Culture / André Comte-Sponville: «Montaigne nous apprend à aimer la vie telle qu’elle est, imparfaite, mortelle»
Le philosophe André Comte-Sponville au Livre sur les Quais (Morges), en septembre 2020. © Indra Crittin
Montaigne était déjà présent dans ses précédentes œuvres. André Comte-Sponville, auteur d’«Impromptus» rappelant justement les «Essais», mais aussi du «Petit traité des grandes vertus» et d’une vingtaine d’autres ouvrages, publie ces jours-ci le Dictionnaire amoureux de Montaigne chez Plon. De passage à Morges pour le Livre sur les Quais, l’un des philosophes français actuels les plus lus et reconnus se prête à un riche entretien sur l’actualité de Montaigne. Mais aussi sur la nécessité, plus que jamais, de penser de manière critique, voire sceptique. Ses positions à contre-courant sur les mesures sanitaires ont été interprétées à tort et à travers. Place à une entrée en profondeur dans sa pensée.
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Le rectorat a négocié avec la faîtière d’étudiants un accord commun – incluant tous les étudiants et collaborateurs de l’université – portant sur la défense de valeurs fondamentales telles que la liberté académique, la liberté d’expression, le refus de la violence, etc. Mais le <a href="https://www.unige.ch/communication/communiques/2022/luniversite-et-ses-etudiant-es-reaffirment-les-valeurs-de-linstitution">communiqué de l’université</a> souffre d’une certaine ambiguïté:</p> <p>«Par cette déclaration commune, le rectorat et les étudiant-es replacent (…) le débat dans son contexte académique et souhaitent rappeler des principes essentiels: le respect dû aux personnes passant par la lutte contre toute forme de discrimination, notamment de genre, d’origine ou de classe; le refus de la violence sous toutes ses formes; le respect de la liberté académique dans la recherche et l’enseignement, <em>encadrée par les valeurs précitées</em><sup><strong>1</strong></sup>. 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Qui sont ces groupes désormais puissants dans les rapports de force idéologiques qui parcourent l’université et la société de manière générale (pour vous en convaincre, songez au fait qu’à Neuchâtel, les représentants des étudiants avaient réussi à ne faire comptabiliser que les réussites d’examens, et pas les échecs, en période de Covid)? 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Par comparaison, «l’Association Générale des Etudiant·e·s de l’Université de Fribourg» (AGEF) vit grâce à une cotisation obligatoire de 20 CHF pour tout étudiant, dont une bonne partie repart dans les sections de la faîtière (une section par département ou faculté). C’est à peu près la même chose à Neuchâtel, où tous les étudiants sont <em>de facto</em> membres de la «Fédération des étudiant·e·s neuchâtelois·e·s» (FEN) et paient ainsi une cotisation de 15 CHF, comprise dans la taxe d’étude. Si quelqu’un ne souhaite pas la payer, il doit démissionner par écrit de la faîtière.</p> <p>On part alors du principe que les faîtières en question doivent se sentir responsables de leur caractère représentatif vis-à-vis des étudiants qu’elles fédèrent. Mais pas besoin de trop gratter pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas vraiment du genre de la maison. La CUAE se définit sur son site comme «association faîtière et syndicat des étudiant.e.x.s de l’Université de Genève, et leur porte-parole auprès des autorités universitaires et politiques». Déjà, même s’il s’agit d’une volonté des individus qui composent la CUAE, son statut de syndicat pose question, dans la mesure où il reflète une certaine culture politique: n’y a-t-il pas incompatibilité entre cette nature de syndicat (unique en Suisse parmi les universités) et le fait de devoir représenter les étudiants dans leur diversité (y compris politique, diversité qu’on oublie souvent)?</p> <h3>Revendications politiques «si ça concerne les étudiants»</h3> <p>En partant de cette interrogation, on peut tirer un fil logique pour questionner les types de revendications portées par la CUAE et par leurs émules romandes. Si les représentants de toutes les autres faîtières estudiantines nous ont déclaré qu’ils condamnaient les moyens violents utilisés par les manifestants genevois pour faire entendre leur cause, ils sont également unanimes sur la limite que leurs associations se fixent concernant leurs revendications politiques. En effet, toutes les faîtières se donnent la compétence de prendre publiquement position «quand le sujet concerne les étudiants». Voici comment par exemple Guillaume Haas détaille le cas de l’AGEF, qu’il co-préside:</p> <p>«Notre grande différence avec la CUAE (Genève) est que l’AGEF (Fribourg) est représentée à tous les niveaux de l’université de Fribourg. Et quand je dis à tous les niveaux, c’est à tous les niveaux: au Sénat, qui est l’organe suprême de l’université, mais aussi dans la moindre des petites commissions. L’UniFR est l’une des universités les plus démocratiques d’Europe. 