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Chronique

Chronique / Amis libanais, tenez bon!

Jacques Pilet

10 novembre 2017

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Qui y a voyagé à plusieurs reprises ne peut qu’aimer ce pays. Un bout du Moyen-Orient, le seul peut-être, qui tente encore l’exercice de la tolérance, qui tente de garder une cohérence entre des communautés religieuses partout en conflit autour de lui. Mais aujourd’hui, il est à nouveau gagné par la peur.



Rappel. Ce petit Etat (6,3 millions d’habitants), indépendant depuis 1943, réunit des chrétiens, des sunnites et des chiites. Il connut une terrible guerre civile de quinze ans (1975-1990). Encouragée par des puissances extérieures. Puis il s’est reconstruit. Il s’est donné une constitution qui partage le pouvoir entre ces diverses communautés. Son essor économique retrouvé fut à nouveau cassé en 2006 avec une intervention israélienne qui détruisit ses infrastructures. A nouveau, il est reparti. Lorsqu’éclata le conflit syrien, beaucoup crurent qu’il allait s’étendre au «pays des Cèdres». Ce ne fut pas le cas mais plus d’un million de réfugiés affluèrent. Globalement bien acceptés malgré le bouleversement démographique qu’ils provoquèrent. Comment ne pas admirer un tel pays?

A peine croyable

La classe politique, intrigante et souvent corrompue, réussit au bout du compte à maintenir l’équilibre intérieur. En respectant, après des mois de tergiversations, la règle constitutionnelle: un président chrétien, un premier ministre musulman. Michel Aoun (qui ne représente qu’une partie des chrétiens), un des «seigneurs de la guerre» des années 80, et Saad Hariri, fils de Rafik Hariri, homme d’Etat libanais lui aussi, grand brasseur d’affaires aux fortes attaches avec l’Arabie saoudite, assassin Beyrouth en 2005. Cet édifice tient debout avec l’appui du Hezbollah, la milice chiite du sud Liban devenue une puissance politique incontournable, engagée aux côtés de l’Etat syrien, soutenue par l’Iran.

Or vous tremblez à nouveau, amis libanais. Ce qui vient de se passer est à peine croyable. Le premier ministre Hariri a quitté le pays, s’en est allé en Arabie saoudite où il a lu devant les télévisions une déclaration annonçant sa démission, pourfendant l’influence iranienne. Personne n’a cru, chez vous, à une démarche libre et spontanée. Tout s’est passé comme s’il avait été convoqué par ses protecteurs saoudiens et contraint de lire en ânonnant, le nez collé sur la feuille, le discours écrit pour lui. Par qui? Par le nouvel homme fort de Ryad, le prince héritier Mohammed Ben Salmane, dit MBS. Celui-là même qui, simultanément, faisait arrêter tous ses rivaux potentiels.

Depuis lors, plus de nouvelles de Saad Hariri. Sinon quelques nouvelles rassurantes données aux diplomates français. Il faut savoir que le premier ministre libanais (ex?) a passé son enfance en Arabie saoudite où on le considère comme citoyen de ce pays. On murmure aussi qu’il est en fait le fils naturel d’un membre de la famille royale. A Ryad, le personnage est plus que vulnérable.

Le leader chiite Hassan Nasrallah exige le retour au Liban du premier ministre sunnite qu’il voit en otage de Ryad. Toutes les factions se joignent à cette requête. Les réseaux sociaux s’échauffent. Un «rassemblement citoyen» est prévu sur la place des Martyrs.

Jusqu'où l'Arabie saoudite ira-t-elle?

Vous avez de quoi vous inquiéter, amis libanais. Vous êtes déjà dans le collimateur d’Israël qui craint le puissant Hezbollah à sa frontière, qui fait souvent survoler votre capitale par ses chasseurs. Et voilà que l’Arabie saoudite qui a tant contribué à votre relative prospérité se déclare aujourd’hui votre ennemie. Elle vient d’appeler ses ressortissants à quitter le pays. Jusqu’où ira-t-elle?

L’affrontement entre chiites et sunnites met déjà le feu à la région. En Irak, en Syrie, au Yémen. Va-t-il casser maintenant le Liban? On peut espérer que les grandes puissances, Etats-Unis en tête, l’empêcheront. Mais avec Trump, tout est possible, surtout le pire.

Nous ne vous abandonnerons pas, amis libanais. Cette année annonce un record de votre tourisme (deux millions de visiteurs). Non sans raison, votre pays est si plaisant. Beyrouth a du charme, vos rivages sont magnifiques et vos montagnes aussi. On trouve chez vous les héritages variés de toute une histoire du Moyen-Orient. Et de l’Europe, de tous temps si proche de vous, pour le pire et le meilleur. A bientôt. Nous continuerons de vous rendre visite.

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