Procession aux flambeaux en l'honneur de la figure du nationalisme ukrainien Stepan Bandera, le 1er janvier 2015 à Kyiv. CC BY 3.0
Que faire de cette guerre dans nos têtes? Se laisser porter par le flot des informations, des récits et des images? Jamais un conflit n’en a déversé autant, bien que d’autres, récents, moins illustrés, ont atteint aussi des sommets d’horreurs. Ou alors grommeler dans son coin, en se disant que tout n’est pas clair? On peut aussi chercher à mieux connaître ce pays d’Europe, sa réalité complexe, son passé lointain et proche. Un outil précieux s’offre à nous. Un gros livre: «L’Ukraine, une histoire entre deux destins» du journaliste et historien Pierre Lorrain, grand connaisseur des agressés et des agresseurs. Un travail approfondi qui chamboule les stéréotypes en noir et blanc dont nous sommes abreuvés.
Une somme qui va de la présence des Grecs, des Romains au Ier siècle… jusqu’à l’automne 2021. Ces terres ukrainiennes ont été, au fil de l’histoire, revendiquées par de grands empires, austro-hongrois et russe, par plusieurs nations, l’Autriche, la Prusse, la Pologne, la Turquie, en partie par la Hongrie et même par la Grèce. Dès le début du XXème siècle, l’Ukraine connut plusieurs guerres civiles, attisées par l’étranger, entre nationalistes et révolutionnaires, entre l’ouest et l’est. Avec à chaque fois des abominations commises dans tous les camps.
Aujourd’hui, devant l’agression russe, les Ukrainiens, pour la plupart, même russophones, s’unissent autour de leur gouvernement. On assiste peut-être à la véritable naissance d’une nation, plus évidente que lors de l’indépendance proclamée en 1991. Mais les traces, les blessures de l’histoire ne s’effacent pas d’un coup, même après un épisode aussi violent. Elles auront, ajoutées à celles d’aujourd’hui, leur part dans l’avenir du pays, une fois les armes tues.
Américains, nationalistes et oligarques
Qui n’a pas l’humeur de se plonger dans les temps anciens devrait au moins embarquer dans le récit au moment de la Seconde guerre mondiale. Les nationalistes ukrainiens s’allièrent aux Allemands et commirent avec eux des massacres de sinistre mémoire, comme celui des Juifs et des opposants à Babi Yar en 1941. A noter que leurs héritiers idéologiques d’aujourd’hui, admirateurs de leur leader Bandera, ont pignon sur rue à Kiev. Leur poids électoral est minime, à l’exception de la Galicie (ouest), mais ils sont très présents dans les rouages de l’Etat, en particulier dans l’armée qui a intégré leurs milices. Ces mouvances ultra-nationalistes inquiétèrent même George Bush senior, venu à Kiev en 1991 pour saluer l’indépendance: «Les Américains n’aideront pas ceux qui font la promotion d’un nationalisme suicidaire fondé sur la haine ethnique.» Piquant rappel au regard de l’actualité.
Lorsque les Soviétiques l’emportèrent en 1944, ils firent subir un sort cruel aux populations, en particulier à l’ouest, soumises à l’oppression stalinienne. La langue ukrainienne était mal vue. Plus tard, dans le cadre de l’URSS, la République d’Ukraine – formellement représentée comme telle à l’ONU! – connut des jours meilleurs mais en profondeur, les divisions ethniques et culturelles subsistaient sous le boisseau. Lors de l’effondrement de l’URSS, au moment de l’indépendance, le volcan enfoui libéra une série d’irruptions. A travers d’extrêmes tensions entre l’Ouest et l’Est du pays, avec une succession de présidences penchant plus ou moins d’un côté ou de l’autre. Sur le fond d’une vie politique marquée par la corruption des élites, les pouvoirs se trouvant sous la coupe des oligarques follement enrichis par la mainmise sur les biens publics. Tireurs de toutes les ficelles, divisés entre eux et se combattant sans cesse pour accumuler influence et richesses.
