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Chronique

Chronique / Géographie du poème


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Plus que d’autres, la Suisse romande est une terre de poésie. Ne nous a-t-elle pas donné l’un des très grands poètes du XXe siècle, Blaise Cendrars? L’auteur de l’extraordinaire «Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France». Certainement l’un des plus beaux textes de toute la langue française. Mais il y en a d’autres encore, poètes d’ici et d’ailleurs. Ils sont nombreux à être venus en terre romande et, pour certains, à la célébrer. Un ouvrage, tout juste sorti de presse chez Noir sur Blanc et qui sera en librairie à partir du 16 mai, «Le poème et le territoire», dresse la carte de cette géographie élective.



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L’initiative de ce très beau livre, disons-le, revient à Antonio Rodriguez, professeur à l’Université de Lausanne, lui-même poète, ainsi qu’à Isabelle Falconnier. En tant que déléguée à la politique du livre de la capitale vaudoise, mais surtout, ai-je envie de dire, en tant que grande amoureuse des Lettres, elle est à l’origine d’un ouvrage proposant des balades sur les traces des écrivains, Lausanne, promenades littéraires, paru en 2017, déjà chez Noir sur Blanc. Richement illustré, comportant de nombreux itinéraires, Le poème et le territoire en prend la suite, mais cette fois pour l’ensemble de la Suisse romande.

L’ouvrage est subdivisé en sept parties, correspondant aux cantons romands – Jura et Neuchâtel sont regroupés – ainsi qu’à Lausanne et à la Riviera vaudoise. Et c’est par le lac que nous entrons dans le livre. En compagnie de Lord Byron, qui fit le tour du Léman en août 1816 avec un couple de compatriotes, également écrivains, Percy et Mary Shelley. Cette excursion lui inspira, comme on le sait, le célèbre Prisonnier de Chillon. Il en entama la rédaction à Ouchy, à l’hôtel de l’Ancre – aujourd’hui hôtel d’Angleterre. Mais ce même séjour donna lieu également, ce que l’on sait moins, au troisième chant du Pèlerinage de Childe Harold:

«Clarens! Aimable Clarens, berceau de l’amour profond!»

Plaque en hommage à Lord Byron, hôtel d’Angleterre, Ouchy © Raphaël Aubert

Autre voyageur illustre passé par la Riviera, Victor Hugo, qui, dans Le Rhin (1842), parle de Vevey, Saint-Martin, Chillon. Et puis comment célébrer ce «Pays du lac» sans évoquer la Fête des Vignerons? Avec C.-F. Ramuz et son Passage du poète (1923) ou encore Henri Debluë (1924-1988), librettiste de la Fête de 1977:

«Soleil écrasant sur la terre

                   Le grand coteau respire à peine                  
    Les hommes cherchent l’ombre.»

Du monde entier au cœur du monde

Deux grands écrivains romantiques ont enseigné à Lausanne, consacrant plusieurs poèmes à la capitale vaudoise, au lac et à la campagne environnante. Le Français Sainte-Beuve, qui y séjourna en 1837, après sa rupture avec Adèle Hugo, et le Polonais Mickiewicz, alors exilé, qui y vint deux ans plus tard. Anne Perrier, l’auteure des poignantes Lettres perdues (1971), est née, elle, à Lausanne et habita longtemps à l’orée de la Cité. Non sans aspirer à retrouver le Valais tant aimé et, au-delà, le Sud :

«Ô rompre les amarres
Partir, partir
Je ne suis pas de ceux qui restent.»

 

Je viens de mentionner le Valais. Une large place est consacrée à Rainer Maria Rilke, qui finit ses jours à la tour de Muzot où il écrivit ses Quatrains valaisans. Mais l’ouvrage réserve également tout un chapitre au «couple en poésie» formé par Maurice Chappaz et Corinna Bille. Extraits de Verdures de la nuit (1945):                                 

«Les étoiles jaillissent du brouillard

     telles les fleurs du tilleul

      tel au firmament

     le lait des Bédouins.»

Et ces vers encore, ceux-là de Corinna Bille, tirés de La Montagne déserte (1978):

     «J’aime le temps

   Ce grand temps du Valais balayé par le vent

                Qui ne laisse pas de place aux anges.» 

Chappaz fut proche de ce grand aîné sous l’égide de laquelle se plaça la jeune littérature romande d’alors, Gustave Roud. Un chapitre est dédié à l’auteur de Campagne perdueJe regarde: pas une de ces collines autour de moi qui ne se peuplent d’anciennes présences où je puisais chaque fois la même angoisse et le même apaisement.» Ce même amour du Jorat se retrouve chez Jacques Chessex et Philippe Jaccottet, tous deux disciples à des degrés divers du poète de Carrouge.

Impossible évidemment de s’arrêter à chaque auteur figurant dans l’ouvrage – une trentaine.

Edition originale du Petit traité de la marche en plaine de G. Roud (1932). La couverture est un fragment d’authentique carte de géographie © Coll. Part.  

Mentionnons tout de même encore Voisard, dont le nom reste lié au combat pour l’indépendance du Jura. «Dite par lui, portée par la foule, rappelle Isabelle Falconnier, son Ode au pays qui ne veut pas mourir résonne encore sur la grande place de Delémont.» Citons aussi Lamartine qui dans ses Méditations poétiques (1849) consacre plusieurs poèmes au Léman. Haldas, bien sûr, le poète de la ville par excellence; Borges, pour qui Genève fut une seconde patrie et où il est inhumé:«Deux fleuves – l’un célèbre : le Rhône ; l’autre presque secret: l’Arve – mêlent ici leurs eaux. La mythologie n’est pas une fiction des dictionnaires; c’est l’éternelle habitude des âmes. Deux fleuves qui se joignent sont, d’une certaine manière, deux divinités antiques qui se fondent l’une dans l’autre.»  

Enfin, mentionné en commençant, il y a Cendrars, qui n’eut de cesse de faire oublier ses origines chaux-de-fonnières, leur préférant les lointains. Ce «monde entier au cœur du monde.»


Sous la direction d’Antonio Rodriguez et Isabelle Falconnier, Le poème et le territoire. Promenades littéraires en Suisse romande. Illustrations de Marco De Francesco, Editions Noir sur Blanc, 2019.

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