Culture / Devenir une meilleure version de soi-même
De jeunes garçons jouent dans les ruines, à Gaza, en 2009. © Al Jazeera English - CC BY-SA 2.0
En 2022, Anne-Sophie Subilia publie chez Zoé un roman intitulé «L’Epouse» qui a été en lice pour le prix Femina. Ce roman d'ambiance, très descriptif, se focalise sur un personnage désœuvré, à la fois effacé et très visible par sa différence culturelle et ses particularités vestimentaires, qui peine à trouver sa place à Gaza où son mari a été dépêché en tant que délégué humanitaire. Entretien.
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Qu’en avez-vous retenu que vous avez pu mettre en pratique dans ce roman?</strong></p> <p><strong>Marilou Rytz</strong>: Ce roman était mon travail de Bachelor et ce que l’institut m’a offert avant tout, c’est du temps. Mais il est évident que ça a aussi été un accélérateur de bénéficier des conseils de tous ces auteurs, par exemple Joseph Incardona qui soulignait tous les mots inutiles. Une fois qu’il les avait repérés, ça me paraissait évident. Ou Michel Layat m’a inculqué une certaine rigueur et aidée à avancer dans l’écriture à trois voix avant que j’en vienne à ramener ce roman initialement choral à un seul point de vue narratif.</p> <p><strong>Avant de vous lancer dans un roman, vous avez écrit plusieurs nouvelles et du théâtre. Quels sont les défis propres à chacun de ces genres littéraires?</strong></p> <p>Cette histoire a elle-même été testée d’abord sous forme de micro-pièce de théâtre, puis de récit à quatre voix. Il m’est finalement apparu que les autres personnages étaient plus intéressants en creux. Parce que c’est clairement autour d’un personnage que je construis ma narration pour un roman: en l’occurrence autour de Noah, dit le puceron, avec la problématique du mensonge et de la prison. La nouvelle en revanche s’articule plutôt autour d’une thématique, parce qu’on a moins de temps pour développer les personnages. Il faut les rendre très clairs en peu de lignes.</p> <p><strong>Qu’est-ce qui vous a inspiré l’envie de parler de la situation des proches de délinquants?</strong></p> <p>Une émission à la radio où Viviane Schekter de la fondation REPR (Relai Enfant Parents Romands) parlait des familles de détenus. La prison m’intéresse depuis longtemps, mais je n’avais jamais pensé à ce que la détention pouvait impliquer pour les familles. J’ai ensuite été bénévole pour Repère pendant des années au Bois-Mermet. 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J’avais beaucoup travaillé la voix de Noah: dans tous les ateliers d’écriture, j’essayais de faire parler un enfant. J’ai construit Oriane par antithèse en m’inspirant de la façon de parler des gens qui m’entourent. J’avais vingt-et-un ans à l’époque, j’étais encore assez proche de l’adolescence. J’ai aussi pris soin d’éviter un vocabulaire trop précisément daté. J’y ai plus réfléchi comme un souffle que comme une langue.</p> <p><strong>Et la logorrhée de l’enfant?</strong></p> <p>C’est comme une pelote qu’on déroule et qui part dans tous les sens sans jamais se censurer.</p> <p><strong>Pourquoi avoir choisi de fondre les dialogues dans la narration?</strong></p> <p>Les dialogues ont eu beaucoup de formes différentes. Dans les premières versions, j’étais dans cette idée de flux de pensée rendue sous forme de monoblocs avec des dialogues juste marqués par des tirets. Ensuite j’ai quand même ajouté des retours à la ligne, mais comme Oriane a de la peine à dire tout ce qu’elle pense, je trouvais intéressant de maintenant le flou entre dialogue et pensée, pour que le lecteur puisse se demander si elle l’a réellement dit ou juste pensé et si elle a été entendue. Ce qu’elle dit s’inscrit dans une continuité par rapport à son flux de pensée.</p> <p><strong>L’histoire se déroule dans un milieu social très modeste: est-ce que la précarité économique excuse en partie le dérapage du père?</strong></p> <p>Je ne pense pas qu’elle l’excuse, mais elle l’explique. J’avais quand même envie qu’il y ait d’autres solutions, par exemple solliciter l’aide de la grand-mère. Mais les alternatives sont maigres. Maintenant que j’ai travaillé comme assistance sociale, je développerais ces problématiques autrement. 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Cette femme prénommée Piper se caractérise par une passivité propice à la contemplation. Sa posture lui confère le recul nécessaire pour observer d'un œil critique l'activité de son mari et, peu à peu, s'impliquer à son tour. Par des actes à la fois vitaux et dérisoires.
