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Chronique / Soulages, au-delà du noir


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Rares sont les artistes qui, de leur vivant, ont vu leurs œuvres exposées au Louvre et plus rares encore ceux à qui le musée consacra une rétrospective. Ce fut le cas seulement de Braque en 1961, deux ans avant sa disparition. Et de Picasso, en 1971, lors de ses 90 ans. L’exposition, qui se tint dans la Grande Galerie, dura 10 jours et le public put la visiter gratuitement. Alors qu’approche son centième anniversaire, c’est Pierre Soulages qui, dans quelques jours, va avoir les honneurs du Louvre avec une rétrospective dans le Salon Carré.



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A deux reprises, il m’a été donné de rencontrer Pierre Soulages. C’était chez Alice Pauli, sa galeriste lausannoise. La première fois en 2000. J’avais pris rendez-vous pour une interview. Nous avions longuement parlé de cette quête incessante de la lumière qu’est son œuvre. De cette aurore boréale qui semble sourdre directement du noir – ou plutôt des noirs – du tableau. Et qui se tient comme en avant. «Très exactement entre le tableau et le spectateur», m’avait expliqué Soulages, jamais lassé de parler de son travail. A côté de séries d’œuvres striées, scandées de fentes blanches, persiennes ouvertes sur l’en-deçà, il y avait également une toile ourlée, celle-là, d’un mince liseré bleu. Et je pensais à ce qu’écrit Jaccottet dans A la lumière d’hiver:«laper cette lumière qui ne s’éteint pas la nuit / mais seulement se couvre d’ombre, à peine.» 

Catalogue de l’exposition Soulages, Galerie Alice Pauli, 2012 © Coll. R. Aubert

Lorsque que nous nous revîmes, toujours chez Pauli, 12 ans s’étaient écoulés. A cause de la foule qui se pressait dans la galerie en ce jour de vernissage, il faisait très chaud, mais Pierre Soulages semblait n’en avoir cure. Toujours courtois, il avait un mot pour chacun. Comme je lui rappelais notre première rencontre et lui expliquais que le noir représentait pour moi un univers familier, du fait de l’œuvre de mon père, graveur, il me demanda tout à trac: «Bois de bout ou bois de fil?» – les deux techniques de la xylographie. Cet instant je ne suis pas prêt de l’oublier non plus que notre première conversation.  

«Le plus grand peintre», le «dernier des grands maîtres», ces expressions, comme on le sait, ont beaucoup servi et sont appliquées à tout va à nombre d’artistes qui bien souvent ne le méritent pas. Soulages pourrait bien être l’exception, car s’il est une figure majeure de l’art de notre temps, c’est bien le «peintre du noir et de la lumière». Le public d’ailleurs ne s’y trompe pas, qui se déplace en masse à Rodez, au musée dédié à l’artiste qui, en à peine 5 ans, a accueilli près de 900 000 visiteurs! Pourquoi pareil engouement? C’est que peut-être, obscurément, ce même public se reconnaît dans la quête de Soulages. Celle d’un sens à travers l’art, au-delà même de l’art, comme l’explique Michaël de Saint Cheron dans un livre inspiré paru il y a quelques jours, Soulages D’une rive à l’autre.      

Sa rencontre avec l’artiste compte parmi celles, dit-il, qui marquent une vie, comme ce fut le cas de Chagall, Levinas et bien sûr Malraux – Michaël est à l’origine du premier Dictionnaire Malraux (CNRS, 2011), ouvrage auquel j’ai eu l’honneur de collaborer. La mention de ces 3 noms n’est pas innocente. Chagall, c’est le coloriste, le peintre habité du message biblique, Levinas, le philosophe de l’éthique après la Catastrophe, Malraux, l’écrivain de la fraternité des cultures. Or, on ne le sait pas toujours, si le premier choc artistique dans la vie de Soulages fut la découverte en 1930 de l’abbaye de Conques, dont il réalisa plus tard les vitraux, le second se produisit à la lecture, durant la guerre, d’un article dans le magazine nazi Signal consacré à l’art dégénéré qui lui révéla Mondrian, Kandinsky, l’art abstrait. Soulages avait trouvé sa vocation. Il serait toujours de ce côté-là de l’art

Abbaye de Conques, vitraux de Pierre Soulages © Coll. part.

