Actuel / Pourquoi j'ai fermé ma galerie d'art
Au vernissage du salon AIPAD à New York en 2019. © DR
La galerie de David Laufer au centre de Belgrade. © DR
Son premier vernissage en 2017. © DR
J'ai enfin décidé de fermer ma petite galerie de la rue Krunska, au centre de Belgrade. J'y avais organisé des vernissages couronnés d'un indéniable succès, réunissant tout ce qui compte dans la ville. J'y avais diverti des collectionneurs, des conservateurs et des critiques de renommée mondiale. Uli Sigg, l'un des collectionneurs les plus respectés de la planète, a même pris l'avion depuis la Suisse pour honorer à jamais mon humble boutique. Mais les dieux du marché de l'art ont fait leurs bagages et ont déménagé.
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Tandis que les maisons d'enchères indiquent l'estimation et le prix final, les galeries ont trop souvent manœuvré dans la pénombre, gardant le prix final caché des artistes eux-mêmes, mais aussi des autres acheteurs, se ménageant ainsi des commissions ridiculement excessives.</p> <p>Aujourd'hui Sotheby's, Christie's, Bonham's et Phillips ont largement dépassé en volume de vente les galeries et dominent ainsi la totalité du marché de l'art, des antiquités aux ultra-contemporains. Tandis que les méga-galeries tentent, vainement bien entendu, de faire de l'ombre aux maisons d'enchères en vendant des Picasso et des Schiele dans les foires d'art contemporain. Ajoutons à cela l'arrogance inouïe avec laquelle les galeries se sont comportées pendant des décennies, à l'égard des artistes autant qu'à celui des visiteurs, et le résultat semble logique.</p> <p>Ce résultat, je l'ai fait mien de tout cœur et j'ai fermé, sans aucun regret, mon propre espace, jurant de ne jamais en ouvrir un autre. De quoi l'avenir sera fait? C'est bien évidemment la question que tout le monde se pose et à laquelle il n'existe pas de réponse évidente. Internet s'impose comme l'espace dominant des échanges, mais beaucoup de questions annexes – et passionnantes – restent ouvertes. L'art contemporain restera-t-il le premier des marchés de l'art? Les grands maîtres reviendront-ils au goût du jour? La production d'art, en constante augmentation, menace-t-elle le marché d'étouffement? La valeur des géants d'aujourd'hui – Koons, Kaws, Ruscha, Wool – va-t-elle se maintenir, ou alors doit-on comprendre que l'effondrement de la cote de Damien Hirst (-84% depuis 2011) est annonciatrice de modifications radicales? Je n'ai aucune certitude et demeure optimiste et prudent. J'organise des expos entre Belgrade, New York et Zurich et continue de croître et de prospérer en ligne. 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Tandis que les maisons d'enchères indiquent l'estimation et le prix final, les galeries ont trop souvent manœuvré dans la pénombre, gardant le prix final caché des artistes eux-mêmes, mais aussi des autres acheteurs, se ménageant ainsi des commissions ridiculement excessives.</p> <p>Aujourd'hui Sotheby's, Christie's, Bonham's et Phillips ont largement dépassé en volume de vente les galeries et dominent ainsi la totalité du marché de l'art, des antiquités aux ultra-contemporains. Tandis que les méga-galeries tentent, vainement bien entendu, de faire de l'ombre aux maisons d'enchères en vendant des Picasso et des Schiele dans les foires d'art contemporain. Ajoutons à cela l'arrogance inouïe avec laquelle les galeries se sont comportées pendant des décennies, à l'égard des artistes autant qu'à celui des visiteurs, et le résultat semble logique.</p> <p>Ce résultat, je l'ai fait mien de tout cœur et j'ai fermé, sans aucun regret, mon propre espace, jurant de ne jamais en ouvrir un autre. De quoi l'avenir sera fait? C'est bien évidemment la question que tout le monde se pose et à laquelle il n'existe pas de réponse évidente. Internet s'impose comme l'espace dominant des échanges, mais beaucoup de questions annexes – et passionnantes – restent ouvertes. L'art contemporain restera-t-il le premier des marchés de l'art? Les grands maîtres reviendront-ils au goût du jour? La production d'art, en constante augmentation, menace-t-elle le marché d'étouffement? La valeur des géants d'aujourd'hui – Koons, Kaws, Ruscha, Wool – va-t-elle se maintenir, ou alors doit-on comprendre que l'effondrement de la cote de Damien Hirst (-84% depuis 2011) est annonciatrice de modifications radicales? Je n'ai aucune certitude et demeure optimiste et prudent. J'organise des expos entre Belgrade, New York et Zurich et continue de croître et de prospérer en ligne. 