Tout s’accéléra en 2004. Avec la «révolution orange», soutenue déjà par les ONG américaines. L’arrivée d’un président pro-occidental qui ne tarda pas à s’épuiser. Puis une femme à poigne et à tresses. Et encore des tumultes...
Puis l'embrasement encore en 2014. Le président Ianoukovytch, revenu au pouvoir, avait espéré conclure des accords économiques à la fois avec l’Union européenne et avec la Russie, ce que les deux refusèrent. Il fut balayé par les manifestations de l’«Euromaïdan», devenues violentes de part et d’autre, fortement encouragées par les Américains qui envoyèrent sur place des personnalités de haut rang. Les Russes annexèrent sans coup férir la Crimée, où leur marine disposait déjà d’une base «en location». Les populations de l’est russophone se regimbèrent et les provinces de Louhansk et Donetsk réclamèrent l’autonomie, plus tard la sécession. L’armée ukrainienne intervint, la riposte s’organisa, avec le soutien distant mais armé de la Russie. La guerre du Donbass commençait. Huit ans plus tard, elle dure encore. Le conflit actuel en est le prolongement.
Les accords de Minsk, conclus grâce à la France, l’Allemagne, le gouvernement de Kiev et la Russie, avec l’aide de la Suisse, suscitèrent un espoir vite déçu. Peu partagé par les séparatistes. D’autre part, l’idée d’une Ukraine vaguement fédérale irrita vivement les nationalistes, les partisans d’un Etat unitaire… et les oligarques nullement intéressés à la mise en ordre du pays, qui profitaient du trouble pour conduire leurs transactions internationales, obscures et rémunératrices, sur le gaz et le pétrole.
Après maintes péripéties politiques donc, l’Ukraine entra, en 2019, dans l’ère Zelensky. Brillamment élu, un exploit, sur tout le territoire. Pierre Lorrain en fait un portrait favorable. Ce jeune homme, bien plus compétent que ne laissait supposer sa réputation initiale de «clown», fut élu sur un programme de paix. Il tenta de réactiver les accords de Minsk mais fut vite freiné par leurs adversaires. De même, nous déclare l’auteur aujourd’hui, il a réellement tenté, au lendemain de l’invasion du 24 février, de trouver une issue pacifique lors des pourparlers d’Istanbul qui, à un certain moment, parurent bien partis. Cette fois, selon Pierre Lorrain, ce sont clairement les Américains, omniprésents dans l'entourage du président et dans l’appareil de l’Etat, qui l’ont poussé à interrompre les négociations – le mot n’apparaît plus dans ses discours – et à poursuivre la guerre coûte que coûte, fort de l’aide militaire et financière massive des Etats-Unis et de leurs alliés. Dans le but non seulement d’aider l’Ukraine mais d’«affaiblir la Russie». Sombres perspectives.
Pour Pierre Lorrain, l’avenir ne peut plus passer par une solution telle qu’elle avait été envisagée, l’autonomie du Donbass. La Russie exigera son annexion, ainsi qu’une partie du sud, sur la côte de la mer d’Azov et de la Mer noire.
Le barrage infranchissable des ploutocrates
Tant de questions se posent. Jusqu’à quand la Russie peut-elle mener la guerre? Longtemps, selon ce connaisseur, car l’histoire témoigne assez de la résilience de ce peuple, parce que les sanctions renforcent plutôt le soutien de la plupart des Russes à Poutine. Les Ukrainiens paraissent en état de résister dans la durée mais à quel prix humain? Les Occidentaux resteront-ils unis sur la ligne offensive et intransigeante des Américains? Pas sûr, car les Allemands, les Français et d’autres pourraient enfin faire valoir une vision moins belliqueuse, plus orientée vers le dialogue. Et quand la guerre se terminera enfin, dans quel état sera l’Ukraine? Cassée, économiquement dévastée. Les conditions sociales, déjà lamentables avant la guerre, seront pires encore. Les milliards d’aide promis pour la reconstruction n’iront sûrement pas aux démunis. Et au plan politique? La vision angélique que l’on cultive en Occident de la star Zelensky ne doit pas nous leurrer. La démocratie au sens où nous l’entendons n’est pas pour demain.