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Outre l’intégration des étudiants transgenres dans la forme des statuts de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES), les délégués de cette «faîtière des faîtières» ont par exemple traité d’une initiative populaire en assemblées des délégués, parce que la votation faisait courir un risque au programme ERASMUS, même si les étudiants n’étaient pas cités dans le texte. Rebelote avec la question de l’accord-cadre et HORIZON2020. Un ancien responsable de la FEN, la faîtière neuchâteloise, confie:</p> <p>«Peu de personnes s’engagent dans ces structures. Il y a eu des assemblées générales de la FEN où nous étions dix. 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Mais il est parfois utile de jeter un coup d’œil plus affuté sur les représentants que nous avons encore actuellement à Berne. Car la composition d’un législatif dit quelque chose de la sociologie politique d’un pays. Deux prismes sont choisis ici: la diversité d’idées parmi les élus de chaque parti ainsi que leur profil socio-professionnel. Deux entrées a priori indépendantes mais qui touchent néanmoins à un thème commun: le pluralisme, garant, selon beaucoup de théories, d’une certaine représentativité de la société dans sa diversité.</p> <h3>Le pluralisme des idées, un gros mot à gauche?</h3> <p>On parle toujours de «l’avis des partis» sur tel ou tel sujet. Certes, les diverses formations politiques, par les votes de leurs délégués lors des assemblées, adoptent des résolutions, des prises de position, etc. Mais on oublie souvent que les partis sont composés de personnes, dont les plus importantes politiquement, dans une démocratie représentative, sont les élus. 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Le résultat semble comme calqué sur les graphiques précédents (pluralisme des idées):</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1648117695_capturedcran2022032411.27.09.png" class="img-responsive img-fluid center " width="555" height="386" /></p> <h4><em>Observatoire des élites suisses (Obelis) de l’Université de Lausanne, graphique publié dans <i>Le Temps</i> le 24 octobre 2019.</em></h4> <p>Là encore, Olivier Meuwly sourit: «Il y a une contradiction évidente entre le fait de se proclamer le parti des prolétaires et de ne plus l’être depuis longtemps au niveau de ses représentants, comme d’une partie de ses électeurs d’ailleurs.» Il n’empêche, en théorie, rien ne défend à un professeur d’université de s’intéresser à la condition des ouvriers. Mais il faut noter toutes les fois où la gauche, dans notre pays, place au premier plan de ses revendications l’égalité des chances, la dignité de chaque individu, le fait que chacun puisse et doive s’engager en politique ou dans un conseil d’administration, etc. Il y a donc un paradoxe évident entre la forte présence de ces thèmes au niveau de la posture de la gauche et la réalité des origines socio-professionnelles au niveau de ses représentants.</p> <p>Encore une fois, il n’a pas été question ici d’évaluer positivement ou négativement une homogénéité d’opinions ou de parcours. Mais de pointer des faits et de les mettre en perspective avec le langage de la gauche. Cette famille de pensée, incontournable dans la vie politique suisse, devrait davantage se pencher sur ses paradoxes. «C’est une des conditions pour que la social-démocratie, prise dans ses contradictions internes, ne subisse pas une dégringolade à la française – moins violente, mais quand même. 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Bon Pour La Tête: Votre Dictionnaire amoureux de Montaigne nous rappelle que cet auteur pense comme il écrit. Et vu qu’il écrit comme il respire, il pense comme il respire. Il y a chez lui une interpénétration de la langue et de la pensée. Est-ce un lieu commun de le constater chez un auteur ou y a-t-il quelque chose de spécial chez Montaigne?
