ni fils d’employé à l’Assemblée nationale (ce qui est désormais faux). Le filtre des grandes écoles fonctionne, entre autres, à coup d’examens oraux et de stages. Ainsi personnalisé, il conduit aux Grands Corps: Inspection générale des finances, Cour des comptes, Conseil d’Etat, c'est-à-dire chez les maître des ressources d’Etat. Agences de communication, cabinets de conseil et instituts de sondages, appartenant aux oligarques qui détiennent les médias, relayeront leurs productions. Par ailleurs, côté presse, les plus importantes rédactions françaises, qui devaient disparaître, ont étés sauvées in extremis par le grand capital. Les journalistes, sous-payés et précarisés, sont donc condamnés à présent à entretenir éternellement des polémiques stériles et, tout comme les  intellectuels, universitaires, philosophes et artistes stipendiés, à légitimer la domination.

Révolution et coup d'Etat

Le révolution est un masque. Elle exige l’existence préalable d’une masse. La suite n’appartient plus qu’au processus révolutionnaire. La révolution est un préalable à une reconfiguration générale des pouvoirs. Il appartiendra à chacun de déterminer sa capacité à s’ériger en souverain sur un territoire donné. Devenir la classe dominante et le laver ainsi des humiliations subies, voilà ce que promet la révolution au peuple.

Il ne faut pas confondre moyen et fin; un coup d’Etat, tout comme Napoléon ou Charles de Gaulle, on peut essayer de le déguiser. Il faut constituer un groupe, avoir une idée des lieux stratégiques,  redistribuer auprès des populations le pouvoir de la façon la plus rapide possible, faire preuve d’une vigilance permanente pour empêcher le retour aux formes du passé, rechercher le consentement ou, s’il le faut, la soumission. Oui, pour être efficient ce coup d’Etat doit redistribuer le pouvoir non à des corps, des individus, mais au corps social tout entier par le biais de la démocratie directe, non représentative, de sélection aléatoire et régulièrement renouvelée des élites.

La pratique

A la page 135 de son pamphlet, Juan Branco entre dans le vif de son sujet en écrivant qu’il faut attaquer les préfecture et en donnant une liste de cent lieux dont il faut s’emparer ou dont il faut saboter les installations: des hôtels de ville, des aéroports, des palais de justice, des centres des impôts, des centrales électriques, des postes de haute tension de la RATP, des câbles électriques sous-marins, des caméras de vidéosurveillance, des antennes relais, des services de gendarmerie, des lieux de privilégiatures, le Sénat, la DGSE, la DGSI, les data center. C’est le Club Méd du sabotage! Si les Gilets jaunes avaient eu cette cartographie au préalable, le sort de leur révolte aurait été tout autre, affirme-t-il.

Oui, il considère, notre nouveau Lénine, que son rôle d’intellectuel est de donner des éléments au peuple pour lui permettre de passer à l’action. Il pense que le pouvoir de surveillance de l’Etat est faible et que les 15'000 policiers qu’il mobilise lorsqu’il y a crise ne représenteront pas grand-chose face aux masses et à l’étendue du territoire, avec ses innombrables endroits perdus au milieu de nulle part.

Règlements de comptes

Pour finir son opuscule, Juan Branco s’en prend, entre autres, à Jean-Luc Mélenchon. S’il lui reconnaît du génie, son amour de la langue française et de la Méditerranée, il lui reproche de ne jamais parler des rapports entre Niel, Bolloré et les médias, d’être toujours et encore dans un pathétique désir de reconnaissance et de n’être, tout en théorisant l’insurrection citoyenne, qu’un petit parlementaire bien planqué dans les palais de la République. Sa principale erreur, outre son parisianisme crasse, étant d’imaginer pouvoir faire de l’élection un outil insurrectionnel. 

Et pour finir, bien sûr, il nous rappelle le formidable exploit d’Alexandra de Taddeo et de Piotr Pavlenski dans la fameuse affaire Griveau. S’il n’y avait pas eu la crise sanitaire, on en reparlerait encore, pense-t-il. Puis critique, en passant, le côté qu’il juge petit joueur de Julien Coupat et de ses amis «pris la main dans le sac après avoir tenté de disrupter deux lignes de TGV et trois épiceries» (p.235). Les anarchisants, bourgeois endimanchés ayant envie de se distraire, dit-il, du Comité invisible imaginant que les atteintes aux infrastructures ponctuelles ont une quelconque utilité politique alors que, d’après lui, le sabotage ne peut fonctionner qu’en s’inscrivant dans une dynamique révolutionnaire c'est-à-dire dans un mouvement de type Gilets jaunes.

Comme nous le raconte avec brio Mariel Primois dans son Signé Branco! (Au Diable Vauvert, 2019), Aurore Bergé, la présidente du groupe LREM (Renaissance) à l'Assemblée nationale, après la sortie de Crépuscule, avait porté plainte contre lui pour avoir «armé les esprits». Que va-t-elle dire maintenant que notre ludion parle de guillotine et de sabotage?

La grande absente

Pour conclure, je dirais que ce à quoi on pense le plus en le lisant, c’est ce dont il ne parle jamais: l’écologie. 

Ok, on comprend bien, la taxe carburant, annoncée comme écologiste, fut le point de départ de la révolte des Gilets jaunes et les Verts, pour lui, sont des bourgeois comme les autres. Il s’agirait donc uniquement d’une guerre entre possédants. Mais n’est-ce pas un peu court comme point de vue et encore plus caricatural que le reste, cette façon de voir les choses?


«Coup d'Etat. Manifeste insurrectionnel», Juan Branco, Au Diable Vauvert, 256 pages.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Philippe37 14.04.2023 | 10h07

«L’amour de l’autre reflète l’amour de soi-même dont l’intimité profonde avec la nature, i.e. la vie même, est la pierre angulaire. L’écologie n’est bien souvent qu’un concept, pas une réalité vécue. Merci pour ce compte-rendu de ce brillant penseur. Dans la même configuration astrologique qu’en 1789, nous voici enfin à l’ultime révolution : celle de la Conscience. Martine Keller »


@Richard Golay 18.04.2023 | 13h39

«Merci pour cette recension détaillée. Pour avoir lu Crépuscule, j'ai été impressionné par la qualité de la réflexion de ce jeune prodige mais également par son style. La République française est aujourd'hui aux mains d'une caste de corrompus. Il est légitime d'appeler au soulèvement.»