La description très factuelle que fait Pierre Lorrain des institutions actuelles est accablante. Les efforts entrepris ces dernières années pour lutter contre la corruption généralisée ont quasiment tous échoué. L’Etat de droit? Fort précaire, la justice restant sous l’influence du pouvoir, l’espace laissé à la critique et à l’investigation journalistiques fort réduit. Le Tagesanzeiger vient de publier des témoignages qui disent l’inquiétude des journalistes de Kiev réduits à s’en tenir aux discours officiels. Quand la guerre sera finie, avec l’unité qu’elle requiert, «nous réglerons les comptes, les doigts nous démangent»!
Malgré des élections libres, le barrage des ploutocrates devant tout assainissement réel de la démocratie paraît infranchissable. Les trois quarts des députés au Parlement, la Rada, sont millionnaires en dollars, arrosés ou promus par leurs divers protecteurs. Quant aux tout gros, les milliardaires qui ont la main sur la plupart des entreprises de commerce, de construction, de médias, ils se frottent sans doute les mains à l’idée de voir affluer les aides internationales… en attendant les fonds européens. Qui peut croire qu’ils soient devenus soudain partageux? Ils ont en tout cas moins de soucis à se faire pour leur bas de laine à l’étranger que les oligarques russes.
«L’Ukraine, une histoire entre deux destins», Pierre Lorrain. Edition revue et actualisée, Editions Bartillat, 686 pages.
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Le président Ianoukovytch, revenu au pouvoir, avait espéré conclure des accords économiques à la fois avec l’Union européenne et avec la Russie, ce que les deux refusèrent. Il fut balayé par les manifestations de l’«Euromaïdan», devenues violentes de part et d’autre, fortement encouragées par les Américains qui envoyèrent sur place des personnalités de haut rang. Les Russes annexèrent sans coup férir la Crimée, où leur marine disposait déjà d’une base «en location». Les populations de l’est russophone se regimbèrent et les provinces de Louhansk et Donetsk réclamèrent l’autonomie, plus tard la sécession. L’armée ukrainienne intervint, la riposte s’organisa, avec le soutien distant mais armé de la Russie. La guerre du Donbass commençait. Huit ans plus tard, elle dure encore. Le conflit actuel en est le prolongement.</p> <p>Les accords de Minsk, conclus grâce à la France, l’Allemagne, le gouvernement de Kiev et la Russie, avec l’aide de la Suisse, suscitèrent un espoir vite déçu. 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Cette fois, selon Pierre Lorrain, ce sont clairement les Américains, omniprésents dans l'entourage du président et dans l’appareil de l’Etat, qui l’ont poussé à interrompre les négociations – le mot n’apparaît plus dans ses discours – et à poursuivre la guerre coûte que coûte, fort de l’aide militaire et financière massive des Etats-Unis et de leurs alliés. Dans le but non seulement d’aider l’Ukraine mais d’«affaiblir la Russie». Sombres perspectives.</p> <p>Pour Pierre Lorrain, l’avenir ne peut plus passer par une solution telle qu’elle avait été envisagée, l’autonomie du Donbass. La Russie exigera son annexion, ainsi qu’une partie du sud, sur la côte de la mer d’Azov et de la Mer noire.</p> <h3>Le barrage infranchissable des ploutocrates</h3> <p>Tant de questions se posent. Jusqu’à quand la Russie peut-elle mener la guerre? Longtemps, selon ce connaisseur, car l’histoire témoigne assez de la résilience de ce peuple, parce que les sanctions renforcent plutôt le soutien de la plupart des Russes à Poutine. Les Ukrainiens paraissent en état de résister dans la durée mais à quel prix humain? Les Occidentaux resteront-ils unis sur la ligne offensive et intransigeante des Américains? Pas sûr, car les Allemands, les Français et d’autres pourraient enfin faire valoir une vision moins belliqueuse, plus orientée vers le dialogue. Et quand la guerre se terminera enfin, dans quel état sera l’Ukraine? Cassée, économiquement dévastée. Les conditions sociales, déjà lamentables avant la guerre, seront pires encore. Les milliards d’aide promis pour la reconstruction n’iront sûrement pas aux démunis. Et au plan politique? La vision angélique que l’on cultive en Occident de la star Zelensky ne doit pas nous leurrer. La démocratie au sens où nous l’entendons n’est pas pour demain.