E. L. Kirchner, "Im Cafe", 1904.
L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon pour la tête. Episode 5: les apéros chaleureux.
Les apéros, c’est un délice pour toute l’année. Un verre de blanc ou une petite bière, avec ou sans petits salés, charcuteries et fromages, c’est bon quand il fait froid dehors, c’est bon quand il fait chaud, c’est bon pour le moral. Au bistrot ou à la maison, qu’on s’ouvre l’appétit pour un repas qui suivra ou qu’on passe la soirée ou la journée à taper dans l’apéro, cet instant est sacré.
Il est sacré à l’instar de ce qui souvent le provoque: l’amitié. Bien sûr, on peut se faire un petit apéro seul avec de très bonnes raisons, mais j’en parlerai plus tard. Restons-en à l’amitié. Si, au cœur de l’hiver, un apéro dans un carnotzet entre copains est magique et réchauffe le cœur, je dois admettre que j’ai un faible pour les apéros d’été.
Nous nous réunissons en terrasse. Nous sommes deux, trois ou plus, et la tablée s’agrandit au fur et à mesure des arrivées sans créer aucune difficulté. La table a beau être petite, on ajoute autour une chaise ou l’autre et nous sommes tous unis dans une ronde de l’amitié. Il y a ceux qui parlent plus fort, il y a ceux qui sont plus discrets, mais chacun tient sa place.
Les discussions fusent: on commence par parler de travail, puis de musique, puis de politique et enfin d’amour et d’eau fraîche. D’ailleurs d’eau fraîche il y en a peu sur la table, si ce n’est dans le pichet de l’ami qui ne peut pas se passer de son pastis. Nous autres, nous sommes au blanc, du Johannisberg s’il vous plaît. Une bouteille, et puis une autre. Nous rions. C’est si bon. Le soleil tape, mais l’insouciance de notre jeunesse et les parasols nous protègent.
Le soir, c’est la beauté du ciel qui nous accompagne. Le ciel devient rose et c’est une Œil-de-perdrix qui s’impose. Les tourments et le stress s’effacent dans la gaité du ciel et du vin. Un rose clair et magnifique qui s’expatrie du ciel à nos verres et à nos cœurs. La nuit est tombée, la paix s’est levée. Nous nous sommes une fois de plus éternisés autour de notre apéro au bistrot du quartier, et c’est déjà l’heure de la fermeture.
Nous avons refait le monde, comme on dit, nous avons surtout refait nos forces. Paradoxal, non, de refaire ses forces assis sur une chaise, un verre de vin aux lèvres? Pas tant que ça: le vin et l’amitié sont des moteurs qui donnent envie de vivre et d’avancer. Ce qui n’enlève rien d’ailleurs aux vertus d’une alimentation saine et du sport.
Il m’arrive toutefois assez souvent d’aller prendre mon apéro d’été tout seul. Et si j’y vais, c’est pour elle. Pour elle… J’entends dans ma tête deux chansons d’amour ringardes aujourd’hui mais toujours sublimes: «Pour elle» de Richard Cocciante et «Por Ella» de Julio Iglesias. Oui, c’est elle qui m’invite à faire un détour par cette terrasse du centre-ville. Non pas qu’elle m’ait demandé de la rejoindre, c’est sa simple présence qui m’invite.
Elle est serveuse, elle est blonde: tout ce que j’adore. Elle m’a servi pour la première fois l’hiver dernier. Lorsqu’elle s’est approchée de ma table pour prendre ma commande, j’en ai bégayé le nom de la bière que je prends pourtant à chaque fois.
Elle était tout de noir vêtue, sauf ses chaussures était d’un blanc usé, et laissaient apparaître des chaussettes de sport blanches également. Je devinais la forme fine de ses chevilles car son jean noir délavé était replié au fond. Je remontais le regard pour suivre la ligne gracieuse de ses jambes s’ouvrant sur des hanches larges précisément dessinées. De la taille au coup, une fine laine noire moulante cachait ce corps pour mieux révéler son éclat de sensualité. Des mains délicates et pâles sortaient des manches. Trônant fièrement au sommet du col roulé au sommet de sa fière jouvence: sa face mince et radieuse. Des lèvres légèrement charnues, des fossettes quand elle sourit, et des yeux marron clair dont le regard invite à être fixé, contemplé. Ses cheveux, rarement détachés, était coiffés en deux tresses soyeuses la première fois que je l’ai vue.
L’hiver s’achève, et elle commence à se découvrir lentement: le cou, les bras et enfin le ventre cet été. Une beauté à en devenir fou. Commander ma bière et régler l’addition me ramènent à la raison. Alors j’y vais presque tous les soirs de ce saint été dans ce bar. Pour elle… Quand elle n’est pas là, je ne m’y attarde pas trop. Mais quand elle est là, et tout particulièrement quand c’est elle qui me sert, je m’illumine d’un feu d’amour intérieur.
