Actuel / Voyage sur le front de la Mer Noire
Parlement de Gagaouzie. © G.M.
Manifestation devant le Parlement moldave. © G.M.
L'ancien Président moldave Igor Dodon. © G.M.
Si l’on entend beaucoup les pays baltes et la Pologne dans le conflit en Ukraine, les pays du front sud sont en revanche très discrets. Un forum sur la paix et la neutralité à Chisinau et diverses rencontres organisées à l’occasion des élections bulgares du 2 octobre m’ont permis de visiter la Moldavie, la Roumanie et la Bulgarie au début du mois. Le moins qu’on puisse dire est que j’en suis revenu avec des sentiments mitigés, et même assez accablé par le climat de déréliction dans lequel semblent baigner les peuples de ces pays.
Exiguë, enclavée, sans ressources naturelles, vivant essentiellement de sa production agricole et viticole, coincée entre les grands voisins roumain et ukrainien d’une part et tiraillée entre ces géants que sont l’Union européenne et la Russie d’autre part, la Moldavie, avec ses trois petits millions d’habitants, est sans nul doute le plus mal loti des trois. Mais elle y est habituée et ne s’en formalise pas trop. Les Moldaves savent que l’histoire et la géographie les ont placés au mauvais endroit. Comme le fait remarquer ce conseiller de la Présidente pro-européenne Maya Sandu, «c’est seulement la deuxième fois en mille ans que nous vivons trois décades consécutives d’indépendance et de paix.» Entre les Mongols, les Turcs, les Polonais, les Cosaques, les Russes, les Roumains ou les Allemands, la Moldavie a enchainé les invasions, répressions, déportations et guerres entre voisins.
Divisions politiques
Le pays est profondément divisé, politiquement et géopolitiquement, constate-t-il. Trois camps s’affrontent, les atlantistes pro-européens de Maya Sandu, actuellement au pouvoir, les socialistes jugés pro-russes de l’ancien Président Igor Dodon, et le parti Egalité, de tendance conservatrice mais pro-russe lui aussi, fondé par l’oligarque Ihor Shor actuellement réfugié en Israël et qui organise depuis plusieurs mois des manifestations anti-gouvernementales devant le Parlement. Un sondage récent a montré que 43% de la population s’exprime exclusivement en russe sur son portable. «Comment trouver une majorité pour voter pro-Moldave?», se demande-t-il avec ironie.
Il a parfaitement conscience de vivre dans un pays attachant mais impossible. Il me cite en exemple la fameuse Transnistrie, russophile à 200% et censée être l’ennemie du pouvoir, mais sans laquelle ce même pouvoir ne pourrait vivre puisque la province rebelle fournit l’essentiel de son gaz et de son électricité. Approvisionnée en gaz russe à travers l’Ukraine (malgré la guerre), Tiraspol le revend en effet à Chisinau tout en le brûlant pour faire tourner une aciérie dont la production est achetée par l’Union européenne! Sauf que ce gaz n’a jamais été payé depuis trente ans, ni par les uns ni par les autres, si bien que le montant cumulé de la dette envers Gazprom atteint 7 milliards de dollars (60% du PNB moldave), dette qui deviendrait immédiatement exigible en cas d’adhésion du pays à l’UE.
Choisir entre deux empires
Avec le regain de tension provoqué par la guerre en Ukraine, le pays se trouve sommé de choisir entre les deux empires, l’européen et le russe, qui se livrent une bataille sans merci. Tous les dirigeants occidentaux, de Blinken à Macron, ont fait le pèlerinage de Chisinau ce printemps pour sommer la Moldavie de prendre des sanctions contre la Russie, dont, outre l’énergie, elle dépend également pour ses exportations alimentaires. Le pays accueille des centaines de milliers de réfugiés ukrainiens et est soupçonné, malgré sa neutralité inscrite dans la Constitution, de servir de plaque tournante au trafic avec l’Ukraine. Promue officiellement candidate à l’UE, elle croule désormais sous les propositions de livraisons d’armes, les offres de coopération, les subventions aux médias tandis que les ONG soutenues par Bruxelles prolifèrent. Une course contre la montre est engagée pour détacher la population moldave de son tropisme russophile. L’UE y a dépêché ses meilleurs agents d’influence tandis que les Etats-Unis viennent d’acquérir cinq hectares au milieu de la capitale pour y construire leur nouvelle ambassade, en démolissant au passage le stade construit par les Soviétiques. Un chantier gigantesque pour un si petit pays mais qui permet d’y installer des centres d’écoute enterrés et de faire du passé table rase…
Un contexte explosif
Mais les jeux ne sont pas encore faits. La présidente, élue comme Zelensky sur un programme anti-corruption, commence à être rattrapée par les affaires malgré une presse aux ordres. Roumaine de passeport et formée aux Etats-Unis comme la plupart de ses homologues baltes, scandinaves ou géorgienne, on l’accuse de négliger les affaires locales, d’être sans cesse en voyage et de poser en permanence aux côtés des dirigeants occidentaux, du secrétaire général de l’OTAN à l’empereur du Japon et au roi Charles III. Un sondage effectué en septembre dernier par le groupe de réflexion Intellect montre que 39% de la population approuve le projet d’adhésion à l’UE contre 38,5% qui le désapprouve, que 20% seulement soutient les sanctions anti-russes de l’UE (contre 59% qui les rejette) tandis que 73% s’oppose à une reprise de ces mêmes sanctions par la Moldavie. La neutralité est plébiscitée par plus de 50% des gens contre environ 20% qui préféreraient adhérer à l’Union européenne ou au contraire à l’Union eurasiatique (18%). L’aide aux réfugiés ukrainiens est en revanche plébiscitée par trois quarts des Moldaves.