André Comte-Sponville: Je crois que Montaigne est très particulier à cet égard. En effet, il pense comme il respire, mais cela implique d’abord qu’il pense. Ce qui l’intéresse, ce sont les idées. En même temps, ce qui lui donne cette singularité, c’est que s’il est passionné par les idées, il ne croit à aucune d’entre elles. D’où cette liberté invraisemblable, à la fois de ton, mais aussi d’allure. Montaigne a le sens foncier de l’incertitude de tout, de la limitation de notre pouvoir de connaître. Bref, c’est un sceptique. Mais un sceptique qui aime les idées. C’est un vrai philosophe, mais sans doctrine, sans système. Non qu’il croie à n’importe quoi, mais il est toujours prêt à changer de point de vue et a continuellement l’impression qu’il peut se tromper. C’est ce qu’on appelle dans la philosophie contemporaine un faillibilisme: des choses sont plus vraisemblables que d’autres, mais rien n’est absolument certain. La pensée de Montaigne est toujours à distance de la pensée. C’est pourquoi ses Essais m’ont tellement marqué, moi qui ai commencé par être un penseur dogmatique au sens où Epicure, Spinoza et Descartes l’étaient: un philosophe qui pense que nous avons accès à des vérités absolument certaines.
Montaigne est-il relativiste?
Oui et non. Comme je le propose dans le Dictionnaire, il faut relativiser son relativisme. Il croirait volontiers qu’il y a une vérité absolue, mais qu’on ne peut pas la connaître. A la limite, il pourrait aller jusqu’à dire qu’il en va de même des valeurs: il y a une justice absolue, mais hors d’atteinte de notre esprit. Cela dit, Montaigne constate aussi que nulle part dans le monde, les gens approuvent la barbarie, les massacres, la trahison et la félonie. Il y a donc des données universelles, qui tiennent moins à une quelconque culture qu’à l’humanité elle-même. Montaigne est un universaliste et cela me paraît très important de le souligner. Les relativistes universalistes, c’est une rareté! Voilà pourquoi ce penseur me paraît précieux, encore plus à notre époque.
© Indra Crittin
Etre plus proche d'un modéré du camp adverse que d'un extrémiste de son propre camp
Montaigne est-il aussi éminemment actuel par sa conception de la tolérance, qui aujourd’hui commence à prendre des tours parfois étranges de soumission devant tout?
Oui, Montaigne écrit en substance que, certes, il ne hait personne, mais cela ne veut pas dire qu’il ne hait rien: il hait la haine, il hait l’intolérance, il hait le fanatisme, il hait la bêtise. Etre tolérant, est-ce tout tolérer? Montaigne répond bien sûr que non, parce qu’il y a de l’intolérable. Le combat pour la tolérance, ce n’est pas dire que tout se vaut. D’ailleurs Montaigne n’a cessé de combattre contre le fanatisme de son temps, aussi bien dans le camp catholique dont il était issu que dans le camp protestant. Au fond, être modéré, au sens où Montaigne l’était et où je tâche de l’être, c’est être plus proche d’un modéré du camp adverse que d’un extrémiste de son propre camp.
Dans votre essai sur Alain, les religions et la laïcité, «J’ai cru que c’était un homme», vous faites vôtre cette idée d’Alain que ce qu’il y avait de meilleur dans le catholicisme, ce n’est pas le catholicisme qui l’a porté, mais les Lumières. Tout cela est très montanien, au fond.
Absolument et Alain était un grand admirateur de Montaigne, d’ailleurs j’ai placé un article «Alain» dans mon Dictionnaire. J’aime beaucoup Alain et c’est la raison pour laquelle j’ai été attristé quand j’ai lu les textes antisémites de son Journal, qui ne représentent qu’une vingtaine de pages mais qui sont très tristes. C’est cette stupéfaction qui m’avait poussé à écrire ce petit essai. Ce que je trouve entre autres bouleversant, c’est qu’Alain a extrait du christianisme ce qu’il y a de meilleur en lui pour en faire le trésor de l’humanité. C’est vrai qu’il aurait pu se réclamer de Montaigne dans cette entreprise, mais à une différence près: Montaigne, au fond, préfère les Anciens. Le latin était sa langue maternelle et étrangement, il ne parle presque jamais des Evangiles.