J’en oublie la bière, j’en oublie la terrasse, j’en oublie l’été: je ne vois qu’elle. Elle déambule d’une table à l’autre, attirant le regard de tous les autres hommes qui doivent être habités des mêmes désirs que moi. Seulement, moi je suis plus discret, car je fais semblant de lire un livre dont j’ai dû avancer d’au moins dix pages ce mois-ci. J’arrive à lire quelques lignes quand pour un instant je ne lève pas la tête pour la regarder.
Et puis, vu que j’ai sifflé mes deux premières bières sans même m’en rendre compte, elle s’approche de moi, se penche légèrement, prend mon verre vide et me demande si elle me remet la même chose. Oui, oui et encore oui, pourvu que j’aie une interaction avec elle. Elle m’apporte ma bière blanche à la fraîcheur épicée comme son parfum corporel, et elle reste là face à moi. La mousse glisse sur ma langue et j’aimerais que ce soit cou souple qui y glisse, mes mains tenant tendrement ses hanches. Elle continue de me regarder. Que se passe-t-il? Suis-je si ridicule que cela quand je bois? Je luis souris gêné. Elle rit, et part vers une autre table.
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Dernier roman en date du dramaturge Wajdi Mouawad paru il y a près de douze ans, «Anima» reste plus que jamais d’actualité. Dans ses pièces ou ses romans, il demeure toujours une expérience unique trépidante à vivre. C’est bien le cas ici, près de cinq-cents pages durant. Regard.', 'subtitle_edition' => 'Souffle de poésie, d’horreur et de vérité romanesque ayant donné vie à un ouvrage qui aura mis plus de dix ans à la recevoir, cette vie: «Anima» (2012). Dernier roman en date du dramaturge Wajdi Mouawad paru il y a près de douze ans, «Anima» reste plus que jamais d’actualité. Dans ses pièces ou ses romans, il demeure toujours une expérience unique trépidante à vivre. C’est bien le cas ici, près de cinq-cents pages durant. Regard.', 'content' => '<p>Le récit s’ouvre sur la scène d’un roman policier. Un homme rentre chez lui et trouve sa femme morte. S’ensuivrait une enquête policière aux mille-et-un rebondissements qui feraient vivre le suspense, mais il n’en est rien. Pourrait s’ensuivre la traque menée par un époux fou furieux qui va tout franchir, tout casser, pour mettre la main sur celui qui a massacré son épouse. Ce n’est pas cela non plus dans notre roman.</p> <p>Sans entrer forcément en contradiction avec un <i>polar</i> classique, la scène de crime est particulièrement macabre. L’époux en question, Wahhch Debch, retrouve sa femme Léonie morte, après avoir été éventrée et violée. L’enfant qu’elle portait en son sein est évidemment mort aussi. Plus qu’un meurtre, il s’agit là d’une profanation, saignant d’une originalité terriblement créative. Féminicide et infanticide à la fois, qui laisse l’époux et le père meurtri, sans repères, sans voix, sans plus de paroles même, amputé quasiment de toute son humanité: il a perdu son âme. </p> <p>Wahhch, ayant perdu la raison, faculté traditionnellement attribuée à l’homme seul, en vient à se demander si ce n’est pas lui qui a tué. Pour retrouver la raison, il se lance à la recherche de l’assassin. Soutenu par le coroner en charge de l’affaire, Coach, il finit dans une réserve amérindienne, comparable à un animal blessé. Un lieu qui est «vulnérable» et «dangereux» à la fois. (p.136)</p> <p>A la suite de rencontres aventureuses, frôlant l’absurde sans en éviter le tragique, Wahhch se confronte à l’assassin. Mais le labyrinthe dans lequel nous engouffre <i>Anima </i>est encore loin de se terminer, car le but initial ne devient alors qu’une étape dans la quête véritable du personnage principal. Personnage qui doit encore retrouver quelle personne il est, recouvrer son nom en remontant à travers ses origines, pour saisir à nouveau un sens et les paroles, pour sauver ce qui peut être sauvé. Mais, on le sait depuis les traditions religieuses les plus antiques, en passant par le christianisme: tout salut ne se vit qu’à travers un sacrifice. 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Ainsi, l’auteur, en se plongeant lui-même dans la peau d’un animal qui assiste de près ou de loin à la scène où interagissent des humains, nous permet aussi d’y plonger nous-mêmes.</p> <p>Au niveau stylistique, ce procédé permet des variations qui rythment le roman en multipliant des voix auxquelles on ne s’habitue jamais, comme si le narrateur changeait à chaque chapitre et que ce narrateur avait un langage et un regard propres. 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Scientifiquement, un chien ou toute autre bête, ne peut parler; mais en littérature, oui, si le texte indique que c’est tel chien qui narre, il en est alors réellement ainsi. En effet, la fiction peut dire vrai, même pour des faits qui ne sont pas observables dans la réalité du monde humain.