Une maison d'habitation détruite par les combats à Boutcha. © Kisnaak - CC BY SA 4.0
Le rapport de Amnesty international sur la mise en danger des civils par les combattants ukrainiens passe mal à Kiev et chez les Occidentaux, trop bien à Moscou. Sur le fond il n’est pas contesté. Mais on entend qu’il ne fallait rien dire de ces agissements pour ne pas jeter une ombre sur le pouvoir ukrainien. Plusieurs journaux n’ont d’ailleurs pas publié le communiqué dérangeant à sa sortie et n’ont fait place qu’aux protestations. Problème: les pays occidentaux affirment qu’en soutenant l’Ukraine, ils soutiennent la démocratie en Europe. Très bien, mais si cette croisade pour la liberté amène à faire taire des faits… quelque chose cloche.
La question mérite réflexion: faut-il voir la guerre en face sous tous ses aspects ou cadrer le regard en fonction de nos convictions?
Il est possible de prendre parti, condamnant en l’occurence l’invasion russe en Ukraine, et à la fois considérer les atteintes au droit dans le camp «ami». Or dans le cas soulevé par Amnesty international, il est certain que placer des soldats dans les logements civils, les écoles et les hôpitaux, attirant ainsi le feu sur la population désarmée, c’est une atteinte au droit de la guerre. Il y en a certes de l’autre côté et le même organisme les a dénoncées. Les responsables maintiennent leurs informations, d’ailleurs confirmées par un récent reportage sur place de France Info, mais ils ont regretté d’avoir blessé ainsi une part de l’opinion publique ukrainienne.
Bernard-Henri Lévy trouve la publication de ce rapport «ignoble». Il ajoute: «Comme si on avait, en 1944, accusé les résistants de se battre dans Paris». Parallèle absurde. On pourrait en faire un autre. Lorsque les Britanniques ont bombardé Le Havre et plusieurs autres villes françaises en 1944, quasiment sans impact sur les positions allemandes mais causant des milliers de morts dans la population civile, a-t-on le droit d’en parler? Lorsque les Alliés ont rasé la ville de Dresde (35’000 morts) en février 1945, sans aucun effet sur le déroulement de la guerre qui approchait de sa fin, a-t-on le droit de parler d’un crime? Ou faut-il enterrer ces sombres chapitres afin de ne pas porter quelque ombre sur les vainqueurs du Reich? Comme l’ont fait les Soviétiques de leur côté, n’acceptant jamais d’évoquer les horreurs commises sur la population civile lors de leur avancée en direction de Berlin… Comme les Russes aujourd’hui sont loin d’admettre leurs scandaleux comportements face aux civils, à Boutcha et ailleurs.
Et nous? Nous avons la chance de n’être pas sous le feu, nous pouvons donc, nous devons regarder la réalité sous toutes ses facettes. Brandir l’étendard de la liberté tout en la rognant, c’est trahir nos convictions démocratiques.
Ce n’est pas tout. Outre les considérations éthiques se pose aussi la question, froidement posée, des conséquences politiques, mais aussi judiciaires qu’auront tôt ou tard de tels dérapages. La mise en danger des civils heurte nombre d’Ukrainiens et Ukrainiennes, en particulier dans l’est et le sud. Ils pourraient relâcher ou retirer leur soutien au gouvernement de Kiev. Et est-ce que les enquêteurs de la Cour pénale internationale auront accès aux moyens de preuve? Et oseront-ils dresser des actes d’inculpation? Ou bien, comme au Kosovo il y a vingt ans, les Occidentaux empêcheront-ils la justice internationale de poursuivre leurs amis criminels? Rappelons qu’il aura fallu le courage des héros tessinois Dick Marty et Carla Del Ponte pour rouvrir ces dossiers.
