Chronique / Le journaliste le plus suivi et le plus controversé
François Mauriac chez lui en 1933 préparant son discours d'entrée à l'Académie française. © Agence Meurisse
Vous ne sauriez croire comme c’est merveilleux de finir sa vie comme journaliste. Grâce au journalisme, je suis encore dans la vie. Sans le journalisme je serais, comme tant d’hommes de mon âge, sur une voie de garage.» Ces propos, tenus devant la presse étrangère à Paris en 1963, sont de François Mauriac. Depuis dix ans, le romancier s’est mué en chroniqueur incisif de la vie politique au fil de ses fameux Bloc-Notes – ils viennent d’être réédités. De Gaulle, qui, comme Mauriac, disparaîtra en 1970, n’a pas alors de plus sûr soutien. Tandis que pour l’écrivain, ce nouveau rôle s’apparente à une seconde carrière, sinon une seconde vie.
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J’y ai été émerveillé par la lumière d’une façon tout à fait inattendue et féconde pour ce que j’ai écrit. Essayant de comprendre d’où venait cette émotion et cette exaltation que j’éprouvais devant certains paysages, je me suis aperçu que parfois, à certains moments, la lumière semblait absorber par exemple les montagnes. Et si j’étais émerveillé, logiquement il n’y avait aucune raison de l’être plus par cela que par autre chose, mais j’avais là une image, une métaphore, précisément de cet effacement des obstacles. Tentation que l’on a toujours si l’on est hanté par la mort, l’obstacle majeur. Eh bien, devant de tels paysages, on est porté à s’imaginer que même celui-ci pourra être franchi par une tension plus grande du regard ou par un détachement du monde. Donc l’issue, dont vous parlez, pourrait être, à certains moments, cela. 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On a beaucoup glosé sur ce que répondit Baudelaire en 1865 à une lettre du peintre alors attaqué de toute part – deux ans auparavant, son<i> Déjeuner sur l’herbe</i>, exposé à la requête de Napoléon III parmi les «refusés», a choqué tout comme son <i>Olympia </i>(voir ci-dessus). «Vous n’êtes, lui écrit alors Baudelaire, que le premier dans la décrépitude de votre art.» Dans cette réflexion, on peut naturellement voir – en apparence – une condamnation de l’art de l’époque dominé par Manet. Mais c’est méconnaître Baudelaire, grand admirateur notamment des eaux-fortes de l’artiste qu’il compare à Goya. Il faut plutôt comprendre la remarque dans toute son ironie. Avec à l’esprit les critiques des bienpensants, de tous les philistins pour qui le progrès consonne nécessairement avec décadence et l’art qui s’y réfère avec décrépitude. En ce sens-là, Manet est bien le plus grand artiste de son temps.</p> <p>Le peintre et le poète se sont connus très tôt. 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Souvent, il y a plusieurs éditions quotidiennes et entre les journaux, la lutte est vive, sinon féroce. Ce qui ne va pas parfois sans dérapage ni bidonnage – on parlerait aujourd’hui de <i>fake news</i>. Comme ce 10 mai 1927, lorsque le vénérable quotidien <i>La Presse</i> croit pouvoir annoncer avant tous ses concurrents: «Nungesser et Coli ont réussi. Les émouvantes étapes du grand raid. A 5 heures arrivée à New York.» </p> <p>Toujours en une du journal, on lit: «Lorsque l’avion de Nungesser apparut au-dessus de la rade de New York, le commandant Foullois, chef de l’aviation maritime de chasse, s’était porté à son devant avec une escadrille et, dès que l’avion fut en vue, les sirènes des bateaux mugirent et les bâtiments hissèrent le pavillon.» La vérité est que Nungesser et Coli n’ont jamais atteint New York, disparaissant corps et biens. Aujourd’hui, on estime que les deux hommes sont bel et bien parvenus à traverser l’Atlantique, atteignant Saint-Pierre-et-Miquelon où ils auraient tenté d’amerrir. En vain. L’annonce, quelques jours plus tard, de leur disparition, causa une intense émotion. Entraînant par contre-coup la désaffection du public à l’égard du journal fondé par Emile de Girardin, qui jamais ne s’en releva.