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Chronique / Marquises et Tahiti: entre soleil et ombres...

Michael Wyler

17 mai 2019

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Autant l’avouer d’emblée: j’ai un faible pour Fenua Enata, cette «Terre des Hommes», îles aux reliefs escarpés et falaises tombant dans la mer que Brel aimait tant et chantait si bien. Descendants des Polynésiens originaires de Tonga, les Marquisiens sont des solides gaillard(e)s fiers de leurs traditions et de leurs tatouages, gentils, généreux et le cœur sur la main.



Accueil des touristes à Fatu Iva. © CMW

Titaua, la trentaine, est née et vit à Fatu Iva. La plus isolée des Marquises – elle ne se gagne que par bateau, à trois heures de navigation de Atuona, où reposent Brel et Gauguin – est aussi la plus sauvage et la moins peuplée. Avec Lionel – un ancien militaire français installé dans le petit village d’Omoa depuis la fin des essais nucléaires de Mururoa – elle s’occupe de l’office du tourisme local. Si on peut dire, car il y a rarement plus d’une demie douzaine de touristes à la fois sur l’île. Sauf…

Toutes les trois semaines environ, c’est le branle-bas de combat. L’occasion? L’arrivée de l’Aranui, un navire à double usage – cargo et tourisme – qui débarque ses cargaisons de fret et de visiteurs. Ces derniers passeront quelques heures sur Fatu Iva, le temps d’une balade, d’assister à un spectacle de danse et d’acheter au prix fort des sculptures sur bois, tapas (ces tissus d’écorce battue que peignent et décorent les habitants) et autres souvenirs. Puis, pendant les trois semaines qui suivent, c’est à nouveau le grand calme pour les quelque 600 habitants de l’île, répartis sur deux villages, Omoa et Hanavave.

L'Aranui à Hiva Ho. © CMW

Que pense-t-elle de la chanson de Brel sur les Marquises: «Ils parlent de la mort/Comme tu parles d'un fruit/Ils regardent la mer/ Comme tu regardes un puits/Les femmes sont lascives/Au soleil redouté/Et s'il n'y a pas d'hiver/Cela n'est pas l'été»? Elle rigole! «Lascive? Je veux bien, même si je ne suis pas certaine de ce que cela veut dire. Mais bon, j’ai deux enfants et ici, on est bien trop occupé à vivre pour penser à la mort».

Comme partout dans le Pacifique, quasiment tous les habitants se retrouvent à l’église le dimanche. Les hommes un peu engoncés dans leurs habits du dimanche, les femmes en longues robes en dentelles et cheveux parsemés de fleurs, splendides à tout âge. On y chante les hymnes, au son de la guitare, et l’office terminé, on part manger en famille les yam, poulets, bananes frites, cochons, crabes et poissons que l’on a souvent mis dans le ahi’ ma’a, ce four traditionnel, creusé dans la terre, avant d’aller à l’église.

L’Eglise…Ils ne sont pas rancuniers, ces Polynésiens. C’est elle qui, des années durant, leur a interdit de pratiquer leur propre langue (jusqu’en 1977!), de se tatouer, sans parler de l’interdiction des danses lascives…

 «Savais-tu», me demande Titaua «que la baie de Hanavave, que nous appelions la Baie des Verges à cause des nombreux pics qui l'ornent, a été renommée Baie des Vierges par les missionnaires? Pourtant, y'a plus de verges que de vierges par ici», poursuit-elle, s'esclaffant.

Souvenirs du grand Jacques à Hiva Hoa

Serge Lecordier est un sacré personnage. Grand, costaud, la septantaine, il a bien connu Brel et lui est resté fidèle. S’il y a un petit musée Brel à Atuona, principal village de l’île avec ses 1200 habitants, c’est grâce à lui, qui s’est aussi chargé de remettre en état «Jojo», l’avion de Brel, exposé à l’Espace Brel. Mon ami Serge – j’ai fait sa connaissance il y a 25 ans, lors de mon premier passage aux Marquises – est, comme Lionel, un ancien de l’armée française.