Dans ce contexte explosif, l’ancien Président socialiste Igor Dodon, assigné à résidence sous l’accusation de corruption, ne voit qu’une issue pour sauver son pays de la désintégration: un accord entre grandes puissances, qui reconnaîtrait sa neutralité sur le modèle autrichien de 1955. Une visite en Gagaouzie, le fief de la petite minorité turque orthodoxe du sud du pays, et en Transnistrie, confirme en tout cas que ces deux régions sont prêtes à faire sécession et à imiter les provinces du Donbass en cas d’adhésion du pays à l’UE et à l’OTAN. Vassili, ancien député communiste et président du consistoire de l’église orthodoxe gagaouze à Comrat – un syncrétisme qui surprend en Occident mais assez répandu ici – est catégorique: pas question d’adhérer. En Transnistrie, les passants rencontrés partagent le même avis: plutôt mourir que de passer sous la tutelle occidentale. Ceux-là attendent avec impatience que l’armée russe rompe le siège de Kherson et vienne frapper à la porte de la Moldavie.
L’avenir en trois hypothèses
Une hypothèse que n’exclut pas Igor Dodon, qui pense que les Russes respecteront les frontières légales du pays et aideront à résoudre le conflit avec la Transnistrie en échange de la neutralité effective du pays. A ce stade, il voit trois scénarios de sortie de crise. Le premier est celui d’un chaos de type libyen: fuite en avant, anarchie, conflits politiques, désintégration économique. Le second, son préféré, est celui dit du «Congrès de Vienne»: Européens et Russes se remettent à négocier, le pays est réunifié et déclaré neutre, gouvernement et opposition collaborent pour relancer le pays sur de nouvelles bases; le troisième est le prolongement de la tendance actuelle: l’adhésion masquée à l’UE et à l’OTAN se poursuit en douce, jusqu’à ce que la Russie décide d’y mettre le holà, comme en Ukraine, et annexe la Transnistrie et la Gagaouzie révoltées au terme d’un conflit armé (ou pas). Les paris sont ouverts.
Escale en Roumanie
Faisons escale maintenant en Roumanie, où j’ai rendez-vous à Bucarest avec mon mentor roumain, Petru Romosan, qui m’a proposé de me faire découvrir sa ville. Poète, éditeur, graphomane impénitent, Petru lit mes livres, traduit et publie mes articles en roumain depuis quelque temps. Sa devise pourrait être «Dissident un jour, dissident toujours». Lauréat du Prix national de poésie à 21 ans, sous l’ère Ceaucescu, il a fini par prendre en grippe un régime devenu paranoïaque. Dans les années 1980, lui et sa femme ont réussi à passer à l’Ouest et à s’installer à Paris où ils ont travaillé dans l’édition jusqu’à la fin des années 1990. Rentrés à Bucarest, ils y ont fondé leur propre maison et publié plus de 300 titres en vingt ans. Fin 2019, peu avant la crise du Covid, la Securitate, toujours active, a mis le feu aux deux locaux avoisinants, dévastant leurs archives, leurs ordinateurs et leur stock de livres. Depuis lors, il écrit.
Les mêmes «bandits» au pouvoir
C’est que, bien que rentré dans un pays désormais estampillé démocratique et intégré dans le camp du bien, notre homme n’a rien perdu de sa verve critique. Comme les deux Alexandres russes, Zinoviev et Soljenitsyne, il a persévéré dans la dissidence et continué à publier des livres critiques sur les nouvelles autorités. La raison? Elle tient en deux phrases: «Ce sont toujours les mêmes bandits qui sont au pouvoir, la même clique. Sauf qu’hier elle prenait ses ordres au Kremlin tandis qu’aujourd’hui elle les prend à Washington.» KGB ou CIA, les esclaves ont changé de maitre mais gardé les mêmes méthodes et liens de vassalité. Et en effet, la Roumanie, qui est un monde en soi, opaque et impénétrable pour le reste de l’Europe, sert de relai fidèle et discret à l’UE et à l’OTAN dans leur guerre contre la Russie. Les Roumains, échaudés par l’histoire, n’apprécient pas les Ukrainiens. Mais ils fournissent docilement à l’Occident tout ce dont il a besoin. Celui-ci peut y masser ses troupes et ses matériels et utiliser en toute quiétude ses bases militaires, ses ports et ses chemins de fer pour y faire transiter les armes et le blé. Signe des temps, à côté de l’immense palais si décrié de Ceauscescu, on construit une nouvelle cathédrale, tout aussi monstrueuse. Autres temps, mêmes goûts pour les constructions mégalomaniaques.
Politiciens europhiles et atlantistes
J’arrive à Sofia, capitale du pays de la rose, le week-end des élections nationales du 2 octobre, les secondes en dix mois. La vie politique bulgare, comme celles de la Moldavie et de la Roumanie, est un feuilleton inépuisable. La classe politique y est encore plus discréditée qu’ailleurs, avec un abstentionnisme qui bat tous les records (60,7%). En gros, cinq ou six partis, tous plus europhiles les uns que les autres, se disputent le pouvoir depuis des lustres. Tous sont pour l’Europe et contre la Russie. Mais aucun ne s’accorde sur qui doit diriger le pays. Les querelles de personnes et de clans – car qui dit pouvoir dit participation aux prébendes européennes – sont donc déterminantes. Actuellement, le combat est monopolisé par deux euroturbos atlantistes, Boïko Borissov, qui a commencé sa carrière comme garde du corps du dernier Président communiste Jivkov, et Kiril Petkov, Premier ministre sortant. Trois autres partis servent d’appoint pour former les coalitions et se partager le butin des subventions européennes.