</p> <p>Toujours dans l’intention de prendre l’avantage sur leurs concurrents, les grands journaux se disputent les meilleures plumes du moment. Et de solliciter tout naturellement les écrivains et écrivaines en vogue. L’un des plus populaires est Pierre Benoit. Le romancier à succès de <i>L’Atlantide </i>et de <i>La Châtelaine du Liban</i> – le premier titre publié par le Livre de poche à son lancement en 1953, on ne le sait pas toujours ou on l’a oublié, est <i>Koenigsmark</i>. Voilà qui dit bien l’aura entourant alors son auteur. 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Aux côtés des mécaniciens, dans les entrailles du navire. </p> <h3>La capitale flottante ne bouge pas plus que Paris ou Londres ne vibrent</h3> <p>Colette a déjà une longue pratique du journalisme. Durant toute sa carrière elle rédigera plus d’un millier d’articles sur la mode, le théâtre, le tourisme, l’amour, que sais-je encore? Et collaborera à une centaine de titres, dont <i>Le Journal</i> où elle écrit depuis 1933. C’est donc tout naturellement elle qui couvrira la croisière inaugurale du<i> Normandie. </i>«Ce paquebot, note-t-elle dans son premier article, qui n’est que succulence, crème fraîche, fruits fermes, pain croustillant et quelle table!» Car bien évidemment Colette, on n’est pas bourguignonne pour rien, se délecte en connaisseuse de la cuisine du bord. 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Tandis que le <i>Normandie</i> se rapproche de son but et s’apprête à conquérir le ruban bleu récompensant la traversée la plus rapide, le cabinet Flandrin a été renversé. «Hier, formidable éclat de rire d’un bout à l’autre des huit ponts de la* <i>Normandie, </i>écrit Farrère.<i></i>La TSF s’est fort gracieusement moquée de nous tous, tant que nous sommes, sans la moindre malice d’ailleurs en annonçant que le maréchal Pétain était ministre de la Marine!» </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1613215936_coletteborddunormandie.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="536" height="554" /></p> <h4 style="text-align: center;">Colette (au milieu) à bord du <i>Normandie</i> © Coll. part. </h4> <p>Et Blaise Cendrars, me demanderez-vous? Sitôt embarqué, il s’est enfoncé dans le ventre du navire. Chacun de ses articles sera un hymne à la technique, aux machines et aux hommes qui les servent. «Poussant une lourde porte où je faillis être renversé par un courant d’air, je débouchai dans la salle des dynamos bruissante, ronflante et toute remplie d’un rythme continu, qui est le seul témoignage de la Force invisible, car nulle part on ne voit tourner une roue ni travailler une bielle (…) Quand j’arrive sur la passerelle, le balcon de fer bien astiqué qui domine la centrale électrique et qui est le poste de commande de toute cette machinerie automatique, l’humble correspondant de <i>Paris-Soir</i> que je suis est reçu fraternellement et, oserais-je le dire, avec gratitude, par les officiers mécaniciens.» C’est à peine si durant les jours suivant, l’écrivain quittera leur compagnie. </p> <p>Le 4 juin, à l’arrivée à New York, Cendrars rejoint tout de même ses collègues sur le pont pour assister à la «marche triomphale» du <i>Normandie</i>. «Jamais plus nous ne reverrons cela, jamais plus nous ne l’oublierons», écrit Colette. «New York, note de son côté Cendrars, est la ville la plus jeune, la plus moderne, la plus enthousiaste, mais aussi la plus généreuse du monde. 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1952, l’année du Prix Nobel attribué à François Mauriac. La seule couronne qui manquait encore à son front après le Grand Prix de l’Académie française et l’entrée triomphale sous la Coupole en 1933, à l’âge de quarante-huit ans. Il est alors l’un des plus jeunes académiciens comme plus tard un certain d’Ormesson. Et tout, à l’instar encore de ce dernier, semble lui réussir. Jusqu’à ce cancer de la gorge qu’il a vaincu et qui lui vaudra cette voix murmurée, indissociable désormais de son personnage aux apparences faussement fragiles.
Malagar où François Mauriac a écrit tant de Bloc-Notes. Saisie d’écran.