Lionel. © CMW

Irradié lors des essais nucléaires français, il a raconté un peu de sa vie dans un joli livre La baie des Traîtres - Parcours d’une vie aux Marquises. Avec son épouse Renée, une Marquisienne pure souche, et son fils Tematai, ils ont construit six chalets qui surplombent la baie de Tahauku. L’endroit idéal – à mon avis – pour passer quelques jours ou quelques semaines…

Si jamais vous avez la chance de visiter Hiva Hoa, ne vous contentez pas de passer au cimetière d’Atuona. Demandez à Tematai, maître tatoueur et guide, de vous raconter son île et ses traditions. Peut-être que, comme moi, vous n’aurez plus vraiment envie de rentrer…

  Le cimetière d'Atuona. © CMW

Alors que nous descendons sur Atuona, il me raconte qu’au 16e siècle, il y avait près de 100'000 habitants sur ces îles, avant que la population ne chute à 2000 il y a un siècle, à cause notamment des maladies amenées par les Occidentaux.

Aujourd’hui, les quelque 9500 Marquisiens répartis sur six îles vivent essentiellement de la pêche, de l’agriculture et… de la France.

Tematai. © CMW

Tahiti, côté face

Tout ou presque a été dit sur la Polynésie française, ses cinq archipels, ses îles aux noms de rêve tels Bora Bora, Moorea, Tahaa ou Raiatea, certaines volcaniques, d’autres coralliennes, idéales pour le farniente, la baignade ou la plongée.

Si tous les visiteurs atterrissent sur l’île de Tahiti (180'000 habitants, soit  70% de la population de la Polynésie française), peu y restent plus que 2-3 jours, le temps de digérer le décalage horaire. C’est à la fois un mal et un bien.

Un mal, car le Nord et l’Est de l’île, un peu plus grande que le Canton du Jura, valent le déplacement, avec leurs belles plages, cascades et possibilités de balades.

L'enfer au paradis

C’est aussi un bien, car Papeete, avec ses 30'000 habitants, ce n’est pas la Polynésie, mais c'est une capitale dénuée de charme et devenue infréquentable de nuit. Drogue, alcool, bagarres y sont monnaie courante. Ce n’est guère étonnant lorsque l’on sait que sur cet archipel – qui comprend notamment Tahiti, Moorea, Bora Bora, Taha et Raiatea), la vie est très chère. 50% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage frôle les 20%. Bien plus chez les moins de 30 ans.

Ce qui, dans d’autres archipels moins peuplés, ne pose pas les mêmes problèmes (vies familiales plus traditionnelles et quasi autonomie grâce à la pêche et à l’agriculture) en pose un énorme à Tahiti. Pourtant, les moyens sont là…

L’argent fait-il le bonheur? Pour une bonne partie de la classe politique de Tahiti, la réponse est clairement «oui». Surtout si c’est celui de la France, qui annuellement, injecte plus d’un demi-milliard d’euros sous forme de subventions et de salaires versés aux fonctionnaires, enseignants et personnel médical.

Pendant 13 ans, jusqu’en 2004, Gaston Flosse régnait sans partage sur les 260'000 habitants de la Polynésie française. Clientélisme, népotisme, détournements de fonds publics, tout y est passé et il aura fallu attendre 2014 pour qu’il soit définitivement condamné. Mais le cancer de la corruption et des détournements de fonds est toujours bien présent. Vient s’y ajouter une arrivée insidieuse de la Chine qui, comme ailleurs dans le Pacifique, propose monts et merveilles et crédits à gogo, moyennant droits de pêche et construction d’installations de pisciculture, ce à quoi s’opposent, pour le moment, une majorité de Polynésiens.

La place me manque pour vous parler du Dr. Stéphane Amadeo, fondateur de l’Association SOS Suicide et auteur de Suicide à Tahiti, le paradoxe du suicide au paradis, publié aux éditions l’Harmattan. Principale cause de décès chez les jeunes gens, le suicide, me dit-il, c’est annuellement quelque 230 tentatives dont une cinquantaine aboutissent. Un chiffre bien élevé pour un si petit territoire. C’est que, dans des villes comme Papeete, c’est chacun pour soi. Souvent venus d’autres îles pour y suivre une scolarité secondaire, les jeunes se trouvent coupés de leur vie traditionnelle familiale et les débouchés professionnels sont rares.

Pour toutefois terminer sur une note ensoleillée, ces îles, que l'on pourrait imaginer toutes semblables avec leurs plages, cocotiers, bananiers et «indigènes souriants», sont d'une grande diversité. Elles ont en commun cette culture polynésienne, qui fait une place considérable à la notion de famille étendue et au partage. Mais, tout comme aucun coucher de soleil n'est identique au précédent, aucune de ces îles n'est comme les autres.


Prochaine escale:
Rapa Nui, connue sous le nom de Ile de Pâques. Une terre nostalgique de son passé et colonisée par le Chili, à 3500 km de là.

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