Actuel / Pourquoi le mouvement des «gilets jaunes» est complotiste
Paris, 8 décembre 2018. © 2018 Bon pour la tête / Amèle Debey
Les «gilets jaunes» ont des tendances tout à fait complotistes, nous dit le chercheur en neurosciences et auteur du livre «Total bullshit! au coeur de la post-vérité» Sebastien Dieguez. Son analyse.
Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences, auteur du livre Total bullshit! au cœur de la post-vérité
Il a donc fallu attendre qu’un attentat se produise à Strasbourg au soir du 11 décembre pour prendre toute la mesure du niveau de complotisme inhérent au mouvement des «gilets jaunes». Certes, la désormais fameuse petite musique du «comme par hasard» retentit immanquablement à chaque événement de ce type, mais ici, la conjonction avec l’actualité fait qu’elle agit comme le révélateur d’une attitude de fond, dont on avait encore mal évalué l’importance.
Car le mouvement des «gilets jaunes» est complotiste depuis le début, non pas de manière anecdotique, non pas à titre d’épiphénomène ou de dérive malencontreuse, et encore moins, pour le coup, «par hasard», mais consubstantiellement. Quiconque a consacré quelques heures à se balader sur les pages Facebook dédiées au mouvement et à ses principaux animateurs aura pu constater à quel point les fils de discussion regorgent de contenus et de rhétorique conspirationniste. Ironiquement, cela commence par la suspicion permanente d’être censuré par le gouvernement, comme si, précisément, ce n’était pas à ces plateformes que les «gilets jaunes» devaient leur existence même. Et comme si, plutôt que d’un gouvernement honni, elles n’étaient pas sous le contrôle absolu de la firme qui les héberge et des algorithmes qui permettent de les rendre si visibles.
Malgré cette suspicion, chez les «gilets jaunes» ce sont néanmoins les informations relayées sur Facebook qui font foi. Les médias «officiels», eux, sont voués aux gémonies comme autant de manipulateurs à la solde du pouvoir et de la finance. Cibles d’une intense méfiance et d’un aigre ressentiment, les journalistes sont fréquemment pris à partie par les «gilets jaunes», parfois physiquement. C’est qu’ils cacheraient des informations primordiales au «peuple»: le gouvernement serait illégitime, la Constitution serait caduque, le Président serait prêt à être exfiltré, la France serait sur le point d’être «vendue» à l’ONU, cette dernière œuvrerait à l’imposition d’une immigration massive qui entérinerait le fantasme d’un «grand remplacement»… Autant de sornettes qui circulent abondamment sous forme de vidéos aussi ridicules que prétentieuses et de «coups de gueule» d’anonymes, devenus soudain de véritables stars de l’indignation en mode selfie, et curieusement plus crédibles que n’importe qui d’autre.
Melting pot
Aux côtés de ces révélations stupéfiantes, on trouve également, et amplement, chez les «gilets jaunes» toutes sortes de préoccupations complotistes plus classiques, en particulier sur les chemtrails, la vaccination et les causes de la mort d’une figure centrale au mouvement, Coluche. Mais dès les premières manifestations à Paris et dans d’autres grandes villes, on a appris que les dégâts étaient produits par les forces de l’ordre elles-mêmes, qui s’infiltreraient parmi les manifestants non pas pour effectuer les opérations de surveillance de routine dans de tels cas, mais pour discréditer le mouvement en y instillant la violence.
Malgré toutes ces manigances de forces occultes incroyablement puissantes et malfaisantes, l’insurrection des «gilets jaunes» n’a néanmoins pas fléchi. Emmanuel Macron a bien dû céder, au moins temporairement, à quelques-unes de ses revendications et intervenir publiquement pour tenter de redorer son blason; il n’aura cependant pas réussi à convaincre. Son intervention télévisée est largement perçue comme «feinte», son empathie et son mea culpa seraient de la «comédie». Les mesures qu’il préconise? Une «entourloupe», ou de la «poudre de perlimpinpin», pour lui rendre ce terme un peu désuet qu’il affectionne. Dans ces conditions, un petit attentat ne ferait vraiment pas de mal, et c’est bien la réaction première qui a été celle d’une frange non négligeable des sympathisants aux «gilets jaunes». C’est fou, de manière générale, ce que les attentats peuvent toujours «tomber au bon moment», mais dans ce cas précis, la méthode semble des plus grossières: à cause de cela, on allait, pour la première fois en plus d’un mois, parler d’autre chose que de nous! Les «gilets jaunes» souhaitent avant tout être «écoutés», mais pour cela il faudrait apparemment ne prêter attention à rien d’autre, et qu’en toute logique aucun autre événement ne se produise tant que leurs désirs n’auront pas été exaucés et leurs problèmes réglés une fois pour toutes. Ce serait tout de même vraiment trop gros.
Ce qui réunit les «gilets jaunes», et ce qui les renforce, ce sont des façons de «savoir», de «comprendre» et de «connaître» qui les opposent à d’autres.
Complotisme, adhésion aux fake news, partage d’une réalité alternative, sentiment d’outrage moral permanent, suspicion à l’égard des «élites», autant de phénomènes qui sont évocateurs de ce qu’on a appelé «post-vérité», et qui prend ici la forme d’une nouvelle «camaraderie épistémique», débordant les sphères du virtuel et de la politique, pour investir les ronds-points et les rues. Quelles que soient les composantes idéologiques et sociologiques de ce mouvement, dont on ne dispose pour l’heure que de faibles indicateurs, on peut sans trop de risque postuler un lien fort entre sa capacité effective de mobilisation et son attrait particulier pour la rhétorique du complot. Et l’affirmer, ce n’est pas tenter de discréditer les «gilets jaunes» et leurs revendications en tant que telles, et ce n’est pas non plus nier la légitimité qu’a tout un chacun d’exprimer son opinion, sa colère et sa souffrance.
De fait, j’entends par «camaraderie épistémique» la mise en forme d’une solidarité, d’un entre-soi et même d’une fraternité redécouverte, par l’entremise d’une connaissance partagée et ajustée aux besoins du groupe ainsi créé. En d’autres termes, et malgré l’hétérogénéité évidente et inhérente à un mouvement aussi vaste que spontané, ce qui réunit les «gilets jaunes», et ce qui les renforce, ce sont des façons de «savoir», de «comprendre» et de «connaître» qui les opposent à d’autres.
On n’est pas en colère pour rien. La colère en elle-même justifie le fait qu’on soit en colère, et fournit, pour ainsi dire clés en main, les raisons d’être en colère. Ces raisons d’être en colère, qui, encore une fois, peuvent être parfaitement sincères et légitimes, engendrent la plainte et la révolte, donnent à fédérer, structurent la mobilisation. Mais en tant que telle, une simple exaspération vis-à-vis d’une hausse de taxe particulière serait bien en mal de produire les effets observés dans ce mouvement des «gilets jaunes», ou à tout le moins donnerait lieu à des formes bien différentes, disons plus classiques, de protestation. Ce qui est en jeu ici c’est bien la nécessaire construction d’un profond sentiment d’injustice, dont chaque manifestation isolée contribue à «faire déborder le vase», et qui donne mécaniquement lieu à la recherche et à la perception de finalités malfaisantes, inavouables et concertées. Autant dire un complot dirigé contre soi, une manipulation monumentale du «peuple» façonnée minutieusement pour le seul bénéfice d’une poignée de conspirateurs, prête à toutes les manigances pour dissimuler cette vérité et éviter qu’elle n’éclate. Ce discours victimaire et accusatoire était présent chez les «gilets jaunes» bien avant les attentats de Strasbourg, et on peut penser que sans cette forte connotation complotiste, ils n’auraient jamais acquis l’importance qui leur a été accordée. C’est en ce sens qu’on peut dire que le complotisme est constitutif des «gilets jaunes», et pas un malheureux dérapage de quelques individus isolés.
Le malheur des uns...
