Culture / L’Iran juste avant le point de bascule
Garde des immortels (Palais des Cent-Colonnes) à Persepolis. © Diego Delso - CC BY-SA 4.0
Quand on lui demande quelques indications biographiques, l’auteur des «Chroniques persanes» mentionne son ascension du sommet du Huascaran qui culmine à 6'768 mètres dans les Andes péruviennes, en précisant tout de suite qu’on ne l’y reprendra plus. Le Vaudois Patrick Didisheim indique aussi n’a pas besoin de perdre du temps à se coiffer le matin et qu’il se trouve beaucoup plus jeune que les vieux de son âge, bien qu’il lui arrive de faire des Sudokus.
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Et ouvre un gouffre de questions aussi vertigineuses qu’intemporelles: l’illusion a-t-elle moins de valeur que la réalité? Peut-on seulement y échapper? Y a-t-il pour nous une réalité en dehors du narratif qu’on se construit à titre individuel ou sociétal? L’auteur n’a pas trop d’une trilogie pour tenter d’y répondre. Dans ce deuxième volet, il emmène personnages et lecteurs dans un tourbillon de rebondissements dont le tempo s’accélère au fil des pages. Tout commence par une lettre, l’aveu d’un ancien amant qui, pour séduire une femme d’une classe sociale inaccessible, s’est fait passer pour quelqu’un qu’il n’était pas. Et qui a tout sacrifié pour entretenir ce mensonge aux conséquences d’une ironie grinçante. 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Qu’en avez-vous retenu que vous avez pu mettre en pratique dans ce roman?</strong></p> <p><strong>Marilou Rytz</strong>: Ce roman était mon travail de Bachelor et ce que l’institut m’a offert avant tout, c’est du temps. Mais il est évident que ça a aussi été un accélérateur de bénéficier des conseils de tous ces auteurs, par exemple Joseph Incardona qui soulignait tous les mots inutiles. Une fois qu’il les avait repérés, ça me paraissait évident. Ou Michel Layat m’a inculqué une certaine rigueur et aidée à avancer dans l’écriture à trois voix avant que j’en vienne à ramener ce roman initialement choral à un seul point de vue narratif.</p> <p><strong>Avant de vous lancer dans un roman, vous avez écrit plusieurs nouvelles et du théâtre. Quels sont les défis propres à chacun de ces genres littéraires?</strong></p> <p>Cette histoire a elle-même été testée d’abord sous forme de micro-pièce de théâtre, puis de récit à quatre voix. Il m’est finalement apparu que les autres personnages étaient plus intéressants en creux. Parce que c’est clairement autour d’un personnage que je construis ma narration pour un roman: en l’occurrence autour de Noah, dit le puceron, avec la problématique du mensonge et de la prison. La nouvelle en revanche s’articule plutôt autour d’une thématique, parce qu’on a moins de temps pour développer les personnages. Il faut les rendre très clairs en peu de lignes.</p> <p><strong>Qu’est-ce qui vous a inspiré l’envie de parler de la situation des proches de délinquants?</strong></p> <p>Une émission à la radio où Viviane Schekter de la fondation REPR (Relai Enfant Parents Romands) parlait des familles de détenus. La prison m’intéresse depuis longtemps, mais je n’avais jamais pensé à ce que la détention pouvait impliquer pour les familles. J’ai ensuite été bénévole pour Repère pendant des années au Bois-Mermet. 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Les proches sont au premier front pour encaisser les jugements. Mais à la fondation Repère, j’ai aussi rencontré des gens très à l’aise avec l’idée d’avoir un proche derrière les barreaux, et très décomplexés.</p> <p><strong>Votre narratrice a parfois l’air plus adulte que ses parents. Est-elle parentalisée ou est-ce juste une impression due au fait que le lecteur n’a que son point de vue?</strong></p> <p>Un peu des deux. Quand j’avais encore trois points de vue, j’essayais de montrer comment chacun pense avoir raison. C’est intéressant de chercher l’angle d’interprétation à partir duquel les gens estiment faire ce qu’il faut. Oriane a ce rôle de grande sœur réconfortante.</p> <p><strong>Vous décrivez un lien très fort et très touchant entre la grande sœur et son petit frère. Est-ce que les circonstances les amènent à mettre de côté les disputes habituelles au sein d’une fratrie?</strong></p> <p>Non, je pense que leur relation serait la même en d’autres circonstances. Cet amour très fort et cet agacement ultime existent avant l’incarcération du père. S’y ajoutent ensuite l’inquiétude et le besoin de protéger le petit frère. Oriane en veut à ses parents de devoir porter leur mensonge.</p> <p><strong>Votre narratrice est gardienne de foot dans une équipe mixte: le prétexte pour ajouter une petite touche féministe à votre livre?</strong></p> <p>Oui clairement. Je me suis demandée ce qu’on faisait à cet âge comme activité extrascolaire. J’ai voulu choisir quelque chose d’éloigné de mes propres activités pour éviter qu’Oriane ne devienne une sorte d’alter ego. C’était un bon moyen de prendre de la distance.</p> <p><strong>Comment avez-vous réussi à restituer de façon aussi convaincante les tics de langage, l’attitude très entière propre à l’adolescence, mais aussi une forme de mal-être, de crainte du jugement sans doute exacerbée par ce qu’elle vit?</strong></p> <p>C’est venu très naturellement. J’avais beaucoup travaillé la voix de Noah: dans tous les ateliers d’écriture, j’essayais de faire parler un enfant. J’ai construit Oriane par antithèse en m’inspirant de la façon de parler des gens qui m’entourent. J’avais vingt-et-un ans à l’époque, j’étais encore assez proche de l’adolescence. J’ai aussi pris soin d’éviter un vocabulaire trop précisément daté. J’y ai plus réfléchi comme un souffle que comme une langue.