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Lu ailleurs

Lu ailleurs / Nous n'avons rien appris à Hiroshima

Marie Céhère

12 août 2020

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Le monde a commémoré les 75 ans des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, point final à la Seconde guerre mondiale qui ont fait au total près de 200’000 victimes, sans compter les pathologies résultant de l’exposition aux radiations, aux ondes de choc, et les grands brûlés. Mais avons-nous bien retenu la leçon? Un éditorialiste du Guardian affirme que non.



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En 1947, alors que les relations entre les Etats-Unis et l’URSS se tendent et donnent naissance à la Guerre froide, des scientifiques de l’université de Chicago créent «L’horloge de la fin du monde» ou «Horloge de l’Apocalypse». Minuit indique la fin du monde, et l’heure donnée par les aiguilles se rapproche ou s’éloigne de minuit selon l’importance de la menace, en particulier nucléaire, sur la paix et la sécurité. Depuis janvier dernier, l’horloge affiche 23 heures 58 minutes et 20 secondes, ceci en raison «de l’incapacité des dirigeants mondiaux à faire face au changement climatique» et surtout «de la menace imminente d’une guerre nucléaire». 

L’horloge n’avait pas donné cette heure depuis 1953 et les essais thermonucléaires américains puis soviétiques; notre monde serait donc plus que jamais proche de sa fin. C’est cette menace, que nous avons un peu perdue de vue, que dénonce dans les pages Opinion du Guardian l’éditorialiste de politique étrangère Simon Tisdall.

Depuis des décennies, les commémorations des bombardements atomiques de l’armée américaine sur le Japon étaient accompagnées de manifestations aux slogans de «Ban the bomb», exhortant les Etats à démanteler une fois pour toutes leur arsenal nucléaire. Ces voix s’éteignent peu à peu. 

En dépit du traité sur la non-prolifération1, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) avance que les neuf principales puissances nucléaires (les Etats-Unis, la Russie, la Chine, Israël, le Royaume-Uni, la France, l’Inde, le Pakistan et supposément la Corée du Nord) possèdent au total environ 13’400 armes de ce type. Cet arsenal diminue en nombre, d’anciennes bombes et des ogives hors d’âge sont démantelées, mais augmente en puissance, suivant une course effrénée à l’innovation, en particulier sur la puissance (missiles longue portée) et la précision du vecteur. 

Aucun Etat, depuis Hiroshima et Nagasaki, n’a utilisé d’arme nucléaire contre un autre. Tout est affaire de dissuasion, et repose sur ce que l’on appelle, depuis la Guerre froide et la course à l’armement entre américains et soviétiques, «l’équilibre de la terreur». 

On n’a pas encore trouvé mieux, pour éviter une guerre, que de développer et développer encore son arsenal.

Mais cet équilibre, affirme Simon Tisdall, est menacé. Le traité sur la non-prolifération, critiqué pour n’être pas assez ferme, est de facto quasiment enterré. Le SIPRI rapporte que la Chine a entamé une modernisation radicale de ses armes nucléaires, tandis que l’Inde et le Pakistan augmentent et diversifient leur force atomique. La Corée du Nord conduit toujours des essais balistiques et laisse planer le doute sur la réalité et la qualité de son armement nucléaire. Quand les Etats-Unis, l’administration Obama comme le gouvernement Trump, consacrent près de deux mille milliards de dollars à leur «triade» nucléaire (des armes aériennes, terrestres et navales), la Russie évoque des «drones nucléaires sous-marins» et vante la portée quasi illimitée de ses missiles sous-marins. 

La mer de Chine, les frontières sino-indienne et indo-pakistanaise, le conflit Iran-Israël-Etats-Unis ou encore l’est de l’Ukraine et les velléités obscures de la Corée du Nord vis-à-vis de son voisin du sud ou des Etats-Unis, courent un réel risque de se transformer en champs de bataille nucléaires, pointent les organisations pour la paix. Celles-ci ajoutent que l’instabilité politique et économique, le populisme et l’ultra-nationalisme, les conflits pour les ressources naturelles, peuvent peser dans la rupture de l’équilibre des forces de dissuasion. 

La guerre des étoiles

La course à l’armement, et en particulier à l'amélioration des armes nucléaires, aujourd’hui, se joue aussi dans l’espace. Le 15 juillet dernier, Vladimir Poutine a annoncé que la Russie envoyait en orbite un satellite militaire défensif. De nombreux Etats en possèdent déjà et cherchent à développer leur propre bouclier, ainsi qu’un arsenal plus offensif, des engins très puissants et à haut risque, susceptibles de provoquer des pannes de réseau internet et téléphone, des failles de sécurité très importantes ou encore la désorganisation complète de tous les services de guidage. Une situation désormais «hors de contrôle» — et la bataille pour le contrôle de l’espace ne fait que commencer. Les Russes ont montré le mois dernier qu’ils étaient capables de détruire une arme spatiale ennemie, la situation peut très rapidement dégénérer.

Christopher Ford, sous-secrétaire d’Etat américain chargé de la sécurité internationale appuie: «La Russie et la Chine ont d’ores et déjà transformé l’espace en une zone de guerre». L’OTAN prévoit l’envoi de 2000 satellites militaires, défensifs eux aussi, destinés à «protéger les intérêts» des membres de l’organisation. 

Brosser ce sombre tableau est prétexte, pour Simon Tisdall comme pour les observateurs vigilants, à rappeler que les leçons et les promesses de l’après-guerre sont loin. Il faut au monde une bonne leçon d’Histoire. La mémoire est la meilleure arme pour la paix.


1Le traité sur la non-prolifération (TNP) a été signé en 1968 par de nombreux Etats et est entré en vigueur en 1970. Son but est d'empêcher que l'usage de l'arme nucléaire se répande. L'Agence Internationale de l'Energie Atomique est chargée de veiller à son application. L'Inde, le Pakistan et Israël se sont dotés de l'arme atomique mais n'ont pas signé le traité. La Corée du Nord s'en est retirée. La Suisse est signataire et a définitivement abandonné son programme nucléaire en 1988. 

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