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En 2009, lors d'une dictée imposée à 1'348 enfants français de seconde, deux tiers d'entre eux ont obtenu un zéro. 14% seulement ont eu la moyenne. Dit autrement, les francophones dans leur majorité ne maîtrisent pas leur langue à l'écrit. Pourtant la dictée est un véritable sport national: on en a organisé une en 2018 au stade de France.</p> <p>Les enfants de 2024 savent parfaitement parler mais font, en moyenne, deux fois plus de fautes que ceux de 1985. On se demande toujours comment améliorer la situation, trop rarement comment on est arrivé à ce lamentable état des choses. Pourtant un constat avait été fait en 1783 déjà, sous la plume de Rivarol dans son <em>Discours sur l'universalité de la langue française</em>: «On se fit une langue écrite et une langue parlée, et ce divorce de l'orthographe et de la prononciation dure encore». Il existe donc un divorce au cœur même de notre langue. On en apprend deux: une langue parlée et une langue une écrite, tout à fait distinctes l'une de l'autre. Ce qui explique <em>pourquoi </em>la dictée est un enfer, mais pas <em>comment</em> elle l'est devenue.</p> <p>Comment est-il possible que nous soyons incapables de maîtriser notre propre langue à l'écrit? Pour commencer, il faut remonter un peu le cours du temps. Langue latine, le français a évolué du bas-latin et s'est ensuite mâtiné de langues germaniques pour parvenir à ce langage qu'on parlait dans le bassin parisien à la fin du Moyen-Age. On le parlait, on ne l'écrivait presque pas. Pour l'écriture on se servait d'un latin bâtardisé et déjà criblé de mots français. Le français n'était rien d'autre que le patois parisien, c'était par conséquent la langue du roi. On l'écrivait phonétiquement, presque sans règle. Dans la chanson de Roland, écrite il y a mille ans, on écrit <em>fer</em> ou <em>fere</em> pour faire, <em>ki</em> pour qui, <em>e</em> pour et, <em>hom</em> pour hommes. Sous François Ier, premier roi de la Renaissance, on compte que moins de 10% de la population parle le français, et qu'une poignée d'entre eux seulement savent l'écrire. L'immense diversité des langues fait que le pouvoir du roi est mal compris et peu, ou mal, appliqué. D'où ce premier acte fondateur: l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui décrète que le français seul sera la langue de l'administration et de la justice. Cette ordonnance crée le premier rapprochement entre langue et pouvoir. Preuve de son importance capitale, l'ordonnance de Villers-Cotterêts est la plus ancienne loi citée encore de nos jours dans les tribunaux français.</p> <p>Cette loi crée toutefois autant de problèmes qu'elle en résout. Car s'il est décidé que le français seul exprimera la volonté royale, on ne sait pas de quel français il s'agit. C'est ainsi que va naître une querelle acharnée, qui dure encore de nos jours, sur la forme que doit adopter notre langue. Dès le XVIème siècle, les savants se divisent en deux camps opposés: les phonétistes, et les étymologistes. Pour les premiers, il faut continuer comme on l'a fait jusqu’alors et écrire comme on parle. C'est la pratique dominante, autrefois comme aujourd'hui, et notamment la pratique des latins et des grecs. Mais les étymologistes adoptent un point de vue très différent et, disons-le, bizarre.</p> <p>Ce sont les poètes tels que du Bellay et sa <em>Défense et illustration de la langue française</em> qui vont former notre orthographe. A cette époque, la France redécouvre son passé gréco-romain, une appellation fautive mais qui s'est imposée. A bien des aspects, la Renaissance est un retour à un passé fantasmé. Délaissant le style gothique, on met soudain des colonnes doriques et des statues du panthéon partout. De leur côté les intellectuels soumettent la langue au même exercice. Ils vont appeler leur invention «orthographe ancienne», comme si celle-ci était fidèle à l'orthographe romaine quand bien même elle est imaginée de toutes pièces. Le k est remplacé par qu pour tous les mots supposés venir du latin – <em>Kan</em> devient quand, <em>kel</em> devient quel, etc; on transforme les f en ph et les t en th lorsque le mot est supposé venir du grec, jusque dans nénuphar qui pourtant nous vient du persan; on écrit <em>ils faisaient</em>, car il vient de <em>fecerunt</em>, un mot qui désormais compte neuf lettres pour quatre sons, et deux fois le doublon <em>ai</em> – car il se fonde sur verbe <em>facere</em> – se trouve prononcé différemment.