Très tôt, Mauriac est un écrivain choyé et ses romans, Le Désert de l'amour, Thérèse Desqueyroux, Le Nœud de vipères, Le Mystère Frontenac, connaissent un immense succès. Certes sont-ils d’un bourgeois, de province de surcroît, de Bordeaux, mais leur auteur n’a de cesse de retourner sa plume contre son milieu pour en fustiger l’étroitesse et l’hypocrisie. Ils sont aussi, autre tare diront les mauvaises langues, d’un catholique, mais, bien loin de représenter des modèles de piété, ils disent au contraire les tourments de l’âme et les tiraillements de la chair. Ainsi Thérèse, l’héroïne de son roman le plus célèbre peut-être, incarne-t-elle la passion dévorante et son modèle véritable, plus encore que les protagonistes de faits divers qui l’ont inspiré, c’est Phèdre. «Mais où, cher Maître, lui demanda un jour une admiratrice, allez-vous chercher toute cette noirceur? – Mais en moi, Madame, en moi!»
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Au début de la guerre d’Espagne, question de milieu et peut-être aussi d’atavisme religieux, Mauriac soutient tout naturellement les nationalistes. Mais la tragédie de Guernica lui ouvre les yeux. Et il rejoint bientôt le camp républicain, dont il prend la défense à Temps présent et à Sept, dont l’un des rédacteurs n’est autre que le futur porte-parole de la France libre, Maurice Schumann. Il écrit aussi – déjà! – dans Le Figaro, au risque d’en froisser les lecteurs qui sont tous de sa classe. Mais justement. Il est des leurs, et c’est un atout pour dénoncer l’aveuglement de cette même droite face à Hitler et au fascisme.
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Couverture de l’édition clandestine du Cahier Noir, 1943.
Mais revenons à 1952, année du Nobel.
A peine arrivé à Stockholm, François Mauriac apprend par l’ambassadeur de France que des émeutes réprimées dans le sang ont éclaté au Maroc, encore protectorat français. Pour l’écrivain, il y a un devoir moral à agir. «J’ai alors eu le sentiment, expliquera-t-il, que ce prix Nobel, je devais en quelque sorte le jeter dans la mêlée.» Son indignation, Mauriac va l’exprimer dans Le Figaro ainsi que dans La Table ronde où, pour la première fois le titre Bloc-Notes, apparaît. Mais il n’y reste pas longtemps. Non plus qu’au Figaro. Mauriac opte pour un tout jeune hebdomadaire, L’Express, lancé quelques mois plus tôt par Jean-Jacques-Servant Schreiber et Françoise Giroud. Son premier Bloc-Notes paraît le 18 mars 1954, avec cette note de la rédaction: «M. François Mauriac est devenu le journaliste français le plus suivi et le plus controversé. L’Express est fier d’avoir pu s’assurer la publication régulière des notes où le grand écrivain catholique commente librement et avec le courage que l’on sait les événements de l’actualité littéraire et politique.» Dans ce premier Bloc-Notes, Mauriac écrit: «En politique, ce qui crève les yeux de tous, c’est le jeu qui se joue ouvertement, sans vergogne. Un très petit nombre d’hommes sont dans le coup, se passent le ballon, et même s’ils se haïssent, restent complice.» Le ton est donné.
Le premier des nôtres
La grande affaire alors de ces années-là, c’est bien sûr la décolonisation, mais aussi, et qui va de pair, ce qu’on va appeler les événements d’Algérie. Contre les gens du Figaro, Mauriac a soutenu sans réserve Pierre Mendès France; il va faire de même avec de Gaulle, au risque de heurter la rédaction de L’Express. Et d’appeler, semaine après semaine, au retour du «Premier des nôtres.» Ce qui ne va pas sans trouble parfois, ainsi qu’il l’exprime dans l’étonnant Bloc-Notes du 29 mai 1958 en forme de dialogue avec lui-même, sinon d’examen de conscience: «Appelez-vous encore le général de Gaulle? – Mes sentiments n’ont pas changé, ni ma confiance ne s’est altérée. Je sais qui il est (…) A partir du jour où il incarnera l’Etat, il faudra bien pourtant que ceux qui se réclament de son nom lui obéissent.» Et Mauriac de se comparer au Petit Poucet qui, perdu, aperçoit une lumière: «Oui, mais cette lumière, c’était la maison de l’ogre. – Ce n’est pas toujours la maison de l’ogre.» Jusqu’au bout, Mauriac restera fidèle à de Gaulle. «Ce grand seigneur de l’Occident (…) qui a pour patrie moins la France elle-même que son histoire. Nous l’aimons pour cela, nous qui l’aimons.» Et quand la rédaction de L’Express qualifiera l’homme du 18 juin de «canaille», allant jusqu’à le comparer à Pétain, c’en est trop pour le chroniqueur qui, en 1961, rompt avec l’hebdomadaire. Désormais, le Bloc-Notes sera publié dans Le Figaro littéraire – le dernier paraîtra quelques semaines seulement avant le décès de l’écrivain.
