Actuel / «Vos héros sont nos bourreaux!», l’antiracisme renverse les hiérarchies
La statue de David de Pury, à Neuchâtel. Officiellement considéré comme un bienfaiteur, certains reprochent aujourd'hui au négociant neuchâtelois (1675-1736) d'avoir été un esclavagiste. © DR
Après la mort tragique de George Floyd aux Etats-Unis, le mouvement décolonial, idéologiquement solide dans la lutte contre le racisme, entend accélérer la marche vers une société nouvelle. L’«Occident» est sa cible principale, qui, bien qu’antiraciste, entretiendrait des rapports de domination perpétuant son avantage. La preuve? Ses statues d’«esclavagistes» encore debout.
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Les genoux posés à terre par des Blancs, notamment des policiers, ne sont pas tant, outre-Atlantique, un geste de soumission qu’une manière de communier propre aux Américains. Ce peuple imprégné de religion se régénère ainsi, de fautes commises en demandes de pardon, ce qui ne règle pas pour autant la question raciale.</p> <h3><strong>«Déblanchiser»</strong></h3> <p>En Europe, c’est autre chose. Le politique n’y est pas à ce point entremêlé de religieux. On s’agenouille devant Dieu, jamais devant des individus. Certes, ce geste peut participer d’un hommage humble au supplicié de Minneapolis, d’une imitation de la dramaturgie noire américaine pour l’obtention des droits civiques, mais la Révolution de 1789 et d’autres à sa suite ont aboli les privilèges et les révérences, sauf exception monarchique purement conventionnelle. Il n’y a distinction ni d’origine, ni de race, ni ─ en France du moins ─ de religion, tout ce fatras de l’Ancien Régime. 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Les statues incriminées, par leur seule présence, témoigneraient d’une résistance muette à l’émergence du nouveau monde. Les racisés, terme désignant les personnes «structurellement» victimes de racisme du fait de cette hiérarchie encore sur pied, seraient incidemment renvoyés à leur condition inférieure à la vue de ces bronzes, ce qui entretiendrait une mésestime de soi, nuisible à l’épanouissement.</p> <p>Enfin, la police serait l’arme, à tout point de vue, de la domination blanche. Le respect de la loi, noble principe, serait détourné au profit de cette machination, de moins en moins subtile et efficace à mesure que se multiplient les «violences policières». Une expression nullement neutre, qui met à égalité les violences de citoyens et la répression des forces de l’ordre, en principe dépositaires de la violence légitime. L’antiracisme rejoint ici l’activisme antisystème: Blancs et capitalistes, mêmes ennemis. 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Jeudi, comme souvent dans ce rendez-vous formaté pour le buzz, il s’est passé <a href="https://twitter.com/LeDevBreton/status/1590817814059044864?s=20&t=4TWr6vsi3CFKbFwoMHZdVw" target="_blank" rel="noopener">quelque chose de fort</a> sur le plateau de «Touche pas à mon poste!», l’émission animée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8 du groupe Bolloré – le nom à l’origine du clash de jeudi soir. Pour La France insoumise (LFI), ce parti de la gauche radicale siégeant à l’Assemblée nationale, un dilemme à présent se pose: faut-il encore aller à TPMP, là où bat le cœur de la France antisystème, où les électorats lepénistes et mélenchonistes s’invectivent, mais surtout, se parlent comme nulle part ailleurs?</p> <p>Que s’est-il passé de si grave ou plutôt de si révélateur? Alors que le débat portait sur l’accueil par la France de 234 migrants se trouvant à bord du bateau Ocean Viking, le jeune député LFI Louis Boyard, qui fut autrefois chroniqueur rétribué à TPMP, a mis les pieds dans son ancienne gamelle en parlant d’un procès menaçant «Bolloré» pour déforestation au Cameroun. 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Bolloré t’a donné de l’argent, t’étais chroniqueur ici…»</p> <p>Boyard, qui avait visiblement préparé son coup, la joue grands principes: «Attends, Cyril, est-ce que tu es en train de me dire que je n’ai pas le droit de dire que Bolloré, il a un procès avec cent cinquante Camerounais parce qu’il a déforesté?» La suite: le député-LFI-ex-chroniqueur-TPMP, ne s’énervant pas, devant pressentir qu’il sortira gagnant de la <em>battle</em>, se prévaut de sa qualité de député. Hanouna piétine l’argument, estimant que Boyard, comme d’autres de son parti, doit son élection à TPMP. Après avoir donné du «mon chéri» à Boyard, il le traite d’«abruti» et de «merde», chacun accusant l’autre d’avoir fait monter l’extrême droite – le grand tabou de la politique française.</p> <p>Quelle suite LFI, plus largement la Nupes, la coalition de gauche à l’Assemblée nationale, donnera-t-elle à cet incident? Continuera-t-elle d’aller sur le plateau de TPMP? Qui, d’Hanouna ou de la gauche radicale, a-t-il le plus besoin de l’autre? Sans LFI, formation aux accents populistes, TPMP perdrait sa caution de gauche, risquant alors de ne plus réunir que des «anti-tout», souvent l’antichambre d’un parti de l’ordre. Mais en renonçant à ce forum, La France insoumise se priverait d’un lieu où elle peut porter des coups à «Macron», ce qui lui rapporte des voix. Ne plus se montrer dans «Touche pas à mon poste!» pourrait être interprété comme l’aveu qu’on appartient au «système», à cette «élite» qu’on prétend combattre.</p> <p>Dans le même temps, en participant à cette émission, LFI sait qu’elle contribue à saper la confiance dans les institutions démocratiques, dont on a vu jeudi soir le peu de cas qu’en faisait Cyril Hanouna en insultant le député Boyard. Il y a deux semaines, toujours à la barre de TPMP, Hanouna appelait à la tenue d’un procès expéditif, assortie d’une «perpétuité immédiate» pour la meurtrière présumée de la petite Lola. 