Il faudra encore attendre pour voir si des études émergent afin d’infirmer ou confirmer cette hypothèse, mais ce que l’on sait actuellement du complotisme en général permet au moins de l’envisager sérieusement. Les «gilets jaunes» se présentent, par définition pourrait-on dire, comme une classe délaissée, ignorée et opprimée. Ils sont des «vaches à lait», on les déconsidère, pire, on les méprise et on s’en moque. Certes, ils reconnaissent volontiers qu’ils n’ont pas fait de longues études, mais ils en ont «marre» d’être «pris pour des cons». Certains intellectuels fustigent le «mépris de classe» qui s’exprime à leur égard, et les extrêmes politiques, prétendant représenter le «peuple» contre les «élites», se rallient autant qu’ils peuvent à ce «cri du cœur», dont ils escomptent tirer des dividendes inespérés, de même que les complotistes «habituels», toujours solidaires des individus susceptibles d’alimenter leur petit business.
Le complotisme a souvent fleuri aux extrêmes politiques et dans l’opposition aux gouvernements en place, dans un contexte de minorisation, de déclassement et de perte de contrôle ressentis, et contribue à serrer les liens au sein de catégories peu éduquées et en perte d’influence. Le groupe victimisé se renforce de la sorte par contraste avec une entité lointaine et malsaine, qu’il convient de diaboliser à proportion du besoin de se sentir exister et de se valoriser dans sa posture de cible impuissante face à un ennemi déterminé à lui nuire. Produisant un «savoir» aux marges des réseaux officiels de communication et de transmission, les théories du complot postulent ainsi, sans toujours la désigner clairement, une origine des problèmes qui fonctionne en même temps comme une fin en soi. C’est-à-dire que l’histoire, l’actualité et la société ne sont plus des machineries complexes aux rouages capricieux et insaisissables, mais des scripts produits de toute pièce par une entité maléfique dont l’aboutissement souhaité, calculé et orchestré n’est autre que le mal-être même dont se plaignent les «gilets jaunes», comme s’il devait nécessairement en être ainsi par pure malice et cruauté.
Complotisme, mode d’emploi
Pour protéger son système de croyances et lui permettre de continuer à nourrir son sentiment de révolte, le complotiste a recours à des techniques relativement simples. Ignorer purement et simplement les objections, altérer la nature du complot envisagé s’il le faut, ou simplement identifier toute critique comme faisant partie du complot. Si les «élites» – terme qui ne s’embarrasse pas trop d’englober journalistes et chercheurs souvent autant précarisés que le «gilet jaune» moyen, sinon plus – sont tous des «vendus» et des «pourris», pourquoi entrer en discussion avec elles? Ne chercheront-elles pas, comme à leur habitude, à nous «enfumer» et à nous «prendre pour des cons»? La camaraderie épistémique procède donc par blindage intellectuel, ce qui a pour effet d’alimenter un cycle de prise de connaissance en circuit fermé, dans des sillons réservés et des puits d’invraisemblances toujours plus profonds, dans la mesure où quiconque voudra s’y opposer sera immédiatement taxé de traître.
Il ne s’agit pas là uniquement d’un phénomène de polarisation, exacerbé par l’enfermement dans des bulles informationnelles qui viennent sans cesse confirmer leur point de vue. Le complotisme s’accompagne également d’une sorte de «savoir personnalisé», la conviction d’être dans le vrai simplement parce que l’on «ressent» qu’on détient la vérité. A très peu de frais, le complotisme permet de se sentir «unique», un narcissisme à la fois personnel et collectif, qui explique peut-être pourquoi les complotistes se dispensent de vérifier les informations ou de trop y réfléchir. D’un autre côté, cette paresse intellectuelle face à l’analyse, et la propension à se fier à sa seule intuition, pourrait bien expliquer la propagation massive des fausses informations complotistes, par la mécanique pavlovienne du «partage» intempestif. Notons également, chez les adeptes des «fake news», la volonté non seulement de protéger son pré carré d’opinions et de certitude en son jugement, mais également celle de nuire à l’environnement informationnel global, par une sorte de «désir de chaos» peu scrupuleux qui peut se résumer par l’adage «après nous le déluge». Une attitude qui relève donc du «bullshit», selon l’usage qu’en fait le philosophe Harry Frankfurt, c’est-à-dire une «indifférence à l’égard de la vérité», dont les effets à large échelle constituent ce que l’on appelle la «post-vérité».
© 2018 Bon pour la tête / Amèle Debey
Bien sûr, on dira que tous les «gilets jaunes» ne sont pas complotistes, et on fera remarquer que certaines pages dédiées au mouvement ont procédé, face au déferlement du «comme par hasard» ayant suivi l’attentat de Strasbourg, à un blocage bienvenu des commentaires. Oui, tous les «gilets jaunes» ne sont pas complotistes, et on trouve partout des complotistes qui ne sont pas des «gilets jaunes». Mais on peut aussi bien soutenir que c’est la composante complotiste du mouvement qui en fait la force et qui entretient sa colère. Que sans le complotisme, il n’y aurait pas de mouvement des «gilets jaunes» à proprement parler. Personne ne nie qu’il existe des inégalités et des injustices sociales, et que certains en profitent outrageusement, mais le recours au complotisme pour les dénoncer et les combattre ne peut pas plus aboutir à leur résolution qu’il ne peut espérer mettre à jour des «vrais complots» en général. Ceux-ci existent, mais ils sont généralement révélés par des enquêtes authentiques, tout le contraire de ce qu’est le complotisme.
En définitive, si affirmer que les «gilets jaunes» sont complotistes risque évidemment d’être reçu négativement par les intéressés, cela ne préjuge en rien de la réalité de leurs problèmes et de la légitimité d’une partie de leur combat. Postuler un «peuple» qui serait, à dessein, le souffre-douleur d’«élites» machiavéliques, est une posture complotiste dans la mesure où elle s’accompagne de l’adhésion à des fausses informations qui toutes servent à confirmer et renforcer cette idée, sans égard pour leur véracité. Et ni la sincérité, ni l’authenticité, ni la souffrance ne remplaceront jamais la rigueur quand il s’agit d’établir la vérité. C’est la démarche et la méthode qui sont ainsi irrationnelles et profondément biaisées, bien que le mal-être qu’elle vise à expliquer puisse tout à fait être authentique.
Le complotisme invisible
On peut retirer deux leçons intéressantes de cette affaire. Tout d’abord, on a vu que le complotisme bénéficie d’une étrange mansuétude lorsqu’il ne se rattache pas directement à un événement dramatique, singulier et choquant. Dans le cas des «gilets jaunes», il ne s’est «vu» que lorsqu’un attentat, interprété comme malvenu, a semblé freiner la dynamique du mouvement, et a donc donné lieu à des soupçons de manipulation. C’est là la «théorie du complot» au sens usuel, portant sur un événement d’actualité identifiable et postulant que ce qu’on nous en dit cache une réalité autrement plus inquiétante, cynique et révoltante. Mais en réalité, le complotisme ne concerne pas au premier chef ces «théories du complot», lesquelles sont par essence changeantes, fugitives, nébuleuses et généralement assez vides de contenu. On a tort de croire que l’attentat de Strasbourg est «théorisé» comme un «complot» ourdi par le gouvernement Macron dans le but d’éteindre l’insurrection des «gilets jaunes». C’est plutôt que l’esprit complotiste fera flèche de tout bois, étant prédisposé à interpréter le monde social comme une lutte impitoyable inscrite dans un scénario finaliste, où tout est pour ainsi dire «écrit d’avance» sur un mode directement nuisible au «peuple», ou aux personnes inclinées à penser ainsi. Le problème avec le complotisme, ce ne sont pas les «théories du complot», mais bien la mentalité conspirationniste qui les produit, qui y croit et qui les propage. Cette mentalité était présente dès le début du mouvement des «gilets jaunes», mais elle n’a attiré l’attention que lorsqu’elle s’est manifestée à l’occasion d’un attentat, qui semble donc être le type de stimulus privilégié pour identifier et dénoncer le complotisme. Comme si, en l’absence d’attentat, de drame épouvantable, de massacre ou de guerre, le complotisme n’était pas vraiment du complotisme.
