Actuel / Pourquoi j'ai fermé ma galerie d'art
Au vernissage du salon AIPAD à New York en 2019. © DR
La galerie de David Laufer au centre de Belgrade. © DR
Son premier vernissage en 2017. © DR
J'ai enfin décidé de fermer ma petite galerie de la rue Krunska, au centre de Belgrade. J'y avais organisé des vernissages couronnés d'un indéniable succès, réunissant tout ce qui compte dans la ville. J'y avais diverti des collectionneurs, des conservateurs et des critiques de renommée mondiale. Uli Sigg, l'un des collectionneurs les plus respectés de la planète, a même pris l'avion depuis la Suisse pour honorer à jamais mon humble boutique. Mais les dieux du marché de l'art ont fait leurs bagages et ont déménagé.
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Tandis que les maisons d'enchères indiquent l'estimation et le prix final, les galeries ont trop souvent manœuvré dans la pénombre, gardant le prix final caché des artistes eux-mêmes, mais aussi des autres acheteurs, se ménageant ainsi des commissions ridiculement excessives.</p> <p>Aujourd'hui Sotheby's, Christie's, Bonham's et Phillips ont largement dépassé en volume de vente les galeries et dominent ainsi la totalité du marché de l'art, des antiquités aux ultra-contemporains. Tandis que les méga-galeries tentent, vainement bien entendu, de faire de l'ombre aux maisons d'enchères en vendant des Picasso et des Schiele dans les foires d'art contemporain. Ajoutons à cela l'arrogance inouïe avec laquelle les galeries se sont comportées pendant des décennies, à l'égard des artistes autant qu'à celui des visiteurs, et le résultat semble logique.</p> <p>Ce résultat, je l'ai fait mien de tout cœur et j'ai fermé, sans aucun regret, mon propre espace, jurant de ne jamais en ouvrir un autre. De quoi l'avenir sera fait? C'est bien évidemment la question que tout le monde se pose et à laquelle il n'existe pas de réponse évidente. Internet s'impose comme l'espace dominant des échanges, mais beaucoup de questions annexes – et passionnantes – restent ouvertes. L'art contemporain restera-t-il le premier des marchés de l'art? Les grands maîtres reviendront-ils au goût du jour? La production d'art, en constante augmentation, menace-t-elle le marché d'étouffement? La valeur des géants d'aujourd'hui – Koons, Kaws, Ruscha, Wool – va-t-elle se maintenir, ou alors doit-on comprendre que l'effondrement de la cote de Damien Hirst (-84% depuis 2011) est annonciatrice de modifications radicales? Je n'ai aucune certitude et demeure optimiste et prudent. J'organise des expos entre Belgrade, New York et Zurich et continue de croître et de prospérer en ligne. 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Tandis que les maisons d'enchères indiquent l'estimation et le prix final, les galeries ont trop souvent manœuvré dans la pénombre, gardant le prix final caché des artistes eux-mêmes, mais aussi des autres acheteurs, se ménageant ainsi des commissions ridiculement excessives.</p> <p>Aujourd'hui Sotheby's, Christie's, Bonham's et Phillips ont largement dépassé en volume de vente les galeries et dominent ainsi la totalité du marché de l'art, des antiquités aux ultra-contemporains. Tandis que les méga-galeries tentent, vainement bien entendu, de faire de l'ombre aux maisons d'enchères en vendant des Picasso et des Schiele dans les foires d'art contemporain. Ajoutons à cela l'arrogance inouïe avec laquelle les galeries se sont comportées pendant des décennies, à l'égard des artistes autant qu'à celui des visiteurs, et le résultat semble logique.</p> <p>Ce résultat, je l'ai fait mien de tout cœur et j'ai fermé, sans aucun regret, mon propre espace, jurant de ne jamais en ouvrir un autre. De quoi l'avenir sera fait? C'est bien évidemment la question que tout le monde se pose et à laquelle il n'existe pas de réponse évidente. Internet s'impose comme l'espace dominant des échanges, mais beaucoup de questions annexes – et passionnantes – restent ouvertes. L'art contemporain restera-t-il le premier des marchés de l'art? Les grands maîtres reviendront-ils au goût du jour? La production d'art, en constante augmentation, menace-t-elle le marché d'étouffement? La valeur des géants d'aujourd'hui – Koons, Kaws, Ruscha, Wool – va-t-elle se maintenir, ou alors doit-on comprendre que l'effondrement de la cote de Damien Hirst (-84% depuis 2011) est annonciatrice de modifications radicales? Je n'ai aucune certitude et demeure optimiste et prudent. J'organise des expos entre Belgrade, New York et Zurich et continue de croître et de prospérer en ligne. 