«Ce qu'exprime la peinture de Soulages avec une rare puissance, c'est l'homme»

C’est en 1984, dans l’appartement parisien de Léopold Sédar Senghor, le premier Président du Sénégal, le poète de la négritude, que Michaël de Saint-Cheron vit pour la première fois une œuvre de Soulages. Un grand idéogramme bleu qu’il retrouvera plus tard reproduit sur une affiche du musée de Dakar ouvert par Senghor en 1966 et qui avait accueilli en 1974 une exposition du peintre. Pour le poète d’Hosties noires, il y a en effet une proximité évidente entre l’œuvre de Soulages et l’art africain. «Ce qu’exprime la peinture de Soulages avec une rare puissance, c’est l’homme, dit-il lors de l’inauguration de l’exposition de Dakar, discours intégralement reproduit dans le livre. L’homme saisi par l’une de ces forces vitales qui meuvent l’univers.» Propos à mettre en relation avec ce que Soulages affirme lui-même de sa peinture et du sacré, «le sacré n’implique pas le divin (…) c’est quelque chose qui nous habite. Il appartient à l’homme.» 

Jusqu’à présent je n’ai pas encore parlé d’Outrenoir. Ce concept dont use l’artiste à propos de sa peinture à partir de 1979. Ou plutôt il n’a été question que de cela. L’Outrenoir c’est ce qui constitue l’essence même de son œuvre. Non pas le noir, mais la lumière, «la lumière réfléchie par le noir.» Ce qui nous amène à l’autre versant du travail de l’artiste de Rodez, certainement aussi décisif que sa peinture, les vitraux, notamment ceux de Conques. Il en est longuement question dans le livre de Michaël de Saint-Cheron. Soulages réinvente, dit-il,«la lumière dans sa fusion avec le verre.» Ses vitraux représentent «une épure de sa peinture.» 

Dernier aspect de l’œuvre de Soulages qu’il faut évoquer ici: sa relation avec l’Orient et singulièrement le Japon, sur lequel revient Matthieu Séguéla, spécialiste de la culture nippone, dans la seconde partie du livre. Il y a bien sûr une dimension idéographique dans certains des tableaux de l’artiste, qui envisagea même de donner pour titre à l’une de ses expositions Hake-me, ce qui veut dire «Traces du pinceau.» Mais le point de contact le plus évident entre l’art de Soulages et le Japon, c’est encore le vase réalisé sur ses indications par la Manufacture de Sèvres en 2000. Commande du Président Jacques Chirac, dont on sait l’attraction qu’exerçait sur lui l’Asie, pour l’association nippone de Sumo. Sa surface striée comporte en son centre un disque d’or fin, qui laisse entrevoir une lueur éblouissante, comme venue de l’intérieur même du vase. A l’image d’Amaterasu, la déesse du Soleil sortant de sa caverne. La lumière, toujours et encore.

Pierre Soulages, vase, porcelaine dure, Manufacture de Sèvres, réédition 2005 © Photo R.A. 


Michaël de Saint-Cheron, Matthieu Séguéla, Soulages D'une rive à l'autre, Actes Sud, 2019.

Exposition «Soulages au Louvre»,  Paris, musée du Louvre, 11 décembre - 20 mars.


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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@willoft 07.12.2019 | 18h12

«C'est bien Soulages, tellement bien que ça me soulage de la coterie "moderniste" esposant les Hodler (grand artiste) de l'ami Blocher à corps et à cris médiatiques, chez nos amis valaisans vivant encore au XXIème hahahah!»


@coxor 08.12.2019 | 21h26

«Article tres éclairant, merci !»


@gwperrin 17.01.2020 | 20h34

«GWPerrin
"Bois de bout" ou bois debout?
»