Autre fait peu ou pas répercuté: le pouvoir ordonne une chasse aux suspects de trahison. Dans certaines villes russophones, des policiers frappent à la porte des particuliers, vérifient leur identité et fouillent leurs téléphones. A Mykolaïv un couvre-feu de trois jours a été décrété pour «neutraliser les collaborateurs». Cette méfiance systématique, avec les centaines d’arrestations qu’elle entraîne, n’est pas spécifiquement condamnée par le droit de la guerre mais elle pourrit le climat dans les zones sensibles, où l’opinion est en effet discrètement divisée. Cela augure mal de l’avenir quel qu’il soit.
Les vrais amis du gouvernement ukrainien ferait bien de lui rappeler ces évidences à l’heure où il se trouve manifestement sous la pression des plus durs va-t’en-guerre. Il est vrai que les appels au respect de la démocratie seront accueillis avec ricanements dans les mouvances ultra-nationalistes. Leurs leaders historiques et actuels n’en ont que faire. Ils considèrent ces principes comme une influence occidentale à repousser aussi bien que celle de la Russie. Certes sans le dire trop haut et sans violence, mais les Occidentaux devront un jour ouvrir les yeux sur cet écart dans la vision que peuvent avoir les Ukrainiens eux-mêmes sur l’Ukraine du futur.
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A l’initiative d’un infatigable, le Cheikh Khaled Bentounes, algérien, leader de la fraction minoritaire, humaniste et pacifiste de l’islam, le soufisme (300 millions de fidèles). Depuis quarante ans, explique-t-il, il parcourt le monde pour promouvoir le dialogue interreligieux, l’égalité hommes-femmes, la protection de l’environnement et la paix. Juste de beaux discours? </span></p> <p><span>Il a connu bien des échecs. Comme dans sa tentative de faire débattre des rabbins et des imams, comme dans ses espoirs de désamorcer l’interminable hostilité entre l’Algérie et le Maroc, ses deux patries. Il voit bien qu’un peu partout, c’est l’intérêt géopolitique qui l’emporte, camouflé ou pas sous des antagonismes religieux. Quelle patience! Mais la force de la pensée fait tourner la roue, pense-t-il. La reconnaissance de la dignité humaine, certes tant bafouée aujourd’hui, a aussi progressé au fil du temps. 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Informer les enfants sur la sexualité, d’accord, mais pourquoi pas aussi sur nos comportements individuels et collectifs entre tensions et rapprochements? Autrement dit, apprendre à se parler pour de bon. Se dire, pour citer le chef soufi, que «la paix, c’est plus que l’absence de guerre» ou «passer du je au nous». Mais évidemment il y a plusieurs façons d’interpréter le mot. Comme le faisait remarquer la vice-maire de Genève, Christina Kitsos: «Quand on prétend chercher la paix en prolongeant la guerre, c’est paradoxal!»</span></p> <p><span>Au Palais des Nations le débat volait haut. Mené par le cinéaste romand Philippe Nicolet, avec des intervenants et intervenantes d’horizons très divers. Entre autres Jakob Kellenberger, ex-diplomate et ex-président du CICR, fort de son expérience de négociateur («une négociation n’a de chance que si elle a le droit d’échouer»), penché sur la façon de «déradicaliser» un conflit, insistant sur la crédibilité des efforts dans la durée. 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Parce que cette coopération militaire nous rassure dans des temps incertains? Parce que nous serions protégés au cas où les Russes se pointeraient à Romanshorn? Pour l’heure, leur «victoire» en Ukraine se borne à conquérir quelques villages à proximité de la malheureuse Kharkiv accablée de bombes. A quelques dizaines de kilomètres de la frontière avec la Russie et de Belgorod, ville russe maintes fois atteinte par les drones et missiles ukrainiens que la défense antiaérienne ne parvient pas tous à intercepter. Mais voilà… tant de voix s’élèvent en Europe pour prédire que l’armada de Poutine va nous envahir! Alors que le Kremlin compte aussi ses morts, n’arrive plus à cacher ses difficultés à renouveler les effectifs, contraints d’aller chercher drones et munitions en Iran ou en Corée du Nord…</span></p> <p><span>Le constat politique, lui, n’est pas hypothétique mais bien réel. 