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Ce ne sont plus de nos jours les papes, les princes et les généraux dont on doit attendre la parole et l'ordre, mais les scientifiques. « <em>Il faut croire les docteurs !</em> » s'époumonait une cliente âgée d'un restaurant lémanique la semaine dernière. Durant toute la pandémie de COVID, cette antienne nous a été répétée sur tous les plateaux de télévision et dans tous les journaux : il faut croire en la science. Sans jamais relever que cette injonction est en soi contradictoire, puisque la science n'est pas affaire de foi. 2 + 2 font 4, qu'on y croie ou non.</p> <p>Le troisième élément, déjà visible dans le second, c'est le monde dans lequel on nous annonce que se trouve la victoire contre l'Ennemi. Il serait facile de pointer le fait que l'auteur du livre est chinois, que cela explique pourquoi le problème à trois corps est traversé par un tel dédain de la démocratie. Mais il est également probable que ce mépris pour l'organisation politique traditionnelle soit le fruit même des craintes qui nous hantent. Que ce soit le démiurge aux poches sans fond qui finance les jeunes scientifiques, ou la décision des Nations Unies de confier le sort de l'humanité à trois personnes, sans aucun droit de regard, tout cela illustre notre désarroi face à des instances politiques qui se perdent en des débats interminables qui accouchent de souris.</p> <p>La guerre qui oppose l'Occident à la Russie en Ukraine fait apparaître que le pouvoir direct d'un seul, même plus faible et plus petit, offre des avantages considérables lorsque l'on est soi-même soumis à des contrôles et des élections interminables. « <em>Je veux que vous paniquiez</em> », criait d'une voix étouffée Greta Thunberg. La panique est incompatible avec la démocratie, avec la discussion et le consensus. Elle exige une action immédiate et irréfléchie. 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Que ce soit dans le <em>Problème à trois corps</em> ou dans les myriades de séries et de films que Netflix nous propose depuis des années au sujet de la Seconde Guerre mondiale, que ce soit dans l'hystérie collective délirante au sujet de la Russie en Ukraine, que ce soit dans les décisions martiales et apocalyptiques prises au début de la pandémie, il est difficile d'échapper à l'omniprésence de ce désir de guerre, du moins en Occident.</p> <p>La guerre, que l'on assimile inconsciemment toujours à la Seconde Guerre mondiale, mais jamais à la Première, ou à celle de Crimée ou d'Irak, représente ce moment d'union absolue contre le mal absolu, cet instant magique où sont suspendus les divisions et les doutes abyssaux d'une société en perte de sens et de motivation. 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Il était temps pour moi de leur emboîter le pas. De nombreuses raisons justifiaient cette décision, à laquelle je songeais dès le début. Dès le premier jour même.
Le soir du premier vernissage de ma première galerie, je suis rentré chez moi dans un état de dépression totale. C'était en mai 2017. L'espace était un ancien entrepôt de plus de 100 mètres carrés de sol en béton, au bord du Danube, avec de hauts murs blancs et cette touche post-industrielle qui met les amateurs d'art en transe. Ce premier vernissage avait pourtant été un succès retentissant, peut-être même le plus réussi que la ville ait jamais connu. Plus de 600 personnes avaient fait le déplacement, ministres, princes, hommes d'affaires, collectionneurs, les plus belles femmes de la ville, ce qui à Belgrade n'est pas un euphémisme. Toute la soirée, j'avais été interviewés par tous les médias. En une seule soirée, j'avais réussi l'impossible: mettre mon nom sur la carte. Pourtant, vers 23 heures, lorsque je suis rentré chez moi, une anxieuse frustration m'avait envahi. Sur les 600 personnes présentes, dont certaines trônaient au sommet de fortunes considérables, aucune n'avait même demandé le prix des œuvres exposées. Mon instinct me murmurait que j'avais ouvert ma galerie au pire moment possible. J'avais lancé un nouveau Blackberry juste au moment de la sortie de l'iPhone. Ce modèle économique, qui existait sous cette forme depuis quelques décennies, montrait déjà des signes alarmants de déliquescence. Et ce soir-là j'ai compris, comme je le craignais déjà, que j'étais condamné à tenir un commerce avec la certitude statistique que je perdrais de l'argent.