Le résultat n’a pas été plus décisif que les scrutins précédents: le parti de Borissov est arrivé en tête et celui de Petkov deuxième. Mais comme l’un et l’autre ont exclu de travailler ensemble et que les autres ne suffisent pas à faire une majorité, la vacance du pouvoir semble partie pour durer. Fait notable, les seuls qui ont progressé sont le parti turc, un petit parti conservateur, ainsi que les deux partis souverainistes, Renaissance, qui a doublé le nombre de sièges, et Réveil bulgare, qui entre pour la première fois au Parlement. Ces deux formations, qui revendiquent l’indépendance nationale, sont naturellement étiquetées comme pro-russes par la presse d’Etat et les médias privés, unanimement européistes et atlantistes.
Opinion publique divisée
Toutefois, ici comme ailleurs, l’opinion publique est plus divisée. Le dernier sondage américain Yougov, réalisé en mai dernier, montre que 44% des Bulgares estiment que la guerre en Ukraine est d’abord de la faute de l’OTAN et de l’Occident contre seulement 23% qui pensent qu’elle est d’abord le fait des Russes! Le reste pense que les torts sont partagés. Tout cela malgré une propagande massive. Comme quoi les vieilles sympathies – les Bulgares n’oublient pas qu’ils ont été délivrés du joug ottoman par l’armée russe en 1878 au prix d’une guerre meurtrière et que l’Union soviétique a empêché le démembrement du pays voulu par les Britanniques en 1945 – ont la vie dure.
En attendant le pays sert aussi de base arrière à la guerre en Ukraine. Depuis l’adhésion surprise à l’OTAN à la faveur de l’invasion américaine de l’Irak en 2003, quatre bases militaires américaines y ont été ouvertes, soit une pour 1,5 million d’habitants. Il se murmure qu’aucune décision politique importante ne peut être prise sans l’aval de l’ambassade américaine à Sofia, comme c’est le cas au Montenegro et en Macédoine du Nord voisine.
Le défi démographique
En fait le vrai défi de la Bulgarie est ailleurs. Il est démographique, comme dans la plupart des pays d’Europe de l’Est, pays baltes inclus. La Bulgarie bat tous les records européens de dépopulation depuis 1991, soit depuis son rapprochement avec l’Europe de l’Ouest. Elle a perdu plus d’un million d’habitants en trente ans, soit 15% de sa population, passant sous la barre des sept millions. Elle reste un pays très pauvre, dont l’agriculture, secteur économique important, est en train d’être tuée à petit feu par les normes européennes. Le passage à l’agriculture industrielle intensive, la privatisation des terres et l’extension des monocultures d’exportation participent à la désertification des campagnes. Un exemple: un étude européenne sur les conditions de vie des bécasses sauvages a montré qu’en 2008, peu après l’entrée dans l’UE, quelques hectares de terre pouvaient nourrir 1'300 bécasses avec 69 types de graines différentes tandis qu’en 2018, dix ans après l’introduction des normes européennes, le même territoire n’en nourrissait plus 300 avec neuf types de graines seulement. Un vrai désastre économique et écologique.
La vocation de ces pays est-elle de servir de variable d’ajustement, de bassin d’exploitation et de réservoir de main d’œuvre bon marché à une Europe transformée en Moloch néolibéral et belliciste? La question mérite d’être posée. La trajectoire qui incarne le mieux le destin tragique des pays des Balkans et du front de la Mer Noire, pour reprendre l’image du début, est sans doute incarnée par Kristalina Georgieva, ancienne commissaire européenne devenue patronne du FMI, dont la notice biographique a été soigneusement expurgée pour correspondre aux «valeurs» américaines et européennes. Née en août 1953, peu après la mort de Staline, dans une famille de la nomenklatura communiste, elle se prénommait en réalité Stalina, ou Stalinka (petite Staline), en hommage au grand homme disparu. Une habile et bénigne modification de son état civil intervenue au bon moment lui a permis de faire oublier ce prénom infamant et de le transmuter en Kristalina. Ni vu ni connu. Une voie royale s’ouvrait à elle pour mener une grande carrière professionnelle au sein des instances dirigeantes occidentales. Au profit de qui?