La deuxième leçon des «gilets jaunes» est peut-être plus importante pour qui souhaite lutter contre le complotisme. En effet, on peut espérer que ce mouvement aura une fois pour toutes démontré que le complotisme n’est pas un problème qui se limite aux malheureux écoliers et adolescents livrés, sans défense, aux manipulateurs qui profitent de leur naïveté, problème qu’il conviendrait de régler grâce à l’«éducation aux médias» et au développement de l’«esprit critique». Non, le complotisme frappe tout autant, sinon plus, les populations adultes et les personnes âgées, qui sont elles, pour le coup, livrées à toutes les manipulations susceptibles de renforcer leurs idées préconçues et d’alimenter leur aigreur, en particulier sur Facebook.
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Certes, la désormais fameuse petite musique du «comme par hasard» retentit immanquablement à chaque événement de ce type, mais ici, la conjonction avec l’actualité fait qu’elle agit comme <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/terrorisme/20181212.OBS6996/strasbourg-des-groupes-facebook-de-gilets-jaunes-submerges-par-des-theories-complotistes.html?fbclid=IwAR2Xa2QmN_U8mmVDtB9ctsRjHN-OWifQtC80NLtT_anXP7P-CGW4EcTiR9k">le révélateur d’une attitude de fond</a>, dont on avait encore mal évalué l’importance. <br></p><p><br><iframe src="https://www.youtube.com/embed/ATt3xhIbpUY" allow="accelerometer; autoplay; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="" width="560" height="315" frameborder="0"></iframe> </p><br><p>Car le mouvement des «gilets jaunes» <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/strasbourg-dans-les-groupes-facebook-de-gilets-jaunes-lopinion-majoritaire-est-conspirationniste-3819530?fbclid=IwAR0Lwjwh94aSgaYq2R7Cuovc_mIFOZ5x_Ya8av7otcKXMnY4r-lT4BBj4rM">est complotiste depuis le début</a>, non pas de manière anecdotique, non pas à titre d’épiphénomène ou de dérive malencontreuse, et encore moins, pour le coup, «par hasard», mais consubstantiellement. Quiconque a consacré quelques heures à se balader sur <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/12/07/facebook-reservoir-et-carburant-de-la-revolte-des-gilets-jaunes_5394283_4408996.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1544207493">les pages Facebook dédiées au mouvement</a> et à ses principaux animateurs aura pu constater à quel point les fils de discussion regorgent de <a href="https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/politique-m%C3%A9dias-populisme/%E2%80%9Cles-fake-news-prolif%C3%A8rent-sur-lignorance-et-la-saturation-de-l">contenus et de rhétorique conspirationniste</a>. Ironiquement, cela commence par la suspicion permanente d’être censuré par le gouvernement, comme si, précisément, ce n’était pas à ces plateformes que les «gilets jaunes» devaient leur existence même. Et comme si, plutôt que d’un gouvernement honni, elles n’étaient pas sous le contrôle absolu de la firme qui les héberge et <a href="https://www.affordance.info/mon_weblog/2018/11/gilets-jaunes-internet-familles-modestes-facebook.html">des algorithmes qui permettent de les rendre si visibles</a>. </p><p>Malgré cette suspicion, chez les «gilets jaunes» ce sont néanmoins les informations relayées sur Facebook qui font foi. Les médias «officiels», eux, sont voués aux gémonies comme <a href="https://www.rtl.fr/culture/medias-people/gilets-jaunes-la-defiance-a-l-egard-des-medias-n-a-jamais-ete-aussi-forte-7795947177">autant de manipulateurs à la solde du pouvoir et de la finance</a>. Cibles d’une intense méfiance et d’un aigre ressentiment, les journalistes sont fréquemment <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/11/26/gilets-jaunes-la-violence-contre-des-journalistes-prend-une-ampleur-inedite_5388961_3224.html">pris à partie par les «gilets jaunes», parfois physiquement</a>. C’est qu’ils cacheraient des informations primordiales au «peuple»: le gouvernement serait illégitime, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/03/gilets-jaunes-constitution-disparue-et-complotisme-debride-sur-les-reseaux-sociaux_5391962_4355770.html">la Constitution serait caduque</a>, <a href="https://factuel.afp.com/non-ceci-nest-pas-un-avion-pret-exfiltrer-emmanuel-macron-cause-des-gilets-jaunes">le Président serait prêt à être exfiltré</a>, la France serait <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/06/vendre-la-france-a-l-onu-de-donald-trump-aux-gilets-jaunes-l-itineraire-mondial-d-une-intox_5393268_4355770.html">sur le point d’être «vendue» à l’ONU</a>, cette dernière œuvrerait à l’imposition d’une immigration massive qui entérinerait le fantasme d’un «grand remplacement»… Autant de sornettes qui circulent abondamment sous forme de vidéos aussi ridicules que prétentieuses et de «coups de gueule» d’anonymes, <a href="https://www.lesinrocks.com/2018/12/15/actualite/maxime-nicolle-comment-une-figure-charismatique-des-gilets-jaunes-est-devenue-complotiste-111151856/">devenus soudain de véritables stars</a> de l’indignation en mode selfie, et curieusement plus crédibles que n’importe qui d’autre. </p><h3>Melting pot</h3><p>Aux côtés de ces révélations stupéfiantes, on trouve également, et amplement, chez les «gilets jaunes» toutes sortes de préoccupations complotistes plus classiques, en particulier sur <a href="https://www.lepoint.fr/societe/chemtrails-ectoplasmie-et-degagisme-les-multiples-facettes-de-jacline-mouraud-06-11-2018-2269042_23.php">les chemtrails</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/a-rennes-un-petit-groupe-disparate-de-gilets-jaunes-toujours-determines_2049492.html">la vaccination</a> et les causes de la mort d’une figure centrale au mouvement, <a href="https://www.marianne.net/politique/ni-macron-ni-melenchon-ni-le-pen-les-gilets-jaunes-votent-coluche">Coluche</a>. Mais dès les premières manifestations à Paris et dans d’autres grandes villes, on a appris que les dégâts étaient produits par les forces de l’ordre elles-mêmes, qui s’infiltreraient parmi les manifestants non pas pour effectuer les opérations de surveillance de routine dans de tels cas, mais <a href="https://www.conspiracywatch.info/vous-avez-dit-agent-provocateur.html?fbclid=IwAR0x-UiwXnrtOs7PAj1ZTyQmohrO6dFbTlfIF1tu06yNQIBpKeGqgFyJx88">pour discréditer le mouvement en y instillant la violence</a>. </p><p>Malgré toutes ces manigances de forces occultes incroyablement puissantes et malfaisantes, l’insurrection des «gilets jaunes» n’a néanmoins pas fléchi. Emmanuel Macron a bien dû céder, au moins temporairement, à quelques-unes de ses revendications et intervenir publiquement pour tenter de redorer son blason; il n’aura cependant pas réussi à convaincre. Son intervention télévisée est largement perçue comme «feinte», son empathie et son mea culpa seraient de la «comédie». Les mesures qu’il préconise? Une «entourloupe», ou de la «poudre de perlimpinpin», pour lui rendre ce terme un peu désuet qu’il affectionne. Dans ces conditions, un petit attentat ne ferait vraiment pas de mal, et c’est bien la réaction première qui a été celle d’une frange non négligeable des sympathisants aux «gilets jaunes». C’est fou, de manière générale, ce que les attentats peuvent toujours «tomber au bon moment», mais dans ce cas précis, la méthode semble des plus grossières: à cause de cela, on allait, pour la première fois en plus d’un mois, parler d’autre chose que de nous! Les «gilets jaunes» souhaitent avant tout être «écoutés», mais pour cela il faudrait apparemment ne prêter attention à rien d’autre, et qu’en toute logique aucun autre événement ne se produise tant que leurs désirs n’auront pas été exaucés et leurs problèmes réglés une fois pour toutes. Ce serait tout de même vraiment trop gros. </p><blockquote>Ce qui réunit les «gilets jaunes», et ce qui les renforce, ce sont des façons de «savoir», de «comprendre» et de «connaître» qui les opposent à d’autres.