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Syndicats et autorités politiques ont pourtant tout fait pour sauver l’entreprise historique, aux mains d’une multinationale qui compare avantages et inconvénients de chaque lieu de production. Ici, hauts salaires, franc fort et dans ce cas, retard technologique. Donc, départ. Chapeau aux travailleurs qui cherchaient des solutions, des innovations. Les voilà licenciés. Les messages de solidarité font du bien mais n’assurent pas leur avenir. Qu’ils puissent être aidés à rebondir.</span></p> <p><span>Est-ce à dire que notre pays est menacé de désindustrialisation comme il en est beaucoup question chez nos voisins? Gare aux réponses trop simples. Les faits. Face au secteur des services comptant les banques et les assurances, le tourisme, le commerce de gros et de détail, l'administration publique et les assurances sociales, qui pèse pour 75% du PIB, l’industrie résiste, avec environ 24% (contre moins de 14% en France!). 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Le groupe pharmaceutique Lonza, dont le siège est à Bâle mais le site de production à Viège, y a investi plus d’un milliard de francs. Un nouveau complexe de production high-tech fournit des solutions adaptées pour le développement et la fabrication de nouveaux médicaments. Ce site et ses possibilités inédites dans la pharma ancrent Viège et le Valais au cœur des chaînes mondiales de création de valeur. Les investissements dans la recherche et la formation ont joué un rôle majeur pour le développement économique du canton. A la génération précédente, c’est la HES, la Haute école spécialisée, qui a formé des ingénieurs précieux pour alimenter une industrie en plein essor. Petit à petit tout un écosystème propice à l’émergence d’idées innovantes s’est installé en Valais. La Fondation The Ark favorise l’établissement et l’éclosion de start-ups dans les domaines de l’informatique, de l’énergie, des sciences de la vie et de l’environnement. 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Ou leur politique dite verte conduira-t-elle à la décroissance? La concentration des efforts sur la course aux armements et l’aide à l’Ukraine, telle qu’elle est brandie aujourd’hui, peut aider certains secteurs industriels mais coûtera extrêmement cher. On articule à Bruxelles le chiffre de 100 milliards à cette fin d’ici 2029. Ce sera forcément au détriment d’autres attentes, dans les infrastructures, l’éducation, la recherche, la cohésion sociale. Sans compter que la transition écologique, nous assure-t-on, nécessitera en plus une pluie de milliards. Quelles priorités fixera le nouveau Parlement? Selon les choix, les retombées sur l’économie suisse seront différentes. Le surarmement de l’Europe ne nous rapporte quasiment rien, sa santé économique et sociale nous est bien plus bien profitable.</span></p> <p><span>Deuxième point. Le fonctionnement même de l’Union. Deux tendances s’affrontent. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
10 Commentaires
@nanac 12.08.2022 | 09h10
«Excellent rééquilibrage de l'information. J'apprécierais que Bon Pour la Tête fasse une même appréciation critique au sujet des crimes de Boutcha. J.-M. Bovy»
@abusofara 12.08.2022 | 10h24
«Toute armée a des casernes dans les villes, si ce n'est pour être à proximité des services, électricité, gaz, eau, égouts. Et pourquoi loger la troupe sous tente quand il y a des lits disponibles à proximité? »
@hermes 12.08.2022 | 11h23
«« voir la guerre en face sous tous ses aspects « très bien M. Pilet, mais comme lors de la Seconde Guerre mondiale, il sera toujours temps de le faire une fois le conflit ukrainien réglé! Aujourd’hui, nous sommes dans un combat crucial pour la démocratie, en lutte contre un tyran qui n’a que faire de l’opinion et de l’existence de ses citoyens, et l’heure n’est pas à polémiquer sur un comportement exemplaire ou non de ceux qu’il agresse depuis cinq mois! Nous faisons partie des 30% de l’humanité vivant en démocratie et il serait bon de ne pas passer son temps à scier la branche sur laquelle nous sommes assis!»
