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Culture / L’asphalte de Travers dans le monde

Bon pour la tête

7 janvier 2020

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Dans le val neuchâtelois, la forêt abrite les vestiges de la mine de la Presta. Le plus grand gisement d’Europe a produit 2 millions de tonnes de ce minerai.



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Un article de Claudine Dubois paru dans le mensuel romand d'histoire et d'archéologie Passé simple (décembre).


Nous sommes en 1711. Eyrini d’Eyrinis, un savant et médecin grec à la recherche de divers minerais dans le val de Travers découvre une pierre grasse et brunâtre dans le ravin boisé d’un des affluents de l’Areuse. Il s’agit d’asphalte. La substance est alors connue pour avoir embaumé les momies égyptiennes et calfeutré les navires phéniciens. Eyrini d’Eyrinis sollicite une concession d’exploitation auprès du roi de Prusse, dont dépend alors la Principauté de Neuchâtel. Il la reçoit en 1717. L’exploitation débute d’abord sur la rive gauche de l’Areuse, puis dès 1840, sur la rive droite où se trouvent les vestiges de la Presta qui se visitent aujourd’hui.

Au début, les paysans ouvriers creusent des galeries à ciel ouvert dans le flanc sud d’un pli synclinal qui remonte à plus de 65 millions d’années. A coup de tarières, de pics et de pioches, ils arrachent les blocs de calcaire asphaltique à la montagne et les cassent à la masse pour les sortir de la mine. Les pierres sont concassées et la poudre chauffée dans des fourneaux installés dans une baraque. L’asphalte liquéfié est coulé dans des moules. En 1869, l’exploitation migre dans des galeries souterraines pourvues de rails. Des wagonnets tirés par un cheval circulent jusqu’à l’usine construite à proximité. Dernière représentante de son espèce, la jument Colette quitte la mine en 1973.

Durant le premier siècle d’exploitation, l’asphalte n’intéresse encore que peu de monde. Il entre dans la composition de quelques médicaments et permet d’étanchéifier des fontaines et des coques de navires. La concession change souvent de mains. De 1841 à 1848, Philippe Suchard prend la direction des mines de la Presta.

Chauffé, l’asphalte est coulé dans des moules pour assurer son transport. © gout-region.ch 

Il étend le minerai sur le toit de sa fabrique de chocolat et sur les chemins de vigne. Ardent promoteur de l’asphalte, il en fait la publicité lors de ses voyages d’affaires à travers l’Europe. Cinq ans après son arrivée aux commandes, la Presta fournit un cinquième de la production mondiale. En 1849, Andrea Merian, un ingénieur bâlois fait le pari d’asphalter une portion de rue de Travers par le procédé mis au point par l’ingénieur écossais Mac Adam.

En 1872, les Anglais entrent en scène. Ils créent la NACO, la Neuchâtel Asphalte Company Limited. En 1886, l’arrivée du chemin de fer permet le raccordement de la mine au rail. L’exportation devient plus facile et l’activité poursuit son expansion. Des dizaines de mineurs italiens rejoignent les paysans ouvriers. De 1875 à 1900, ce sont deux millions de mètres carrés de pavages d’asphalte de la Presta qui sont posés à Berlin. La mine de la Presta vit son âge d’or dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale. La société concessionnaire gère non seulement l’extraction et la fabrication des produits, mais aussi sa commercialisation. Elle atteint une production record de 53 000 tonnes en 1913.

Le boisage des galeries. © gout-region.ch

Le travail des mineurs, à l’œuvre dans une humidité de 80 à 90 % et par une température constante de huit degrés, est quantifié. Chacun doit remplir onze wagons par jour, soit 5,5 tonnes de cailloux. Jusqu’à 234 personnes travaillent simultanément à la mine, mais la plupart du temps, ils étaient environ 120.