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Né en 1950 à Constantine, issu de la communauté juive algérienne, partie avec les pieds-noirs à l’indépendance en 1962, Stora était investi d’une mission réconciliatrice par le président de la République. A la fin de son travail, l’historien émet une série de préconisations. Et l’on entre alors dans le vif du sujet: l’action.</p> <p>La première de ces préconisations, qui rappelle la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’Instance Vérité et Dignité en Tunisie, est la constitution d’une «Commission "Mémoires et vérité" chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires». La <em>vérité</em>. Pas de réconciliation sans vérité sur les exactions passées, croit-on.</p> <p>Mais la vérité n’est pas seulement question de faits, elle intéresse aussi le sens. Or deux sens ne peuvent cohabiter. Pas d’en-même-temps possible: la douleur d’un camp ne peut valoir celle de l’autre. Celle de l’Allemand de la Seconde Guerre mondiale ne vaut pas celle de l’Allié. On touche probablement ici à la limite du rapport Stora: le colon ne peut pas faire valoir sa douleur au même titre que le colonisé. Sinon, toute la hiérarchie, établie selon une échelle de valeurs qui accorde au colonisé la légitimité de sa révolte, est rebattue. Et pourtant, se dit-on, il faut tendre vers la reconnaissance des souffrances de part et d’autre, pour pouvoir la faire, cette réconciliation. Comme c’est compliqué…</p> <h3>Les choses ont un sens que la paix peut ignorer</h3> <p>Seul le sens permet d’y voir clair. Mais le problème du sens, qui dit qui avait raison, qui avait tort, c’est qu’il ne permet pas toujours de refermer les plaies, puisque personne ne veut être en tort, ou avoir tous les torts. 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Pourquoi? On a tenté de répondre à cette question. Indice: l’image, pas terrible, du «voisin français». ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>«C’est la petite Gilberte, Gilberte de Courgenay…» La Mob, c’était mieux avant. Il y avait alors de vraies frontières. Pas comme aujourd’hui avec Schengen qui les a toutes effacées, ce qui est bien pratique aussi, il faut le dire. Mais parfois une votation – ou une pandémie – suffit à les rétablir. C’est ce qui s’est passé dimanche avec la «burqa», l’initiative interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, acceptée à 51,2% par le peuple. Un score relativement modeste qui cache de fortes disparités. Sans le vote des métropoles, favorables au non, le texte aurait été approuvé bien plus largement. En Suisse romande, les communes frontalières de la France ont plébiscité le oui. Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). Un score de cinq points supérieur à la moyenne cantonale jurassienne, 60,7% de oui, la plus élevée des dix-neuf cantons qui ont approuvé le texte.</p> <p>Des trois districts du canton du Jura, celui de Porrentruy, qui épouse la carte de l’Ajoie, dont la particularité est d’avoir avec la France le double de frontière qu’il n’en a avec la Suisse, affiche le plus haut taux d’acceptation, 64,7%. A la pointe du saillant, Bure, la commune qui héberge la place d’armes du même nom, se hisse à la première place du district avec 76% de oui. 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Les habitants de ces localités se considèrent vulnérables, ils voient dans la frontière une protection contre des périls, le rôle même d’une frontière.</p> <p>Deux épisodes de délinquance remontant à l’été dernier renforcent cette hypothèse: l’un a touché la «<a href="https://bonpourlatete.com/actuel/la-suisse-c-est-un-autre-monde-faut-dire-la-verite" target="_blank" rel="noopener">piscine de Porrentruy</a>», en Ajoie, lorsque des «racailles» (terme chargé de sous-entendus) venues de quartiers sensibles de France voisine ont commis des incivilités dans l’enceinte du bassin bruntrutain; <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/neuchatel-veut-que-l-algerie-reprenne-ses-delinquants-sans-papiers" target="_blank" rel="noopener">un autre</a> a fait grimper les chiffres de la délinquance semble-t-il comme rarement sur le littoral neuchâtelois, lorsque des mineurs ou jeunes majeurs isolés essentiellement originaires du Maghreb, certains d’entre eux étant en réalité originaires de France, ont commis des rapines.</p> <p>Les urnes électorales sont en quelque sorte nos lieux d’aisance démocratiques. 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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. Chez lui, les termes du combat paraissent ne pas devoir être discutés, celui de patriarcat, par exemple. Or ce n’est pas parce que le patriarcat existe en tant que phénomène historique que le mot n’est pas utilisé dans la période actuelle comme une ressource discursive mise au service d’un intérêt.</p> <p>Contrairement à quelques-uns éprouvant le besoin d’exposer leur vertu, je n’ai pas pour habitude de dire dans un texte ce que je pense profondément. Parce que je me dis qu’un individu, au hasard, un lecteur, une lectrice, peut parfaitement faire crédit à un autre individu de son appartenance à la bonne part de l’humanité même si ce dernier dévie, autrement dit s’accorde le droit de questionner des tendances. Le fait de dévier, de pouvoir le faire, est gage de bonne santé démocratique. Cela ne veut pas dire qu’on est en droit d’imposer son point de vue aux autres. 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Voilà pour ce que je pense.</p> <p>Maintenant, ce que je comprends. C’est plus pudique et de mon point de vue, plus intéressant, même si je peux parfaitement concevoir la nécessité et l’intérêt de récits à la première personne. Mon article sur le site de <i>Marianne</i> ne porte pas sur les faits présumés de harcèlement révélés par <i>Le Temps</i>. Je renvoie d’ailleurs dès le premier paragraphe à l’enquête du quotidien romand datée du 29 octobre. Il me semble que beaucoup, en France aussi, savent de quoi il retourne avec cette «Tour».