@Latombe 12.08.2022 | 12h52
«L'analyse de J. Pilet me laisse perplexe. Comment parler d'une guerre tellement sale que son initiateur la cache sous le nom d'opération spéciale? Et une sale guerre peut-elle autre qu'une guerre sale?
Henri Dunant l'avait bien compris en se contentant, sans prendre position sur les belligérants - pragmatisme helvétique - de prendre soin des blessés. Avec Amnesty on veut aller plus loin en dénonçant tous les actes que cette organisation juge inadmissibles.
Y aurait-il donc une justice internationale surplombant toutes les convictions et les coutumes des peuples du monde entier, si oui sur quels fondements pourrait-elle se baser?
Pour l'instant je fais davantage confiance au gouvernement ukrainien qu'à celui de la Russie, même si quelques coups de canifs aux conventions de Genève sont de son fait, comme la présence de soldats dans des écoles (vides). Va-t-on faire hurler Amnesty en poursuivant la pratique de l'armée suisse de cantonner ses troupes dans les salles de gym?
Quant à la détestation d'un peuple contre un autre à l'issue d'une guerre, je ne crois pas à l'apocalypse, elle se dissout avec les générations et mène à terme à une résilience. Voyez les bonnes relations des Allemands avec la Grande Bretagne et les E-U (les responsables des incendies criminels de Dresde et de Hambourg) et la collusion entre le Japon et ces mêmes E-U qui l'ont mis à genoux à coups de bombes thermonucléaires.
L'amitié entre les peuples se construit et se reconstruit malgré les coups de canif dénoncés par Amnesty.»
@simone 12.08.2022 | 17h41
«Merci de votre article. La démocratie exige courage et honnêteté. C'est l'absence de ces deux forces qui favorise les appels à la haine et aux escalades meurtrières. Les crimes des uns ne justifient pas ceux des autres, mais la conscience d'une égalité dans l'imperfection peut conduire à la paix.»
@willoft 14.08.2022 | 22h02
«C'est un peu comme la Suisse, l'Albanie et Dick Marty, une farce démocrastique autant qu'élastique»
@Erwan 15.08.2022 | 16h08
«La majorité des va-t-en-guerres, qu'ils soient politiciens, journalistes ou simples commentateurs, répètent "démocratie" comme un mantra et ne se rendent pas compte à quel point ce mot est galvaudé jusqu'à en devenir complètement vidé de son sens. Pouvoir choisir ses maîtres tous les 5 ans parmi un petit panel de gens issus du même monde d'en haut et déconnectés des réalités, on ne peut pas appeler cela de la démocratie.»
@Francois 15.08.2022 | 19h56
«Merci de la démonstration. On souhaite une bonne raclée aux agresseurs, pour l'exemple. S'agissant des agressés, il est toutefois exclu de leur donner Dieu sans confession. Les conventions de Genève ne s'appliquent pas qu'aux méchants. Amnesty n'est pas en guerre, son devoir d'information reste entier. L'effet dissuasif de ce rapport est d'ailleurs déjà perceptible: le gouvernement ukrainien semble beaucoup plus soucieux depuis quelques jours d'en appeler à l'évacuation des populations civiles des zones de combat. »
@Maryvon 18.08.2022 | 10h24
«@Latombe
Contrairement à vous, je ne pense pas que les peuples oublient ce qu'ils ont enduré pendant les guerres. Vous relevez dans votre commentaire que les membres de l'UE s'entendent très bien. Cela me laisse perplexe. Les français boivent du petit lait quand leur voisin allemand rencontrent des difficultés. Dernier exemple en date, l'approvisionnement en gaz dont les allemands sont presque entièrement dépendants de la Russie. Quant au Japon, je ne crois pas une seconde que le peuple ait tiré un trait sur l'horreur que les plus âgés ont vécue à cause des bombes thermonucléaires. Non, je pense que la mémoire ne s'efface pas d'un coup de baguette magique. »
@rogeroge 03.09.2022 | 23h50
«Brandir l’étendard de la liberté tout en la rognant, c’est trahir nos convictions démocratiques: exactement!»