François Mauriac, vers 1950 © Coll. part.
Tout comme ses traits d’humour, qui faisaient les délices de ceux qui le fréquentaient, Mauriac pouvait avoir la plume assassine – « Et encore vous ne savez pas tout ce que je biffe! » Ainsi, à propos des candidats aux élections de 1967 dont un certain Valéry Giscard d’Estaing: «Le plus jeune ministre des Finances de tous les temps est obligé de ralentir, de faire du surplace pour ne pas arriver trop tôt, pour ne pas être obligé de s’assoir sur les marches du perron de l’Elysée. Que c’est beau à voir, l’héritier d’une grande dynastie bourgeoise!» Tout cela écrit sept ans avant son élection à la présidence de la République!
Mais le Bloc-Notes n’est pas qu’une chronique politique, il est aussi un Journal qui nous parle de la vie, des bonheurs et des regrets de son auteur. Comme cette notation d’octobre 1958 prise par Mauriac alors qu’il s’apprête à quitter son cher Malagar – son domaine viticole en Gironde où il effectuait de longs séjours: «Des oiseaux voyageurs que je ne vois pas s’appellent et s’affairent. Le rêve serait de m’attarder comme eux, de demeurer sur ma terrasse aussi longtemps que l’automne y demeurera dans sa gloire ardente et voilée. Il faudrait s’en remettre comme les oiseaux de passage à la loi des vents et de la nue. Mais non, c’est mieux de partir avant la satiété, de s’arracher à ce qu’on aime. Et je songe déjà à ce jour du premier printemps où le bruit de mes pas réveillera la maison endormie.»
François Mauriac, Le Bloc-Notes 1952-1962, Laffont/ Mollat «Bouquins», 2020.
François Mauriac, Le Bloc-Notes 1963-1970, Laffont/ Mollat «Bouquins», 2020
Lien internet: Mauriac à propos du Bloc-Notes
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Jusqu’à ce cancer de la gorge qu’il a vaincu et qui lui vaudra cette voix murmurée, indissociable désormais de son personnage aux apparences faussement fragiles. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1599913880_malagar.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Malagar où François Mauriac a écrit tant de Bloc-Notes. Saisie d’écran.</h4> <p>Très tôt, Mauriac est un écrivain choyé et ses romans, <em>Le Désert de l'amour</em>, <em>Thérèse Desqueyroux</em>, <em>Le Nœud de vipères</em>, <em>Le Mystère Frontenac</em>, connaissent un immense succès. Certes sont-ils d’un bourgeois, de province de surcroît, de Bordeaux, mais leur auteur n’a de cesse de retourner sa plume contre son milieu pour en fustiger l’étroitesse et l’hypocrisie. Ils sont aussi, autre tare diront les mauvaises langues, d’un catholique, mais, bien loin de représenter des modèles de piété, ils disent au contraire les tourments de l’âme et les tiraillements de la chair. Ainsi Thérèse, l’héroïne de son roman le plus célèbre peut-être, incarne-t-elle la passion dévorante et son modèle véritable, plus encore que les protagonistes de faits divers qui l’ont inspiré, c’est Phèdre. «Mais où, cher Maître, lui demanda un jour une admiratrice, allez-vous chercher toute cette noirceur? – Mais en moi, Madame, en moi!» </p> <p>Evoquant ses engagements, Mauriac dira,«<em>je suis né du mauvais côté</em>.» Entendez: ce milieu provincial conservateur, abonné à <em>L’Action française</em> et au <em>Gaulois</em>, où le romancier donne ses premiers articles. Car il a très tôt écrit pour la presse, s’exerçant d’une certaine manière à ce qui deviendra le <em>Bloc-Notes</em>.