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Chronique

Chronique / «Ainsi s’agrandit le monde»


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«Ce vice impuni, la lecture.» La formule, célèbre, est de Valery Larbaud (1881-1957) qu’il a lui-même reprise d’un certain Logan Pearsall Smith pour en faire le titre de ses recueils d’articles consacrés, pour l’un, au domaine anglais, pour l’autre, au domaine français. Grand lecteur s’il en est, sa bibliothèque personnelle comptait quelques quinze mille volumes reliés de différentes couleurs selon qu’ils étaient en français, en anglais ou en espagnol. Or, comment ne pas penser à Larbaud après avoir lu le dernier ouvrage de Michel Le Bris, «Pour l’amour des livres», ode à la littérature et à la lecture?



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On ne présente plus Michel Le Bris. Qui fut pêle-mêle directeur de La Cause du peuple, cofondateur du journal Libération, compagnon de Jean-Paul Sartre, qui fit partie des Nouveaux Philosophes à la suite de la publication de L’Homme aux semelles de vent (1977). Suivront Le Paradis perdu (1981) et Le Journal du romantisme – c’est à ce moment-là que nous nous étions rencontrés pour une interview. Et puis ce sera le retour en Bretagne, la Californie sur les traces de Stevenson et bien sûr la création du festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo, en 1990. Car c’est sans doute là le grand mérite de Le Bris: avoir tiré de l’oubli et redonné leur place aux récits de voyage et aux romans d’aventure. Tout une littérature alors vilipendée et méprisée par les tenants du structuralisme et leurs épigones. Fort heureusement, ce temps-là est bien fini; on en est complètement revenu. Même un Tzvetan Todorov (1939-2017), rappelle Le Bris, a fini par s’aviser de l’ineptie et des dégâts de cette idéologie – car c’en est une – concédant lui-même dans La Littérature en péril (2006) que c’est le lecteur qui a raison, qui «cherche dans les œuvres de quoi donner sens à son existence.»

Cette quête, l’auteur de Pour l’amour des livres l’a entreprise très tôt. Grâce notamment à son instituteur en Bretagne qui lui mit entre les mains quantité d’ouvrages. Depuis les romans de «La Bibliothèque verte» jusqu’à La Condition humaine en passant par le Bossu de Féval dans la collection «Marabout géant», La Guerre du feu de Rosny aîné – qui marqua des générations de lecteurs – ou encore Le Rhin de Hugo. Le même instituteur lui dit un jour: «Tu sais, je donne des sujets, mais si tu as envie de raconter une autre histoire, n’hésite pas… » Ensuite, c’est un professeur de Paris de passage qui l’encouragera à poursuivre ses études au Lycée Hoche de Versailles, grâce à une bourse, convainquant sa mère de l’y suivre. S’arrangeant même avec les châtelains, chez qui elle travaillait, afin qu’ils l’emploient comme cuisinière au haras qu’ils possédaient près de Rambouillet!

Nous avançons dans le bruissement des livres qui nous ont faits

Ce qui me rend proche de Le Bris, quand bien même il y avait énormément d’ouvrages à la maison, c’est que moi aussi j’ai eu la chance d’avoir une enseignante qui me prêta ses «Livres de poche» et, plus tard, un professeur qui demandait à ses élèves des textes libres. Et, comme Le Bris, je garde précieusement quelques volumes lus dans l’enfance: l’édition originale d’A la poursuite du soleil (1929) d’Alain Gerbault préfacée par le commandant Charcot, dans laquelle j’ai appris à lire avec ma mère, ou encore, en «Marabout géant», Vingt ans après ainsi que Guerre et Paix. Et comme lui encore je crois que nos premières lectures, mais pas seulement elles bien sûr, nous marquent à jamais et nous constituent, car elles agrandissent notre univers: «Nous naissons, nous avançons, dans le bruissement des livres qui nous ont faits, des rencontres dont nous sommes nourris, et dont tant furent des libraires.»       

Edition originale d’A la poursuite du soleil d’Alain Gerbault © Raphaël Aubert

Parmi les auteurs découverts dans l’enfance par Le Bris et qui ne l’ont plus quitté, il y a, je l’ai déjà mentionné, Robert Louis Stevenson (1850-1894) et bien sûr Jack London (1876-1916). Il entreprit même une biographie de l’auteur de L’Ile au trésor et publia en français plusieurs de ses livres, dont ses Essais sur l’art de la fiction – tout le contraire encore de la pensée structurale. Et de fouiller pour cela les bibliothèques américaines conservant ses manuscrits. De même pour London sur les traces duquel il partit. Ce qui l’amena à de nombreuses rencontres souvent fortuites – mais on sait bien que le hasard n’existe pas. Ainsi, près de Glen Ellen, en Californie, la rencontre d’un couple d’admirateurs de l’auteur de L’Appel de la forêt qui va se révéler être rien moins qu’à l’origine du sauvetage du fameux bar, «The First and Last Chance Saloon», à Oakland, qui inspira à London plusieurs scènes de ses romans, et, plus tard également, le rapatriement du Canada de sa cabane de chercheur d’or.

Chercheur d’or – de «l’or du temps» dirait André Breton: ce pourrait bien être en fin de compte, la définition même de l’écrivain. Et donc de celui qui lit.


Michel Le Bris, Pour l’amour des livres, Grasset, 2019

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