</p> <p>Non, l’angle de mon article porte sur une action politique, menée essentiellement par des femmes, lesquelles exercent une pression dans un rapport de force en vue de l’obtention d’un résultat. On dirait que cette approche universelle a rendu Gabriel Bender tout drôle. Que comprendre en creux de ses arguments à lui? 1) Qu’un combat mené par des femmes se doit d’être protégé, parce que tout combat féminin serait empreint de fragilité. 2) Que des femmes sont au fond incapables de tactique, qu’elles sont toujours «entières», comme si parler de manœuvre à leur sujet, c’était implicitement en référer aux vieux schémas de ruse, de rouerie, voire de sorcellerie associés aux femmes durant des siècles.</p> <p>Mais on est de son temps ou on ne l’est pas. Il s’agit bien pour des femmes de la RTS, et pour des hommes avec elles, de tirer parti, c’est-à-dire avantage d’une situation à l’origine défavorable. C’est ce qui s’appelle faire de la politique. Mais encore une fois, tout combat politique conduit par des femmes devrait-il être assimilé seulement à du «militantisme», notion contenant en elle un statut de dominé, et par-là échapper à la critique ordinaire? Ne serait-ce pas là jouer sur les «deux tableaux», celui de la victime à qui réparation est due et celui du citoyen à qui tout revient une fois la victoire acquise? Aussi je propose qu’on laisse la démocratie trancher sur les reformes sociétales voulues par le «collectif du 14 juin». Et que le droit remplisse son office pour les cas de harcèlement et mobbing présumés.</p> <p>Il y a de la mauvaise foi dans le texte de Gabriel Bender. A tout le moins des imprécisions. J’en veux pour preuve ce passage où il comprend de travers ce qui est pourtant clair: personne, parmi les salariés de la RTS, ne pousse, contrairement à ce qu’il affirme, la femme que je cite anonymement à produire un «faux témoignage», soit des accusations de harcèlement qu’elle n’aurait pas subi. J’écris qu’elle n’a pas suivi des collègues qui l’incitaient à témoigner, non de quelque chose dont ils auraient été convaincus de l’existence la concernant, mais de faits dont ils pouvaient penser qu’elle avait été victime, comme d’autres. 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Une statue de Churchill taguée à Londres; une pétition réclamant le déboulonnage d’une autre statue, celle du baron David de Pury à Neuchâtel; la plateforme américaine HBO retirant «Autant en emporte le vent» de son catalogue de films dans l’attente d’une contextualisation de l’œuvre; la notion de «privilège blanc» qui refait surface. La mort de George Floyd, ce citoyen noir de 46 ans tué par un policier blanc lors de son interpellation le 25 mai à Minneapolis, aux Etats-Unis, a ébranlé le monde occidental.
Depuis le drame, l’Occident, l’Europe surtout, qui ne porte pas en elle la passion raciale au sens christique du terme, est sommé de se mettre à l’heure de son réel multiculturel et multiethnique. «C’est nous, le nouveau monde», proclamait le 4 juin un éditorial du Bondy Blog, ce média en ligne dédié à la diversité française, créé en 2005 par feu le magazine romand L’Hebdo dans le sillage des émeutes de banlieues. Le grand changement, c’est maintenant.
Les tragédies sont parfois l’occasion de progrès. Le «meurtre» (charge retenue par la justice) de George Floyd peut entrer dans cette catégorie. La catharsis semble en cours dans une partie de la société américaine. Les genoux posés à terre par des Blancs, notamment des policiers, ne sont pas tant, outre-Atlantique, un geste de soumission qu’une manière de communier propre aux Américains. Ce peuple imprégné de religion se régénère ainsi, de fautes commises en demandes de pardon, ce qui ne règle pas pour autant la question raciale.
«Déblanchiser»
En Europe, c’est autre chose. Le politique n’y est pas à ce point entremêlé de religieux. On s’agenouille devant Dieu, jamais devant des individus. Certes, ce geste peut participer d’un hommage humble au supplicié de Minneapolis, d’une imitation de la dramaturgie noire américaine pour l’obtention des droits civiques, mais la Révolution de 1789 et d’autres à sa suite ont aboli les privilèges et les révérences, sauf exception monarchique purement conventionnelle. Il n’y a distinction ni d’origine, ni de race, ni ─ en France du moins ─ de religion, tout ce fatras de l’Ancien Régime. C’est dans ce moule idéologique que nous avons grandi. Ils nous a formés. Le «plus jamais ça» consécutif à la Shoah a fait de nous des antiracistes, l’«autre» est devenu notre semblable et notre prochain.
«Foutaises!, réplique l’antiracisme iconoclaste à l’œuvre ces jours-ci. Vous avez pris une assurance contre le racisme, mais vos sociétés et vous-mêmes êtes racistes, et le fait que vous prétendiez le contraire n’y change rien, assène-t-il. Vos statues d’esclavagistes encore debout souligne votre hypocrisie. Vous, les Blancs, n’avez rien perdu de vos prétentions à diriger le monde.»
Les Blancs et l’Occident sont ici des mots interchangeables. Cet antiracisme intégral marche dans les pas du sulfureux Parti des indigènes de la République, le PIR, actif en France, un mouvement décolonial. Les Blancs doivent se «déblanchiser», autrement dit tuer en eux ce qu’il reste de pulsion dominatrice. Les statues incriminées, par leur seule présence, témoigneraient d’une résistance muette à l’émergence du nouveau monde. Les racisés, terme désignant les personnes «structurellement» victimes de racisme du fait de cette hiérarchie encore sur pied, seraient incidemment renvoyés à leur condition inférieure à la vue de ces bronzes, ce qui entretiendrait une mésestime de soi, nuisible à l’épanouissement.
