Culture / Et si le martyre de St-Maurice n’était qu’une légende?
Dans son nouveau roman, Philippe Favre confronte passé et présent. © DR
Enseignant d’histoire à l’école de Planzette à Sierre, Philippe Favre signe son troisième roman aux éditions Favre. Un thriller archéologique de 450 pages écrit en deux ans et demi. Le titre fait un peu roman jeunesse, la couverture manuel d’histoire, mais le récit vaut largement la peine de franchir ce double écueil. Interview.
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Est-ce que c’est encore plus pernicieux quand on nous persuade que ces diktats sont l’expression de notre liberté?</strong></p> <p>A l’époque dans laquelle j’inscris ce livre, il ne fallait pas être trop fille. J’avais l’impression que le modèle du garçon manqué incarnait le summum de la liberté. Ce genre de filles savaient plaire aux garçons, parce qu’elles leur ressemblaient.</p> <p><strong>Vous nous présentez l’athlète, la star comme une simple marchandise au service d’intérêts qui le dépassent. Peut-il s’en rendre compte avant de tomber du podium?</strong></p> <p>Ça dépend de nombreux facteurs. Mes parents n’avaient pas pu réaliser leurs rêves. C’est une faille que la réussite de la gymnaste est venue combler. J’aime l’image de l’eau qui gèle dans les failles en hiver. Mes parents sont entrés dans une sorte d’aveuglement et m’y ont embarquée. On ne voit que les sportifs qui réussissent, ça occulte tout le reste. L’enfant qui vit ça est certain d’être quelqu’un d’exceptionnel. Il se laisse prendre dans une spirale de réussite et de fierté de soi, même si la pratique de son sport ne lui procure plus de plaisir.</p> <p><strong>Un enfant ne peut pas se rendre compte que ce qu’il vit n’est pas normal, ni donc verbaliser son mal-être, puisqu’il n’a rien connu d’autre. Est-ce que ce non-dit ne cherche pas à s’exprimer à travers des troubles du comportement par exemple?</strong></p> <p>Je ne suis pas experte, ni psychiatre, mais j’ai vu des filles tomber dans l’anorexie, voire les addictions. Tout enfant qui ne se sent pas à l’aise avec l’activité qu’il pratique doit le faire entendre d’une manière ou d’une autre.</p> <p><strong>Comment vos parents ont-ils accueilli ce livre?</strong></p> <p>C’est un roman basé sur des choses qu’on a pu vivre. J’avais quelque chose à dire au sujet des méfaits du sport à outrance, un questionnement à exprimer par rapport au dogme «le sport, c’est la santé». Est-ce que c’est sain de porter aux nuées des héros du sport? 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Des gens me parlent de leur difficulté quand tout tourne autour d’une personne, que même les vacances dépendent des possibilités d’entraînement. J’ai aussi lu le témoignage d’une mère qui pratiquait un sport à haut niveau et trouvait formidable que toute sa famille la suive, sans se demander si ses proches en avaient réellement envie. Je n’ai de réponse à rien, c’est déjà un grand pas si on peut se poser plus de questions. Beaucoup d’anciens gymnastes deviennent entraîneurs, comme s’il leur était impossible d’en sortir. Ce qui me dérange le plus, c’est la certitude de faire juste.</p> <p><strong>Notre société condamne sans pitié toute forme de jalousie. N’y a-t-il pas pourtant une forme de jalousie saine et légitime?</strong></p> <p>Je pense que oui. C’est humain, on ne se fait pas du bien à vouloir masquer tout le temps ce genre de sentiments. 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1600 ans plus tard, une équipe d’archéologues emmenée par une certaine Valeria recherche des traces du passage de cette légion thébaine au col du Grand-Saint-Bernard. Le narrateur Melvin est enrôlé dans cette équipe au moment où il s’apprête à mettre fin à ses jours, accablé qu’il est depuis trois ans, par une accusation de pédophilie qui a ruiné sa vie sociale, sa vie professionnelle et finalement son couple.
Philippe Favre, en quoi la problématique du narrateur fait-elle écho à celle du héros antique?
Comme en photographie, j’ai cherché à écraser la profondeur de champ en faisant ressortir des thématiques communes. Par exemple les femmes fortes qui se retrouvent aux deux époques, la matrone qui gère la domus, la jeune professeur de philosophie du IVe siècle et la cheffe d’entreprise du XXIe siècle. Pour accentuer cet effet, j’ai écrit les passages historiques au présent et les passages contemporains au passé simple.
Votre roman s’articule autour de deux époques que plus de 1600 ans séparent. Quel rapport entre les deux?