</blockquote> <p>Complotisme, adhésion aux fake news, partage d’une réalité alternative, sentiment d’outrage moral permanent, suspicion à l’égard des «élites», autant de phénomènes qui sont évocateurs de <a href="https://www.puf.com/content/Total_bullshit">ce qu’on a appelé «post-vérité»</a>, et qui prend ici la forme d’une nouvelle «camaraderie épistémique», débordant les sphères du virtuel et de la politique, pour investir les ronds-points et les rues. Quelles que soient les composantes idéologiques et sociologiques de ce mouvement, dont on ne dispose pour l’heure que <a href="https://www.franceculture.fr/sociologie/gilets-jaunes-ce-que-la-toute-premiere-enquete-raconte-de-la-revolte">de faibles indicateurs</a>, on peut sans trop de risque postuler un lien fort entre sa capacité effective de mobilisation et son attrait particulier pour la rhétorique du complot. Et l’affirmer, ce n’est pas tenter de discréditer les «gilets jaunes» et leurs revendications en tant que telles, et ce n’est pas non plus nier la légitimité qu’a tout un chacun d’exprimer son opinion, sa colère et sa souffrance. </p><p>De fait, j’entends par «camaraderie épistémique» la mise en forme d’une solidarité, d’un entre-soi et même d’une fraternité redécouverte, par l’entremise d’une connaissance partagée et ajustée aux besoins du groupe ainsi créé. En d’autres termes, et malgré l’hétérogénéité évidente et inhérente à un mouvement aussi vaste que spontané, ce qui réunit les «gilets jaunes», et ce qui les renforce, ce sont des façons de «savoir», de «comprendre» et de «connaître» qui les opposent à d’autres. </p><p>On n’est pas en colère pour rien. La colère en elle-même justifie le fait qu’on soit en colère, et fournit, pour ainsi dire clés en main, les raisons d’être en colère. Ces raisons d’être en colère, qui, encore une fois, peuvent être parfaitement sincères et légitimes, engendrent la plainte et la révolte, donnent à fédérer, structurent la mobilisation. Mais en tant que telle, une simple exaspération vis-à-vis d’une hausse de taxe particulière serait bien en mal de produire les effets observés dans ce mouvement des «gilets jaunes», ou à tout le moins donnerait lieu à des formes bien différentes, disons plus classiques, de protestation. Ce qui est en jeu ici c’est bien la nécessaire construction d’un profond sentiment d’injustice, dont chaque manifestation isolée contribue à «faire déborder le vase», et qui donne mécaniquement lieu à la recherche et à la perception de finalités malfaisantes, inavouables et concertées. Autant dire un complot dirigé contre soi, une manipulation monumentale du «peuple» façonnée minutieusement pour le seul bénéfice d’une poignée de conspirateurs, prête à toutes les manigances pour dissimuler cette vérité et éviter qu’elle n’éclate. Ce discours victimaire et accusatoire était présent chez les «gilets jaunes» bien avant les attentats de Strasbourg, et on peut penser que sans cette forte connotation complotiste, ils n’auraient jamais acquis l’importance qui leur a été accordée. C’est en ce sens qu’on peut dire que le complotisme est constitutif des «gilets jaunes», et pas un malheureux dérapage de quelques individus isolés.</p><h3>Le malheur des uns...</h3> <p>Il faudra encore attendre pour voir si des études émergent afin d’infirmer ou confirmer cette hypothèse, mais ce que l’on sait actuellement du complotisme en général permet au moins de l’envisager sérieusement. Les «gilets jaunes» se présentent, par définition pourrait-on dire, comme une classe délaissée, ignorée et opprimée. Ils sont des «vaches à lait», on les déconsidère, pire, on les méprise et on s’en moque. Certes, ils reconnaissent volontiers qu’ils n’ont pas fait de longues études, mais ils en ont «marre» d’être «pris pour des cons». Certains intellectuels fustigent le «mépris de classe» qui s’exprime à leur égard, et les extrêmes politiques, prétendant représenter le «peuple» contre les «élites», se rallient autant qu’ils peuvent à ce «cri du cœur», dont ils escomptent tirer des dividendes inespérés, de même que les complotistes «habituels», toujours solidaires des individus <a href="https://www.conspiracywatch.info/gilets-jaunes-et-violence-a-chacun-sa-causalite-diabolique.html">susceptibles d’alimenter leur petit business</a>. </p><p>Le complotisme a <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1948550614567356">souvent fleuri aux extrêmes politiques</a> et dans l’opposition aux gouvernements en place, dans un contexte de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/acp.3442">minorisation</a>, de déclassement et de <a href="https://global.oup.com/academic/product/american-conspiracy-theories-9780199351800?cc=ch&lang=en&">perte de contrôle ressentis</a>, et contribue à serrer les liens au sein de <a href="http://espritcritique.info/?p=168">catégories peu éduquées</a> et en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/acp.3161">perte d’influence</a>. Le groupe victimisé se renforce de la sorte par contraste avec une entité lointaine et malsaine, qu’il convient de diaboliser à proportion du besoin de se sentir exister et de se valoriser dans sa posture de cible impuissante face à un ennemi déterminé à lui nuire. Produisant un «savoir» aux marges des réseaux officiels de communication et de transmission, les théories du complot postulent ainsi, sans toujours la désigner clairement, une origine des problèmes qui fonctionne en même temps <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982218308637">comme une fin en soi</a>. C’est-à-dire que l’histoire, l’actualité et la société ne sont plus des machineries complexes aux rouages capricieux et insaisissables, mais des scripts produits de toute pièce par une entité maléfique dont l’aboutissement souhaité, calculé et orchestré n’est autre que le mal-être même dont se plaignent les «gilets jaunes», comme s’il devait nécessairement en être ainsi par pure malice et cruauté. </p><h3>Complotisme, mode d’emploi</h3><p>Pour protéger son système de croyances et lui permettre de continuer à nourrir son sentiment de révolte, le complotiste a recours à des techniques relativement simples. Ignorer purement et simplement les objections, altérer la nature du complot envisagé s’il le faut, ou simplement identifier toute critique comme faisant partie du complot. Si les «élites» – terme qui ne s’embarrasse pas trop d’englober journalistes et chercheurs souvent autant précarisés que le «gilet jaune» moyen, sinon plus – sont tous des «vendus» et des «pourris», pourquoi entrer en discussion avec elles? Ne chercheront-elles pas, comme à leur habitude, à nous «enfumer» et à nous «prendre pour des cons»? La camaraderie épistémique procède donc par blindage intellectuel, ce qui a pour effet d’alimenter un cycle de prise de connaissance en circuit fermé, dans des sillons réservés et des puits d’invraisemblances toujours plus profonds, dans la mesure où quiconque voudra s’y opposer sera immédiatement taxé de traître. </p><p>Il ne s’agit pas là uniquement d’un phénomène de polarisation, exacerbé par l’enfermement dans des bulles informationnelles qui viennent sans cesse confirmer leur point de vue. Le complotisme s’accompagne également d’une sorte de «<a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0184733">savoir personnalisé</a>», la conviction d’être dans le vrai simplement parce que l’on «ressent» qu’on détient la vérité. A très peu de frais, le complotisme permet de <a href="https://econtent.hogrefe.com/doi/full/10.1027/1864-9335/a000306">se sentir «unique»</a>, un narcissisme <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1948550615616170) et collectif (https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/bjop.12158">à la fois personnel</a> et <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/bjop.12158?fbclid=IwAR3vDtP3ZGKFaf2rnSHyQ9ddspECO3TS2X9w2x8alEB7Ca1MmdEX9W9iVn0">collectif</a>, qui explique peut-être pourquoi les complotistes se dispensent de vérifier les informations ou de trop y réfléchir. D’un autre côté, cette <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S001002771830163X">paresse intellectuelle</a> face à l’analyse, et la propension à <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3023545">se fier à sa seule intuition</a>, pourrait bien expliquer la propagation massive des fausses informations complotistes, par la mécanique pavlovienne du <a href="http://science.sciencemag.org/content/359/6380/1146">«partage» intempestif</a>. Notons également, chez les adeptes des «fake news», la volonté non seulement de protéger son pré carré d’opinions et de <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2973067">certitude en son jugement</a>, mais également celle de nuire à l’environnement informationnel global, par une sorte de «désir de chaos» peu scrupuleux qui peut se résumer par l’adage <a href="https://psyarxiv.com/6m4ts/">«après nous le déluge»</a>. Une attitude qui relève donc du «<a href="https://www.puf.com/content/Total_bullshit">bullshit</a>», selon l’usage qu’en fait le philosophe Harry Frankfurt, c’est-à-dire une «indifférence à l’égard de la vérité», dont les effets à large échelle constituent ce que l’on appelle la «post-vérité».