Actuel / Que faire avec l’Afrique? Outre la France, l’Europe s’interroge. La Suisse aussi
Le général Abdourahamane Tiani, qui a pris le pouvoir au Niger, s'exprime à la télévision nationale, le 28 juillet dernier. © ORTN - Télé Sahel / France 24
Des coups d’Etat militaires au Sahel, il y en eut tant. La France s’en accommodait fort bien tant qu’elle y voyait son influence maintenue. C’est fini. Le tohu-bohu en cours va au-delà de la crise au Niger, au-delà des drapeaux tricolores brûlés et des pancartes pro-russes. Les Européens, pas seulement à Paris, se posent bien des questions: faut-il, comme à Niamey ces jours, prendre la poudre d’escampette? Durcir le ton, menacer? Composer au contraire avec les juntes militaires? Surtout ne pas se couper des innombrables ressources du continent noir!
Les quelques centaines de Français et Européens incités à quitter dare-dare le Niger après la prise de pouvoir des putschistes se sont demandé s’ils faisaient bien. Aucun Blanc n’avait été molesté. Le danger était plus politique que physique. Dans les chancelleries européennes et africaines, la perplexité grandit aussi. Décréter une cascade de sanctions, fermer les frontières, couper les aides, priver le vilain petit canard d’approvisionnement électrique, comme le fait le Nigéria, tout cela est spectaculaire, mais à quelles fins? «Rétablir l’ordre constitutionnel», comme on dit à Paris? Cela fait sourire les Africains qui connaissent trop bien les pratiques de la «Françafrique» aujourd’hui en débandade. Ironie de l’actualité: au même moment, le président du Sénégal, célébré comme un modèle de démocratie, vient de mettre son rival en prison pour l’écarter de la prochaine élection. L’Elysée et le Quai d’Orsay n’ont pas bronché.
La grande frousse des Européens devant les tollés anti-colonialistes grandissants se cristallise sur l’influence de la Russie. Ce n’est pas elle pourtant qui a mis le feu, même si elle a pu l’attiser ici et là. Quant aux fort-à-bras de la milice Wagner, là où ils ont pris pied, ils sont peu nombreux, occupés surtout à protéger le putschiste en chef local de ses rivaux. Occupés à mettre la main sur le commerce des matières premières précieuses, enlevé à l’ex-protecteur-profiteur. Il y a de quoi irriter les Occidentaux, pas forcément de quoi chambouler la géostratégie mondiale. La Russie n’est pas très en forme, semble-t-il… Les sommets pompeux, à St-Petersbourg comme autrefois à Paris, ne marquent pas forcément la réalité sur le terrain, sur l’immense espace africain.
Le péril le plus grand, le plus insaisissable, c’est évidemment l’avancée des divers groupes djihadistes à partir du Sahara, toujours plus vers le sud. La stratégie des Français et de leurs alliés a totalement échoué. Les rebelles islamistes avancent partout. Ils ont toutes raisons de se réjouir de ce qui se passe au Niger. La junte en place peut faire de beaux discours, mais dans l’état du pays, pauvre de chez les pauvres, privé maintenant d’aides économiques et militaires, elle n’a aucun moyen de freiner les progrès des rebelles islamistes sur cet immense territoire. Et même si les pressions internationales ramenaient le président élu au pouvoir, cela ne changerait rien à la donne. D’autant plus qu’au Tchad voisin, aussi en crise politique, la situation n’est guère meilleure.
Que doivent faire les Européens? Ils n’y pensent guère, n’ont encore aucune stratégie. Ils répètent leurs bonnes intentions, disent soutenir les efforts de construction démocratique, poursuivre les contributions humanitaires… Mais les mots commencent à sonner creux dans le chambardement actuel.
L’an passé, le chef de la diplomatie suisse, Ignazio Cassis, a passé trois jours au Niger en compagnie de Peter Maurer, alors patron du CICR. Ils y ont péroré avec une belle assurance… moins de mise aujourd’hui. Ce pays est l’un de ceux où la DDC (aide au développement) est la plus active. Avec 25 projets notamment à proximité du Nigéria et du Tchad: alimentation, développement local, éducation, formation professionnelle… et gouvernance locale. En collaboration avec une multitude d’autres organisations humanitaires. Les Suisses vont-ils rester? Tout l’indique. Dix sont partis. Il en reste «deux douzaines», selon le DFAE. Mais la DDC reste muette sur ses intentions. Ces louables efforts ne changeront pas grand-chose au tableau général mais il n’y a aucune raison objective de les interrompre. A moins de vouloir imiter à tout prix les Français et les Allemands, si peu inspirés.