Vaste question. J’ai trouvé une bonne douzaine de similitudes frappantes. Par exemple l’écart des salaires de 3'000'000 solidus pour l’empereur à 5 pour un paysan, la multiplication des taxes et le déséquilibre entre ceux qui contribuent et ceux qui en bénéficient, l’apparition d’une classe de manieurs d’argent grands seigneurs rentiers, l’inflation galopante qui met les propriétaires terriens sous pression et les contraint à vendre leurs terres à vil prix.
Et au-delà des aspects économiques?
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Le roman historique implique un énorme travail de documentation. Comment avez-vous procédé? N’est-ce pas difficile pour un historien de s’autoriser à mélanger la vérité historique et l’imaginaire?
Je commence par rassembler tous les faits historiques avérés sur un fichier Excel. Ce sont les repères que je m’interdis de déplacer ou d’éviter, même si ça ne m’arrange pas. Entre ces piquets, le romanesque prend le relais comme les courbes d’un slalom, mais je vais toujours au plus vraisemblable.
Que s’est-il donc passé vers l’an 400 à St-Maurice?
Selon le récit que l’évêque Eucher a rédigé vers l’an 446, une légion de 6600 hommes est appelée d’Egypte pour mater une révolte des chrétiens en Gaule. L’empereur Maximien l’attend à Octodure (Martigny). Mais cette légion évite la capitale, dresse son camp à St-Maurice et refuse l’ordre d’arrêter les chrétiens. Maximien, ulcéré, commande une première décimation. Un dixième de la troupe est passé au fil de l’épée. Comme les survivants s’obstinent dans leur refus, il ordonne une deuxième décimation et finit par massacrer tous les Egyptiens.
Au final, le martyre de St-Maurice a réellement existé ou est-ce une légende?
Le colloque de 2003 a fait le point sur tout ce qu’on sait à ce sujet. Chaque spécialiste a donné son avis en toute collégialité. Certains remettent presque toute l’histoire en question, d’autres se réfèrent au contraire au récit de la passion de St-Maurice tel que l’évêque Eucher l’a rédigé en l’an 400.
Pour ma part, j’ai suivi le sillage de Jean-Michel Carrié, l’un des chercheurs de ce colloque. Cet historien pense que l’évêque Theodorus a fusionné en un seul et même récit une bataille qui a effectivement eu lieu à St-Maurice avec une autre anecdote survenue à des milliers de kilomètres de là, à Philadelphie (en Turquie) où des soldats romains ont exécuté d’autres soldats romains.
Pourquoi la véracité de ce récit revêt-elle encore tant d’importance à notre époque?
Des légions de chanoines adressent la louange perpétuelle à St-Maurice. En Valais, l’histoire de St-Maurice est encore enseignée dans les écoles comme un fait avéré. Les responsables religieux que j’ai rencontrés sont convaincus que la foi n’a rien à craindre de la science. Néanmoins, pour d’autres qui croient dur comme fer au récit du martyr des Thébains, ce roman peut déranger.
Les contemporains des pires atrocités de l’histoire se sont réfugiés derrière l’excuse qu’ils ne savaient pas ce qui se tramait. Aujourd’hui, on est informés. Qu’est-ce que ça y change?
L’avènement des chaînes-info démontre qu’aux atrocités qui continuent de plus belle s’ajoute désormais la honte du laisser-faire.
Pour en revenir à votre héros contemporain, comment se fait-il qu’il n’ait pas encore été jugé, alors qu’il est accusé de pédophilie depuis trois ans?
Dès que j’ai commencé à écrire ce livre, j’ai suivi des cas de personnes qui faisaient l’objet d’accusations semblables. Il y en a eu plusieurs dans le contexte de Balance ton porc. J’ai tout de suite pensé à ceux qui pouvaient être accusés à tort. Or, les procédures peuvent durer des années.
Par votre livre, avez-vous voulu militer en faveur de la présomption d’innocence?
Ça ne me paraît pas nécessaire du moment qu’elle est garantie juridiquement. Si j’ai voulu militer, c’est plutôt contre la lenteur des procédures. Tant que la personne n’est pas jugée, sa vie et celle de ses proches partent en lambeaux.
Qu’il s’agisse de l’empereur Maximien, du narrateur ou de Mauricius, l’enjeu est finalement toujours une question de réputation. La réputation est-elle ce qu’un homme a de plus précieux?
Oui, c’est peut-être la leçon à tirer. On court tous après notre réputation. Maximien est le vrai méchant de l’histoire, puisqu’on l’accuse d’avoir massacré 6600 innocents. Or, pendant que j’écrivais ce livre, on a découvert son tombeau à Milan en creusant une ligne de métro. C’est peut-être la victime de la plus longue calomnie de l’histoire.
381, Mauricius et le mystère de la légion thébaine, éd. Favre.
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