</p> <p>Au début de la guerre d’Espagne, question de milieu et peut-être aussi d’atavisme religieux, Mauriac soutient tout naturellement les nationalistes. Mais la tragédie de Guernica lui ouvre les yeux. Et il rejoint bientôt le camp républicain, dont il prend la défense à <em>Temps présent</em> et à <em>Sept</em>, dont l’un des rédacteurs n’est autre que le futur porte-parole de la France libre, Maurice Schumann. Il écrit aussi – déjà! – dans <em>Le Figaro</em>, au risque d’en froisser les lecteurs qui sont tous de sa classe. Mais justement. Il est des leurs, et c’est un atout pour dénoncer l’aveuglement de cette même droite face à Hitler et au fascisme. </p> <p>Après l’armistice, il veut croire que Pétain peut être l’homme du salut. Il l’écrit. Mais un mois après, il exprime déjà son inquiétude et appelle à «Ne pas se renier.» Entre Vichy et Londres, l’écrivain a choisi. Et c’est aux <em>Lettres françaises clandestines</em> qu’il va donner ses articles et aux Editions de Minuit, <em>Le Cahier noir</em>, publié sous le nom de Forez en 1943. Violente charge contre la politique de collaboration: «Nous sommes de ceux qui croient que l'homme échappe à la loi de l'entre-dévorement, et non seulement qu'il y échappe, mais que toute sa dignité tient dans la résistance qu'il lui oppose de tout son cœur et de tout son esprit.» Des lignes, reconnaissons-le, qui n’ont pas pris une ride. Avec d’autres membres du Conseil national des écrivains, il est attaqué par la presse de Vichy et à plusieurs reprises, il doit se réfugier chez des amis. Au moment de l’épuration, Mauriac n’en demandera pas moins la grâce de Robert Brasillach condamné à mort. 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Mauriac opte pour un tout jeune hebdomadaire, <em>L’Express</em>, lancé quelques mois plus tôt par Jean-Jacques-Servant Schreiber et Françoise Giroud. Son premier Bloc-Notes paraît le 18 mars 1954, avec cette note de la rédaction: «M. François Mauriac est devenu le journaliste français le plus suivi et le plus controversé. <em>L’Express</em> est fier d’avoir pu s’assurer la publication régulière des notes où le grand écrivain catholique commente librement et avec le courage que l’on sait les événements de l’actualité littéraire et politique.» Dans ce premier Bloc-Notes, Mauriac écrit: «En politique, ce qui crève les yeux de tous, c’est le jeu qui se joue ouvertement, sans vergogne. 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Je sais qui il est (…) A partir du jour où il incarnera l’Etat, il faudra bien pourtant que ceux qui se réclament de son nom lui obéissent.» Et Mauriac de se comparer au Petit Poucet qui, perdu, aperçoit une lumière: «Oui, mais cette lumière, c’était la maison de l’ogre. – Ce n’est pas toujours la maison de l’ogre.» Jusqu’au bout, Mauriac restera fidèle à de Gaulle. «Ce grand seigneur de l’Occident (…) qui a pour patrie moins la France elle-même que son histoire. Nous l’aimons pour cela, nous qui l’aimons.» Et quand la rédaction de <em>L’Express</em> qualifiera l’homme du 18 juin de «canaille», allant jusqu’à le comparer à Pétain, c’en est trop pour le chroniqueur qui, en 1961, rompt avec l’hebdomadaire. Désormais, le Bloc-Notes sera publié dans <em>Le Figaro</em> <em>littéraire</em> – le dernier paraîtra quelques semaines seulement avant le décès de l’écrivain.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1599913845_f.mauriac.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="377" height="361" /></p> <h4 style="text-align: center;">François Mauriac, vers 1950 © Coll. part.</h4> <p>Tout comme ses traits d’humour, qui faisaient les délices de ceux qui le fréquentaient, Mauriac pouvait avoir la plume assassine – « Et encore vous ne savez pas tout ce que je biffe! » Ainsi, à propos des candidats aux élections de 1967 dont un certain Valéry Giscard d’Estaing: «Le plus jeune ministre des Finances de tous les temps est obligé de ralentir, de faire du surplace pour ne pas arriver trop tôt, pour ne pas être obligé de s’assoir sur les marches du perron de l’Elysée. 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Chez Roud, une certaine attention aux choses?</i></p> <p><i> – </i>Oui, et plus précisément la formule de Novalis qu’il répétait souvent: «le paradis est dispersé sur toute la terre, il faut réunir ses traits épars», formule qui définit assez précisément l’idée que je me faisais de la poésie, même si ensuite elle s’est développée dans une tout autre direction que la sienne. Non plus forcément la campagne ou la vie paysanne, mais simplement la poésie en tant que recherche de l’ordre caché derrière les apparences. Donc en effet une attention au monde, mais pour trouver ce qui est derrière. C’était une rencontre décisive puisqu’elle m’éclairait sur moi-même.