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Un sondage récent a montré que 43% de la population s’exprime exclusivement en russe sur son portable. «Comment trouver une majorité pour voter pro-Moldave?», se demande-t-il avec ironie.</p> <p>Il a parfaitement conscience de vivre dans un pays attachant mais impossible. Il me cite en exemple la fameuse Transnistrie, russophile à 200% et censée être l’ennemie du pouvoir, mais sans laquelle ce même pouvoir ne pourrait vivre puisque la province rebelle fournit l’essentiel de son gaz et de son électricité. Approvisionnée en gaz russe à travers l’Ukraine (malgré la guerre), Tiraspol le revend en effet à Chisinau tout en le brûlant pour faire tourner une aciérie dont la production est achetée par l’Union européenne! 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Promue officiellement candidate à l’UE, elle croule désormais sous les propositions de livraisons d’armes, les offres de coopération, les subventions aux médias tandis que les ONG soutenues par Bruxelles prolifèrent. Une course contre la montre est engagée pour détacher la population moldave de son tropisme russophile. L’UE y a dépêché ses meilleurs agents d’influence tandis que les Etats-Unis viennent d’acquérir cinq hectares au milieu de la capitale pour y construire leur nouvelle ambassade, en démolissant au passage le stade construit par les Soviétiques. Un chantier gigantesque pour un si petit pays mais qui permet d’y installer des centres d’écoute enterrés et de faire du passé table rase…</p> <h3>Un contexte explosif</h3> <p>Mais les jeux ne sont pas encore faits. La présidente, élue comme Zelensky sur un programme anti-corruption, commence à être rattrapée par les affaires malgré une presse aux ordres. 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L’aide aux réfugiés ukrainiens est en revanche plébiscitée par trois quarts des Moldaves.</p> <p>Dans ce contexte explosif, l’ancien Président socialiste Igor Dodon, assigné à résidence sous l’accusation de corruption, ne voit qu’une issue pour sauver son pays de la désintégration: un accord entre grandes puissances, qui reconnaîtrait sa neutralité sur le modèle autrichien de 1955. Une visite en Gagaouzie, le fief de la petite minorité turque orthodoxe du sud du pays, et en Transnistrie, confirme en tout cas que ces deux régions sont prêtes à faire sécession et à imiter les provinces du Donbass en cas d’adhésion du pays à l’UE et à l’OTAN. Vassili, ancien député communiste et président du consistoire de l’église orthodoxe gagaouze à Comrat – un syncrétisme qui surprend en Occident mais assez répandu ici – est catégorique: pas question d’adhérer. En Transnistrie, les passants rencontrés partagent le même avis: plutôt mourir que de passer sous la tutelle occidentale. Ceux-là attendent avec impatience que l’armée russe rompe le siège de Kherson et vienne frapper à la porte de la Moldavie.</p> <h3>L’avenir en trois hypothèses</h3> <p>Une hypothèse que n’exclut pas Igor Dodon, qui pense que les Russes respecteront les frontières légales du pays et aideront à résoudre le conflit avec la Transnistrie en échange de la neutralité effective du pays. A ce stade, il voit trois scénarios de sortie de crise. Le premier est celui d’un chaos de type libyen: fuite en avant, anarchie, conflits politiques, désintégration économique. Le second, son préféré, est celui dit du «Congrès de Vienne»: Européens et Russes se remettent à négocier, le pays est réunifié et déclaré neutre, gouvernement et opposition collaborent pour relancer le pays sur de nouvelles bases; le troisième est le prolongement de la tendance actuelle: l’adhésion masquée à l’UE et à l’OTAN se poursuit en douce, jusqu’à ce que la Russie décide d’y mettre le holà, comme en Ukraine, et annexe la Transnistrie et la Gagaouzie révoltées au terme d’un conflit armé (ou pas). Les paris sont ouverts.</p> <h3>Escale en Roumanie</h3> <p>Faisons escale maintenant en Roumanie, où j’ai rendez-vous à Bucarest avec mon mentor roumain, Petru Romosan, qui m’a proposé de me faire découvrir sa ville. Poète, éditeur, graphomane impénitent, Petru lit mes livres, traduit et publie mes articles en roumain depuis quelque temps. Sa devise pourrait être «Dissident un jour, dissident toujours». 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Autres temps, mêmes goûts pour les constructions mégalomaniaques.</p> <h3>Politiciens europhiles et atlantistes</h3> <p>J’arrive à Sofia, capitale du pays de la rose, le week-end des élections nationales du 2 octobre, les secondes en dix mois. La vie politique bulgare, comme celles de la Moldavie et de la Roumanie, est un feuilleton inépuisable. La classe politique y est encore plus discréditée qu’ailleurs, avec un abstentionnisme qui bat tous les records (60,7%). En gros, cinq ou six partis, tous plus europhiles les uns que les autres, se disputent le pouvoir depuis des lustres. Tous sont pour l’Europe et contre la Russie. Mais aucun ne s’accorde sur qui doit diriger le pays. Les querelles de personnes et de clans – car qui dit pouvoir dit participation aux prébendes européennes – sont donc déterminantes. 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Un sondage récent a montré que 43% de la population s’exprime exclusivement en russe sur son portable. «Comment trouver une majorité pour voter pro-Moldave?», se demande-t-il avec ironie.</p> <p>Il a parfaitement conscience de vivre dans un pays attachant mais impossible. Il me cite en exemple la fameuse Transnistrie, russophile à 200% et censée être l’ennemie du pouvoir, mais sans laquelle ce même pouvoir ne pourrait vivre puisque la province rebelle fournit l’essentiel de son gaz et de son électricité. Approvisionnée en gaz russe à travers l’Ukraine (malgré la guerre), Tiraspol le revend en effet à Chisinau tout en le brûlant pour faire tourner une aciérie dont la production est achetée par l’Union européenne! Sauf que ce gaz n’a jamais été payé depuis trente ans, ni par les uns ni par les autres, si bien que le montant cumulé de la dette envers Gazprom atteint 7 milliards de dollars (60% du PNB moldave), dette qui deviendrait immédiatement exigible en cas d’adhésion du pays à l’UE.