</p> <p>La description très factuelle que fait Pierre Lorrain des institutions actuelles est accablante. Les efforts entrepris ces dernières années pour lutter contre la corruption généralisée ont quasiment tous échoué. L’Etat de droit? Fort précaire, la justice restant sous l’influence du pouvoir, l’espace laissé à la critique et à l’investigation journalistiques fort réduit. Le <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/ukrainische-medien-beklagen-sich-ueber-selenski-758974988955" target="_blank" rel="noopener"><em>Tagesanzeiger</em></a> vient de publier des témoignages qui disent l’inquiétude des journalistes de Kiev réduits à s’en tenir aux discours officiels. Quand la guerre sera finie, avec l’unité qu’elle requiert, «nous réglerons les comptes, les doigts nous démangent»!</p> <p>Malgré des élections libres, le barrage des ploutocrates devant tout assainissement réel de la démocratie paraît infranchissable. Les trois quarts des députés au Parlement, la Rada, sont millionnaires en dollars, arrosés ou promus par leurs divers protecteurs. Quant aux tout gros, les milliardaires qui ont la main sur la plupart des entreprises de commerce, de construction, de médias, ils se frottent sans doute les mains à l’idée de voir affluer les aides internationales… en attendant les fonds européens. Qui peut croire qu’ils soient devenus soudain partageux? Ils ont en tout cas moins de soucis à se faire pour leur bas de laine à l’étranger que les oligarques russes. </p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1652355318_9782841005734.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="206" height="332" /></h4> <h4>«L’Ukraine, une histoire entre deux destins», Pierre Lorrain. 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Syndicats et autorités politiques ont pourtant tout fait pour sauver l’entreprise historique, aux mains d’une multinationale qui compare avantages et inconvénients de chaque lieu de production. Ici, hauts salaires, franc fort et dans ce cas, retard technologique. Donc, départ. Chapeau aux travailleurs qui cherchaient des solutions, des innovations. Les voilà licenciés. Les messages de solidarité font du bien mais n’assurent pas leur avenir. Qu’ils puissent être aidés à rebondir.</span></p> <p><span>Est-ce à dire que notre pays est menacé de désindustrialisation comme il en est beaucoup question chez nos voisins? Gare aux réponses trop simples. Les faits. Face au secteur des services comptant les banques et les assurances, le tourisme, le commerce de gros et de détail, l'administration publique et les assurances sociales, qui pèse pour 75% du PIB, l’industrie résiste, avec environ 24% (contre moins de 14% en France!). 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Le groupe pharmaceutique Lonza, dont le siège est à Bâle mais le site de production à Viège, y a investi plus d’un milliard de francs. Un nouveau complexe de production high-tech fournit des solutions adaptées pour le développement et la fabrication de nouveaux médicaments. Ce site et ses possibilités inédites dans la pharma ancrent Viège et le Valais au cœur des chaînes mondiales de création de valeur. Les investissements dans la recherche et la formation ont joué un rôle majeur pour le développement économique du canton. A la génération précédente, c’est la HES, la Haute école spécialisée, qui a formé des ingénieurs précieux pour alimenter une industrie en plein essor. Petit à petit tout un écosystème propice à l’émergence d’idées innovantes s’est installé en Valais. La Fondation The Ark favorise l’établissement et l’éclosion de start-ups dans les domaines de l’informatique, de l’énergie, des sciences de la vie et de l’environnement. 