</p> <p><strong>Et la logorrhée de l’enfant?</strong></p> <p>C’est comme une pelote qu’on déroule et qui part dans tous les sens sans jamais se censurer.</p> <p><strong>Pourquoi avoir choisi de fondre les dialogues dans la narration?</strong></p> <p>Les dialogues ont eu beaucoup de formes différentes. Dans les premières versions, j’étais dans cette idée de flux de pensée rendue sous forme de monoblocs avec des dialogues juste marqués par des tirets. Ensuite j’ai quand même ajouté des retours à la ligne, mais comme Oriane a de la peine à dire tout ce qu’elle pense, je trouvais intéressant de maintenant le flou entre dialogue et pensée, pour que le lecteur puisse se demander si elle l’a réellement dit ou juste pensé et si elle a été entendue. Ce qu’elle dit s’inscrit dans une continuité par rapport à son flux de pensée.</p> <p><strong>L’histoire se déroule dans un milieu social très modeste: est-ce que la précarité économique excuse en partie le dérapage du père?</strong></p> <p>Je ne pense pas qu’elle l’excuse, mais elle l’explique. J’avais quand même envie qu’il y ait d’autres solutions, par exemple solliciter l’aide de la grand-mère. Mais les alternatives sont maigres. Maintenant que j’ai travaillé comme assistance sociale, je développerais ces problématiques autrement. Je pourrais imaginer un texte centré sur Léonore (la mère) qui montre la complexité du système social.</p> <p><strong>Y a-t-il là aussi une volonté militante de votre part, montrer par exemple que la pauvreté se transmet d’une génération à l’autre, puisque la fille exclut d’emblée la voie des études?</strong></p> <p>J’ai montré par petites touches que la situation économique cloisonne toute la famille, mais les enfants pourraient en pâtir beaucoup plus. Léonore fait parapluie et préserve sa fille. Je voulais creuser la manière dont un parent doit jongler pour faire face aux besoins de base des enfants et la frustration de devoir le priver. </p> <p><strong>L’art en général, le théâtre en l’occurrence a-t-il un effet rédempteur?</strong></p> <p>Oui, c’est là que Léonore retrouve une place et une famille. 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Cet ancien professeur de maths, d’économie et de droit, membre du collectif d’auteurs les Dissidents de la pleine lune et joueur compulsif de poker, tennis et backgammon a précédemment publié un roman intitulé Poker Blues, prétexte à un regard décalé sur la société américaine, ainsi que de nombreuses nouvelles. Mais il est surtout connu dans le milieu du backgammon pour son titre de champion du monde. C’est avec le même humour qu’il retrace, presque dans l’ordre chronologique, deux semaines de voyage organisé de Shiraz à Téhéran.
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Autre personnage important, la guide qui s’est battue contre l’autorité de son frère pour pouvoir exercer ce métier. Elle voue une immense reconnaissance au groupe grâce auquel elle peut enfin reprendre son activité après la longue pause imposée par la pandémie.
Sans oublier le chauffeur, bâti comme un taureau en plus musclé, mais qui se comporte comme une vraie mère poule avec les étrangers dont il a la charge. Un chauffeur qui accomplit l’exploit quotidien de n’écraser personne dans un pays où « trois voies permettent à cinq colonnes de véhicules de circuler de front et où dix centimètres d’écart entre deux véhicules, c’est neuf centimètres de perdus. »
Ce recueil souligne à quel point un voyage touristique est un instantané qui fige à jamais dans la mémoire des participants la situation d’un pays à un moment bien précis, en l’occurrence deux semaines prises entre la levée des restrictions COVID et le début de la contestation contre le régime déclenchée par le décès de Mahsa Amini le 16 septembre 2022. On sent déjà souffler un vent de rébellion et l’auteur, qui a roulé sa bosse sur les cinq continents, s’étonne de l’absence de précaution dans la transgression des règles. Ainsi, la guide se maquille et laisse son foulard glisser sur ses épaules. Comme tous les jeunes Iraniens, elle utilise des adresses fictives à New York pour contourner le blocage des sites occidentaux.
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Bref, à travers ce petit opus, Patrick Didisheim nous offre un portrait sensible, décalé et plein d'humour de l'Iran de 2022 à travers les yeux d'un touriste.
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Il m’est finalement apparu que les autres personnages étaient plus intéressants en creux. Parce que c’est clairement autour d’un personnage que je construis ma narration pour un roman: en l’occurrence autour de Noah, dit le puceron, avec la problématique du mensonge et de la prison. La nouvelle en revanche s’articule plutôt autour d’une thématique, parce qu’on a moins de temps pour développer les personnages. Il faut les rendre très clairs en peu de lignes.</p> <p><strong>Qu’est-ce qui vous a inspiré l’envie de parler de la situation des proches de délinquants?</strong></p> <p>Une émission à la radio où Viviane Schekter de la fondation REPR (Relai Enfant Parents Romands) parlait des familles de détenus. La prison m’intéresse depuis longtemps, mais je n’avais jamais pensé à ce que la détention pouvait impliquer pour les familles. J’ai ensuite été bénévole pour Repère pendant des années au Bois-Mermet. 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1 Commentaire
@stef 19.05.2023 | 19h35
«J'adore cette culture millénaire.»