A quel drôle de «je» la forme des Essais, proche de l’autoportrait, permet-elle de se livrer?
Montaigne lui-même écrit: «c’est moi que je peins». Or, effectivement, ce n’est pas une autobiographie et ce ne sont pas non plus des mémoires, ni un journal intime. Il n’y a aucune chronologie, c’est plutôt une diachronie d’ensemble par ailleurs assez troublante. Nous avons affaire à un autoportrait philosophique qui permet à Montaigne de parler de nous en parlant de lui. D’une part, parce que de sa propre formule, «chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition». D’autre part, parce que Montaigne est un génie. Il s'agit pour moi de l’un des deux plus grands écrivains français, avec Victor Hugo. Montaigne, c’est un génie de l’improvisation. «Quand on sait ce qu’on va dire, on écrit platement», écrivait Alain. C’est pour cela que nos universitaires écrivent si platement! Montaigne invente à la fois le fond et la forme. Son écriture est donc vivante. Le fond, c’est une pensée, et la forme, c’est une écriture incroyablement savoureuse, personnelle et spontanée. Hugo est plus impressionant dans la forme, mais Montaigne est un penseur, et surtout, Montaigne se livre, tandis que Hugo se cache. On ne peut pas le connaître autant que Montaigne. Quand je lis Hugo, j’ai l’impression de rencontrer un génie; quand je lis Montaigne, je rencontre un ami intime.
«que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait»
Montaigne nous invite aussi à accepter l’imperfection et à recevoir la vie avec tous ses aspects, y compris bien sûr la mort. Il montre par les actes que lucidité rime avec modestie. Notre époque serait-elle au contraire hautaine, refusant la perspective de la mort?
Oui. Cela me fait penser au titre d’un film de Michel Vianey que j’ai vu dans ma jeunesse, intitulé «Un type comme moi ne devrait jamais mourir». Eh bien, c’est en quelque sorte exactement ce que les Français, peut-être encore plus que les Suisses, sont en train de répéter à tue-tête en cette période de pandémie. Ce qui est étonnant, car tout le monde doit mourir! Montaigne, justement, nous invite à ne pas craindre la mort, de même qu’Epicure, et à aimer la vie. Il faut rappeler que le taux de létalité de la peste, qu’a connue Montaigne, était proche de 100%, et que celui de la Covid est de 0,5%. Montaigne, bien qu’ayant bien sûr fui l’épidémie, n’en a pas fait tout un plat. Ne pas aimer la vie par peur de la mort est une contradiction. «Je veux qu’on agisse», écrit au contraire Montaigne, «et qu’on allonge les offices de la vie tant qu’on peut, et que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait.» Il ne s’agit pas de dénier la mort, mais de l’accepter avec nonchalance. Tout est là! Montaigne nous apprend à aimer la vie telle qu’elle est, imparfaite, mortelle. Et à être libres.
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Je pense que ce souci de l’environnement est sain et que les jeunes ont raison de se soucier davantage de l’environnement que de la santé de leurs grands-parents. L’écologie est un problème beaucoup plus grand que la pandémie de Covid-19. Cela étant dit, ce n’est pas une raison pour accabler l’humanité de reproches. Je ne supporte plus le discours moralisateur et répressif. Nous sommes punis non pas par où nous avons péché, mais par où nous n’avons pas péché. Au fond, il est écrit dans la Bible (je suis athée, mais cela ne m’empêche pas de m’intéresser au texte après tout fondateur de notre civilisation): «Croissez et multipliez-vous». C’est ce que nous avons fait et, patatras, on découvre que la Terre ne peut pas le supporter. Or, on n’a jamais fait aussi peu d’enfants qu’aujourd’hui! Depuis deux cent mille ans, cela n’est jamais arrivé. C’est tout simplement parce que nos enfants ne meurent plus en bas âge. On ne va quand même pas reprocher à nos accoucheurs de se laver les mains avant de participer à l’accouchement, ce qui fait diminue la mortalité infantile! De même, cela ne me viendrait pas à l’idée de renoncer à avoir une salle de bains alors que ma grand-mère n’en avait pas. C’est ce qui s’appelle le progrès.