Enfin, la police serait l’arme, à tout point de vue, de la domination blanche. Le respect de la loi, noble principe, serait détourné au profit de cette machination, de moins en moins subtile et efficace à mesure que se multiplient les «violences policières». Une expression nullement neutre, qui met à égalité les violences de citoyens et la répression des forces de l’ordre, en principe dépositaires de la violence légitime. L’antiracisme rejoint ici l’activisme antisystème: Blancs et capitalistes, mêmes ennemis. En tant qu’objets politiques, non comme êtres de chair, s’empresse de préciser cet aréopage qui plaide la convergence des luttes et qui a en quelque sorte réussi son OPA sur les Gilets jaunes en France.
Nouvel Occident
La dénonciation du «privilège blanc» prend racine dans cette entreprise de révision des hiérarchies. Bien qu’antiraciste sincère, le Blanc n’aurait pas conscience des avantages liés à sa race. Rejetant, au nom du «plus jamais ça», l’usage de ce terme rétabli par l’antiracisme indigéniste, il nierait aux «racisés» le droit de dire leur détresse et maintiendrait ainsi son emprise sur eux.
Certes, il y a «privilège» ou avantage a minima. Les Blancs n’ont pas à se questionner sur leur place, sur leur légitimité dans un société considérée comme blanche. De la même façon, il va de soi qu’on est Noir en Afrique subsaharienne ou Arabo-berbère au Maghreb. Mais il y aurait «privilège» ou avantage a maxima. Même sur le continent africain, en dépit de quelque hostilité qu’il pourrait y ressentir de la part de certaines personnes, le Blanc conserverait sa superbe d’ancien «maître», fruit de l’histoire coloniale et de l’intériorisation chez ses hôtes d’un complexe d’infériorité, alors compensé par un contre-suprémacisme en vigueur dans des groupuscules radicaux.
Où nous conduit cette entreprise de «démystification» de l’Histoire? Sa cible est l’Occident (plus que le Blanc), qu'il s'agit de transformer en un autre Occident. Il faudrait dissoudre l’«ancien» pour créer un «nouveau», soi-disant conforme à ses composantes multiples. Ce mouvement se présente comme vertueux, mais on sait ce que la vertu peut contenir comme dérives – les Bouddhas de Bâmiyân dynamités en 2001 par les talibans, par exemple, un acte caractéristique des révolutions culturelles.
Il n’y aurait plus de dates fondatrice (Guillaume Telle en Suisse, Clovis en France), plus de conventions constitutives, plus d’historicité de référence, plus de Lumières, plus de «valeurs» dont l’Occident pourrait se prévaloir, mais un éternel recommencement doublé d’une critique constante d’un monde autrefois dominateur et devant aujourd’hui expier ses fautes. Lui qui a «bousillé» les peuples qu’il a colonisés devrait à son tour subir le même sort. Cet esprit de revanche n’anime évidemment pas tous les antiracistes, loin de là, mais il est présent chez certains, pour qui la lutte contre le racisme n’est parfois qu’un alibi.
Le barbouillage d’une statue de Churchill dimanche dernier à Londres, par des militants, peut-être minoritaires, du mouvement Black Lives Matter, participe de ce bousculement des hiérarchies. Il ne faut pas seulement rappeler que le grand homme victorieux des nazis fut aussi un raciste actif, il faut désacraliser un monument représentant ce qu’il y a de plus constitutif des valeurs – nous y sommes – de l’Occident d’après-guerre. Les juifs ont eu les honneurs de sa repentance, au tour des Noirs.
La baron neuchâtelois «esclavagiste»
A Neuchâtel, une pétition lancée par un «Collectif pour la mémoire» demande le déboulonnage de la statue du baron David de Pury, un aristocrate et négociant du XVIIIe siècle, «bienfaiteur de la ville», accusé d’esclavagisme. Ce héros serait en réalité un bourreau. Un reproche nuancé par Bouda Etemad, professeur honoraire de l’Université de Lausanne et coauteur du livre «La Suisse et l’esclavage des Noirs» (2005), interviewé par le quotidien neuchâtelois ArcInfo. La statue de David de Pury trône sur la place qui porte son nom. Un café a pour enseigne «Chez le baron». Bref, ce personnage est une institution locale, une pièce importante du patrimoine cantonal. Un sondage en ligne sur le site d’ArcInfo donne la tendance: 83% des personnes ayant donné leur avis sont contre le déboulonnage.
En 2018, toujours à Neuchâtel, l’Université de la ville avait débaptisé l’«Espace Louis-Agassiz», du nom d’un naturaliste et fondateur au XIXe siècle de ladite Université. Cet espace, qui avait vu le jour dans les années 1980, a été renommé «Tilo Frey», une femme métisse et première Neuchâteloise élue au Conseil national en 1971. Agassiz, selon des «recherches récentes», était «un précurseur de la pensée raciale nazie et de l’idéologie ségrégationniste et d’apartheid», rapportait en septembre 2018 le site RTN.
Cette débaptisation avait fait polémique à l’époque, puis «les choses se sont calmées, la décision a été acceptée», affirme Nando Luginbühl, responsable de la communication de l’Alma Mater neuchâteloise. «Le cadre dans lequel a été effectuée cette transformation était toutefois plus léger que celui d’une place au cœur de la ville, il n’y avait pas non plus de statue au nom de Louis Agassiz, comme il y en a une dédiée à David de Pury», ajoute-t-il.