</p> <p><i>Et Rilke, auquel vous avez consacré un livre?</i> </p> <p>– Rilke a été vraiment ma grande passion de tout jeune lecteur, et je suis sûr qu’il a eu une influence réelle sur ma poésie, peut-être trop grande à certaine moment, et dont j’ai eu à me défendre. 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J’y ai été émerveillé par la lumière d’une façon tout à fait inattendue et féconde pour ce que j’ai écrit. Essayant de comprendre d’où venait cette émotion et cette exaltation que j’éprouvais devant certains paysages, je me suis aperçu que parfois, à certains moments, la lumière semblait absorber par exemple les montagnes. Et si j’étais émerveillé, logiquement il n’y avait aucune raison de l’être plus par cela que par autre chose, mais j’avais là une image, une métaphore, précisément de cet effacement des obstacles. Tentation que l’on a toujours si l’on est hanté par la mort, l’obstacle majeur. Eh bien, devant de tels paysages, on est porté à s’imaginer que même celui-ci pourra être franchi par une tension plus grande du regard ou par un détachement du monde. Donc l’issue, dont vous parlez, pourrait être, à certains moments, cela. 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Il n’en est pas moins le peintre qui répond le mieux au vœu de Baudelaire qui dans son <i>Salon de 1846</i> en appelle aux «grands coloristes (qui) savent faire de la couleur avec un habit noir, une cravate blanche et un fond gris.» <i>Un enterrement à Ornans </i>(1849-1850),<i></i>le tableau programmatique de Courbet qui fit scandale, répond très exactement à ce que réclame Baudelaire. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1614423633_manetmusiqueauxtuileries.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Manet, <i>La Musique aux Tuileries</i> (1862), détail. Baudelaire est de profil à gauche de Gautier © DR</h4> <p>Dernier artiste enfin associé à l’écrivain, mais il y en a d’autres encore dont on pourrait parler, Edouard Manet. On a beaucoup glosé sur ce que répondit Baudelaire en 1865 à une lettre du peintre alors attaqué de toute part – deux ans auparavant, son<i> Déjeuner sur l’herbe</i>, exposé à la requête de Napoléon III parmi les «refusés», a choqué tout comme son <i>Olympia </i>(voir ci-dessus). «Vous n’êtes, lui écrit alors Baudelaire, que le premier dans la décrépitude de votre art.» Dans cette réflexion, on peut naturellement voir – en apparence – une condamnation de l’art de l’époque dominé par Manet. Mais c’est méconnaître Baudelaire, grand admirateur notamment des eaux-fortes de l’artiste qu’il compare à Goya. Il faut plutôt comprendre la remarque dans toute son ironie. Avec à l’esprit les critiques des bienpensants, de tous les philistins pour qui le progrès consonne nécessairement avec décadence et l’art qui s’y réfère avec décrépitude. En ce sens-là, Manet est bien le plus grand artiste de son temps.</p> <p>Le peintre et le poète se sont connus très tôt. Tous deux partagent alors un même goût pour le dandysme et le fameux habit noir. C’est dans ce véritable uniforme de la modernité complété d’un haut de forme que le peintre a représenté son ami aux côtés de Théophile Gautier, dédicataire des <i>Fleurs du Mal</i>, dans son tableau <i>La Musique aux Tuileries</i> (1862). Il existe également une eau-forte qui reprend cette même silhouette du poète. L’un des plus beaux portraits de femme peint par Manet témoigne également de cette amitié. Il s’agit de l’opulente toile, qui n’a rien à envier à Velasquez, figurant la «lionne» du poète, Jeanne Duval, peinte en 1862 et intitulée <i>La Maîtresse de Baudelaire</i>. Enfin, contemplant l’<i>Olympia </i>de Manet, avec son mince ruban noir noué autour du cou et son bracelet au poignet,<i></i>comment ne pas se réciter les premiers vers du poème «Les Bijoux» des <i>Fleurs du Mal</i>? </p> <p style="text-align: center;"><i>«La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,</i></p> <p style="text-align: center;"><i>Elle n'avait gardé que ses bijoux</i></p> <p style="text-align: center;"><i>Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur </i></p> <p style="text-align: center;"><i>Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores.»