<br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1545042658_whatsappimage20181217at11.16.56.jpeg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">© 2018 Bon pour la tête / Amèle Debey<br><br></span></p> <p>Bien sûr, on dira que tous les «gilets jaunes» ne sont pas complotistes, et on fera remarquer que certaines pages dédiées au mouvement ont procédé, face au déferlement du «comme par hasard» ayant suivi l’attentat de Strasbourg, à un blocage bienvenu des commentaires. Oui, tous les «gilets jaunes» ne sont pas complotistes, et on trouve partout des complotistes qui ne sont pas des «gilets jaunes». Mais on peut aussi bien soutenir que c’est la composante complotiste du mouvement qui en fait la force et qui entretient sa colère. Que sans le complotisme, il n’y aurait pas de mouvement des «gilets jaunes» à proprement parler. Personne ne nie qu’il existe des inégalités et des injustices sociales, et que certains en profitent outrageusement, mais le recours au complotisme pour les dénoncer et les combattre ne peut pas plus aboutir à leur résolution qu’il ne peut espérer mettre à jour des «vrais complots» en général. Ceux-ci existent, mais ils sont généralement révélés par des enquêtes authentiques, tout le contraire de ce qu’est le complotisme. </p> <p>En définitive, si affirmer que les «gilets jaunes» sont complotistes risque évidemment d’être reçu négativement par les intéressés, cela ne préjuge en rien de la réalité de leurs problèmes et de la légitimité d’une partie de leur combat. Postuler un «peuple» qui serait, à dessein, le souffre-douleur d’«élites» machiavéliques, est une posture complotiste dans la mesure où elle s’accompagne de l’adhésion à des fausses informations qui toutes servent à confirmer et renforcer cette idée, sans égard pour leur véracité. Et ni la sincérité, ni l’authenticité, ni la souffrance ne remplaceront jamais la rigueur quand il s’agit d’établir la vérité. C’est la démarche et la méthode qui sont ainsi irrationnelles et profondément biaisées, bien que le mal-être qu’elle vise à expliquer puisse tout à fait être authentique. </p><h3>Le complotisme invisible</h3><p>On peut retirer deux leçons intéressantes de cette affaire. Tout d’abord, on a vu que le complotisme bénéficie d’une étrange mansuétude lorsqu’il ne se rattache pas directement à un événement dramatique, singulier et choquant. Dans le cas des «gilets jaunes», il ne s’est «vu» que lorsqu’un attentat, interprété comme malvenu, a semblé freiner la dynamique du mouvement, et a donc donné lieu à des soupçons de manipulation. C’est là la «théorie du complot» au sens usuel, portant sur un événement d’actualité identifiable et postulant que ce qu’on nous en dit cache une réalité autrement plus inquiétante, cynique et révoltante. Mais en réalité, le complotisme ne concerne pas au premier chef ces «théories du complot», lesquelles sont par essence changeantes, fugitives, nébuleuses et généralement assez vides de contenu. On a tort de croire que l’attentat de Strasbourg est «théorisé» comme un «complot» ourdi par le gouvernement Macron dans le but d’éteindre l’insurrection des «gilets jaunes». C’est plutôt que l’esprit complotiste fera flèche de tout bois, étant prédisposé à interpréter le monde social comme une lutte impitoyable inscrite dans un scénario finaliste, où tout est pour ainsi dire «écrit d’avance» sur un mode directement nuisible au «peuple», ou aux personnes inclinées à penser ainsi. Le problème avec le complotisme, ce ne sont pas les «théories du complot», mais bien la mentalité conspirationniste qui les produit, qui y croit et qui les propage. Cette mentalité était présente dès le début du mouvement des «gilets jaunes», mais elle n’a attiré l’attention que lorsqu’elle s’est manifestée à l’occasion d’un attentat, qui semble donc être le type de stimulus privilégié pour identifier et dénoncer le complotisme. Comme si, en l’absence d’attentat, de drame épouvantable, de massacre ou de guerre, le complotisme n’était pas vraiment du complotisme. </p><p>La deuxième leçon des «gilets jaunes» est peut-être plus importante pour qui souhaite lutter contre le complotisme. En effet, on peut espérer que ce mouvement aura une fois pour toutes démontré que le complotisme n’est pas un problème qui se limite aux malheureux écoliers et adolescents livrés, sans défense, aux manipulateurs qui profitent de leur naïveté, problème qu’il conviendrait de régler grâce à l’«éducation aux médias» et au développement de l’«esprit critique». Non, le complotisme frappe tout autant, sinon plus, les populations adultes et les personnes âgées, qui sont elles, pour le coup, livrées à toutes les manipulations susceptibles de renforcer leurs idées préconçues et d’alimenter leur aigreur, en particulier sur Facebook.</p><p></p><hr><p></p><h2>A lire également sur ce sujet:</h2><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/peut-on-encore-gouverner-a-l-heure-des-reseaux-sociaux">Peut-on encore gouverner à l’heure des réseaux sociaux?</a></em> - BPLT</p><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/a-vif/mais-pourquoi-diable-macron-etait-il-mal-rase">Mais pourquoi diable Macron était-il si mal rasé?</a></em> - Anna Lietti</p><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/et-le-lendemain-paris-rit-jaune">Et le lendemain, Paris rit jaune</a></em> - Amèle Debey</p><p><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/ce-qu-annonce-la-revolte-des-gilets-jaunes"></a></p><p xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml"><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/ce-qu-annonce-la-revolte-des-gilets-jaunes">Ce qu’annonce la révolte des Gilets jaunes</a> </em>- Jacques Pilet</p><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/gilets-jaunes-le-lundi-au-soleil-c-est-fini">«Gilets jaunes»: le lundi au soleil, c’est fini</a></em> - Antoine Menusier</p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'pourquoi-le-mouvement-des-gilets-jaunes-est-complotiste', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 1028, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1429, 'homepage_order' => (int) 1692, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'Bon pour la tête', 'description' => 'Les «gilets jaunes» ont des tendances tout à fait complotistes, nous dit le chercheur en neurosciences et auteur du livre «Total bullshit! au coeur de la post-vérité» Sebastien Dieguez. 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Certes, la désormais fameuse petite musique du «comme par hasard» retentit immanquablement à chaque événement de ce type, mais ici, la conjonction avec l’actualité fait qu’elle agit comme <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/terrorisme/20181212.OBS6996/strasbourg-des-groupes-facebook-de-gilets-jaunes-submerges-par-des-theories-complotistes.html?fbclid=IwAR2Xa2QmN_U8mmVDtB9ctsRjHN-OWifQtC80NLtT_anXP7P-CGW4EcTiR9k">le révélateur d’une attitude de fond</a>, dont on avait encore mal évalué l’importance. <br></p><p><br><iframe src="https://www.youtube.com/embed/ATt3xhIbpUY" allow="accelerometer; autoplay; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="" width="560" height="315" frameborder="0"></iframe> </p><br><p>Car le mouvement des «gilets jaunes» <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/strasbourg-dans-les-groupes-facebook-de-gilets-jaunes-lopinion-majoritaire-est-conspirationniste-3819530?fbclid=IwAR0Lwjwh94aSgaYq2R7Cuovc_mIFOZ5x_Ya8av7otcKXMnY4r-lT4BBj4rM">est complotiste depuis le début</a>, non pas de manière anecdotique, non pas à titre d’épiphénomène ou de dérive malencontreuse, et encore moins, pour le coup, «par hasard», mais consubstantiellement. Quiconque a consacré quelques heures à se balader sur <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/12/07/facebook-reservoir-et-carburant-de-la-revolte-des-gilets-jaunes_5394283_4408996.