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Son industrie – étroitement liée à celle de la Suisse –, souffre du coût exorbitant de l’énergie depuis la rupture avec la Russie, de l’attraction des Etats-Unis où émigrent tant de ses entreprises, de la concurrence chinoise qui, avec ses voitures électriques, met à rude épreuve le secteur de l’automobile. La France s’embourbe dans les déficits et les tensions sociales. L’Italie et l’Espagne gardent le moral mais sont aussi surchargées de dettes publiques. Les pays dits de l’Est vont mieux et même bien, leurs économies sont devenues très performantes, dopées depuis leur entrée dans l’Union, très généreuse à leur égard, mais l’élan donne des signes de tassement. Enfin tous sont mis au défit technologique des Etats-Unis et de la Chine. </span></p> <p><span>Question: les Etats réunis à Bruxelles, dans la configuration qui sortira des urnes début juin, donneront-ils la priorité aux savoirs, au soutien des entreprises privées et parallèlement aux améliorations sociales? Ou leur politique dite verte conduira-t-elle à la décroissance? La concentration des efforts sur la course aux armements et l’aide à l’Ukraine, telle qu’elle est brandie aujourd’hui, peut aider certains secteurs industriels mais coûtera extrêmement cher. On articule à Bruxelles le chiffre de 100 milliards à cette fin d’ici 2029. Ce sera forcément au détriment d’autres attentes, dans les infrastructures, l’éducation, la recherche, la cohésion sociale. Sans compter que la transition écologique, nous assure-t-on, nécessitera en plus une pluie de milliards. Quelles priorités fixera le nouveau Parlement? Selon les choix, les retombées sur l’économie suisse seront différentes. Le surarmement de l’Europe ne nous rapporte quasiment rien, sa santé économique et sociale nous est bien plus bien profitable.</span></p> <p><span>Deuxième point. Le fonctionnement même de l’Union. Deux tendances s’affrontent. Les convaincus du projet savent qu’ils ne peuvent pas en faire un Etat fédéral, mais ils souhaitent renforcer les compétences du Conseil européen (réunion des chefs d’Etat), notamment en supprimant le droit de veto des nations, de la Commission, avec des tâches nouvelles, et celles, souhaitables, du Parlement. Ce surcroît d’autorité se justifierait à bien des égards pour unir les forces, renforcer l’élan collectif. Mais bien peu de dirigeants nationaux le préconisent. Parce qu’il va à l’encontre d’une tendance lourde, le regain du nationalisme. Plus de pouvoirs aux Etats, limiter ceux de l’Union. En finir avec les figures mégalomanes du style Van der Leyen à la tête. En réalité, déglinguer la machine de l’intérieur. On entend ces accents sur un large spectre. A droite, à droite de la droite et à gauche aussi, qui rêve de l’Europe sociale, parfois même de la fin du capitalisme. Le succès est promis par les sondages au parti de Marine Le Pen en France, à l’AfD en Allemagne, aux patriotes version Meloni en Italie, et à des formations plus ou moins du même tabac ailleurs. Ces partis n’obtiendront pas la majorité qui permettrait de tout chambouler mais ils pèsent sur les autres familles politiques. Un partenaire comme la Suisse pourrait se réjouir de traiter avec une autorité «bruxelloise» affaiblie plutôt que renforcée. Pas sûr. Les nationalistes qui tous jouent néanmoins le jeu communautaire – ils ne veulent sortir ni de l’Union ni de l’euro – ne seront guère partageux avec les pays-tiers qu’ils désignent parfois comme des profiteurs et des opportunistes. Il s’agira pour tous, passagers ou pas du grand bateau de l’Union, d’analyser en finesse son cap à venir. Pas facile puisqu’il dépendra d’un collectif de 27 capitaines!</span></p> <p><span>Troisième point. Le périmètre de l’Union. Vers quels élargissements va-t-elle? En décembre dernier, le Conseil européen et la Commission affichaient leur volonté d’aller vers l’admission à terme, sous conditions, de plusieurs pays ayant déjà le statut de candidats. Cinq dans les Balkans, trois à l’est du continent. Plus la Turquie en attente, plus ou moins convaincue, depuis vingt ans. Bel élan idéaliste ou délire géopolitique? Un bateau à 36 membres? Rien ne serait plus comme aujourd’hui. Bonne chance pour convaincre les citoyens et contribuables! Quant aux Suisses, liés par tant d’accords, notamment sur la liberté de circulation des personnes, si le projet aboutit, ils en auront des sueurs froides. Et pas un mot à dire puisque nous l’avons voulu ainsi.