</i></p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1614423484_baudelaireecritssurlart1.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="154" height="251" /></h4> <h4>Baudelaire, Ecrits sur l'art, Le Livre de Poche, 2008.</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'peintres-de-la-vie-moderne', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 653, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2828, 'homepage_order' => (int) 3068, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => 'Chronique', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 72, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 2807, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => 'NORMAL', 'readed' => null, 'subhead' => 'CHRONIQUE / in#actuel', 'title' => 'Etonnants voyageurs', 'subtitle' => 'Le Havre, gare maritime, 29 mai 1935. Ils sont quatre du monde des Lettres arrivés de Paris. Les plus perspicaces ont reconnu Madame Colette, la grande Colette, qui vient de publier «La Chatte et Duo». Elle est en compagnie de Claude Farrère, l’auteur aujourd’hui quelque peu oublié de «La bataille», élu la veille à l’Académie Française. Il y a aussi le dramaturge Pierre Wolff et puis cet homme avec un béret basque sur la tête, mégot aux lèvres, qui arbore une manche vide: Blaise Cendrars, le poète des «Pâques à New York». Tous quatre sont dépêchés par leurs journaux respectifs à bord du Normandie pour sa croisière inaugurale. ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>L’entre-deux-guerres fut, on le sait, une période particulièrement faste pour la presse. Spécialement pour les grands titres nationaux. Dans les années 1930, un journal comme <i>Paris-Soir </i>tire jusqu’à 1 million d’exemplaires – 1,8 million en 1939! Souvent, il y a plusieurs éditions quotidiennes et entre les journaux, la lutte est vive, sinon féroce. Ce qui ne va pas parfois sans dérapage ni bidonnage – on parlerait aujourd’hui de <i>fake news</i>. Comme ce 10 mai 1927, lorsque le vénérable quotidien <i>La Presse</i> croit pouvoir annoncer avant tous ses concurrents: «Nungesser et Coli ont réussi. Les émouvantes étapes du grand raid. A 5 heures arrivée à New York.» </p> <p>Toujours en une du journal, on lit: «Lorsque l’avion de Nungesser apparut au-dessus de la rade de New York, le commandant Foullois, chef de l’aviation maritime de chasse, s’était porté à son devant avec une escadrille et, dès que l’avion fut en vue, les sirènes des bateaux mugirent et les bâtiments hissèrent le pavillon.» La vérité est que Nungesser et Coli n’ont jamais atteint New York, disparaissant corps et biens. Aujourd’hui, on estime que les deux hommes sont bel et bien parvenus à traverser l’Atlantique, atteignant Saint-Pierre-et-Miquelon où ils auraient tenté d’amerrir. En vain. L’annonce, quelques jours plus tard, de leur disparition, causa une intense émotion. Entraînant par contre-coup la désaffection du public à l’égard du journal fondé par Emile de Girardin, qui jamais ne s’en releva.</p> <p>Toujours dans l’intention de prendre l’avantage sur leurs concurrents, les grands journaux se disputent les meilleures plumes du moment. Et de solliciter tout naturellement les écrivains et écrivaines en vogue. L’un des plus populaires est Pierre Benoit. Le romancier à succès de <i>L’Atlantide </i>et de <i>La Châtelaine du Liban</i> – le premier titre publié par le Livre de poche à son lancement en 1953, on ne le sait pas toujours ou on l’a oublié, est <i>Koenigsmark</i>. Voilà qui dit bien l’aura entourant alors son auteur. 