</p> <h3>Choisir entre deux empires</h3> <p>Avec le regain de tension provoqué par la guerre en Ukraine, le pays se trouve sommé de choisir entre les deux empires, l’européen et le russe, qui se livrent une bataille sans merci. Tous les dirigeants occidentaux, de Blinken à Macron, ont fait le pèlerinage de Chisinau ce printemps pour sommer la Moldavie de prendre des sanctions contre la Russie, dont, outre l’énergie, elle dépend également pour ses exportations alimentaires. Le pays accueille des centaines de milliers de réfugiés ukrainiens et est soupçonné, malgré sa neutralité inscrite dans la Constitution, de servir de plaque tournante au trafic avec l’Ukraine. Promue officiellement candidate à l’UE, elle croule désormais sous les propositions de livraisons d’armes, les offres de coopération, les subventions aux médias tandis que les ONG soutenues par Bruxelles prolifèrent. Une course contre la montre est engagée pour détacher la population moldave de son tropisme russophile. L’UE y a dépêché ses meilleurs agents d’influence tandis que les Etats-Unis viennent d’acquérir cinq hectares au milieu de la capitale pour y construire leur nouvelle ambassade, en démolissant au passage le stade construit par les Soviétiques. Un chantier gigantesque pour un si petit pays mais qui permet d’y installer des centres d’écoute enterrés et de faire du passé table rase…</p> <h3>Un contexte explosif</h3> <p>Mais les jeux ne sont pas encore faits. La présidente, élue comme Zelensky sur un programme anti-corruption, commence à être rattrapée par les affaires malgré une presse aux ordres. Roumaine de passeport et formée aux Etats-Unis comme la plupart de ses homologues baltes, scandinaves ou géorgienne, on l’accuse de négliger les affaires locales, d’être sans cesse en voyage et de poser en permanence aux côtés des dirigeants occidentaux, du secrétaire général de l’OTAN à l’empereur du Japon et au roi Charles III. Un sondage effectué en septembre dernier par le groupe de réflexion Intellect montre que 39% de la population approuve le projet d’adhésion à l’UE contre 38,5% qui le désapprouve, que 20% seulement soutient les sanctions anti-russes de l’UE (contre 59% qui les rejette) tandis que 73% s’oppose à une reprise de ces mêmes sanctions par la Moldavie. La neutralité est plébiscitée par plus de 50% des gens contre environ 20% qui préféreraient adhérer à l’Union européenne ou au contraire à l’Union eurasiatique (18%). L’aide aux réfugiés ukrainiens est en revanche plébiscitée par trois quarts des Moldaves.</p> <p>Dans ce contexte explosif, l’ancien Président socialiste Igor Dodon, assigné à résidence sous l’accusation de corruption, ne voit qu’une issue pour sauver son pays de la désintégration: un accord entre grandes puissances, qui reconnaîtrait sa neutralité sur le modèle autrichien de 1955. Une visite en Gagaouzie, le fief de la petite minorité turque orthodoxe du sud du pays, et en Transnistrie, confirme en tout cas que ces deux régions sont prêtes à faire sécession et à imiter les provinces du Donbass en cas d’adhésion du pays à l’UE et à l’OTAN. Vassili, ancien député communiste et président du consistoire de l’église orthodoxe gagaouze à Comrat – un syncrétisme qui surprend en Occident mais assez répandu ici – est catégorique: pas question d’adhérer. En Transnistrie, les passants rencontrés partagent le même avis: plutôt mourir que de passer sous la tutelle occidentale. Ceux-là attendent avec impatience que l’armée russe rompe le siège de Kherson et vienne frapper à la porte de la Moldavie.</p> <h3>L’avenir en trois hypothèses</h3> <p>Une hypothèse que n’exclut pas Igor Dodon, qui pense que les Russes respecteront les frontières légales du pays et aideront à résoudre le conflit avec la Transnistrie en échange de la neutralité effective du pays. A ce stade, il voit trois scénarios de sortie de crise. Le premier est celui d’un chaos de type libyen: fuite en avant, anarchie, conflits politiques, désintégration économique. 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Lauréat du Prix national de poésie à 21 ans, sous l’ère Ceaucescu, il a fini par prendre en grippe un régime devenu paranoïaque. Dans les années 1980, lui et sa femme ont réussi à passer à l’Ouest et à s’installer à Paris où ils ont travaillé dans l’édition jusqu’à la fin des années 1990. Rentrés à Bucarest, ils y ont fondé leur propre maison et publié plus de 300 titres en vingt ans. Fin 2019, peu avant la crise du Covid, la Securitate, toujours active, a mis le feu aux deux locaux avoisinants, dévastant leurs archives, leurs ordinateurs et leur stock de livres. Depuis lors, il écrit.</p> <h3>Les mêmes «bandits» au pouvoir</h3> <p>C’est que, bien que rentré dans un pays désormais estampillé démocratique et intégré dans le camp du bien, notre homme n’a rien perdu de sa verve critique. Comme les deux Alexandres russes, Zinoviev et Soljenitsyne, il a persévéré dans la dissidence et continué à publier des livres critiques sur les nouvelles autorités. La raison? 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Le passage à l’agriculture industrielle intensive, la privatisation des terres et l’extension des monocultures d’exportation participent à la désertification des campagnes. Un exemple: un étude européenne sur les conditions de vie des bécasses sauvages a montré qu’en 2008, peu après l’entrée dans l’UE, quelques hectares de terre pouvaient nourrir 1'300 bécasses avec 69 types de graines différentes tandis qu’en 2018, dix ans après l’introduction des normes européennes, le même territoire n’en nourrissait plus 300 avec neuf types de graines seulement. Un vrai désastre économique et écologique.