Chronique / Délices d’été: les amours estivales
Manuel Meurisse via Unsplash
L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon Pour La Tête. Episode 1, les amours estivales.
Je ne suis pas coutumier des vacances à la plage. Je n’ai pas l’habitude de partir en vacances tout court. Je n’ai pas un corps sur lequel les regards s’arrêtent, pleins de désirs. Je n’ai jamais connu une amourette de vacances, je n’ai jamais connu non plus les émois de deux corps qui se touchent, au hasard d’une rencontre, sur le sable fin.
Je n’ai, en somme, jamais osé aborder une fille en bikini sur une plage, ni lors de mes baignades lacustres en Suisse, ni lors de mes quelques séjours au bord de l’Adriatique en Italie, où les êtres semblent étrangement plus prompts à la rencontre.
Je n’ai jamais connu d'amours estivales. Je n’ai jamais osé rejoindre une fille près de sa serviette de bain pour lui dire: «Je ne vous connais pas, mais je vous ai vue, j’ai vu vos yeux, j’ai vu vos lèvres, j’ai vu votre cou, j’ai vu la forme de vos seins, j’ai vu votre nombril, j’ai vu vos chevilles, et je vous désire…» Ou plus sobrement: «Est-ce que ça vous dirait d’aller prendre un verre bar du lido?»
Non, je n’ai jamais osé. Je ne me suis jamais tenu, main dans la main, avec une fille rencontrée sur la terrasse d’un hôtel au bord de mer. Je n’ai jamais fait ce dont je rêvais, ce que désirais au plus profond de mes sens. Est-ce trop tôt? Est-ce trop tard? Ai-je raté ma jeunesse? Est-elle encore devant moi? Ces amours estivales sont-elles encore à découvrir, encore à vivre, au-delà même de mes phantasmes?
Comme ceux qui sont nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont pas connue, je suis d’autant plus rêveur des joies auxquelles je n’ai pas goûté. Alors je rêve, oui, je rêve, d’aborder cet été une femme aux abords du lac de Neuchâtel, au hasard d’une plage méditerranéenne, et de vivre enfin mes amours estivales.
Je rêve, dans le réveil d’un matin, de la regarder dans les yeux autour d’une tasse de café fumante. Je rêve, dans les lourdeurs de l’après-midi, de la regarder, passive, brûlant au soleil, se laisser griffer le corps par les rayons du soleil ardent. Je rêve de l’attendre, en début de soirée, tout beau tout propre, à la réception de son hôtel. Je rêve qu’elle ne s’y présente pas.
Je rêve qu’elle me fasse attendre, qu’elle me déçoive et qu’elle me désespère. Je rêve qu’elle ne se présente pas du tout. Je rêve qu’elle m’ignore au lendemain. Je rêve de passer devant sa chaise longue au matin du lendemain, pour me faire remarquer, et qu’elle ne daigne même pas m’accorder le centième d’un regard. Je rêve d’en pleurer l’après-midi du lendemain. Je rêve d’en avoir le nœud à la gorge qui dure et perdure jusqu’au soir.
Je rêve de me dire que je n’ai plus aucun espoir. Que je me serais fait avoir, comme toujours… Je rêve d’imaginer qu’elle ne pourrait jamais s’intéresser à un type comme moi; que de toute manière elle doit avoir un copain plus jeune, plus musclé, plus frais. Je rêve de me dire que je suis ridicule. Je rêve de prendre mon apéro seul.
Et puis la voilà qui reparaît en fin de soirée. La voilà qui me regarde et qui me dit «salut». Me voilà qui lève les yeux. Me voilà vexé et gêné. Me voilà mal à l’aise. Me voilà lui répondant «salut». Et le cœur s’emballe. Je me réjouis, je lui souris. Et elle me sourit.
Je me lève, m’approche d’elle, et du revers de ma main je caresse le revers de sa main. Mes yeux se fondent dans les siens. J’embrasse sa pommette gauche. Elle ferme les yeux car elle est gênée à son tour. Ses doigts caressent cette fois les miens. Mon cœur bat à mille à l’heure. Je sens le sien qui palpite. Son visage rougit et elle est encore plus belle.
Nous faisons quelques pas dans la localité au bord de mer. Je lui propose une glace, elle dit «ça va.» Alors nous marchons encore, sans parler car les mots ne viennent pas. Je la ramène à son hôtel, mais elle ne veut pas rentrer, et je ne veux pas qu’elle rentre non plus. Alors nous marchons encore et nous finissons sur la plage.
C’est déjà la nuit, nous sommes seuls. Son cou souple se tourne, je la regarde et j’ai envie de mourir de bonheur. Je vis mon éternité à travers son regard. Nous nous embrassons, longtemps, langoureusement. Nos respirations se confondent. Son corps penche vers l’arrière, elle est couchée, et mon corps suit son mouvement. Je me tiens sur mes avant-bras, lui touche le cou de mes pouces, elle touche mes joues…
Après une nuit à la plage, chacun reprend son chemin au petit matin venu par la brise. Avant cela, je lui adresse un regard, elle sourit. Elle est partie. Je ne l’ai plus revue.
