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Chronique

Chronique / La cigarette et le néant


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Se présenter en France avec un recueil d'aphorismes, quand on est étranger, est une forme de provocation. Surtout si, comme Horace Engdahl, on est Suédois, pays dont on attend plutôt des romans policiers et des épopées provinciales.



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Ne reculant devant rien, Horace Engdahl, persuadé que le plaisir d'écrire des fragments le dispute presque à celui de ne pas les justifier, s'installe au Café Existence à la table de Montaigne, Chamfort, Cioran et Perros avec une aisance qui force l'admiration. Il est vrai qu'avoir traduit Blanchot en suédois et être secrétaire perpétuel d'une célèbre académie, l'Académie Nobel en l'occurrence peu réputée pour son anti-conformisme, lui donne une certaine aisance, celle d'un homme qui n'a plus rien à prouver et qui peut se laisser aller aux digressions les plus inattendues. Le Café Existence, où l'on fume des cigarettes en dissertant sur le Néant, a pour vocation de recueillir les confidences de ces trop rares écrivains qui préfèrent le chuchotement à l'éloquence, conscients que la plénitude du mot s'abîme dès qu'on hausse le ton.

À ce propos, Engdahl relève que, enfants déjà, nous avons appris à interpréter les intonations des adultes avant de comprendre ce qu'ils disaient. C'est pourquoi, parfois, le sens des mots par la suite nous semble le plus souvent si encombrant, si inopportun. Autre observation à laquelle il est difficile de ne pas souscrire quand on a un peu fréquenté le monde politique: ceux qui parviennent au pouvoir ont du mal à souffrir la compagnie des gens intelligents, car la vraie intelligence ramène toute chose à son point initial: le zéro. Engdahl nous rappelle aussi que l'âge d'or de la démence était celui où les fous se prenaient pour Napoléon Bonaparte. À qui viendrait-il aujourd'hui l'idée de voler son identité à François Hollande? Mon aphorisme préféré: «On reconnaît les victimes du pouvoir à leur gratitude.»

Le plus grand bonheur d'un écrivain, disait Stendhal, c'est d'avoir des ennemis même cent ans après sa mort. C'est sans doute un des rares plaisirs que ne connaîtra pas Horace Engdahl: au Café Existence, il ne s'est fait que des amis et des complices qui, comme lui, posent leur tasse d'espresso et contemplent le marc noir avec le regard d'un animal centenaire qui leur dit: «Prenez patience! L'horreur va disparaître – tout va disparaître.» Un fataliste se doit d'être toujours d'une courtoisie à toute épreuve. À l'image d'Horace Engdahl auquel nous souhaitons bienvenue au Club du Néant!

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Lagom 14.08.2018 | 10h50

«Vous écrivez "Le plus grand bonheur d'un écrivain, disait Stendhal, c'est d'avoir des ennemis même cent ans après sa mort."

Belle revanche face aux critiques sur vos récentes chroniques. Excellent, bravo !!!!»