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Revenons à l’enjeu premier: la place des Noirs dans les sociétés occidentales – la cause défendue par Black Lives Matter. Ils sont indéniablement le parent pauvre de l’attention portée aux minoritaires par les majoritaires. D’une façon générale, la représentation des minorités dites visibles à des postes socialement valorisés est insuffisante – encore doit-on envisager ce rattrapage moins en termes comptables qu’intégrateurs. Il ne faut pas craindre non plus le questionnement critique de certaines figures ou agissements de notre histoire sous un biais racial, une partie d’entre elle procédant d’une vision raciste du monde. Mais cela ne doit pas aboutir à un dévissage en règle des charnières qui tiennent debout un pays.
Il importe enfin que les «minorités» – terme pouvant aller à l’encontre d’une intégration réelle – s’approprient l’histoire de ceux qui les ont devancées, s’y sentent à l’aise, comme les juifs avant eux – qualifiés de «supplétifs» des Blancs par la porte-parole des Indigènes de la République en France, Houria Bouteldja, dans son essai «Les Blancs, les juifs et nous» (2016), parfois mal vus d’une partie de la «communauté noire» aux Etats-Unis alliée à une frange de la gauche radicale, pour des raisons semblables. L’histoire coloniale doit être étudiée, non rejouée. L’antiracisme, lui, doit être fédérateur.
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En tant qu’objets politiques, non comme êtres de chair, s’empresse de préciser cet aréopage qui plaide la convergence des luttes et qui a en quelque sorte réussi son OPA sur les Gilets jaunes en France.</p> <h3><strong>Nouvel Occident</strong></h3> <p>La dénonciation du «privilège blanc» prend racine dans cette entreprise de révision des hiérarchies. Bien qu’antiraciste sincère, le Blanc n’aurait pas conscience des avantages liés à sa race. Rejetant, au nom du «plus jamais ça», l’usage de ce terme rétabli par l’antiracisme indigéniste, il nierait aux «racisés» le droit de dire leur détresse et maintiendrait ainsi son emprise sur eux.</p> <p>Certes, il y a «privilège» ou avantage <em>a minima</em>. Les Blancs n’ont pas à se questionner sur leur place, sur leur légitimité dans un société considérée comme blanche. De la même façon, il va de soi qu’on est Noir en Afrique subsaharienne ou Arabo-berbère au Maghreb. Mais il y aurait «privilège» ou avantage <em>a maxima</em>. 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Ce mouvement se présente comme vertueux, mais on sait ce que la vertu peut contenir comme dérives – les Bouddhas de Bâmiyân dynamités en 2001 par les talibans, par exemple, un acte caractéristique des révolutions culturelles.</p> <p>Il n’y aurait plus de dates fondatrice (Guillaume Telle en Suisse, Clovis en France), plus de conventions constitutives, plus d’historicité de référence, plus de Lumières, plus de «valeurs» dont l’Occident pourrait se prévaloir, mais un éternel recommencement doublé d’une critique constante d’un monde autrefois dominateur et devant aujourd’hui expier ses fautes. Lui qui a «bousillé» les peuples qu’il a colonisés devrait à son tour subir le même sort. Cet esprit de revanche n’anime évidemment pas tous les antiracistes, loin de là, mais il est présent chez certains, pour qui la lutte contre le racisme n’est parfois qu’un alibi.</p> <p>Le barbouillage d’une statue de Churchill dimanche dernier à Londres, par des militants, peut-être minoritaires, du mouvement Black Lives Matter, participe de ce bousculement des hiérarchies. Il ne faut pas seulement rappeler que le grand homme victorieux des nazis fut aussi un raciste actif, il faut désacraliser un monument représentant ce qu’il y a de plus constitutif des valeurs – nous y sommes – de l’Occident d’après-guerre. Les juifs ont eu les honneurs de sa repentance, au tour des Noirs.</p> <h3><strong>La baron neuchâtelois «esclavagiste» </strong></h3> <p>A Neuchâtel, une pétition lancée par un «Collectif pour la mémoire» demande le déboulonnage de la statue du baron David de Pury, un aristocrate et négociant du XVIIIe siècle, «bienfaiteur de la ville», accusé d’esclavagisme. Ce héros serait en réalité un bourreau. Un reproche nuancé par Bouda Etemad, professeur honoraire de l’Université de Lausanne et coauteur du livre «La Suisse et l’esclavage des Noirs» (2005), <a href="https://www.arcinfo.ch/articles/regions/canton/un-esclavagiste-david-de-pury-945390" target="_blank" rel="noopener">interviewé par le quotidien neuchâtelois <em>ArcInfo</em></a>. La statue de David de Pury trône sur la place qui porte son nom. Un café a pour enseigne «Chez le baron». Bref, ce personnage est une institution locale, une pièce importante du patrimoine cantonal. Un sondage en ligne sur le site d’<em>ArcInfo</em> donne la tendance: 83% des personnes ayant donné leur avis sont contre le déboulonnage.</p> <p>En 2018, toujours à Neuchâtel, l’Université de la ville avait débaptisé l’«Espace Louis-Agassiz», du nom d’un naturaliste et fondateur au XIXe siècle de ladite Université. Cet espace, qui avait vu le jour dans les années 1980, a été renommé «Tilo Frey», une femme métisse et première Neuchâteloise élue au Conseil national en 1971. Agassiz, selon des «recherches récentes», était «un précurseur de la pensée raciale nazie et de l’idéologie ségrégationniste et d’apartheid», <a href="https://www.rtn.ch/rtn/Actualite/Region/20180913-Espace-Louis-Agassiz-entretien-avec-Jean-Pierre-Jelmini.html" target="_blank" rel="noopener">rapportait en septembre 2018 le site <em>RTN</em></a>.</p> <p>Cette débaptisation avait fait polémique à l’époque, puis «les choses se sont calmées, la décision a été acceptée», affirme Nando Luginbühl, responsable de la communication de l’Alma Mater neuchâteloise. «Le cadre dans lequel a été effectuée cette transformation était toutefois plus léger que celui d’une place au cœur de la ville, il n’y avait pas non plus de statue au nom de Louis Agassiz, comme il y en a une dédiée à David de Pury», ajoute-t-il.