</p> <p>La vocation de ces pays est-elle de servir de variable d’ajustement, de bassin d’exploitation et de réservoir de main d’œuvre bon marché à une Europe transformée en Moloch néolibéral et belliciste? La question mérite d’être posée. La trajectoire qui incarne le mieux le destin tragique des pays des Balkans et du front de la Mer Noire, pour reprendre l’image du début, est sans doute incarnée par Kristalina Georgieva, ancienne commissaire européenne devenue patronne du FMI, dont la notice biographique a été soigneusement expurgée pour correspondre aux «valeurs» américaines et européennes. Née en août 1953, peu après la mort de Staline, dans une famille de la nomenklatura communiste, elle se prénommait en réalité Stalina, ou Stalinka (petite Staline), en hommage au grand homme disparu. Une habile et bénigne modification de son état civil intervenue au bon moment lui a permis de faire oublier ce prénom infamant et de le transmuter en Kristalina. Ni vu ni connu. Une voie royale s’ouvrait à elle pour mener une grande carrière professionnelle au sein des instances dirigeantes occidentales. 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Voir les effets délétères du Traité de Versailles.</p> <p>Enfin, la recherche de vérité permet aux parties impliquées de tourner la page sans ressentiment et de consolider la paix, en évitant que des tensions latentes ne dégénèrent à nouveau.</p> <p>En résumé, <strong>la paix, la justice et la vérité sont inséparables</strong>, car elles sont les piliers sur lesquels repose la stabilité et la dignité humaine. Ignorer l'un de ces éléments compromet souvent les deux autres.</p> <p>Fin de la leçon de philosophie.</p> <h3><strong>Le rôle délétère des médias dans la quête de la vérité</strong></h3> <p>Vous voyez où je veux en venir: la recherche de la vérité étant la condition essentielle de la justice et celle-ci étant la condition d’un retour à une paix authentique et durable, il convient de s’attaquer d’abord aux mensonges, à la propagande, aux préjugés qui barrent le chemin vers la justice et la paix. Or nous en sommes très loin, tant en Ukraine qu’en Palestine. En principe, cette fonction de recherche de la vérité a été déléguée aux médias et aux journalistes dans les sociétés modernes. Pour des raisons diverses, l’immense majorité d’entre eux se sont fait les relais des pouvoirs et des intérêts en place, renonçant à leur mission de recherche de vérité, et cela dans tous les pays, à Gaza et en Russie certes, mais aussi, et peut-être surtout, en Ukraine, en Israël et en Occident.</p> <p>Dans ces conditions on pourra signer autant de cessez-le-feu et d’accords qu’on voudra, ils ne tiendront jamais longtemps. Le plus fort, sûr de son impunité et de sa capacité à imposer sa version mensongère des faits, sera toujours prêt à les violer, et le plus faible attendra son heure pour riposter ou contre-attaquer. Les accords de Minsk de 2014 et 2015 n’ont jamais été respectés par les puissances occidentales et ont été utilisés pour réarmer l’Ukraine, comme l’a révélé Angela Merkel, et ceux du Liban avec le Hezbollah ont servi de paravent à la reprise des combats à Gaza.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'pas-de-paix-sans-justice-pas-de-justice-sans-verite', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 326, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 5708, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5267, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Sanctions: la Suisse fait du zèle … et puis s’oublie!', 'subtitle' => 'Lors de la dernière Conférence sur la sécurité en Eurasie à Minsk, j’ai eu le redoutable honneur de modérer le panel sur les sanctions, en présence de représentants des pays les plus vilipendés, et donc les plus sanctionnés, au monde. 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Ce qui signifie d’une part que l’immense majorité des sanctions sont prises par une poignée de pays anglo-saxons – servilement accompagnés de leurs caniches européens – et d’autre part que ces sanctions sont unilatérales, c’est-à-dire en dehors du droit international puisqu’en droit international seules les sanctions décidées par le Conseil de sécurité ont force de loi. La Suisse, qui prétend respecter le droit international, devrait s’en alarmer.</p> <p>En face, on trouve les pays les plus sanctionnés. Les classements donnent en général l’Iran en tête, suivi par la Russie, la Corée du Nord, la Syrie, le Venezuela, Cuba, le Myanmar, et enfin la Biélorussie, le Soudan et le Zimbabwe. Ici encore pas de surprise. Les deux tableaux donnent un excellent résumé de la guerre que livre le monde anglo-saxon à ses ennemis supposés, soit la dizaine de pays qui résistent à son suprémacisme et à ses prétentions à la domination mondiale. </p> <p>La Chine ne figure pas dans la liste: par sa taille et l’imbrication étroite de son économie dans la globalisation anglo-saxonne, elle échappe aux sanctions. Ou plutôt celles-ci s’y appliquent de façon détournée, sous forme de guerre des tarifs douaniers imposés à ses produits et de boycott de ses entreprises sous prétexte d’espionnage.</p> <p>Depuis l’intervention militaire de la Russie en Ukraine en 2022, le business des sanctions a littéralement explosé. Le site Castellum.AI en dresse le palmarès. Et là, surprise, la Suisse figure en troisième position des pays les plus sanctionneurs: sur les 19'535 sanctions antirusses prises à ce jour (le site est remis à jour quotidiennement), 2'753 l’ont été par la Suisse (USA 4'869, Canada 3'176), soit 30% plus que l’Union européenne (2'130), la France (2'071) ou même le Royaume-Uni (1'842), pourtant de loin le pays occidental le plus vociférant contre la Russie. L’Australie et le Japon ferment la marche avec moins de 1'400 sanctions chacun.