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Aux côtés des mécaniciens, dans les entrailles du navire. </p> <h3>La capitale flottante ne bouge pas plus que Paris ou Londres ne vibrent</h3> <p>Colette a déjà une longue pratique du journalisme. Durant toute sa carrière elle rédigera plus d’un millier d’articles sur la mode, le théâtre, le tourisme, l’amour, que sais-je encore? Et collaborera à une centaine de titres, dont <i>Le Journal</i> où elle écrit depuis 1933. C’est donc tout naturellement elle qui couvrira la croisière inaugurale du<i> Normandie. </i>«Ce paquebot, note-t-elle dans son premier article, qui n’est que succulence, crème fraîche, fruits fermes, pain croustillant et quelle table!» Car bien évidemment Colette, on n’est pas bourguignonne pour rien, se délecte en connaisseuse de la cuisine du bord. 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Tandis que le <i>Normandie</i> se rapproche de son but et s’apprête à conquérir le ruban bleu récompensant la traversée la plus rapide, le cabinet Flandrin a été renversé. «Hier, formidable éclat de rire d’un bout à l’autre des huit ponts de la* <i>Normandie, </i>écrit Farrère.<i></i>La TSF s’est fort gracieusement moquée de nous tous, tant que nous sommes, sans la moindre malice d’ailleurs en annonçant que le maréchal Pétain était ministre de la Marine!» </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1613215936_coletteborddunormandie.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="536" height="554" /></p> <h4 style="text-align: center;">Colette (au milieu) à bord du <i>Normandie</i> © Coll. part. </h4> <p>Et Blaise Cendrars, me demanderez-vous? Sitôt embarqué, il s’est enfoncé dans le ventre du navire. Chacun de ses articles sera un hymne à la technique, aux machines et aux hommes qui les servent. «Poussant une lourde porte où je faillis être renversé par un courant d’air, je débouchai dans la salle des dynamos bruissante, ronflante et toute remplie d’un rythme continu, qui est le seul témoignage de la Force invisible, car nulle part on ne voit tourner une roue ni travailler une bielle (…) Quand j’arrive sur la passerelle, le balcon de fer bien astiqué qui domine la centrale électrique et qui est le poste de commande de toute cette machinerie automatique, l’humble correspondant de <i>Paris-Soir</i> que je suis est reçu fraternellement et, oserais-je le dire, avec gratitude, par les officiers mécaniciens.» C’est à peine si durant les jours suivant, l’écrivain quittera leur compagnie. </p> <p>Le 4 juin, à l’arrivée à New York, Cendrars rejoint tout de même ses collègues sur le pont pour assister à la «marche triomphale» du <i>Normandie</i>. «Jamais plus nous ne reverrons cela, jamais plus nous ne l’oublierons», écrit Colette. «New York, note de son côté Cendrars, est la ville la plus jeune, la plus moderne, la plus enthousiaste, mais aussi la plus généreuse du monde. L’accueil délirant que le port de New York a fait à la <i>Normandie </i>défilant devant les gratte-ciel de Manhattan est allé droit au cœur de tous les Français qui étaient à bord.» L’écrivain peut alors rejoindre les mécaniciens pour les remercier: «Je trouvais tout le monde à son poste, l’équipage au grand complet, comme toujours calme et veillant à la manœuvre. Ils ignoraient comment New York recevait leur bateau. Ils n’avaient rien vu, rien entendu, mais chaque homme avait le sourire.»</p> <hr /> <h4>*Nos trois auteurs parlent de la <i>Normandie</i> alors que l’usage veut plutôt que l’on écrive le <i>Normandie.</i></h4> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1613215779_aborddunormandie.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="272" height="386" /></h4> <h4>Cendrars, Colette, Farrère, Wolff, <i>A bord du Normandie. 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1 Commentaire
@arizan 20.09.2020 | 21h33
«Merci, monsieur, pour ce magnifique article !»