</p> <p>L'une des clés de cette orthographe consistant à imaginer une continuité entre le français et le latin, la décision a été prise de ne rajouter aucune lettre. Pourtant les sons avaient beaucoup évolué depuis l'empire romain. Les apports germaniques nous ont par exemple donné les <em>on</em>, <em>an</em>, <em>un</em>, <em>oin</em>, etc. Tous ces sons auraient pu être transcrits par une seule lettre. 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La difficulté de l'orthographe française ne relève pas du hasard. Elle révèle des phénomènes beaucoup plus profonds.</p> <p>L'orthographe étymologique a donc fini par s'imposer contre le français phonétique de la «pauvre orthographe», comme le raillait du Bellay. Encore faut-il s'assurer de l'uniformité de la langue à travers le royaume. L'initiative est prise par le cardinal de Richelieu en 1635, avec la création de l'Académie française. Etonnante institution linguistique qui, depuis bientôt quatre siècles, ne compte pas un seul linguiste dans ses rangs. Car la volonté de Richelieu n'est pas linguistique, mais politique. Il s'agit de s'assurer que la langue du roi soit respectée autant que ses lois, et que les intellectuels du royaume soient les obligés du monarque. Dès le début, l'Académie remplace son absence de but précis par du prestige. Sans aucun pouvoir réel, elle n'en a pas moins une grande puissance. On raille volontiers les Immortels, leurs privilèges ou leur âge. Pourtant, de la même manière que l'ordonnance de Villers-Cotterêts est la plus ancienne loi encore citée en France aujourd'hui, l'Académie est la plus ancienne institution à avoir survécu – intacte! – à la Révolution. Son rôle n'a jamais été prévu pour être cette supposée police de la langue qu'on a souvent moquée. Elle a été placée sous la protection du roi, des empereurs et désormais des présidents. Comme un Vatican ou une antique dynastie monarchique, l'Académie est pleine de vieilles traditions obscures, de costumes étranges, de mystères et de pompe. Dans la France du XXIème siècle, elle est la dernière expression physique d'une forme de continuité entre la France de l'Ancien régime et la République. C'est précisément son inutilité pratique qui lui confère sa dignité. En tant que temple de la langue, l'Académie est la gardienne de l'unité française.</p> <p>Lentement mais sûrement, la langue devient ainsi un des dénominateurs de la nation et l'un des piliers de l'absolutisme. Le roi en personne se manifeste à travers sa politique linguistique que couronne l'Académie, revêtue de sa toute-puissance pour unifier l'usage de la langue, de <em>sa </em>langue. A l'unification <em>par</em> la langue, décidée à Villers-Cotterêts, succède l'unification <em>de</em> la langue, décidée par l'établissement de l'Académie. Ces unifications successives permettent plus qu'elles ne reflètent l'unification de la nation même.</p> <p>A la cour de Versailles, les poètes et les dramaturges, souvent académiciens eux-mêmes, donc obligés du roi, vont se charger de donner à la langue tout son prestige. C'est de cette époque que date la transformation définitive du vieux français en notre français actuel, notamment depuis la publication du dictionnaire de 1740. Cette époque aura donc fixé les canons de l'architecture, des arts et de la langue. On peut difficilement lire Ronsard dans le texte, mais pour Molière ou Diderot on ne rencontre pas un problème.</p> <p>La cour des Bourbons, avec ses codes particulièrement rigides, même pour l'époque, contribue lentement à inscrire dans la langue une dimension qui, elle aussi, n'a fait que se renforcer avec l'âge: celle de sélection sociale. On n'est pas accepté si on ne parle pas correctement le français, un accent provincial vous exclut de toute fonction sérieuse, et la maîtrise de la langue assure la gloire même aux roturiers. La difficulté qu'avaient inscrite dans l'orthographe les linguistes du XVIème siècle se transforme alors presque en code secret. La langue sert à la fois à répandre le prestige royal, mais également à restreindre l'accès au roi et à la cour. Cette fonction sélective ne connaît pas la crise. Les élites françaises sont encore largement choisies de nos jours selon des critères linguistiques.</p> <p>Nous voilà juste avant la Révolution. 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Et comme il n'existe plus ni roi, ni dieu pour se faire respecter, les législateurs vont considérablement accentuer la notion de la langue en tant qu'expression du pouvoir, jusqu'à en faire un pouvoir en tant que tel.