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1544207493">les pages Facebook dédiées au mouvement</a> et à ses principaux animateurs aura pu constater à quel point les fils de discussion regorgent de <a href="https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/politique-m%C3%A9dias-populisme/%E2%80%9Cles-fake-news-prolif%C3%A8rent-sur-lignorance-et-la-saturation-de-l">contenus et de rhétorique conspirationniste</a>. Ironiquement, cela commence par la suspicion permanente d’être censuré par le gouvernement, comme si, précisément, ce n’était pas à ces plateformes que les «gilets jaunes» devaient leur existence même. Et comme si, plutôt que d’un gouvernement honni, elles n’étaient pas sous le contrôle absolu de la firme qui les héberge et <a href="https://www.affordance.info/mon_weblog/2018/11/gilets-jaunes-internet-familles-modestes-facebook.html">des algorithmes qui permettent de les rendre si visibles</a>. </p><p>Malgré cette suspicion, chez les «gilets jaunes» ce sont néanmoins les informations relayées sur Facebook qui font foi. Les médias «officiels», eux, sont voués aux gémonies comme <a href="https://www.rtl.fr/culture/medias-people/gilets-jaunes-la-defiance-a-l-egard-des-medias-n-a-jamais-ete-aussi-forte-7795947177">autant de manipulateurs à la solde du pouvoir et de la finance</a>. Cibles d’une intense méfiance et d’un aigre ressentiment, les journalistes sont fréquemment <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/11/26/gilets-jaunes-la-violence-contre-des-journalistes-prend-une-ampleur-inedite_5388961_3224.html">pris à partie par les «gilets jaunes», parfois physiquement</a>. C’est qu’ils cacheraient des informations primordiales au «peuple»: le gouvernement serait illégitime, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/03/gilets-jaunes-constitution-disparue-et-complotisme-debride-sur-les-reseaux-sociaux_5391962_4355770.html">la Constitution serait caduque</a>, <a href="https://factuel.afp.com/non-ceci-nest-pas-un-avion-pret-exfiltrer-emmanuel-macron-cause-des-gilets-jaunes">le Président serait prêt à être exfiltré</a>, la France serait <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/06/vendre-la-france-a-l-onu-de-donald-trump-aux-gilets-jaunes-l-itineraire-mondial-d-une-intox_5393268_4355770.html">sur le point d’être «vendue» à l’ONU</a>, cette dernière œuvrerait à l’imposition d’une immigration massive qui entérinerait le fantasme d’un «grand remplacement»… Autant de sornettes qui circulent abondamment sous forme de vidéos aussi ridicules que prétentieuses et de «coups de gueule» d’anonymes, <a href="https://www.lesinrocks.com/2018/12/15/actualite/maxime-nicolle-comment-une-figure-charismatique-des-gilets-jaunes-est-devenue-complotiste-111151856/">devenus soudain de véritables stars</a> de l’indignation en mode selfie, et curieusement plus crédibles que n’importe qui d’autre. </p><h3>Melting pot</h3><p>Aux côtés de ces révélations stupéfiantes, on trouve également, et amplement, chez les «gilets jaunes» toutes sortes de préoccupations complotistes plus classiques, en particulier sur <a href="https://www.lepoint.fr/societe/chemtrails-ectoplasmie-et-degagisme-les-multiples-facettes-de-jacline-mouraud-06-11-2018-2269042_23.php">les chemtrails</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/a-rennes-un-petit-groupe-disparate-de-gilets-jaunes-toujours-determines_2049492.html">la vaccination</a> et les causes de la mort d’une figure centrale au mouvement, <a href="https://www.marianne.net/politique/ni-macron-ni-melenchon-ni-le-pen-les-gilets-jaunes-votent-coluche">Coluche</a>. Mais dès les premières manifestations à Paris et dans d’autres grandes villes, on a appris que les dégâts étaient produits par les forces de l’ordre elles-mêmes, qui s’infiltreraient parmi les manifestants non pas pour effectuer les opérations de surveillance de routine dans de tels cas, mais <a href="https://www.conspiracywatch.info/vous-avez-dit-agent-provocateur.html?fbclid=IwAR0x-UiwXnrtOs7PAj1ZTyQmohrO6dFbTlfIF1tu06yNQIBpKeGqgFyJx88">pour discréditer le mouvement en y instillant la violence</a>. </p><p>Malgré toutes ces manigances de forces occultes incroyablement puissantes et malfaisantes, l’insurrection des «gilets jaunes» n’a néanmoins pas fléchi. Emmanuel Macron a bien dû céder, au moins temporairement, à quelques-unes de ses revendications et intervenir publiquement pour tenter de redorer son blason; il n’aura cependant pas réussi à convaincre. Son intervention télévisée est largement perçue comme «feinte», son empathie et son mea culpa seraient de la «comédie». Les mesures qu’il préconise? Une «entourloupe», ou de la «poudre de perlimpinpin», pour lui rendre ce terme un peu désuet qu’il affectionne. Dans ces conditions, un petit attentat ne ferait vraiment pas de mal, et c’est bien la réaction première qui a été celle d’une frange non négligeable des sympathisants aux «gilets jaunes». C’est fou, de manière générale, ce que les attentats peuvent toujours «tomber au bon moment», mais dans ce cas précis, la méthode semble des plus grossières: à cause de cela, on allait, pour la première fois en plus d’un mois, parler d’autre chose que de nous! Les «gilets jaunes» souhaitent avant tout être «écoutés», mais pour cela il faudrait apparemment ne prêter attention à rien d’autre, et qu’en toute logique aucun autre événement ne se produise tant que leurs désirs n’auront pas été exaucés et leurs problèmes réglés une fois pour toutes. Ce serait tout de même vraiment trop gros. </p><blockquote>Ce qui réunit les «gilets jaunes», et ce qui les renforce, ce sont des façons de «savoir», de «comprendre» et de «connaître» qui les opposent à d’autres.</blockquote> <p>Complotisme, adhésion aux fake news, partage d’une réalité alternative, sentiment d’outrage moral permanent, suspicion à l’égard des «élites», autant de phénomènes qui sont évocateurs de <a href="https://www.puf.com/content/Total_bullshit">ce qu’on a appelé «post-vérité»</a>, et qui prend ici la forme d’une nouvelle «camaraderie épistémique», débordant les sphères du virtuel et de la politique, pour investir les ronds-points et les rues. Quelles que soient les composantes idéologiques et sociologiques de ce mouvement, dont on ne dispose pour l’heure que <a href="https://www.franceculture.fr/sociologie/gilets-jaunes-ce-que-la-toute-premiere-enquete-raconte-de-la-revolte">de faibles indicateurs</a>, on peut sans trop de risque postuler un lien fort entre sa capacité effective de mobilisation et son attrait particulier pour la rhétorique du complot. Et l’affirmer, ce n’est pas tenter de discréditer les «gilets jaunes» et leurs revendications en tant que telles, et ce n’est pas non plus nier la légitimité qu’a tout un chacun d’exprimer son opinion, sa colère et sa souffrance. </p><p>De fait, j’entends par «camaraderie épistémique» la mise en forme d’une solidarité, d’un entre-soi et même d’une fraternité redécouverte, par l’entremise d’une connaissance partagée et ajustée aux besoins du groupe ainsi créé. En d’autres termes, et malgré l’hétérogénéité évidente et inhérente à un mouvement aussi vaste que spontané, ce qui réunit les «gilets jaunes», et ce qui les renforce, ce sont des façons de «savoir», de «comprendre» et de «connaître» qui les opposent à d’autres. </p><p>On n’est pas en colère pour rien. La colère en elle-même justifie le fait qu’on soit en colère, et fournit, pour ainsi dire clés en main, les raisons d’être en colère. Ces raisons d’être en colère, qui, encore une fois, peuvent être parfaitement sincères et légitimes, engendrent la plainte et la révolte, donnent à fédérer, structurent la mobilisation. Mais en tant que telle, une simple exaspération vis-à-vis d’une hausse de taxe particulière serait bien en mal de produire les effets observés dans ce mouvement des «gilets jaunes», ou à tout le moins donnerait lieu à des formes bien différentes, disons plus classiques, de protestation. Ce qui est en jeu ici c’est bien la nécessaire construction d’un profond sentiment d’injustice, dont chaque manifestation isolée contribue à «faire déborder le vase», et qui donne mécaniquement lieu à la recherche et à la perception de finalités malfaisantes, inavouables et concertées. Autant dire un complot dirigé contre soi, une manipulation monumentale du «peuple» façonnée minutieusement pour le seul bénéfice d’une poignée de conspirateurs, prête à toutes les manigances pour dissimuler cette vérité et éviter qu’elle n’éclate. Ce discours victimaire et accusatoire était présent chez les «gilets jaunes» bien avant les attentats de Strasbourg, et on peut penser que sans cette forte connotation complotiste, ils n’auraient jamais acquis l’importance qui leur a été accordée. C’est en ce sens qu’on peut dire que le complotisme est constitutif des «gilets jaunes», et pas un malheureux dérapage de quelques individus isolés.</p><h3>Le malheur des uns...