</span></p> <p><span>Profusion d’obstacles sur la route cependant. Le processus devrait commencer par l’est, avec l’Ukraine et la Moldavie. Bien que leurs frontières soient pour le moins mal définies et leurs sociétés pourries par la corruption, très loin encore des exigences posées. Puis les Balkans, avec la Serbie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, et le Monténégro. Le Kosovo restant encore exclu de la course. Pays à problèmes, qui sont d’ailleurs loin d’être unaniment convaincus de s’y lancer.</span></p> <p><span>L’ex-députée européenne et familière de l’appareil Sylvie Goulard s’étrangle de colère dans son livre récent,<em> L’Europe enfla si bien qu’elle creva</em> (Editions Taillandier). Elle estime qu’il en résulterait un gros machin mou et incohérent, une simple organisation internationale de plus. Thèse intéressante: elle pense que ce sont les Etats-Unis qui poussent dans ce sens, afin d’élargir le camp occidental sans trop s’engager eux-mêmes, aux frais des Européens. Pour elle, il s’agit plutôt pour l’Union de resserrer les rangs, et non pas d'élargir mais d’approfondir l’action communautaire. Et imaginer, tout autour, des cercles variables de coopération. Comme l’accord bilatéral CH-UE à venir.</span></p> <p><span>Rien n’est encore acté mais tout se prépare. Même si telle ou telle de ces admissions tarde indéfiniment ou capote, le paysage à venir s’en trouvera modifié. Et nous, Suisses, qu’on l’admette ou pas, nous avons le nez dessus. Et même, d’une façon ou d’une autre, les pieds dedans. </span></p>', 'content_edition' => 'Premier point, l’économie. Les soucis s’accumulent. L’Allemagne voit son principal atout menacé. Son industrie – étroitement liée à celle de la Suisse –, souffre du coût exorbitant de l’énergie depuis la rupture avec la Russie, de l’attraction des Etats-Unis où émigrent tant de ses entreprises, de la concurrence chinoise qui, avec ses voitures électriques, met à rude épreuve le secteur de l’automobile. La France s’embourbe dans les déficits et les tensions sociales. L’Italie et l’Espagne gardent le moral mais sont aussi surchargées de dettes publiques. Les pays dits de l’Est vont mieux et même bien, leurs économies sont devenues très performantes, dopées depuis leur entrée dans l’Union, très généreuse à leur égard, mais l’élan donne des signes de tassement. Enfin tous sont mis au défit technologique des Etats-Unis et de la Chine. Question: les Etats réunis à Bruxelles, dans la configuration qui sortira des urnes début juin, donneront-ils la priorité aux savoirs, au soutien des entreprises privées et parallèlement aux améliorations sociales? Ou leur politique dite verte conduira-t-elle à la décroissance? 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Lore 13.05.2022 | 06h27
«Bonjour Monsieur,
“Puis une femme à poigne et à tresses”:
Vous avez souhaité “sortir des clichés en noir et blanc dont on est abreuvés”.
Et pourtant avec cet article, vous restez un homme de votre époque quand il s’agit de décrire la première femme premier ministre ukrainien.
Pas de nom: pas un problème en soi; identifiée par sa coiffure: bien plus problématique.
Peut-être une relecture de vos articles avant publication pour sortir des clichés?
Vous me direz que nous avons des soucis plus sérieux en ce moment et je suis d’accord, et pourtant cela peut affecter la crédibilité de votre article;
à moins que ce soit les paroles d’un autre, Pierre Lorrain ?
A different point of view is a point of view of someone standing in a different place
( intraduisible de mon point de vue)
Bonne journée
»
@Chan clear 13.05.2022 | 09h55
«Bonjour,
Ioulia Tymochenko, la princesse du gaz, c’est certainement d’elle dont veut parler l’auteur. Merci pour cet article super intéressant !
»
@kibombo 13.05.2022 | 12h41
«Merci excellent. Lire aussi l'article de Henri Guaino dans le Figaro du 13 mai : Ukraine, nous marchons vers la guerre comme des somnabules.»