En France, est-il devenu compliqué de parler de progrès comme vous le faites?
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Le rectorat a négocié avec la faîtière d’étudiants un accord commun – incluant tous les étudiants et collaborateurs de l’université – portant sur la défense de valeurs fondamentales telles que la liberté académique, la liberté d’expression, le refus de la violence, etc. Mais le <a href="https://www.unige.ch/communication/communiques/2022/luniversite-et-ses-etudiant-es-reaffirment-les-valeurs-de-linstitution">communiqué de l’université</a> souffre d’une certaine ambiguïté:</p> <p>«Par cette déclaration commune, le rectorat et les étudiant-es replacent (…) le débat dans son contexte académique et souhaitent rappeler des principes essentiels: le respect dû aux personnes passant par la lutte contre toute forme de discrimination, notamment de genre, d’origine ou de classe; le refus de la violence sous toutes ses formes; le respect de la liberté académique dans la recherche et l’enseignement, <em>encadrée par les valeurs précitées</em><sup><strong>1</strong></sup>. 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Qui sont ces groupes désormais puissants dans les rapports de force idéologiques qui parcourent l’université et la société de manière générale (pour vous en convaincre, songez au fait qu’à Neuchâtel, les représentants des étudiants avaient réussi à ne faire comptabiliser que les réussites d’examens, et pas les échecs, en période de Covid)? 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Par comparaison, «l’Association Générale des Etudiant·e·s de l’Université de Fribourg» (AGEF) vit grâce à une cotisation obligatoire de 20 CHF pour tout étudiant, dont une bonne partie repart dans les sections de la faîtière (une section par département ou faculté). C’est à peu près la même chose à Neuchâtel, où tous les étudiants sont <em>de facto</em> membres de la «Fédération des étudiant·e·s neuchâtelois·e·s» (FEN) et paient ainsi une cotisation de 15 CHF, comprise dans la taxe d’étude. Si quelqu’un ne souhaite pas la payer, il doit démissionner par écrit de la faîtière.</p> <p>On part alors du principe que les faîtières en question doivent se sentir responsables de leur caractère représentatif vis-à-vis des étudiants qu’elles fédèrent. Mais pas besoin de trop gratter pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas vraiment du genre de la maison. La CUAE se définit sur son site comme «association faîtière et syndicat des étudiant.e.x.s de l’Université de Genève, et leur porte-parole auprès des autorités universitaires et politiques». Déjà, même s’il s’agit d’une volonté des individus qui composent la CUAE, son statut de syndicat pose question, dans la mesure où il reflète une certaine culture politique: n’y a-t-il pas incompatibilité entre cette nature de syndicat (unique en Suisse parmi les universités) et le fait de devoir représenter les étudiants dans leur diversité (y compris politique, diversité qu’on oublie souvent)?</p> <h3>Revendications politiques «si ça concerne les étudiants»</h3> <p>En partant de cette interrogation, on peut tirer un fil logique pour questionner les types de revendications portées par la CUAE et par leurs émules romandes. Si les représentants de toutes les autres faîtières estudiantines nous ont déclaré qu’ils condamnaient les moyens violents utilisés par les manifestants genevois pour faire entendre leur cause, ils sont également unanimes sur la limite que leurs associations se fixent concernant leurs revendications politiques. En effet, toutes les faîtières se donnent la compétence de prendre publiquement position «quand le sujet concerne les étudiants». Voici comment par exemple Guillaume Haas détaille le cas de l’AGEF, qu’il co-préside:</p> <p>«Notre grande différence avec la CUAE (Genève) est que l’AGEF (Fribourg) est représentée à tous les niveaux de l’université de Fribourg. Et quand je dis à tous les niveaux, c’est à tous les niveaux: au Sénat, qui est l’organe suprême de l’université, mais aussi dans la moindre des petites commissions. L’UniFR est l’une des universités les plus démocratiques d’Europe. C’est ce qui explique que l’AGEF ait peu de coups d’éclat, contrairement à nos camarades de la CUAE. Je ne leur en fait pas le reproche: c’est leur seul moyen de se faire entendre. Sur le plan des idées politiques, j’observe qu’il y a des personnes de tous bords à l’AGEF. Il y a des sensibilités différentes qui s’expriment lors de discussions sur les budgets et l’allocation des fonds, par exemple. Mais l’AGEF est apolitique: nous ne fonctionnons pas avec un système de représentants par partis. On ne parle que de politique quand le sujet concerne les étudiants.»