</h3> <p>Il faudra encore attendre pour voir si des études émergent afin d’infirmer ou confirmer cette hypothèse, mais ce que l’on sait actuellement du complotisme en général permet au moins de l’envisager sérieusement. Les «gilets jaunes» se présentent, par définition pourrait-on dire, comme une classe délaissée, ignorée et opprimée. Ils sont des «vaches à lait», on les déconsidère, pire, on les méprise et on s’en moque. Certes, ils reconnaissent volontiers qu’ils n’ont pas fait de longues études, mais ils en ont «marre» d’être «pris pour des cons». Certains intellectuels fustigent le «mépris de classe» qui s’exprime à leur égard, et les extrêmes politiques, prétendant représenter le «peuple» contre les «élites», se rallient autant qu’ils peuvent à ce «cri du cœur», dont ils escomptent tirer des dividendes inespérés, de même que les complotistes «habituels», toujours solidaires des individus <a href="https://www.conspiracywatch.info/gilets-jaunes-et-violence-a-chacun-sa-causalite-diabolique.html">susceptibles d’alimenter leur petit business</a>. </p><p>Le complotisme a <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1948550614567356">souvent fleuri aux extrêmes politiques</a> et dans l’opposition aux gouvernements en place, dans un contexte de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/acp.3442">minorisation</a>, de déclassement et de <a href="https://global.oup.com/academic/product/american-conspiracy-theories-9780199351800?cc=ch&lang=en&">perte de contrôle ressentis</a>, et contribue à serrer les liens au sein de <a href="http://espritcritique.info/?p=168">catégories peu éduquées</a> et en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/acp.3161">perte d’influence</a>. Le groupe victimisé se renforce de la sorte par contraste avec une entité lointaine et malsaine, qu’il convient de diaboliser à proportion du besoin de se sentir exister et de se valoriser dans sa posture de cible impuissante face à un ennemi déterminé à lui nuire. Produisant un «savoir» aux marges des réseaux officiels de communication et de transmission, les théories du complot postulent ainsi, sans toujours la désigner clairement, une origine des problèmes qui fonctionne en même temps <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982218308637">comme une fin en soi</a>. C’est-à-dire que l’histoire, l’actualité et la société ne sont plus des machineries complexes aux rouages capricieux et insaisissables, mais des scripts produits de toute pièce par une entité maléfique dont l’aboutissement souhaité, calculé et orchestré n’est autre que le mal-être même dont se plaignent les «gilets jaunes», comme s’il devait nécessairement en être ainsi par pure malice et cruauté. </p><h3>Complotisme, mode d’emploi</h3><p>Pour protéger son système de croyances et lui permettre de continuer à nourrir son sentiment de révolte, le complotiste a recours à des techniques relativement simples. Ignorer purement et simplement les objections, altérer la nature du complot envisagé s’il le faut, ou simplement identifier toute critique comme faisant partie du complot. Si les «élites» – terme qui ne s’embarrasse pas trop d’englober journalistes et chercheurs souvent autant précarisés que le «gilet jaune» moyen, sinon plus – sont tous des «vendus» et des «pourris», pourquoi entrer en discussion avec elles? Ne chercheront-elles pas, comme à leur habitude, à nous «enfumer» et à nous «prendre pour des cons»? La camaraderie épistémique procède donc par blindage intellectuel, ce qui a pour effet d’alimenter un cycle de prise de connaissance en circuit fermé, dans des sillons réservés et des puits d’invraisemblances toujours plus profonds, dans la mesure où quiconque voudra s’y opposer sera immédiatement taxé de traître. </p><p>Il ne s’agit pas là uniquement d’un phénomène de polarisation, exacerbé par l’enfermement dans des bulles informationnelles qui viennent sans cesse confirmer leur point de vue. Le complotisme s’accompagne également d’une sorte de «<a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0184733">savoir personnalisé</a>», la conviction d’être dans le vrai simplement parce que l’on «ressent» qu’on détient la vérité. A très peu de frais, le complotisme permet de <a href="https://econtent.hogrefe.com/doi/full/10.1027/1864-9335/a000306">se sentir «unique»</a>, un narcissisme <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1948550615616170) et collectif (https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/bjop.12158">à la fois personnel</a> et <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/bjop.12158?fbclid=IwAR3vDtP3ZGKFaf2rnSHyQ9ddspECO3TS2X9w2x8alEB7Ca1MmdEX9W9iVn0">collectif</a>, qui explique peut-être pourquoi les complotistes se dispensent de vérifier les informations ou de trop y réfléchir. D’un autre côté, cette <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S001002771830163X">paresse intellectuelle</a> face à l’analyse, et la propension à <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3023545">se fier à sa seule intuition</a>, pourrait bien expliquer la propagation massive des fausses informations complotistes, par la mécanique pavlovienne du <a href="http://science.sciencemag.org/content/359/6380/1146">«partage» intempestif</a>. Notons également, chez les adeptes des «fake news», la volonté non seulement de protéger son pré carré d’opinions et de <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2973067">certitude en son jugement</a>, mais également celle de nuire à l’environnement informationnel global, par une sorte de «désir de chaos» peu scrupuleux qui peut se résumer par l’adage <a href="https://psyarxiv.com/6m4ts/">«après nous le déluge»</a>. Une attitude qui relève donc du «<a href="https://www.puf.com/content/Total_bullshit">bullshit</a>», selon l’usage qu’en fait le philosophe Harry Frankfurt, c’est-à-dire une «indifférence à l’égard de la vérité», dont les effets à large échelle constituent ce que l’on appelle la «post-vérité».<br><br><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w800/1545042658_whatsappimage20181217at11.16.56.jpeg"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"></span></p><p style="text-align: center;"><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">© 2018 Bon pour la tête / Amèle Debey<br><br></span></p> <p>Bien sûr, on dira que tous les «gilets jaunes» ne sont pas complotistes, et on fera remarquer que certaines pages dédiées au mouvement ont procédé, face au déferlement du «comme par hasard» ayant suivi l’attentat de Strasbourg, à un blocage bienvenu des commentaires. Oui, tous les «gilets jaunes» ne sont pas complotistes, et on trouve partout des complotistes qui ne sont pas des «gilets jaunes». Mais on peut aussi bien soutenir que c’est la composante complotiste du mouvement qui en fait la force et qui entretient sa colère. Que sans le complotisme, il n’y aurait pas de mouvement des «gilets jaunes» à proprement parler. Personne ne nie qu’il existe des inégalités et des injustices sociales, et que certains en profitent outrageusement, mais le recours au complotisme pour les dénoncer et les combattre ne peut pas plus aboutir à leur résolution qu’il ne peut espérer mettre à jour des «vrais complots» en général. Ceux-ci existent, mais ils sont généralement révélés par des enquêtes authentiques, tout le contraire de ce qu’est le complotisme. </p> <p>En définitive, si affirmer que les «gilets jaunes» sont complotistes risque évidemment d’être reçu négativement par les intéressés, cela ne préjuge en rien de la réalité de leurs problèmes et de la légitimité d’une partie de leur combat. Postuler un «peuple» qui serait, à dessein, le souffre-douleur d’«élites» machiavéliques, est une posture complotiste dans la mesure où elle s’accompagne de l’adhésion à des fausses informations qui toutes servent à confirmer et renforcer cette idée, sans égard pour leur véracité. Et ni la sincérité, ni l’authenticité, ni la souffrance ne remplaceront jamais la rigueur quand il s’agit d’établir la vérité. C’est la démarche et la méthode qui sont ainsi irrationnelles et profondément biaisées, bien que le mal-être qu’elle vise à expliquer puisse tout à fait être authentique. </p><h3>Le complotisme invisible</h3><p>On peut retirer deux leçons intéressantes de cette affaire. Tout d’abord, on a vu que le complotisme bénéficie d’une étrange mansuétude lorsqu’il ne se rattache pas directement à un événement dramatique, singulier et choquant. Dans le cas des «gilets jaunes», il ne s’est «vu» que lorsqu’un attentat, interprété comme malvenu, a semblé freiner la dynamique du mouvement, et a donc donné lieu à des soupçons de manipulation. C’est là la «théorie du complot» au sens usuel, portant sur un événement d’actualité identifiable et postulant que ce qu’on nous en dit cache une réalité autrement plus inquiétante, cynique et révoltante. Mais en réalité, le complotisme ne concerne pas au premier chef ces «théories du complot», lesquelles sont par essence changeantes, fugitives, nébuleuses et généralement assez vides de contenu. On a tort de croire que l’attentat de Strasbourg est «théorisé» comme un «complot» ourdi par le gouvernement Macron dans le but d’éteindre l’insurrection des «gilets jaunes». C’est plutôt que l’esprit complotiste fera flèche de tout bois, étant prédisposé à interpréter le monde social comme une lutte impitoyable inscrite dans un scénario finaliste, où tout est pour ainsi dire «écrit d’avance» sur un mode directement nuisible au «peuple», ou aux personnes inclinées à penser ainsi. Le problème avec le complotisme, ce ne sont pas les «théories du complot», mais bien la mentalité conspirationniste qui les produit, qui y croit et qui les propage. Cette mentalité était présente dès le début du mouvement des «gilets jaunes», mais elle n’a attiré l’attention que lorsqu’elle s’est manifestée à l’occasion d’un attentat, qui semble donc être le type de stimulus privilégié pour identifier et dénoncer le complotisme. Comme si, en l’absence d’attentat, de drame épouvantable, de massacre ou de guerre, le complotisme n’était pas vraiment du complotisme. </p><p>La deuxième leçon des «gilets jaunes» est peut-être plus importante pour qui souhaite lutter contre le complotisme. En effet, on peut espérer que ce mouvement aura une fois pour toutes démontré que le complotisme n’est pas un problème qui se limite aux malheureux écoliers et adolescents livrés, sans défense, aux manipulateurs qui profitent de leur naïveté, problème qu’il conviendrait de régler grâce à l’«éducation aux médias» et au développement de l’«esprit critique». Non, le complotisme frappe tout autant, sinon plus, les populations adultes et les personnes âgées, qui sont elles, pour le coup, livrées à toutes les manipulations susceptibles de renforcer leurs idées préconçues et d’alimenter leur aigreur, en particulier sur Facebook.