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Analyse / L’humanité est entrée dans l’âge du dépeuplement


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Après la crainte de l’explosion démographique, voici venue celle de l’implosion. En effet, selon les démographes, l’humanité est passée en 2024 sous son seuil de renouvellement. A l’exception de l’Afrique, tous les autres continents sont entrés en récession féconditaire. La tendance est inexorable. Les conséquences seront nombreuses, pour ne pas dire vertigineuses. Et cela à tous les niveaux.



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Le bruit et la fureur des bombes, des invasions, des coups d’Etat et des effondrements de régime qui ont marqué l’année 2024 à Gaza, en Ukraine, au Liban, au Venezuela, en Roumanie ou en Syrie ont masqué l’événement qui sera peut-être le plus significatif de ce siècle, à savoir que l’humanité vient de passer sous son seuil de renouvellement. L’ère du dépeuplement a commencé, sans bruit, mais de façon inexorable. Après la crainte de l’explosion démographique, voici venue celle de l’implosion.

 On sait depuis longtemps que le taux de fécondité doit atteindre au moins 2,1 enfants par femme – en réalité 2,18 à l’échelle planétaire – pour assurer le renouvellement de l’espèce humaine. Or les démographes estiment que la chute globale des taux de fécondité sur l’ensemble de la planète a fait exploser ce seuil dans le courant de cette année. Des cinq continents, quatre sont entrés en récession féconditaire, y compris les régions qu’on pensait les plus dynamiques en matière de natalité, telles que l’Inde, l’Indonésie, l’Iran ou l’Amérique latine.

L’Afrique et la Corée du Sud, deux extrêmes

Seule l’Afrique est encore en croissance absolue, avec un taux moyen de 4,3 enfants par femme. Mais depuis peu la vitalité africaine ne compense plus l’érosion de la fécondité des autres continents. Car la courbe y est aussi en régression. Ce n’est qu’une question de temps – deux générations estime-t-on – pour que l’Afrique passe elle aussi sous le seuil de renouvellement.

Le champion toutes catégories de l’effondrement des naissances est la Corée du Sud, avec un taux de fécondité de 65% inférieur au taux de renouvellement (0,67 enfant par femme). On estime qu’en 2050, le pays comptera trois décès pour une naissance et 1,2 travailleur actif pour un senior. Si la tendance actuelle se poursuit, le pays perdra 95% de sa population d’ici un siècle.

La Suisse, avec 1,3 enfant par femme, et l’Europe en général, font plus ou moins bonne figure. Mais la tendance à l’infécondité y est ancienne et leur population a déjà passablement vieilli. Ces chiffres globaux cachent en effet de fortes disparités locales et sont d’autant moins perceptibles que la population globale continuera à augmenter pendant encore une ou deux générations, jusqu’à ce que la population des pays plus jeunes vieillisse et que le nombre de décès y dépasse celui des naissances.

Dans cinquante ans, la planète aura un visage complètement différent. Non seulement elle sera beaucoup plus vieille mais certains pays comme le Bangladesh, le Nigeria, la RDC et les pays du Sahel seront devenus des superpuissances démographiques tandis que d’autres, tels le Japon, la Corée ou Taiwan, se seront progressivement effacés de la carte. Des puissances occidentales, seuls les Etats-Unis tireront leur épingle du jeu grâce à un taux de natalité moins catastrophique et au maintien d’une immigration massive (pour autant qu’elle soit acceptée politiquement…)

L’évolution des mentalités en cause

Quelles sont les causes de ce changement tectonique? Les démographes ont longtemps cru que la prospérité était à l’origine de la chute de la natalité et que la pauvreté encourageait la fécondité. Cette hypothèse est infirmée par les faits: certains pays riches tels la Scandinavie et les Etats-Unis s’en sortent plutôt bien alors que des pays réputés pauvres, tels les Philippines, l’Amérique du Sud ou le Cap-Vert sont déjà passé en-dessous du seuil de renouvellement et que le taux de fécondité par femme chute partout, y compris dans les pays les plus pauvres.

Aujourd’hui, les démographes mettent plutôt en avant le recul général du mariage et du désir partagé d’avoir des enfants. Pour toutes sortes de raison, dont la vogue LGBT n’est pas la moindre en Occident, le nombre de mariages mais aussi l’âge du mariage ne cessent de reculer, raccourcissant d’autant plus la période de fécondité des femmes. Partout les couples se font et se défont sans passer par la case mariage, chacun et chacune cherchant à favoriser son épanouissement individuel plutôt que commun. C’est moins le désir d’enfant qui aurait diminué chez les jeunes femmes que le sentiment d’insécurité procuré par cette absence d’engagement à long terme.

Ce sentiment d’insécurité est d’autant plus vif qu’un seul salaire, comme c’était encore le cas dans les années 1960, ne suffit plus à assurer un niveau de vie décent pour un ménage. Cette donnée est une précieuse indication pour les politiques natalistes: ces dernières sont vouées à l’échec tant que les femmes en âge de procréer n’auront pas la garantie de bénéficier d’un cadre de vie décent pour elles-mêmes et leurs enfants.

Vers une humanité plus grise et plus noire

Quant aux conséquences de cet effondrement de la natalité, elles sont tout simplement vertigineuses. Non seulement à cause du vieillissement et de la croissance du coût des retraites et des soins de santé, mais aussi en termes de vie politique – il faudra de plus en plus cajoler l’électorat vieillissant – d’éducation, de formation et d’innovation – la Chine ferme déjà ses crèches pour ouvrir des EMS, les universités abaissent leurs seuils d’exigence pour attirer les étudiants les moins qualifiés, les armées et les usines peinent à recruter – d’infrastructures et de construction – désertification de certains quartiers et régions – ou encore de recettes fiscales en chute libre alors que les dépenses sociales explosent.

La géopolitique, avec l’émergence de nouvelles puissances et le déclin des plus anciennes, va s’en trouver modifiée, de même que la structure interne de certains Etats, certaines cultures et religions, tels l’islam, le judaïsme orthodoxe ou le catholicisme ayant tendance à faire davantage d’enfants que les peuples laïques et athées. En 2124, l’humanité sera donc plus grise, à cause de l’âge, et plus noire, à cause de la prééminence retrouvée de l’Afrique, après des millénaires d’éclipse.

Faute de descendance, des familles entières vont s’éteindre. La famille en tant qu’institution risque d’ailleurs de disparaitre. De même, l’Etat va s’en trouver chamboulé: l’Etat-providence, maternant et pourvoyant à tout, va s’étioler. Mais les peuples qui auront su maintenir un esprit de communauté, d’entraide collective, inventeront des formes de solidarité de substitution.

Faut-il paniquer? Pas vraiment

Après tout l’humanité a déjà connu des effondrements démographiques extrêmes. A la suite de la peste noire, l’Europe a perdu près de 40% de sa population en quelques décennies. Mais elle a su rebondir. A la fin du XIIIe siècle, la Chine a perdu la moitié de sa population mais elle a pu la reconstituer en quelques siècles sans jamais perdre sa prééminence de première économie du monde jusqu’à ce que les guerres coloniales n’en décident autrement. Et la pression sur l’environnement, le climat, les ressources naturelles, pourrait s’alléger.

La tendance au dépeuplement est installée pour longtemps et n’est pas réversible à terme. Mais le destin n’est pas écrit et rien n’interdit de penser que l’humanité de demain sera moins capable de relever les défis qui l’attendent que ne l’ont été les générations du passé.

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