</p> <p>On imagine l’usage que des partis nationalistes, des intellectuels d’extrême droite, mais pas qu’eux, pourront faire d’un mouvement iconoclaste malmenant des identités, l’identité étant ce qui fait consensus au terme d’un processus de sédimentation des affects. Réveiller les affects, c’est réveiller le conflit.</p> <p>Revenons à l’enjeu premier: la place des Noirs dans les sociétés occidentales – la cause défendue par <em>Black Lives Matter</em>. Ils sont indéniablement le parent pauvre de l’attention portée aux minoritaires par les majoritaires. D’une façon générale, la représentation des minorités dites visibles à des postes socialement valorisés est insuffisante – encore doit-on envisager ce rattrapage moins en termes comptables qu’intégrateurs. Il ne faut pas craindre non plus le questionnement critique de certaines figures ou agissements de notre histoire sous un biais racial, une partie d’entre elle procédant d’une vision raciste du monde. Mais cela ne doit pas aboutir à un dévissage en règle des charnières qui tiennent debout un pays.</p> <p>Il importe enfin que les «minorités» – terme pouvant aller à l’encontre d’une intégration réelle – s’approprient l’histoire de ceux qui les ont devancées, s’y sentent à l’aise, comme les juifs avant eux – qualifiés de «supplétifs» des Blancs par la porte-parole des Indigènes de la République en France, Houria Bouteldja, dans son essai «Les Blancs, les juifs et nous» (2016), parfois mal vus d’une partie de la «communauté noire» aux Etats-Unis alliée à une frange de la gauche radicale, pour des raisons semblables. L’histoire coloniale doit être étudiée, non rejouée. 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Jeudi, comme souvent dans ce rendez-vous formaté pour le buzz, il s’est passé <a href="https://twitter.com/LeDevBreton/status/1590817814059044864?s=20&t=4TWr6vsi3CFKbFwoMHZdVw" target="_blank" rel="noopener">quelque chose de fort</a> sur le plateau de «Touche pas à mon poste!», l’émission animée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8 du groupe Bolloré – le nom à l’origine du clash de jeudi soir. Pour La France insoumise (LFI), ce parti de la gauche radicale siégeant à l’Assemblée nationale, un dilemme à présent se pose: faut-il encore aller à TPMP, là où bat le cœur de la France antisystème, où les électorats lepénistes et mélenchonistes s’invectivent, mais surtout, se parlent comme nulle part ailleurs?</p> <p>Que s’est-il passé de si grave ou plutôt de si révélateur? Alors que le débat portait sur l’accueil par la France de 234 migrants se trouvant à bord du bateau Ocean Viking, le jeune député LFI Louis Boyard, qui fut autrefois chroniqueur rétribué à TPMP, a mis les pieds dans son ancienne gamelle en parlant d’un procès menaçant «Bolloré» pour déforestation au Cameroun. 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Né en 1950 à Constantine, issu de la communauté juive algérienne, partie avec les pieds-noirs à l’indépendance en 1962, Stora était investi d’une mission réconciliatrice par le président de la République. A la fin de son travail, l’historien émet une série de préconisations. Et l’on entre alors dans le vif du sujet: l’action.</p> <p>La première de ces préconisations, qui rappelle la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’Instance Vérité et Dignité en Tunisie, est la constitution d’une «Commission "Mémoires et vérité" chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires». La <em>vérité</em>. Pas de réconciliation sans vérité sur les exactions passées, croit-on.</p> <p>Mais la vérité n’est pas seulement question de faits, elle intéresse aussi le sens. Or deux sens ne peuvent cohabiter. Pas d’en-même-temps possible: la douleur d’un camp ne peut valoir celle de l’autre. Celle de l’Allemand de la Seconde Guerre mondiale ne vaut pas celle de l’Allié. On touche probablement ici à la limite du rapport Stora: le colon ne peut pas faire valoir sa douleur au même titre que le colonisé. Sinon, toute la hiérarchie, établie selon une échelle de valeurs qui accorde au colonisé la légitimité de sa révolte, est rebattue. Et pourtant, se dit-on, il faut tendre vers la reconnaissance des souffrances de part et d’autre, pour pouvoir la faire, cette réconciliation. Comme c’est compliqué…</p> <h3>Les choses ont un sens que la paix peut ignorer</h3> <p>Seul le sens permet d’y voir clair. Mais le problème du sens, qui dit qui avait raison, qui avait tort, c’est qu’il ne permet pas toujours de refermer les plaies, puisque personne ne veut être en tort, ou avoir tous les torts. 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Pourquoi? On a tenté de répondre à cette question. Indice: l’image, pas terrible, du «voisin français». ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>«C’est la petite Gilberte, Gilberte de Courgenay…» La Mob, c’était mieux avant. Il y avait alors de vraies frontières. Pas comme aujourd’hui avec Schengen qui les a toutes effacées, ce qui est bien pratique aussi, il faut le dire. Mais parfois une votation – ou une pandémie – suffit à les rétablir. C’est ce qui s’est passé dimanche avec la «burqa», l’initiative interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, acceptée à 51,2% par le peuple. Un score relativement modeste qui cache de fortes disparités. Sans le vote des métropoles, favorables au non, le texte aurait été approuvé bien plus largement. En Suisse romande, les communes frontalières de la France ont plébiscité le oui. Qu’est-ce que cela révèle de ce vote, à cet endroit bien précis, celui des limites géographiques et politiques d’un pays, en sa partie francophone?