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Lu ailleurs

Lu ailleurs / Le premier congrès féministe en suisse


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En 1896, Genève accueille le Congrès des intérêts féminins. Il ambitionne de conférer aux femmes davantage de droits et d’indépendance.



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Un article de Maelle Rigotti, 

paru dans le mensuel romand d'histoire et d'archéologie Passé simple 


A la fin du XIXe siècle, le féminisme en Suisse en est encore à ses balbutiements. «Le féminisme n’a pas encore suffisamment pris racine dans notre pays (…) Peut-être que, si nous avions un siècle de plus, ce seraient vous, Mesdames, qui, jouissant de vos droits civiques et tenant en mains les rênes de la politique, présideriez cette fête du travail et convieriez les hommes à s’associer à la glorification de vos efforts et de vos entreprises!» C’est en ces termes qu’Albert Maunoir (1863-1929), avocat et député au Grand Conseil genevois, s’exprime au «banquet des dames». Cette agape ouvre l’Exposition nationale de Genève le 1er mai 1896. La manifestation d’envergure attire à Genève plus de 2,3 millions de visiteuses et de visiteurs. Et vers la fin de l’Exposition se déroule le premier Congrès suisse des intérêts féminins, du 8 au 12 septembre 1896. L’Exposition nationale suisse vise à mettre en avant le meilleur de la production helvétique dans tous les domaines, autant industriels, sociaux que culturels. La tenue d’un congrès féminin lors d’un événement de cette ampleur constitue une occasion idéale pour les associations féministes suisses de coordonner leurs efforts et de faire connaître leurs revendications.

Le mouvement féministe du XIXe siècle est disparate et hétérogène. Il compte une centaine d’associations locales qui concentrent leur intérêt sur l’assistance aux femmes en difficulté et sur l’éducation des filles. Les femmes qui composent ces cercles sont issues de la bourgeoisie. Elles n’ont qu’une faible influence dans les milieux populaires. A partir des années 1890, le mouvement connaît un renouveau. Des associations pour les droits des femmes sont créées dans les grandes villes, comme l’Union des femmes de Genève, le Comité des femmes de Berne ou encore l’Union pour l’avancement de la cause des femmes de Zurich. Leurs demandes sont plus ambitieuses que celles des premières organisations féministes. Elles veulent de meilleures possibilités de formation et de travail, une amélioration du statut des femmes dans le droit civil, ainsi que des droits politiques.

Une force politique organisée au niveau national

En 1896, le Congrès suisse des intérêts féminins veut informer la population sur la diversité des tâches accomplies par les femmes en dehors de leur foyer. Presque toutes les associations concernées y participent.

Pour la première fois, le mouvement féministe apparaît ainsi comme une force politique organisée au niveau national. Le but est de s’adresser au plus grand nombre pour échanger sur les différentes exigences mises en avant par les associations. Les thèmes abordés portent sur les activités et les emplois des femmes, sur l’éducation et l’instruction, sur les assurances chômage, accident et maladie, sur l’accès des femmes à des postes dans l’administration publique, ainsi que sur leur statut juridique.

«Mlle Albert évalue à 25 000 sur les 50 000 femmes de 15 à 70 ans que compte notre canton le nombre des femmes qui gagnent leur vie ou qui travaillent pour améliorer la situation de leur famille.» Le Congrès relève la proportion alors importante des Genevoises qui exercent une activité rémunérée. Or l’une des revendications prioritaires de ce congrès concerne précisément la formation et le droit au travail des femmes.

Le féminisme défendu durant l’Exposition nationale reste très modéré en comparaison internationale. Les associations demandent que les femmes obtiennent des droits, considérant qu’elles n’ont que des devoirs envers la société. Dans d’autres pays, comme l’Angleterre, les féministes expriment des requêtes politiques plus fortes, comme le droit de vote pour les femmes. En Suisse, les féministes jugent que la place des femmes est au foyer et que leur premier devoir est de prendre soin de leur ménage. Cette position influence leurs revendications.

L’Alliance de sociétés féminines suisses (ASF) est fondée en 1900 à la suite du Congrès de Genève. Jusqu’en 1945, elle réunit 250 associations de toutes tendances. Elle concentre ses efforts sur l’encourage-ment mutuel et entreprend des démarches politiques pour influencer les décisions nationales.

L’ASF connaît des échecs à ses débuts. En 1909, elle abandonne sa «propagande» pour le suffrage féminin. Elle ne parvient pas à faire inscrire dans le Code civil suisse de 1912 des normes en faveur des femmes. Mais l’ASF réussit à ouvrir une centrale pour les professions féminines en 1923, après le deuxième Congrès suisse des intérêts féminins qui se tient à Berne en 1921. En 1928, l’Alliance organise la première Exposition nationale suisse du travail féminin à Berne et une autre en 1958 à Zurich.

Plus énergique et plus politique, le féminisme des années 1920 revoit ses objectifs lors du deuxième Congrès suisse des intérêts féminins de 1921. S’il admet que les sollicitations en matière d’éducation formulées en 1896 ont été entendues, il constate que le reste des demandes n’ont pas abouti: il faut obtenir encore des améliorations en matière d’assurance maladie, d’égalité salariale et de droits politiques.

Le droit de vote en... 1971

Plus d’un siècle après le premier Congrès, plusieurs lois en faveur de l’égalité ont été adoptées: le droit de vote et d’éligibilité en 1971, la révision du droit matrimonial en 1988 ou encore la loi sur l’égalité en 1996. A la lumière de cette évolution, il est piquant de citer les propos tenus par le conseiller d’Etat genevois Eugène Richard lors de l’ouverture du Congrès de 1896: «L’exercice des droits politiques par la femme, son intervention dans les luttes du forum, sa participation active aux réunions électorales souvent houleuses, où sa dignité et le respect qui lui est dû seraient exposés aux grossièretés et même aux brutalités de gens moins bien élevés ou plus passionnés, enfin les discordes possibles entre époux, tout cela n’est pas mûr pour nous et la controverse, loin d’être close, n’a pas encore démontré que le jour où elle brandira un bulletin de vote, la femme aura atteint la dernière cime.» 


Pour en savoir davantage:

Femmes, pouvoir, histoire. Histoire de l’égalité en Suisse de 1848 à 2000, sous la direction de Claudia Weilenmann, Berne, 2001.


 

Six revendications

Défenseur de la cause féminine, Louis Bridel est professeur de droit à l’Université de Genève de 1887 à 1900. Lors de son intervention au congrès de 1896, il développe six revendications:

  1. Garantir dans la législation suisse les droits de la femme, dans le mariage et hors mariage.
  2. Conférer à la femme le droit d’être nommée tutrice ou membre d’un conseil de famille.
  3. Abroger les dispositions légales en vertu desquelles la femme ne peut servir de témoin dans les actes publics et privés.
  4. Affranchir la femme mariée de son état de subordination légale, tout en considérant que le mari reste le «chef de la famille», dans la mesure où il remplit ses obligations à l’égard des siens.
  5. Reconnaître à la femme mariée sa pleine et entière capacité civile en supprimant la «tutelle maritale» et les autres institutions analogues.
  6. Instaurer dans le régime matrimonial la séparation ou l’indépendance des biens entre époux.

Numéro 57: Septembre 2020

Ce numéro peut être obtenu sur demande pour CHF 10, frais de port en sus.
Ecrire à [email protected] ou à Magazine Passé simple Sàrl, Rue du Château 34, 1510 Moudon.
Le numéro de septembre sera disponible dans les librairies Payot dès la deuxième semaine de septembre 2020.

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