Mais je n'ai pas perdu espoir tout de suite. Quelques semaines après l'ouverture, j'ai vendu quelques grands formats, ce qui m'a hélas redonné du courage. Puis j'ai ouvert un nouvel espace, bien plus petit, au centre de la ville. Très vite, j'ai toutefois observé que, même en maintenant les frais de fonctionnement au strict de minimum, les revenus stagnaient. A peu près à la même époque, j'ai commencé à vendre via des plateformes en ligne comme artsy.com et par Instagram. La part des ventes en galerie était encore dominante, mais la tendance favorisait nettement les ventes en ligne. Il était clair que cette tendance rendrait tôt ou tard un espace physique redondant. Il m'a fallu pourtant encore quelque temps pour me défaire de toute illusion. Ce qui commençait par tenter de comprendre les dynamiques étranges et contradictoires qui régissent le fonctionnement d'une galerie.
Gérer une galerie d'art, en effet, ne se résume pas à vendre pour réaliser un profit, du moins pas d'une manière conventionnelle. Il faut investir dans l'espace et dans l'artiste, prouver que l'on suit une sélection vraiment personnelle et produire des expositions de qualité. En tant que galeriste votre premier devoir est envers vos artistes, et seulement ensuite envers vos clients. Ce sont les artistes que vous sélectionnez qui font votre réputation, qui attirent dans votre galerie une certaine clientèle et qui la fidélisent. Si vous traitez vos artistes avec négligence, si votre sélection manque de cohérence, autant vendre des pelotes de laine ou des cuillères à café.
Le premier devoir étant envers l'artiste, il est naturellement crucial de pouvoir gagner sa vie pour lui et, comme c'est de plus en plus le cas pour les jeunes artistes, pour elle. Certains artistes vendent facilement, d'autres non, certains ne vendent même jamais. Il faut éliminer progressivement les artistes qui ne vendent pas, encourager et parler souvent avec ceux qui peuvent vendre plus, entretenir la confiance avec ceux qui vendent bien. Et tout le temps il faut chercher de nouveaux artistes, les rencontrer, visiter leurs studios, établir une véritable relation avec eux. C'est la plus excitante et la plus gratifiante partie du travail. Et même s'il ne s'agit pas d'une entreprise commerciale conventionnelle, elle ne fonctionnera pas si elle subit constamment des pertes. Voilà ce qui me passait par la tête, assis tout seul derrière mon petit bureau, jour après jour, dans ma belle galerie, écoutant mes propres pensées rebondir sur les murs dans le silence de mort de l'après-midi. De simples calculs indiquaient que je ne pourrais pas à la fois maintenir un espace physique, avec tous les coûts que cela implique, et atteindre le seuil de rentabilité. Il est bien révolu, en effet, le temps où un galeriste dans une ville française ou italienne de troisième rang pouvait se garantir un style de vie très confortable, sans parler de New York ou de Londres.
La pression sur les galeries des métropoles européennes et américaines est intenable depuis plusieurs années déjà, les coûts fixes absorbant toute les marges et au-delà. Avant même le Covid19, entre 2015 et 2020, vingt-deux galeries ont dû fermer rien qu'à Zurich, une ville remplie de gens riches, éduqués et amateurs d'art. A Bâle, capitale mondiale de l'art contemporain grâce à la foire Art Basel, une seule authentique galerie subsiste, mais à perte, et pour combien de temps encore? Récemment, moins de cinq minutes après avoir pénétré dans cette galerie d'art parisienne flambant neuve, sa propriétaire m'a rassuré sans ambages: «Bien sûr, je ne fais pas de profit». Bien sûr. La crise de 2008 a causé, selon certaines estimations, la fermeture de 30% des galeries dans le monde entier. L'accélération de la transition vers le commerce en ligne, l'explosion des coûts de l'immobilier et la pandémie de 2020 ont fait le reste. C'est tout un business model qui fonce en piqué vers le sol. Pourtant on n'en parle que dans les pages des magasines spécialisés, sans jamais dire les choses franchement, sans citer de noms ou de chiffres, comme on parlait autrefois de la syphilis ou du divorce. Pour ne rien arranger, l'explosion du commerce en ligne et l'irruption des NFT, un sujet connexe qui nécessiterait plusieurs articles, encouragent les jeunes artistes à changer, et plus souvent encore à quitter simplement leur galerie et à vendre sans passer par des intermédiaires.