</p> <p>Or, cela devient plus difficile à appliquer dans des exemples concrets. C’est que cette ligne de conduite a priori juste et inoffensive est on ne peut plus floue. A partir de combien d’étudiants concernés une affaire est censée «concerner les étudiants»? Outre l’intégration des étudiants transgenres dans la forme des statuts de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES), les délégués de cette «faîtière des faîtières» ont par exemple traité d’une initiative populaire en assemblées des délégués, parce que la votation faisait courir un risque au programme ERASMUS, même si les étudiants n’étaient pas cités dans le texte. Rebelote avec la question de l’accord-cadre et HORIZON2020. Un ancien responsable de la FEN, la faîtière neuchâteloise, confie:</p> <p>«Peu de personnes s’engagent dans ces structures. Il y a eu des assemblées générales de la FEN où nous étions dix. 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Un fait psychologique simple: quand la Fédération des Associations d’Etudiant-e-s-x (Lausanne) convoque une assemblée «ouverte à tou-x-te-s», un étudiant qui trouve cette graphie laide, contestable sur le fond, ridicule ou les trois à la fois se dira peut-être que le comité n’est sans doute pas si ouvert que cela à tout le monde, du moins pas aux idées qu’il défendrait s’il venait y parler en toute honnêteté.</p> <p>C’est un fait et non un commentaire, ni même une analyse: une idéologie radicale de gauche identitaire suinte du vocabulaire, du propos et des actions de la CUAE, comme de bien d’autres associations, y compris, mais dans une moindre mesure, les faîtières d’étudiants des autres universités. 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Mais il est parfois utile de jeter un coup d’œil plus affuté sur les représentants que nous avons encore actuellement à Berne. Car la composition d’un législatif dit quelque chose de la sociologie politique d’un pays. Deux prismes sont choisis ici: la diversité d’idées parmi les élus de chaque parti ainsi que leur profil socio-professionnel. Deux entrées a priori indépendantes mais qui touchent néanmoins à un thème commun: le pluralisme, garant, selon beaucoup de théories, d’une certaine représentativité de la société dans sa diversité.</p> <h3>Le pluralisme des idées, un gros mot à gauche?</h3> <p>On parle toujours de «l’avis des partis» sur tel ou tel sujet. Certes, les diverses formations politiques, par les votes de leurs délégués lors des assemblées, adoptent des résolutions, des prises de position, etc. Mais on oublie souvent que les partis sont composés de personnes, dont les plus importantes politiquement, dans une démocratie représentative, sont les élus. 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Sur la base des réponses, ces candidats sont classés selon un axe des abscisses «gauche-droite» et un axe des ordonnées «libéral-conservateur». Les résultats servent ensuite à générer des recommandations de vote pour tout citoyen qui participe à son tour au sondage.</p> <p>La première conclusion que l’on peut tirer des graphiques ci-dessus, c’est qu’il semble régner, au sein de l’Assemblée fédérale actuelle, un plus grand écart d’idées politiques au sein d’un parti de droite ou du centre qu’au sein d’un parti de gauche. On pourrait objecter, avec raison, que les critères «libéral» versus «conservateur» sont moins pertinents à gauche qu’à droite, et que l’écart observé verticalement sur le graphique est donc biaisé. Or, on remarque également une plus grande distance sur l’axe <i>horizontal</i> entre les points les plus éloignés d’un même parti de droite que ceux d’un même parti de gauche. Ce qui signifie bien qu’il y a plus de différences entre les ailes gauche et droite d’un parti de droite (ou du centre) qu’entre les ailes gauche et droite d’un parti de gauche. Fait éclairant, le constat peut être vérifié avec d’autres élections sur le site de Smartvote, par exemple l’actuel scrutin vaudois.