</p><p></p><hr><p></p><h2>A lire également sur ce sujet:</h2><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/peut-on-encore-gouverner-a-l-heure-des-reseaux-sociaux">Peut-on encore gouverner à l’heure des réseaux sociaux?</a></em> - BPLT</p><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/a-vif/mais-pourquoi-diable-macron-etait-il-mal-rase">Mais pourquoi diable Macron était-il si mal rasé?</a></em> - Anna Lietti</p><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/et-le-lendemain-paris-rit-jaune">Et le lendemain, Paris rit jaune</a></em> - Amèle Debey</p><p><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/ce-qu-annonce-la-revolte-des-gilets-jaunes"></a></p><p xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml"><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/ce-qu-annonce-la-revolte-des-gilets-jaunes">Ce qu’annonce la révolte des Gilets jaunes</a> </em>- Jacques Pilet</p><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/gilets-jaunes-le-lundi-au-soleil-c-est-fini">«Gilets jaunes»: le lundi au soleil, c’est fini</a></em> - Antoine Menusier</p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'pourquoi-le-mouvement-des-gilets-jaunes-est-complotiste', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 1028, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1429, 'homepage_order' => (int) 1692, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5295, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Un bien cruel conte de Noël (1)', 'subtitle' => 'Catherine et Pierre forment un couple épanoui. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. 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De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. 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Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p> <p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. Ce que j’ai découvert est effrayant…</p> <p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p> <hr /> <h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="149" height="206" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /><span>et de<br /></span><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="154" height="207" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'un-bien-cruel-conte-de-noel-1', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 39, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5284, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les ramasseurs de déchets, grands perdants du récit dominant sur la pollution plastique', 'subtitle' => 'A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1er décembre, se sont soldées par un échec. 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En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p> <ul> <li> <p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p> </li> <li> <p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. 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Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.</p> <p>Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.</p> <p>Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.</p> <h3>Qui sont les ramasseurs informels de déchets?</h3> <p>Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344924001824#sec0021">grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale</a>. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p> <p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p> <ul> <li> <p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p> </li> <li> <p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p> </li> </ul> <p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p> <p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p> <p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. Ils restent toujours relégués aux mêmes tâches manuelles et difficiles, même si leurs conditions de travail en ressortent légèrement améliorées.</p> <h3>L’industrie du plastique maintient le <em>statu quo</em></h3> <p>Malgré les bonnes intentions de départ, des termes tels que «économie circulaire inclusive» sont donc trop souvent utilisés à des fins de <em>green washing</em> et même de <em>justice washing</em>, tandis que les travailleurs continuent à endurer des conditions difficiles. Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 42, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5283, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes', 'subtitle' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'subtitle_edition' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». 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[...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p> <p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p> <h3><strong>Conditions posées</strong></h3> <p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p> <p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p> <h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3> <p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p> <p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. Des faits presque incroyables sur le travail de relations publiques du Pentagone.</p> <p><strong>20 avril 2008</strong> <a href="https://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/gekaufte-meinung-pentagon-beschaeftigt-pr-armee-fuer-us-tv-a-548519.html">Le Pentagone emploie une armée de RP pour la télévision américaine</a>. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@engels 22.12.2018 | 08h37
«Je pense que le complotisme apparaît lorsqu'une personne, vêtue ou non d'un gilet jaune, ne comprend pas une décision, un événement ou une situation globale. Lorsque les explications "officielles" fournies ne sont pas satisfaisantes, celui qui ne les comprend pas va commencer à laisser aller son imagination, se faire des films. Les réseaux sociaux vont lui permettre de propager ses suppositions qui seront aussitôt reprise pour argent comptant... et voilà le moteur de la théorie du complot lancé !
Le complotisme est, de mon point de vue, un symptôme et pas une cause du mouvement des gilets jaunes. Charge à ceux qui exercent le pouvoir de mieux expliquer leurs décisions, de rendre leur considérants accessibles aux personnes directement concernées. Les décideurs pourraient également trouver un moyen pour écouter, prendre en compte et répondre aux objections formulées à l'encontre de leurs propositions. Je ne peux malheureusement que constater que nos institutions ne le permettent pas. Peut être est-ce parce qu'elles ont été conçues à une époque où le cheval était le principal moyen de transport et la voix, le papier et la plume les seul moyens de communication ?... »
@clm 25.12.2018 | 22h04
«Tout à fait d’accord avec votre analyse. Et pourtant, introduire un -isme en plus en le reliant qu’au Révoltés me semble stérile et dangereux. Depuis des siècles, et surtout dans nos temps scientifiques, chaque parti fait appel à des experts pour soutenir ses avantages: qu’il s’agisse du tabac, des pesticides, des vaccins, des ogm, de la migration, ... Où se trouve La Vérité?
Comme le dit Jacque Pilet dans son article du 2 décembre « La détresse sociale ... est rampante partout ». Ceci est en contraste avec le discours politique depuis 1950 qui ne cesse de promettre paix sociale mondiale et prospérité, santé et bien-être pour tous. Où est la congruence?»