A l’usine, les cailloux de calcaire et d’asphalte sont réduits en poudre et passés dans un four à 220 degrés. Le liquide brûlant est versé dans des moules hexagonaux, pour former des pains d’asphalte de 25 kilos. Les pavés sont ensuite transportés en train jusqu’à Bâle, puis chargés sur des bateaux. Destination l’Allemagne et l’Angleterre, mais aussi Rio de Janeiro, Dunedin en Nouvelle-Zélande, Mexico ou encore le New Jersey.

La Première Guerre mondiale paralyse les exportations, et la production chute à moins de 10 000 tonnes en 1918. L’après-guerre n’est guère plus favorable, la NACO connaît des difficultés économiques. La reprise amorcée s’essouffle à nouveau avec la crise de 1929.

L’exposition rend très concret le travail des mineurs. © gout-region.ch

Autre souci, l’infiltration de l’eau dans les galeries souterraines. Au fil du temps, les mineurs ont creusé 100 kilomètres de galeries qui descendent à 80 et parfois à 150 mètres sous terre. Six pompes sont installées au début du XXe siècle. En 1933, une salle de pompage est inaugurée à 150 mètres de profondeur. Pour extraire une tonne d’asphalte, il faut pomper 400 tonnes d’eau. Du ciment est injecté dans les failles, et les galeries sont étayées par les boiseurs. Ces précautions n’empêchent pas quelques éboulements, comme ce fut le cas en 1889 et en 1893.

La Seconde Guerre mondiale porte un nouveau coup à la mine. Il faudra attendre la fin du conflit et la reconstruction de l’Europe pour reconquérir des marchés étrangers. Mais le filon s’épuise peu à peu, alors qu’émerge la concurrence de l’asphalte industrielle. La mine ferme à la fin de décembre 1986, après que deux millions de tonnes de minerai ont été extraites des entrailles de la terre.

Si elle a connu des accidents et des moments dramatiques, l’aventure de la Presta a aussi représenté une marche vers la sécurité et le progrès. En témoigne notamment la création de la Caisse de secours de la Sainte-Barbe, la patronne des mineurs. Aujourd’hui, un musée et la visite d’une partie de la mine haute en racontent l’histoire. Et le fameux jambon cuit dans l’asphalte permet de partager une des rares parcelles agréables de l’existence des cinq générations de mineurs. Ces derniers ont travaillé durement pour produire le minerai étanche, isolant et élastique, d’un noir profond. Ce matériau recouvre aujourd’hui encore le sol du musée, du kiosque et du restaurant de la mine aménagé dans l’ancien dépôt de bois.

Le musée raconte l’histoire de l’exploitation de l’asphalte dans le Val de Travers.  © gout-region.ch


Un site à visiter

La visite du musée inauguré en 1986 éclaire une activité qui a duré près de trois siècles. Des plans du labyrinthe de la mine donnent une très bonne idée du réseau de 100 kilomètres de galeries. Documents et photos racontent l’histoire de la mine. Du matériel est également exposé, en premier lieu l’outillage: pioche, pique, barre à mine, pinces, pelle à long manche, masse, marteau, hache etc. Le public y découvre les anciens wagonnets en fer chargés de cailloux, qu’un mécanisme permet de faire basculer sur le côté. Il a également un aperçu de l’étayage des galeries, par des billes de bois, puis dès les années 1960 grâce aux boulons d’ancrage. On découvre également les pavés de minerai, obtenus par ébullition de la poudre de pierre dans d’énormes chaudières, puis versés dans des moules.

La visite de la mine haute complète celle du musée. Le passage étayé dans la roche calcaire est suffisamment large pour une pelleteuse (qui se déplaçait en crabe) ou un trax avec bac à asphalte qui ont remplacé pendant les dernières décennies d’exploitation le chargement à la main de wagonnets hippomobiles. Un sentier didactique a été aménagé dans une partie renaturée d’un petit affluent de l’Areuse. Et un parcours géologique devrait voir le jour en 2022.


Pour aller plus loin:

https://www.mines-asphalte.ch

http://acmap.ch 

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