Comme cela s'observe sur tous les segments de l'économie, ces évolutions ne profitent qu'aux très grands et épargnent les très petits, mais fauchent sans pitié tous ceux qui les séparent, c'est-à-dire l'écrasante majorité des acteurs du marché. Les méga-galeries comme Gagosian, Hauser & Wirth, Pace, Lehmann Maupin ou David Zwirner, qui possèdent des espaces dans le monde entier et qui courtisent les milliardaires, ouvrent désormais des espaces hors des capitales européennes ou américaines qui ont fait leur fortune. De l'aveu même de la galeriste new-yorkaise Dominique Levy, originaire de Lausanne, il ne sert plus à grand chose de maintenir des espaces et de fréquenter les foires en Europe et aux Etats-Unis. L'avenir s'écrit à Hong Kong, Séoul et Tokyo, bientôt peut-être aussi Mumbai ou Kuala Lumpur. Mais aussi à Gstaad, St Moritz, Ibiza, Porto Cervo, Aspen, c'est-à-dire les lieux de villégiature des super-riches, où ils font exploser les records de vente. De nouveaux acheteurs arrivent en masse, venus d'ailleurs, avec d'autres goûts et d'autres horizons culturels. En 2021, la maison d'enchères Christie's comptait que, parmi ses acheteurs, 54% d'entre eux en étaient à leur premier achat. Ceux-ci, essentiellement venus d'Asie, plus jeunes et plus mobiles, ne visitent plus les galeries mais surfent sur les plateformes numériques, achètent à distance et revendent à un rythme bien plus élevé qu'autrefois. Ils se concentrent sur l'art ultra-contemporain, c'est-à-dire sur les artistes de moins de 40 ans, et ne montrent pratiquement aucun intérêt pour l'art moderne ou pour pour les grands maîtres, dont les cotes s'effondrent. Un portrait du Greco peine à atteindre les deux millions, tandis que le premier NFT de Beeple (né en 1981) est parti pour 69 millions. Les œuvres échangées sont rarement exposées et passent de longues périodes dans les port-francs. Les méga-yachts sont également en train de devenir des lieux d'exposition pour des tableaux à millions de dollars. Ceux-ci présentent le double avantage d'être détaxés et entièrement sécurisés. Cela se fait parfois au prix d'étonnants sacrifices: on rabote un Pollock pour le faire passer dans la master bedroom, on expose un Rothko horizontalement pour éviter de telles extrémités, ou bien on garnit les toilettes de l'équipage d'une petite huile de Lucian Freud.
Le marché l'indique ainsi sans doute possible: la galerie, en tant qu'espace physique de taille moyenne et active localement, est parvenue au bout de son cycle. On pourrait se lamenter de ces évolutions, regretter le joli temps des vernissages, des balades à travers les couloirs d'Art Basel à pouffer de rire en regardant les tenues d'excentriques milliardaires. Pourtant la galerie n'est pas un fait éternel dans le monde de l'art. Elle est une invention new yorkaise de l'après-guerre, rendue nécessaire par une scène artistique en pleine ébullition au moment même où explosaient la société de consommation et les grandes surfaces. Avant cela, on découvrait le travail des artistes essentiellement chez leurs commanditaires et leurs protecteurs, princes, évêques ou marchands, et puis dès le XIXème siècle dans les salons. Au début du XXème siècle, les grands marchands tels que Vollard, Durand-Ruel ou Seligmann ont institué le rituel de découvrir le travail d'un artiste contemporain dans leur résidence, à l'occasion d'une petite fête privée, établissant peu à peu les fondements d'un authentique marché. La galerie d'art contemporain telle que nous la connaissons est donc une invention relativement récente, que les évolutions technologiques et les habitudes rendent rapidement obsolète.
