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Antioche (ou Antakya) fut la première ville chrétienne dès le IIIème siècle. Ce haut lieu de civilisations, dans le sud de la Turquie, où se côtoient, sur la rue de la Tolérance, églises, mosquées et synagogues, a été réduit en ruines par le tremblement de terre. Toute la région est dévastée. Des centaines de milliers de personnes se trouvent sans abri, peu aidées, beaucoup en quête de refuges bien loin de leurs maisons perdues. Notre solidarité est-elle au niveau de cette catastrophe, sans précédent d’une telle ampleur sur le Vieux-Continent depuis un siècle? Au vu de certaines comparaisons, la question s’avère sensible.



Les images et les récits de la tragédie ont fait la une quelques jours, puis ont disparu. Le charnier de pierres en revanche est là pour durer. Il y flotte encore l’odeur des corps enfouis. La région touchée est vaste: l’équivalent du Benelux, trois fois la superficie de la Suisse. Le bilan provisoire qui ne cesse d’augmenter est de 50’000 morts pour la seule Turquie, des milliers d’autres en Syrie. Autre chiffre officiel vertigineux: 113’000 immeubles ont été détruits. Les observations par satellite en attestent.

Pour se faire une idée de l’hécatombe, on peut comparer ce chiffre à celui des victimes civiles tuées en Ukraine: un peu plus de 7'000 (selon l’ONU, jusqu’à janvier 2023), ce qui est odieux mais très loin des 179’000 personnes tuées en Irak en 2003, hors les pertes militaires (selon Body Count en Grande-Bretagne). On peut relever aussi qu’aucune ville ukrainienne n’a été ravagée comme Antioche (200’000 habitants). Il y eut des dommages par missiles ciblés, visant surtout les infrastructures énergétiques, de gros dégâts sur les zones de combats, sur certaines villes comme Kharkiv, Marioupol, Bakhmout et Donetsk, mais pas de bombardements massifs anéantissant de façon systématique des quartiers d’habitations. Ce constat n’équivaut nullement à relativiser l’horreur de l’agression russe, mais simplement à poser quelques faits qui interrogent sur nos réactions et nos réponses aux besoins humanitaires.

Les Suisses sont généreux. Pas seulement avec les malheureux Ukrainiens. La seule Chaîne du Bonheur a reçu 27 millions de dons des particuliers pour la Turquie et la Syrie martyrisées par les secousses sismiques. En revanche, l’appareil de l’Etat n’a répondu qu’avec 8 millions pour la Turquie. Davantage, heureusement, pour les régions touchées en Syrie où les aides affluent plus difficilement. Certes le corps d’aide en cas de catastrophe, envoyé très tôt sur place, a fait un excellent travail, mais pendant une semaine seulement. Or les besoins restent gigantesques. A une toute autre échelle.

On est frappé par la disparité des chiffres. Pour l’Ukraine l’aide publique suisse s’est élevée à 220 millions pour 2022 et à 160 millions pour 2023. Ce qui est fort louable. Et peut-être aussi un moyen de faire passer au second plan les limites quant aux exportations d’armes. Mais comment expliquer la retenue face à la Turquie? La caisse serait-elle sans fond pour une cause et à sec pour d’autres?

Il y a de quoi s’interroger à entendre le directeur général du CICR, confronté à de multiples situations dramatiques oubliées à travers le monde. Selon Robert Mardini (dans Le Temps), il pourrait manquer 500 à 700 millions au budget de 2,79 milliards que le CICR prévoit d’ici à fin 2023. Seules les opérations du CICR en Ukraine ont même été «surfinancées l’an dernier, mais l’excédent a déjà été absorbé. Et les autres pays sont hélas loin derrière». Car tant de conflits conduisent à des situations humanitaires tragiques: outre l’Ukraine, le Nigeria, l’Afghanistan, la Syrie, le Yémen, le Soudan du Sud, la Somalie, l’Irak, la République démocratique du Congo, l’Ethiopie…

On peut voir là un effet collatéral de la guerre en Ukraine sur laquelle l’attention occidentale reste fixée en priorité: elle rejette maintes autres crises dans l’ombre, tant au point de vue politique qu’humanitaire. L’émotion dominante détermine les choix. Les oubliés du vacarme médiatico-politique en font les frais.

Pour ce qui est du CICR, cette crise pourrait l’amener à revoir l’ampleur de ses tâches, à se recentrer, comme dans le passé, sur sa tâche exclusive, la protection des prisonniers de guerre et leurs familles, à renoncer à certains volets de l’aide humanitaire qu’assument aussi d’autres grandes institutions onusiennes, gouvernementales et privées. Le staff de Genève n’en est pas là. Il voue toute son énergie à la recherche de fonds. 

Quant au Conseil fédéral, il recevra sans doute de nouvelles sollicitations internationales pour faire face au désastre turc. Une conférence des donateurs se tiendra le 16 mars à Bruxelles. La Suisse y jouera sa crédibilité: elle devra montrer que le sud-est retient autant son attention que l’est. On y rappellera sans doute que laisser sans secours une part de la population turque en détresse, c’est évidemment augmenter la pression migratoire. Déjà forte en provenance de ce pays.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Spark 14.03.2023 | 16h39

«Très bon article. En plus des chiffres que vous annoncez pour l'Ukraine, les 40 mille femmes et enfants qui se sont déportés volontairement chez nous pour avoir un avenir meilleur coutent à ce pauvre contribuable suisse 1 milliard par an !!! »


@stef 27.03.2023 | 17h16

«Ce “deux poids deux mesures” m'écœure ! »


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