</p> <p>A Courgenay, dans cette Ajoie s’enfonçant tel un saillant dans les départements français du Doubs et du Territoire de Belfort, 65,4% des habitants ont voté en faveur de l’initiative soutenue par l’UDC et une partie de la gauche (<a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20210307/initiative-populaire-oui-a-l-interdiction-de-se-dissimuler-le-visage.html" target="_blank" rel="noopener">cliquez ici</a> pour avoir accès à la carte interactive). Un score de cinq points supérieur à la moyenne cantonale jurassienne, 60,7% de oui, la plus élevée des dix-neuf cantons qui ont approuvé le texte.</p> <p>Des trois districts du canton du Jura, celui de Porrentruy, qui épouse la carte de l’Ajoie, dont la particularité est d’avoir avec la France le double de frontière qu’il n’en a avec la Suisse, affiche le plus haut taux d’acceptation, 64,7%. A la pointe du saillant, Bure, la commune qui héberge la place d’armes du même nom, se hisse à la première place du district avec 76% de oui. Mais c’est dans le district de Delémont que le record est atteint: la petite localité d’Ederswiler, frontalière avec le Haut-Rhin, a accordé 82,93% de ses votes au oui à l’initiative.</p> <p>Que comprendre de ce «vote des frontières», massif dans le canton du Jura, massif encore dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud, marqué également dans le canton de Genève, pour un texte combattant un phénomène, le voile intégral, sans doute inexistant dans ces contrées et rarissime à l’échelle de la Suisse?</p> <p>Avant d’en venir aux hypothèses, continuons sur notre sentier des douaniers. Dans le canton de Neuchâtel, le district du Val-de-Travers produit les plus hauts scores. La «palme» revient à La Côte-aux-Fées avec 74,5% de oui. 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Bardonnex, localité munie d’un important poste-frontière, détient semble-t-il le record cantonal avec 57% de oui. A part la commune de Genève proprement dite (44,8% de oui) et de certaines localités en direction du canton de Vaud, peut-être un peu plus bourgeoises que le reste du canton de Genève, toutes les autres ou presque acceptent l’initiative.</p> <p>Le Valais, en partie frontalier avec la France, a voté oui à 58,3%, deuxième taux le plus élevé en Suisse romande derrière le Jura. La commune limitrophe de Saint-Gingolph, à la pointe sud-est du lac Léman, détient avec 70,5% des voix l’un des plus hauts scores du canton.</p> <p>Alors, pourquoi ce oui franc et souvent massif des communes frontalières à l’initiative dite anti-«burqa»? Notons au passage que de nombreuses localités de l’«intérieur» de la Suisse romande, spécialement dans la Broye, l’ont également fortement approuvée.</p> <p>Alors, est-ce par «islamophobie»? Ce terme, dont l’islam politique est féru, a plusieurs acceptions. C’est son problème comme sa force. Il englobe et confond la critique, la crainte et le rejet de l’islam. Mais on peut penser que le «vote des frontières» à l’initiative qui nous occupe renferme une part de crainte, voire de rejet de la religion musulmane, en tous les cas de ses formes apparaissant comme radicales ou intolérantes.</p> <p>Notre hypothèse, elle, est qu’il faut envisager ce vote frontalier romand comme le résultat d’une association d’idées: niqab=islam, islam=danger, danger=France. Cet enchaînement peut certainement valoir aussi, selon des modalités propres, avec d’autres pays limitrophes de la Suisse – la chose est frappante dans le canton de Saint-Gall, qui fait face à l’Autriche, visée le 12 novembre par un attentat djihadiste à Vienne.</p> <p>Ne nous cachons pas la réalité: nombreux sont les Suisses à avoir de la France une image cauchemardesque, ou du moins dégradée. Pour rien au monde, ils ne voudraient être français, ni connaître ce que la France, singulièrement cette «France voisine» – proche mais tenue à distance comme tout voisin – connaît: le chômage, la délinquance, un rapport exacerbé à l’islam, globalement, des problèmes paraissant insolubles.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <em><a href="https://bonpourlatete.com/analyses/islamisme-france-suisse-le-vrai-sujet-qui-fache" target="_blank" rel="noopener">Islamisme France-Suisse: le vrai sujet qui fâche</a></em></p> <hr /> <p>Les communes romandes frontalières, spécialement celles de fort passage, spécialement celles situées en zones rurales, spécialement enfin celles qui n’ont pas avec la France de «barrière naturelle» – une rivière, un fort dénivelé forestier ou montagneux –, s’estiment aux premières loges d’un danger réel, exagéré ou fantasmé dont elles entendent se prémunir. Les habitants de ces localités se considèrent vulnérables, ils voient dans la frontière une protection contre des périls, le rôle même d’une frontière.</p> <p>Deux épisodes de délinquance remontant à l’été dernier renforcent cette hypothèse: l’un a touché la «<a href="https://bonpourlatete.com/actuel/la-suisse-c-est-un-autre-monde-faut-dire-la-verite" target="_blank" rel="noopener">piscine de Porrentruy</a>», en Ajoie, lorsque des «racailles» (terme chargé de sous-entendus) venues de quartiers sensibles de France voisine ont commis des incivilités dans l’enceinte du bassin bruntrutain; <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/neuchatel-veut-que-l-algerie-reprenne-ses-delinquants-sans-papiers" target="_blank" rel="noopener">un autre</a> a fait grimper les chiffres de la délinquance semble-t-il comme rarement sur le littoral neuchâtelois, lorsque des mineurs ou jeunes majeurs isolés essentiellement originaires du Maghreb, certains d’entre eux étant en réalité originaires de France, ont commis des rapines.