Il existe plusieurs facteurs aggravants qui accélèrent cette disparition. D'abord il y a la concurrence acharnée des maisons d'enchères. Au tournant du millénaire, celles-ci, qui traditionnellement ne commerçaient que sur le marché des grands maîtres, constatant l'énormité des profits réalisés par les marchands d'art contemporain, ont décidé de s'intéresser à ce marché. Or les maisons d'enchères bénéficient d'avantages concurrentiels majeurs sur les galeries. Elles existent, pour les plus importantes d'entre elles, depuis environ deux siècles et sont implantées dans le monde entier. Elles sont actives sur des segments variés entre lesquels circulent et se multiplient les acheteurs: art, antiquités, vins, bijoux et montres, voitures, et désormais aussi immobilier. Elles ont des adresses, des carnets de clients et des réputations qui font saliver même les plus grandes galeries. Enfin, et l'argument est essentiel, elles pratiquent une transparence (presque!) complète sur les prix de vente. C'est l'une des critiques récurrentes qui a été faite contre les galeries: l'opacité des prix et des pratiques de vente. Tandis que les maisons d'enchères indiquent l'estimation et le prix final, les galeries ont trop souvent manœuvré dans la pénombre, gardant le prix final caché des artistes eux-mêmes, mais aussi des autres acheteurs, se ménageant ainsi des commissions ridiculement excessives.
Aujourd'hui Sotheby's, Christie's, Bonham's et Phillips ont largement dépassé en volume de vente les galeries et dominent ainsi la totalité du marché de l'art, des antiquités aux ultra-contemporains. Tandis que les méga-galeries tentent, vainement bien entendu, de faire de l'ombre aux maisons d'enchères en vendant des Picasso et des Schiele dans les foires d'art contemporain. Ajoutons à cela l'arrogance inouïe avec laquelle les galeries se sont comportées pendant des décennies, à l'égard des artistes autant qu'à celui des visiteurs, et le résultat semble logique.
Ce résultat, je l'ai fait mien de tout cœur et j'ai fermé, sans aucun regret, mon propre espace, jurant de ne jamais en ouvrir un autre. De quoi l'avenir sera fait? C'est bien évidemment la question que tout le monde se pose et à laquelle il n'existe pas de réponse évidente. Internet s'impose comme l'espace dominant des échanges, mais beaucoup de questions annexes – et passionnantes – restent ouvertes. L'art contemporain restera-t-il le premier des marchés de l'art? Les grands maîtres reviendront-ils au goût du jour? La production d'art, en constante augmentation, menace-t-elle le marché d'étouffement? La valeur des géants d'aujourd'hui – Koons, Kaws, Ruscha, Wool – va-t-elle se maintenir, ou alors doit-on comprendre que l'effondrement de la cote de Damien Hirst (-84% depuis 2011) est annonciatrice de modifications radicales? Je n'ai aucune certitude et demeure optimiste et prudent. J'organise des expos entre Belgrade, New York et Zurich et continue de croître et de prospérer en ligne. Et je reste, encore et toujours amoureux, de mes artistes, de leur travail et du privilège qui consiste à le partager avec le reste du monde.
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Ce ne sont plus de nos jours les papes, les princes et les généraux dont on doit attendre la parole et l'ordre, mais les scientifiques. « <em>Il faut croire les docteurs !</em> » s'époumonait une cliente âgée d'un restaurant lémanique la semaine dernière. Durant toute la pandémie de COVID, cette antienne nous a été répétée sur tous les plateaux de télévision et dans tous les journaux : il faut croire en la science. Sans jamais relever que cette injonction est en soi contradictoire, puisque la science n'est pas affaire de foi. 2 + 2 font 4, qu'on y croie ou non.</p> <p>Le troisième élément, déjà visible dans le second, c'est le monde dans lequel on nous annonce que se trouve la victoire contre l'Ennemi. Il serait facile de pointer le fait que l'auteur du livre est chinois, que cela explique pourquoi le problème à trois corps est traversé par un tel dédain de la démocratie. 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Et pourtant, alors même que cette série se veut une sorte de miroir du début de la Seconde Guerre mondiale, elle ignore complètement que, précisément, c'est la solidité du système démocratique anglo-saxon qui a permis la victoire sur l'Allemagne dictatoriale.</p> <p>Enfin, parlons du dénominateur commun. Que ce soit dans le <em>Problème à trois corps</em> ou dans les myriades de séries et de films que Netflix nous propose depuis des années au sujet de la Seconde Guerre mondiale, que ce soit dans l'hystérie collective délirante au sujet de la Russie en Ukraine, que ce soit dans les décisions martiales et apocalyptiques prises au début de la pandémie, il est difficile d'échapper à l'omniprésence de ce désir de guerre, du moins en Occident.