</p> <p>Le championnat des plus sanctionnés est remporté sans conteste par la Russie avec près de 22'000 sanctions à son tableau de chasse, si l’on y ajoute celles prises avant 2022. L’Iran dépasse de peu les 5'000 tandis que la modeste Syrie gagne la médaille de bronze avec 2'867 sanctions. La Corée du Nord rate le podium à 660 sanctions près, la Biélorussie puis le Venezuela et le Myanmar fermant la marche avec plus de mille sanctions à leur passif.</p> <p>Il est amusant – ou plutôt affligeant – de constater que la Suisse, qui ne cesse de répéter qu’elle s’aligne sur l’Europe, fait en réalité bien pire et qu’elle singe plutôt les Etats-Unis, sans doute pour plaire à son vrai maitre et mettre sa place financière à l’abri du harcèlement qui ne manquerait pas de s’abattre sur elle à la moindre incartade. Cet excès de zèle, cette obséquiosité, cette lâcheté honteuse sont révoltants de la part d’un pays qui se prétend indépendant.</p> <p>Et ça l’est d’autant plus que notre pays s’oublie lorsqu’il s’agit d’appliquer des sanctions ou d’infliger des punitions aux autres pays coupables de crimes contre la démocratie et les droits de l’Homme. 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Grimpez les escaliers souvent étroits et raides du Palais Blanc et du Palais Rouge du Potala, brûlez une chandelle de beurre de yack devant l’un des milliers de bouddhas peints du Jokhang. Ils sont à Lhassa ce que Versailles et Notre-Dame sont à Paris. Mais ne négligez pas l’étape du tout nouveau musée d’art, ouvert en décembre 2023 dans l’ancienne cimenterie de Lhassa, magistralement transformée et restaurée par les designers et architectes de l’Université Tongji de Shanghai. Vous y découvrirez une facette radicalement nouvelle de la province autonome du Tibet, ou plutôt du Xizang, comme elle s’appelle officiellement.', 'subtitle_edition' => 'La prochaine fois que vous irez à Lhassa, n’oubliez pas d’y visiter le musée d’Art moderne. Grimpez les escaliers souvent étroits et raides du Palais Blanc et du Palais Rouge du Potala, brûlez une chandelle de beurre de yack devant l’un des milliers de bouddhas peints du Jokhang. Ils sont à Lhassa ce que Versailles et Notre-Dame sont à Paris. 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Montagneuses, semi-désertiques, au climat très rude et peuplées d’une dizaine de millions d’habitants pour un territoire grand comme quatre fois la France, elles forment à elles deux le cœur des hauts plateaux et du bouddhisme tibétains. Contrairement au stéréotype qui en fait un espace soumis au seul dalaï-lama, elles abritent des sectes bouddhiques de différentes obédiences et de nombreuses minorités religieuses et ethniques, Musulmans, Chrétiens, Taoïstes, Han, Hui, Tu, Salar, Mongols. S’étageant entre 2'600 mètres et 8'000 mètres d’altitude, la région forme le château d’eau de l’Asie et sert de source aux grands fleuves qui irriguent les plaines chinoises, Fleuve Jaune et Yangtsé notamment.</p> <p>Pour faire simple, on rappellera que le bouddhisme tibétain dérive du tantrisme et se divise en quatre écoles principales: Gelug, l’école la plus récente, dite des Chapeaux Jaunes, dont se réclament à la fois le XIVème Dalaï-lama, réfugié en Inde depuis 1959, et le XIème Panchen-lama, qui vit entre Pékin et Shigatse; Nyingma, la plus ancienne, dite des Chapeaux Rouges, plus proche de la religion tibétaine primitive et regroupée autour de six grands monastères; Kagyu, la secte Blanche à cause des bandes blanches ornant la robe des moines, et la plus petite, l’école Sakya, dite bigarrée (Gris-blanche). Chacune possède ses traditions, sa doctrine, ses pratiques, plus ou moins rigoristes, et qui ne font pas toujours bon ménage entre elles. Les diverses obédiences comptent quelque 46'000 moines.</p> <p>Voilà pour le contexte général.</p> <p>A Xining, notre programme comprenait la visite de complexe monastique de Ta’er, l’un de plus anciens et des plus vastes du pays, avec des dizaines de bâtiments et près de dix mille moines, la réserve biologique du lac salé de Qinghai, l’un des plus étendus et des plus hauts d’Asie continentale (3'000 mètres d’altitude), le village de Deji, qui abrite près de 250 familles provenant des régions les plus isolées de la province, la ville de Tongren, centre commercial et culturel historique, la célèbre Ecole d’art Regong de Longshu (peinture traditionnelle sur thangka, fresques et patchwork), et le lycée ethnique de Golog, un internat gratuit qui regroupe 800 élèves issus des diverses minorités ethniques de la région.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1731591304_img_4901.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="666" height="603" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Des moines étudiant dans une académie de bouddhisme. © G.M.</em></h4> <p>Mais la visite la plus spectaculaire fut sans doute celle du complexe énergétique de la préfecture de Hainan. Vingt milliards de dollars y ont été investis pour construire, à perte de vue, la plus grande ferme solaire du monde (600 km<sup>2</sup> de panneaux photovoltaïques soit plus deux fois le canton de Genève), couplée avec des tours d’énergie solaire concentrée et de vastes parcs éoliens sur une aire plus grande que le canton de Vaud (4'000 km<sup>2</sup>), le tout couplé avec des barrages hydroélectriques sur le Fleuve Jaune. 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Cette ville de 500'000 habitants est située au cœur de vallées boisées et bordées de lacs et de hauts sommets, à l’image du spectaculaire massif du Namcha Barwa, qui culmine à 7'782 mètres et est considérée comme la montagne la plus sacrée du Tibet avec le Mont Kailash.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1731591485_img_4657.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="667" height="500" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Ferme solaire. © G.M.