</p> <p>Interrogé sur ces données, l’historien et juriste Olivier Meuwly, membre du PLR, prêche d’abord pour sa paroisse: «Le pluralisme des idées est une vertu sur le plan intellectuel». Mais il nuance aussitôt: «Cela peut être aussi un facteur de confusion ou de division sur le plan électoral.» Historiquement, les libéraux-radicaux ont toujours eu cette caractéristique, explique le spécialiste. Une caractéristique qu’il juge donc neutre: les partis de droite n’en ressortent pas plus légitimes. Il constate en revanche un écart entre le discours de gauche et la réalité de son corps d’élus: «La pluralité et la tolérance, brandies si souvent par le PS et les Verts, sont bien plus présentes chez leurs adversaires dans les faits. On le constate aussi dans des débats de société actuels, avec par exemple le courant woke de la gauche qui souhaite restreindre la liberté d’expression, censurer des œuvres, interdire certaines discussions, etc.»</p> <h3>La diversité des profils socio-professionnels, un atout? </h3> <p>La discussion devient encore plus intéressante quand on se penche sur un autre schéma: celui de l’observatoire des élites suisses (OBELIS), de l’Université de Lausanne, représentant le profil socio-professionnel des politiciens actuellement sous la Coupole. Ceux-ci sont répertoriés selon la distinction «ayant suivi des hautes études - n’ayant pas suivi de hautes études». Le résultat semble comme calqué sur les graphiques précédents (pluralisme des idées):</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1648117695_capturedcran2022032411.27.09.png" class="img-responsive img-fluid center " width="555" height="386" /></p> <h4><em>Observatoire des élites suisses (Obelis) de l’Université de Lausanne, graphique publié dans <i>Le Temps</i> le 24 octobre 2019.</em></h4> <p>Là encore, Olivier Meuwly sourit: «Il y a une contradiction évidente entre le fait de se proclamer le parti des prolétaires et de ne plus l’être depuis longtemps au niveau de ses représentants, comme d’une partie de ses électeurs d’ailleurs.» Il n’empêche, en théorie, rien ne défend à un professeur d’université de s’intéresser à la condition des ouvriers. Mais il faut noter toutes les fois où la gauche, dans notre pays, place au premier plan de ses revendications l’égalité des chances, la dignité de chaque individu, le fait que chacun puisse et doive s’engager en politique ou dans un conseil d’administration, etc. Il y a donc un paradoxe évident entre la forte présence de ces thèmes au niveau de la posture de la gauche et la réalité des origines socio-professionnelles au niveau de ses représentants.</p> <p>Encore une fois, il n’a pas été question ici d’évaluer positivement ou négativement une homogénéité d’opinions ou de parcours. Mais de pointer des faits et de les mettre en perspective avec le langage de la gauche. Cette famille de pensée, incontournable dans la vie politique suisse, devrait davantage se pencher sur ses paradoxes. «C’est une des conditions pour que la social-démocratie, prise dans ses contradictions internes, ne subisse pas une dégringolade à la française – moins violente, mais quand même. Le PS a connu récemment des défaites électorales à Zurich et à Fribourg. Le deuxième tour dans le Canton de Vaud sera un bon test», conclut Olivier Meuwly, pour qui rien n’est encore écrit.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-partis-de-droite-sont-plus-diversifies-que-les-partis-de-gauche', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 551, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 2374, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 7395, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'André Comte-Sponville © Indra Crittin pour BPLT-1_vignette.jpg', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 1302372, 'md5' => '91cf4517c78d84d74297d5021b6cbb69', 'width' => (int) 3523, 'height' => (int) 2349, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Le philosophe André Comte-Sponville au Livre sur les Quais (Morges), en septembre 2020.', 'author' => '', 'copyright' => '© Indra Crittin', 'path' => '1599575818_andrcomtesponvilleindracrittinpourbplt1_vignette.jpg', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 3044, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Bravo à Jonas Follonier pour cet entretien avec ce philosophe. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Benchmark 14.09.2020 | 10h03
«Bravo à Jonas Follonier pour cet entretien avec ce philosophe. Dommage que je n'ai pu suivre son interview le dimanche mation dans les jardins du parc de l'indépendance. Défendu de le filmer selon une membre du staff
Désolant. »
@Jonas Follonier 20.09.2020 | 19h24
«Merci @Benchmark»