</p> <p>La guerre, que l'on assimile inconsciemment toujours à la Seconde Guerre mondiale, mais jamais à la Première, ou à celle de Crimée ou d'Irak, représente ce moment d'union absolue contre le mal absolu, cet instant magique où sont suspendus les divisions et les doutes abyssaux d'une société en perte de sens et de motivation. Enfin, chacun peut se sacrifier pour la collectivité, trouver un sens à sa vie, échapper à l'anémie de la société de consommation, aux exigences de bonheur des médias sociaux, et se jeter dans la fournaise du combat des Justes contre la Bête immonde. 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Que l'on soit chrétien ou athée, cette phrase conserve toute sa pertinence si l'on remplace le mot religion par idéologie. Et l'idéologie est le personnage principal d'<em>Anatomie d'une chute</em>. L'histoire se résume une seule phrase: Un homme meurt, comment est-il mort? C'est le genre classique du «<em>whodunnit</em>» américain, contraction de «<em>who's done it</em>», ou qui l'a fait. Et comme dans tous les <em>whodunnit</em>, le spectateur est délibérément entraîné sur de fausses pistes les unes après les autres. Agatha Christie était maître du genre et parvenait à maintenir le mystère complet jusqu'à la révélation du coupable par l'inébranlable et moustachu Hercule Poirot. Ce <em>whodunnit</em> échappe hélas à cette règle tant son dénouement est prévisible.</p> <p>Dans un chalet isolé de haute montagne, non loin de Grenoble, un couple vit avec un enfant d'une dizaine d'années et presque aveugle. 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Nous ne voyons même pas le mari, nous ne faisons qu'entendre la musique qu'il fait jouer beaucoup trop fort dans son grenier, afin de rendre impossible un entretien que sa femme donne à une jeune étudiante. Toute la personnalité du mari est contenue dans cette scène. Il est volontairement absent, manipulateur et passif-agressif. A mesure qu'avance l'enquête, l'épouse multiplie les maladresses à sa propre décharge. Nous ne savons encore rien du mari, sinon qu'il traîne un lourd sentiment de culpabilité envers son fils, rendu aveugle à la suite d'un accident dont il se sent responsable.</p> <p>Lors du procès nous découvrons comment fonctionne le couple. Il ressort que l'épouse est une écrivaine à succès. Tandis que le mari, lui-même aspirant écrivain, ne parvient pas à écrire quoi que ce soit. Il est donc rongé à parts égales de frustration et de jalousie envers sa femme. A cela s'ajoute la jalousie sexuelle qu'il éprouve pour elle qui, bisexuelle, l'a trompé avec une autre femme. 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Elles sont les seules à être officiellement post-quelque chose, mais elles trahissent la réalité économique et sociale de toute une ville, ou peut-être même, de notre continent, tout entier post-productif.</p> <p>Mais pourquoi regretter le temps où des hommes presque illettrés travaillaient 80 heures par semaine à se rompre les os, laissant derrière eux des épouses débordées de tâches éreintantes, les deux mourant à moins de 60 ans. Plutôt que de croupir dans les cachots de la Conciergerie, ou du Château de Chillon, ou Palais ducal de Mantoue, il est plus agréable de les visiter avant de déguster le plat du jour dans une jolie brasserie de la place. Les tourments et les souffrances de nos lointains devanciers ne feront qu'augmenter notre satisfaction de pouvoir apprécier un si bon déjeuner sans contrainte ni douleur. Et c'est tout, absolument tout, ce que nous en retirerons: une <em>expérience</em>, comme on dit désormais. Ces décors du passé n'existent plus que pour notre plaisir, presque pour nous désennuyer. Qui s'inquiète vraiment de savoir ce qui se passait dans le château de Rosenborg de Copenhague, dans les Invalides ou dans la Ca' d'Oro de Venise. On passe devant, on s'extasie, on prend une ou deux photos et on continue.</p> <p>Ces lieux ne sont plus productifs. Tout au moins ne remplissent-ils plus leurs fonctions premières. Le tourisme est pourtant une industrie. Celle-ci compte pour presque 10% du PIB de l'UE. Cela va de la Croatie, qui doit un quart de son économie (en réalité pas loin de la moitié si l'on prend en compte les acteurs indirects) au tourisme, tandis que l'Irlande ne lui doit que 3%. On estime qu'un emploi sur onze dans le monde est aujourd'hui lié au tourisme. Et l'Europe, avec son histoire, sa géographie et son infinie richesse architecturale et artistique, peut se réjouir d'un avenir brillant de ce point de vue. Les projections sont d'ailleurs exponentielles. 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1 Commentaire
@Chan clear 28.05.2023 | 01h51
«Quelle étonnante description du marché de l’art.»