Si les Européens ne songent pas sérieusement à la relation africaine qu’ils ont à réinventer dans le contexte mondial, ils se trouveront largués, là comme en tant d’autres domaines. Ballottés entre d’autres puissances.
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Y en aura-t-il d’autres à travers le monde aujourd’hui secoué par tant de fièvres belliqueuses?</span></p> <p><span>Prenons acte de cet épisode de la décolonisation. Dans un «empire» qui, à partir d’un tout petit pays, s’était installé, depuis le XVIème siècle, en Afrique, en Amérique (le Brésil!) et en Asie (à Goa, libéré en 1961 par Nehru). Le pouvoir surgi en 1974 géra son retrait avec une dignité remarquable. Je me souviens d’avoir interviewé le dernier gouverneur portugais à la veille de son départ du Mozambique, pour <em>Temps présent</em>. Il tendait la main aux rebelles du Frelimo, plein d’espoir quant à l’avenir d’une relation post-coloniale apaisée. Ce pays, comme l’Angola et la Guinée Bissau, a connu ensuite des temps agités, des guerres civiles, mais on y parle encore portugais et personne aujourd’hui n’y pourfend l’influence de l’ancien colonisateur. Il n’y eut quasiment pas de règlements de compte sanglants après coup. Quant aux nombreux Blancs qui quittèrent cette terre qu’ils croyaient leur, ils furent réintégrés dans la mère-patrie, amers certes, mais sans trop de mal. Pour la plupart ce fut pourtant un déchirement terrible. Nous avions filmé leur attente de l’embarquement, au port de Beira, veillant jour et nuit sur leurs caisses et valises, chargées de leur passé.</span></p> <p><span>Le livre du journaliste Jean-Jacques Fontaine (voir ci-dessous) raconte, à travers des portraits, plusieurs en lien avec la Suisse, le tournant du 25 juillet 1974 et ce qui s’ensuivit. Abordant ensuite la présence si nombreuse des Portugais chez nous, non pas du fait de la Révolution des Œillets mais en quête d’un meilleur sort économique. D’ailleurs souvent oublieux de cet épisode historique. </span></p> <p><span>Lors de la présentation de l’ouvrage au Club suisse de la presse, la journaliste genevoise Joelle Kuntz qui suivit les évènements sur place a mis en exergue avec éloquence une autre leçon du Portugal. Le demi-siècle passé depuis lors y a été remarquablement apaisé et démocratique. Rejetant les extrêmes de droite et de gauche, l’électorat a alterné ses préférences entre le centre-droit et le centre-gauche, applaudi aussi l’entrée dans l’Union européenne dont les soutiens ont permis au pays de se moderniser. Trains, routes, équipements publics… le Portugal a basculé dans une ère nouvelle, heureuse. Il est vrai qu’en mars dernier, le jeune parti dit d’extrême droite, en tout cas libéral et conservateur, a obtenu 18% des voix. Il ne se nourrit pas de quelque nostalgie salazariste mais d’une addition de mécontentements. Comme ailleurs autour de l’immigration – les Brésiliens affluent! –, autour des lourdeurs bureaucratiques, autour des frustrations sociales. Il faut dire que les dernières années ont été dures. En 2020, l’Etat outrepassait toutes les limites de l’endettement. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
7 Commentaires
@willoft 04.08.2023 | 00h22
«Les français, entre autres, ont trouvé un autre moyen de détourner leur opinion publique de leurs désastres africains (quoique l'ami ricobolloré marque des points)...
Culpabiliser la Russie
Si vous ne me croyez pas, regardez c'est dans l'air de France 5 tv»
@Latombe 04.08.2023 | 09h51
«Je salue l'article de J. Pilet qui au lieu de fustiger, pose des questions crédibles.
Et si l'Afrique était au seuil de se débrouiller par elle-même, fût-ce au prix d'une phase djihadiste temporaire ?