L’histoire se déroule dans les années 70, mais en passant de Gaza à Israël, on a l’impression de changer d’époque. Anne-Sophie Subilia nous décrit par petites touches la pauvreté de cette bande de terre asphyxiée par la colonisation, les humiliations infligées à ses habitants sur les check-points et les deux armes de résistance que sont l’humour et la rébellion.
BPLT: Votre roman se situe à Gaza. Il foisonne de détails qui rendent bien l’ambiance et la vie sur place. Y avez-vous vécu ou du moins séjourné?
Anne-Sophie Subilia: Non, mais mes parents y ont séjourné un an et demi dans les années où je situe mon livre, à savoir en 74-75. Je me suis appuyée sur leurs récits et leur matériel photographique. Mon père était délégué du CICR, je suis donc partie d’un élément de l’histoire familiale. Ayant voyagé dans le Proche-Orient, le Moyen-Orient, j’ai des références qui m’aident pour la culture, les paysages, les éléments végétaux.
Votre personnage principal est une jeune Anglaise prénommée Piper qui accompagne son mari en mission humanitaire pour le CICR. Avez-vous déjà ressenti un choc culturel semblable à celui qu’elle éprouve?
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Vous avez donc fait sa connaissance à mesure que vous écriviez?
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Piper et davantage encore Hadj, son jardinier, se caractérisent par une extrême discrétion. Pourquoi avoir choisi des tempéraments si effacés pour les rôles principaux?
Je ne les ai pas choisis intentionnellement. Hadj ne pouvait pas être autrement, il s’est imposé comme un être relié à la dimension spirituelle, d’une force intérieure incroyable et d’une humilité rare. Par cette capacité de mettre son énergie au service du vivant sans obliger quiconque à le suivre, il incarne une sorte de modèle humain très vertueux et inspirant. La discrétion et l’humidité sont les qualités que j’aime le plus, elles suscitent un rayonnement perceptible à la ronde. Piper est d’abord une femme du monde avec des traits plus extravagants et égocentrés, mais quelque chose dans les soubassements de ces deux êtres les fait se rejoindre. Ils sont tous deux d’une grande perceptivité à ce qui les entoure.
Les animaux occupent une place très importante dans votre roman. Est-ce parce que la différence culturelle s’exprime notamment à travers le rapport aux bêtes?
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La condition de femme complique et entrave les interactions sociales. Est-ce pour cela que Piper est le plus souvent appelée la femme, plutôt que par son prénom?
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Au fil des pages, votre héroïne glisse très progressivement de la position d’observatrice neutre et passive à celle de témoin impliqué. Est-ce pour vous une manière de dénoncer des injustices en évitant l’écueil du militantisme?
Plus on est familier d’un endroit, plus les choses vont nous toucher. La lenteur de l’écriture et des scènes met en évidence le côté progressif. Au gré de quelques événements, une attache se crée, la femme perçoit le sort de quelques Palestiniens et va peu à peu se sentir prête à remonter ses manches. La naissance d’une affinité génère une poussée d’énergie. Avec l’orpheline, j’ai pu montrer ce que la femme est prête à donner viscéralement.
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Ce n’était pas volontaire, mais j’avais sans doute besoin de mettre en scène toute cette gent féminine et ce lien à la fertilité. En écrivant L’Epouse, j’étais enceinte, ça a certainement joué un rôle. Je voulais dire à quel point les femmes, souvent dans l’ombre, agissent comme un puissant moteur pour l’autre. Piper pousse son mari à donner le meilleur de lui.
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J’ai pas du tout pensé à ça. Par contre, le rapport à l’alcool, la manière dont il nous altère, est un thème qui m’intéresse. Dans les organisations humanitaires, l’alcool est une source de réconfort, un exutoire face à des réalités très difficiles.
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«L'Epouse», Anne-Sophie Subilia, Editions Zoé, 224 pages.
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