</p> <p>Les urnes électorales sont en quelque sorte nos lieux d’aisance démocratiques. S’y déversent nos peurs, nos inquiétudes, qui peuvent être fondées, tout ce «ça» refoulé en temps normal et qui trouve là, dans l’intimité de l’isoloir, une occasion de s’exprimer. 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Un <i>mansplaining</i> en mode solidaire, bien sûr. Je serais même tenté d’y voir un peu plus que cela: un <i>manembracing</i> virant au <i>manembarrassing</i>. Autrement dit: une défense à ce point appuyée qu’elle en devient gênante.</p> <p>Gabriel Bender a le zèle du converti. Du converti au féminisme. C’est l’impression qu’il donne. Comme s’il devait montrer, à lui-même et au monde, qu’il est du bon côté. Celui des dominés, en l’occurrence des dominées. Militantisme et sociologie – sa discipline – ne font plus qu’un dans un certain nombre de domaines de recherche. En première année de «socio», on apprenait pourtant à distinguer le discours de l’acteur de celui de l’observateur.</p> <p>Ce précieux conseil, qui permet d’entretenir la veille démocratique, ne semble plus partagé par tous les observateurs des phénomènes de société. La prose «féministe» de Gabriel Bender rend compte d’une confusion des statuts certainement volontaire. Chez lui, les termes du combat paraissent ne pas devoir être discutés, celui de patriarcat, par exemple. Or ce n’est pas parce que le patriarcat existe en tant que phénomène historique que le mot n’est pas utilisé dans la période actuelle comme une ressource discursive mise au service d’un intérêt.</p> <p>Contrairement à quelques-uns éprouvant le besoin d’exposer leur vertu, je n’ai pas pour habitude de dire dans un texte ce que je pense profondément. Parce que je me dis qu’un individu, au hasard, un lecteur, une lectrice, peut parfaitement faire crédit à un autre individu de son appartenance à la bonne part de l’humanité même si ce dernier dévie, autrement dit s’accorde le droit de questionner des tendances. Le fait de dévier, de pouvoir le faire, est gage de bonne santé démocratique. Cela ne veut pas dire qu’on est en droit d’imposer son point de vue aux autres. Bref, le débat est un acquis précieux, et cette réponse à Gabriel Bender y participe.</p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <em><a href="https://bonpourlatete.com/analyses/mise-au-pas-du-patriarcat-a-la-rts" target="_blank" rel="noopener">Mise au pas du patriarcat à la RTS</a></em></p> <hr /> <p>Alors, qu’est-ce que je pense du harcèlement? Comme la plupart des gens, je pense que c’est intolérable. Je pense aussi que la «drague» en entreprise, lourde ou légère, est une mauvaise chose. Je dénonce le machisme et la beauferie. Je me souviens, mais là on part sur #metoogay, de trois journalistes causant politique avant une échéance électorale: l’un d’eux avait usé du mot «pédoque» pour évoquer un élu romand. C’était moche, j’avais envie de l’insulter. Tout ça pour dire que je suis heureux qu’une certaine tenue comportementale et verbale – «un homme ça s’empêche», merci Albert Camus – devienne la règle. Ce changement, on le doit aux féministes. Voilà pour ce que je pense.</p> <p>Maintenant, ce que je comprends. C’est plus pudique et de mon point de vue, plus intéressant, même si je peux parfaitement concevoir la nécessité et l’intérêt de récits à la première personne. Mon article sur le site de <i>Marianne</i> ne porte pas sur les faits présumés de harcèlement révélés par <i>Le Temps</i>. Je renvoie d’ailleurs dès le premier paragraphe à l’enquête du quotidien romand datée du 29 octobre. Il me semble que beaucoup, en France aussi, savent de quoi il retourne avec cette «Tour».</p> <p>Non, l’angle de mon article porte sur une action politique, menée essentiellement par des femmes, lesquelles exercent une pression dans un rapport de force en vue de l’obtention d’un résultat. On dirait que cette approche universelle a rendu Gabriel Bender tout drôle. Que comprendre en creux de ses arguments à lui? 1) Qu’un combat mené par des femmes se doit d’être protégé, parce que tout combat féminin serait empreint de fragilité. 2) Que des femmes sont au fond incapables de tactique, qu’elles sont toujours «entières», comme si parler de manœuvre à leur sujet, c’était implicitement en référer aux vieux schémas de ruse, de rouerie, voire de sorcellerie associés aux femmes durant des siècles.</p> <p>Mais on est de son temps ou on ne l’est pas. Il s’agit bien pour des femmes de la RTS, et pour des hommes avec elles, de tirer parti, c’est-à-dire avantage d’une situation à l’origine défavorable. C’est ce qui s’appelle faire de la politique. Mais encore une fois, tout combat politique conduit par des femmes devrait-il être assimilé seulement à du «militantisme», notion contenant en elle un statut de dominé, et par-là échapper à la critique ordinaire? Ne serait-ce pas là jouer sur les «deux tableaux», celui de la victime à qui réparation est due et celui du citoyen à qui tout revient une fois la victoire acquise? Aussi je propose qu’on laisse la démocratie trancher sur les reformes sociétales voulues par le «collectif du 14 juin». Et que le droit remplisse son office pour les cas de harcèlement et mobbing présumés.</p> <p>Il y a de la mauvaise foi dans le texte de Gabriel Bender. A tout le moins des imprécisions. J’en veux pour preuve ce passage où il comprend de travers ce qui est pourtant clair: personne, parmi les salariés de la RTS, ne pousse, contrairement à ce qu’il affirme, la femme que je cite anonymement à produire un «faux témoignage», soit des accusations de harcèlement qu’elle n’aurait pas subi. J’écris qu’elle n’a pas suivi des collègues qui l’incitaient à témoigner, non de quelque chose dont ils auraient été convaincus de l’existence la concernant, mais de faits dont ils pouvaient penser qu’elle avait été victime, comme d’autres. 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