</em></h4> <p>Quels enseignements tirer de ce voyage? Tout d’abord, une surprenante impression de modernité et de développement économique. Autant la ville et les environs de Lhassa m’avaient paru endormis, poussiéreux, légèrement déprimants lors de ma première visite en 2003, autant ils m’ont semblé actifs, vivants, énergiques aujourd’hui. Autoroutes, voies de chemins de fer à grande vitesse (ligne Pékin-Xian-Lhassa et ligne Chengdu-Nyingchi), aéroports impeccables, mais aussi immeubles d’habitations, bâtiments patrimoniaux et vieille ville entièrement restaurés, routes bitumées et parc automobile électrique, lignes à haute tension, infrastructures touristiques, écoles, lycées, hôpitaux, petites et grandes entreprises. Depuis la décision prise en 2012 de développer les provinces de l’est, des centaines de milliards de dollars ont été investis dans le développement des infrastructures. Cela se voit. Le Tibet est en train de devenir une destination prisée des touristes chinois et asiatiques. </p> <p>La croissance y dépasse 10% par an depuis plusieurs années. Pour parvenir à ce résultat, Pékin a mobilisé le pays à grande échelle avec une mesure assez originale, qui consiste à mobiliser les ressources financières mais aussi entrepreneuriales et sociales des riches provinces de la côte. C’est ainsi que la production d’énergie est développée par des consortiums du centre ou de l’ouest de la Chine et que les riches provinces de Shanghai ou de Canton construisent des routes, des écoles, des hôpitaux ou ouvrent des usines en fournissant non seulement les moyens matériels mais aussi les ressources humaines et techniques en y envoyant en stage des cadres, des enseignants, des managers, des fonctionnaires pour former la main d’œuvre locale. </p> <p>Une forme de mentorat qui a l’avantage de responsabiliser les uns comme les autres au développement du pays. La propagande occidentale y a vu une forme de mise sous tutelle des Tibétains. Cela reste à prouver tant les résultats sont spectaculaires: en moins de dix ans, la grande pauvreté et l’analphabétisme ont été éradiqués. Il ne faut pas oublier que jusque dans les années 1950, 90% de la population tibétaine vivait dans le servage et ne savait ni lire ni écrire.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1731591797_img_4839.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="665" height="499" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Le musée d'Art moderne installé dans une ancienne cimenterie. © G.M.</em></h4> <p>Autre constat: la culture et le bouddhisme tibétains ne m’ont pas paru menacés, bien au contraire. Il y a vingt ans, on pouvait encore voir sur les murs de certains temples les déprédations commises par les gardes rouges lors de la révolution culturelle tandis que des moines avides tenaient entre leurs doigts des liasses de billets de banque que leur confiaient des pèlerins qui pénétraient dans le temple à plat ventre dans la boue. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les offrandes sont déposées dans des troncs discrets. Les salles emplies de peintures et de statues de bouddhas, de boddhisattvas et autres maitreyas ont été restaurées et éclairées. Les moines en robe rouge sont nombreux dans les rues, les temples et les écoles monastiques. Nombre de monastères ont été rénovés, dotés de chauffage, de routes d’accès et de connexion internet.</p> <p>Le Potala et la culture tibétaine sont inscrites au patrimoine de l’Unesco, de même que la médecine tibétaine. La langue tibétaine est enseignée dans les écoles et figure sur les monuments publics et dans les documents officiels aux côtés du chinois ordinaire. De nombreux musées et bibliothèques conservent, collectent, retranscrivent, commentent, numérisent les textes sacrés du bouddhisme tibétain et les mettent à disposition des moines et du grand public sur internet dans un effort inédit d’archivage et de préservation de documents parfois oubliés dans les archives des monastères. Plus de 200 chercheurs se consacrent à ce travail, que ce soit à l’université du Xizang ou au Centre de recherche en tibétologie de Pékin. </p> <p>Sur le site du gouvernement, on peut même trouver un document officiel qui vante la liberté de culte et de religion au Tibet. Il est vrai que dans les temples, on trouvera plus facilement le portait du panchen lama que celui du dalaï-lama, honni depuis sa fuite à Dharamshala et qu’on soupçonne d’avoir soutenu des mouvements de résistance et les émeutes de 2008 à Lhassa. C’est sans doute un paradoxe pour un Européen, mais à Lhassa et à Xining la tradition et la religion tibétaine m’ont semblé bien plus vivantes que la tradition et le culte chrétien en Europe.</p> <p>La campagne de modernisation et d’intégration du Tibet historique dans la Chine moderne a été réalisée sous le slogan: «<em>Tibet is our home, China is our homeland</em>»: le Tibet est notre maison, la Chine est notre patrie. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
5 Commentaires
@simone 28.10.2022 | 17h55
«Merci d'aborder un sujet dont on ne parle jamais dans aucun média. C'est fort intéressant.
Suzette Sandoz»
@willoft 28.10.2022 | 19h57
«Merci pour le voyage, Monsieur Mettan!
Oui, c'est assez rigolo de voir tous ces peuples penser que l'Europe (en faillite) va les sauver.
Et on ne parle même pas de l'Ukraine qui n'arrête pas de mendier chaque jour plus...!
La réalité est que l'Europe a manqué le train d'une alliance avec la Russie et c'est sans doute perdu pour elle, elle sera chinoise et non américaine, vous verrez, comme l'Afrique et l'Amérique latine, d'ailleurs.
Alea jacta est
»
@Roger R. 28.10.2022 | 20h56
«Bonjour
Merci pour cet éclairage qui survole quelques
pays de l’Est dont on ne parle que relativement peu. »
@Roger R. 28.10.2022 | 20h56
«Bonjour
Merci pour cet éclairage qui survole quelques
pays de l’Est dont on ne parle que relativement peu. »
@Philippe37 29.10.2022 | 11h03
«Sensible et bienfaisant. Merci»