Ce sera mon amour d’été. Celui dont je rêve encore. Celui qui est encore à vivre.
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Pourrait s’ensuivre la traque menée par un époux fou furieux qui va tout franchir, tout casser, pour mettre la main sur celui qui a massacré son épouse. Ce n’est pas cela non plus dans notre roman.</p> <p>Sans entrer forcément en contradiction avec un <i>polar</i> classique, la scène de crime est particulièrement macabre. L’époux en question, Wahhch Debch, retrouve sa femme Léonie morte, après avoir été éventrée et violée. L’enfant qu’elle portait en son sein est évidemment mort aussi. Plus qu’un meurtre, il s’agit là d’une profanation, saignant d’une originalité terriblement créative. Féminicide et infanticide à la fois, qui laisse l’époux et le père meurtri, sans repères, sans voix, sans plus de paroles même, amputé quasiment de toute son humanité: il a perdu son âme. </p> <p>Wahhch, ayant perdu la raison, faculté traditionnellement attribuée à l’homme seul, en vient à se demander si ce n’est pas lui qui a tué. Pour retrouver la raison, il se lance à la recherche de l’assassin. Soutenu par le coroner en charge de l’affaire, Coach, il finit dans une réserve amérindienne, comparable à un animal blessé. Un lieu qui est «vulnérable» et «dangereux» à la fois. (p.136)</p> <p>A la suite de rencontres aventureuses, frôlant l’absurde sans en éviter le tragique, Wahhch se confronte à l’assassin. Mais le labyrinthe dans lequel nous engouffre <i>Anima </i>est encore loin de se terminer, car le but initial ne devient alors qu’une étape dans la quête véritable du personnage principal. Personnage qui doit encore retrouver quelle personne il est, recouvrer son nom en remontant à travers ses origines, pour saisir à nouveau un sens et les paroles, pour sauver ce qui peut être sauvé. Mais, on le sait depuis les traditions religieuses les plus antiques, en passant par le christianisme: tout salut ne se vit qu’à travers un sacrifice. Le Christ donne sa vie pour que tous aient la vie éternelle, Wahhch donne son âme pour que chacun retrouve la sienne. </p> <h3>La voix animale</h3> <p>La caractéristique la plus notable du roman, qui constitue sa poésie et son originalité, c’est sa narration animale. Trois des quatre parties du livre sont prises en charge par des animaux, des animaux non-humains. En réalité, on pourrait considérer que toute l’œuvre est portée par la voix animale, dans la mesure où l’homme est bien considéré en tant qu’animal parmi les animaux dans la quatrième partie. Le titre de celle-ci, «Homo sapiens sapiens», vient à la suite d’autres termes scientifiques qui indiquent le nom de l’animal qui pose un regard décalé du nôtre et qui narre la réalité qu’il observe.</p> <p>Une telle entreprise aurait pu assez facilement virer à la catastrophe. Elle marque néanmoins le coup de génie du roman. 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Tel est le cas avec les animaux, qui ne sont pas considérés en tant qu’entité unique, mais bien dans leur individualité, et j’oserais dire dans leur <i>personnalité</i> respective.</p> <p>La forme parle pour le fond: à travers les récits des animaux, l’auteur n’a nul besoin d’affirmer que chaque animal est doté d’une âme dont les caractéristiques sont traditionnellement attribuées à l’homme seul, nous en dressons le constat en nous laissant porter par le style soumis du chien ou passif du poisson.</p> <p>Au niveau sémantique, le regard de l’animal nous permet de poser un regard nouveau sur l’homme. En effet, la considération de l’animal pour l’homme prend une dimension plus profonde lorsqu’elle n’est pas expliquée par l’homme, mais qu’elle sort de la gueule ou du bec de l’animal lui-même, par ses propres <i>paroles</i>. Certes, on sait bien que dans les paroles du chien il y a celles de l’auteur, et pourtant la littérature permet de créer des possibilités que la science ignore. Scientifiquement, un chien ou toute autre bête, ne peut parler; mais en littérature, oui, si le texte indique que c’est tel chien qui narre, il en est alors réellement ainsi. En effet, la fiction peut dire vrai, même pour des faits qui ne sont pas observables dans la réalité du monde humain.</p> <p>A titre d’exemple, citons un passage vibrant de beauté, qui sonne comme évidence: «L’humain est un corridor étroit, il faut s’y engager pour espérer le rencontrer. Il faut avancer dans le noir, sentir les odeurs de tous les animaux morts, entendre les cris, les grincements de dents et les pleurs. […] L’humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c’est pour cela que son affection pour l’humain est infinie.» (p.149) Il semblerait véritablement que nous entendons la voix d’un chien. Chien dont on découvre qu’il prend en pitié l’homme au vu de sa condition de détresse permanente. 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