L'Europe s'est construite lentement au prix de luttes interminables on parle même d'une guerre de 100 ans!
Laissons les Africains construire leur destin avec ou sans soubresaut d'influence occidentale, chinoise ou russe.
En ce qui concerne notre petit pays cela devrait donner à réfléchir aux pronucléaires, UDC en tête, quant à l'indépendance de notre approvisionnement en uranium qui vient majoritairement du Niger et de la Russie...»
@hum 04.08.2023 | 10h05
«En tous cas c'est pas pour l'Uranium que Cassis et Maurer on fait les yeux doux au Niger, puisque la Suisse a rejoint le camp de ceux qui pensent pouvoir se passer de l'atome.»
@Bogner Shiva 212 04.08.2023 | 15h01
«Ah, l'Afrique, ce continent béni des dieux où les Occidentaux jouent leur jeu politique avec un cynisme sans égal ! Pendant que ces puissances manipulatrices se pavanent, l'Afrique est condamnée à revivre éternellement le cauchemar de son développement avorté.
Les Occidentaux, avec leur arrogance paternaliste, prétendent aider ces pauvres âmes africaines, mais en réalité, ils ne cherchent qu'à garder le contrôle de la scène internationale. Ils ont leur propre agenda, et l'Afrique est simplement une pièce dans leur grand puzzle géopolitique.
Ils encouragent les dirigeants africains à se comporter comme des pantins, leur garantissant l'impunité tant qu'ils permettent le pillage des ressources et la mainmise sur les richesses du continent. Les politiciens ont soutenu, signent des contrats léonins et vident les caisses africaines pendant que les peuples concernés meurent...
Et que dire de ces grandes institutions internationales qui se targuent de lutter contre la pauvreté en Afrique ? Leurs discours sont aussi creux que le désert du Sahara. Leurs promesses sont comme des mirages, elles apparaissent brièvement pour ensuite disparaître dans le néant.
Pendant ce temps, les Africains luttent pour survivre dans un théâtre politique absurde. Les dirigeants corrompus se succèdent, les coups d'État sont monnaie courante, et les démocraties de façade font rire les vrais démocrates.
Alors, que faire face à cette farce politique ? Rien de plus que de savourer le spectacle cynique offert par ces acteurs internationaux, tous prêts à trahir leurs principes pour quelques barils de pétrole ou quelques minéraux précieux.
L'Afrique, ce terrain de jeu pour les grandes puissances, où la souffrance des peuples est noyée dans des discours enjôleurs et des promesses non tenues. Cynisme et politique font bon ménage dans cette comédie humaine aux conséquences tragiques.
Et tandis que les grandes nations continuent de jongler avec l'Afrique comme un jouet, les peuples africains paient le prix fort, pris au piège d'un jeu politique cruel et sans fin. Alors applaudissons, mesdames et messieurs, applaudissons ce spectacle sinistre qui perdure, pendant que le monde regarde en silence, complice de cette mascarade sans fin.»
@willoft 06.08.2023 | 03h21
«Ceci dit, votre titre est insultant...
Que faire avec l'Afrique!
La laisser à leur propiétaire, les africains, ce qui n'est pas l'intérêt de Glencore et autres esclavagistes o.3»
@Chan clear 06.08.2023 | 13h51
«C’était déjà troublant de passer d’un pays africain francophone Niger, Mali, Cameroun, Côte d’Ivoire à un pays africain anglophone Nigeria, Ghana . Au Niger, il y avait des coopérants français un centre culturel, une piscine ouverte immense et très fréquentée et surtout ces fameuses mines d’uranium, immense trou de poussière blanche….à la sortie du Sahara endroit de passage pour entrer au Niger, nous les avons vues, nous y avons passé la nuit dans un bungalow sécurisé, ceci après avoir perdu un des nôtres dans le désert en voiture ( retrouvé par un touareg d’une agence d’expédition qui nous a aidé avec sa jeep et ses connaissances du désert) Quel chaos si les pays africains se fa ont la guerre entres eux et avec les armes fournies par qui svp ?»
@Pr.Silvestre 18.08.2023 | 00h31
«Qu’ils se debrouillent avec Moscou, Pekin, etc…
Migrants compris….»