</p> <p>A titre d’exemple, citons un passage vibrant de beauté, qui sonne comme évidence: «L’humain est un corridor étroit, il faut s’y engager pour espérer le rencontrer. Il faut avancer dans le noir, sentir les odeurs de tous les animaux morts, entendre les cris, les grincements de dents et les pleurs. […] L’humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c’est pour cela que son affection pour l’humain est infinie.» (p.149) Il semblerait véritablement que nous entendons la voix d’un chien. Chien dont on découvre qu’il prend en pitié l’homme au vu de sa condition de détresse permanente. Le chien est miséricordieux pour l’homme, comme on dit de Dieu qu’il l’est pour ses créatures. </p> <h3>Le passage de l'âme</h3> <p>Puisque Wahhch perd quasiment la parole suite au drame et qu’il ne lui reste plus que le cri, ce sont les animaux qui racontent. Par le transfert de la parole, s’opère aussi le transfert de l’âme pour les hommes. De façon explicite, lorsque Wahhch est confronté au bourreau Rooney, qui a entre autres violé et tué Léonie, et que ce dernier meurt dans l’affrontement, l’âme de cet infâme est retrouvée à travers son chien, qui devient alors le compagnon de Wahhch lui-même. Plus que son fidèle compagnon, il devient même son sauveur. Comprenons ainsi, qu’à force de se perdre dans les artifices de l’humanité, Rooney a perdu sa candeur de jeunesse, dont témoigne un autre personnage, Humbert, et que par la mort il la retrouve à travers son chien. C’est comme si celui qu’a toujours été Rooney était en fait présent en son chien. Perdant la vie, il retrouve son <i>humanité canine</i>.</p> <p>Le chien cite Wahhch, qui est en train de retrouver ses mots et d’accueillir le chien véritablement comme son compagnon, son frère qui le suivra jusqu’au bout: «Je te donnerai ma voix, je te donnerai ma langue, tu me donneras tes silences, tu me donneras ton présent.» (p.360) Le transfert de la parole est clair. Par le transfert de l’âme, il y a aussi celui de l’intelligence et du discernement. Le chien est un guide. Lorsque son maître et protégé l’oblige à monter dans une voiture qu’il ne <i>sent</i> pas, le chien se retrouve kidnappé, et Wahhch regrette aussitôt de n’avoir pas écouté <i>son</i> discernement, à savoir celui de son chien. Une conversion se vit néanmoins chez l’homme lorsqu’il estime juste de se séparer du chien pour poursuivre son voyage mais qu’il cède finalement au désir éclairé du chien. «C’est ton chien! C’est l’âme retrouvée de Rooney que tu as à tes pieds. 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Ce qui importe réellement pour Wahhch et pour les hommes de façon générale, c’est de laisser mourir la part qui est cassée en soi, pour passer des ténèbres à la lumière. «Passe par les ténèbres et tu trouveras la lumière.» (p.348) Comment notre protagoniste vit-il cette pâque, passant de l’esclavage à la terre promise? Par la douleur. C’est dans les douleurs de l’enfantement que la femme donne la vie. C’est dans les douleurs du retour aux origines mais avant cela de l’abus sexuel qu’il subit, que Wahhch sait qui il est, qu’il casse la malédiction des meurtres et des viols, pour retrouver la raison, son nom et son âme.</p> <p>En quoi est-ce une invitation pour le lecteur à retrouver son âme et par là retrouver l’unité en soi? C’est une invitation, dans la mesure où nous assistons, par le roman, au témoignage de Wahhch mais aussi indirectement à celui de Wajdi Mouawad et en somme à celui de tous ceux qui ont vécu des drames. C’est bien pour cela que Wahhch a besoin que Coach témoigne pour lui. Pour cela aussi que Coach est particulièrement touché par ce témoignage. La nécessité de témoigner des drames et des guérisons, en prononçant son propre témoignage et en se mettant à l’écoute de celui des autres, c’est proprement la quête d’<i>Anima</i>. 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C’est la mission que s’est donnée le Belge Bernard Bellefroid, en toute humilité, pour pleurer les morts et avec les survivants du génocide rwandais. <i>Une des mille collines</i>, un documentaire sobre et poignant qui raconte le martyr de trois enfants dans un village, sur l’une des collines du Rwanda. En choisissant des histoires particulières, le réalisateur veut rejoindre l’universalité du drame en restant dans le témoignage, l’hommage et le concret. Pas de grandes thèses politiques, donc. Pas de déclarations du genre «on aurait dû», «il n’aurait pas fallu», «il aurait suffi». Le documentaire veut par là même redonner vie à ces trois frères et sœurs en enquêtant sur leur assassinat, d’une part, et en offrant par l’image un dessin du visage de chacun de ces trois enfants, d’autre part. Olivier, Fidéline et Fiacre, âgés respectivement de 10, 5 et 4 ans en 1994. Ils sont les fils d’un certain Fidèle, un <i>serpent</i>, comme on l’a considéré au village d’un jour à l’autre. 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1 Commentaire
@Giangros 29.07.2022 | 09h07
«SYMPA. Merci. Carlo. »