</p> <p>Cette nouvelle politique est résumée dans le <em>Rapport et projet de décret sur l'organisation des écoles primaires </em>de 1791 qui stipule «que la langue française devienne en peu de temps la langue familière de toutes les parties de la République». A une époque où seuls 15 ou 20% de la population parle cette langue, il faut imaginer la violence de cette ambition. Talleyrand, dans son <em>Rapport sur l'instruction publique</em>, propose de «chasser cette foule de dialectes corrompus, derniers vestiges de la féodalité». En 1794, Barère de Vieuzac rédige un <em>Rapport du Comité de salut public sur les idiomes</em>: «L'idiome appelé bas-breton, l'idiome basque, les langues allemande et italienne ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la domination des prêtres, des nobles et des praticiens, empêché la révolution de pénétrer dans neuf départements importants, et peuvent favoriser les ennemis de la France». Et de conclure: «Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l'émigration et la haine de la République parlent allemand; la contre-révolution parle l'italien, et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreur». 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Ramuz qui affirme simplement: «La France, c'est une langue».</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'pourquoi-notre-orthographe-est-si-terriblement-compliquee', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 53, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5249, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'L'embarras de nos enterrements', 'subtitle' => 'Mon père aimait les rites. 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Pour bien marquer son intention, il avait également souhaité que la mise en terre soit faite avant le culte, et non après. Le résultat fut tout à fait original. Plus de deux cent personnes avaient fait le voyage, certains des coins les plus reculés du continent, pour assister à l'enterrement d'un homme dont ils ne verraient pas le cercueil, et pour lequel aucune évocation ne serait servie par l'officiant. Cette vaste assistance, que l'amour pour mon père et sa famille avaient déplacée jusque dans cette église, n'a eu droit au final qu'à un culte ordinaire. Un culte excellent, grâce à un pasteur inspiré et une organiste hors pair. Mais un culte ordinaire.</p> <p>Lorsque j'ai pris connaissance des exigences de mon père, j'ai été moins surpris qu'inquiet. Face à une cérémonie si radicalement sobre, certains risqueraient de rester sur leur faim. Au bout de l'expérience, je me suis demandé si mon père n'avait pas eu là une intuition aussi dissidente que salvatrice. Car nos enterrements, libérés des obligations rituelles, semblent s'être quelque peu dispersés en une infinité de variations, aussi stressantes pour les proches que confondantes pour l'assistance. Comme pour les mariages, la disparition de la transcendance ritualisée a pour effet immédiat de reporter toute la cérémonie sur les individus qui se prêtent à l'exercice, jeunes mariés ou défunts. On assiste donc à une surenchère d'arrangements floraux, de chansons, de portraits, de discours et de performances dont le but est de souligner l'individualité humaine et non plus le divin. J'ai par exemple assisté à des funérailles où toute parole avait été bannie au profit d'une suite de chansons choisies par celui qui, dans son cercueil, n'en profiterait même pas. Comme personne ne parlait et que rien d'autre ne nous unissait que d'être assis à écouter des chansons en regardant un cercueil, la chose ressemblait plus à un salle d'attente d'aéroport qu'aux derniers adieux à un être cher. 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Dans un pays où l'Eglise orthodoxe a encore un pouvoir non négligeable et où identité nationale et religion ne font qu'un, les sacrements sont d'une surprenante uniformité. Lors de mon mariage, le pope ne nous avait posé qu'une seule question: voulez-vous la liturgie longue ou courte. Le reste allait de soi et ne nécessitait aucune instruction ou même d'opinion de notre part. Les enterrements sont à la même enseigne. Pour un occidental, la chose peut sembler brutale. Ainsi dans la plupart des cas, on enterre les morts le lendemain du décès. Et comme les gens sont généralement pris de court, on ne s'étend pas trop. En moins de trente minutes, le mort est sous terre ou consumé par le four crématoire. Le pope récite sa liturgie devant la tombe, tandis que des ouvriers en bleu de travail attendent, pelle en main, de la refermer. On ne passe pas une heure sur un banc d'église à essuyer ses larmes, à conforter ses voisins et à écouter les éloges de celui-ci ou de celle-là. Riche ou pauvre, on se retrouve dans une chapelle, on pleure un bon coup, on enterre vite le mort et on sort dans le désordre pour aller boire une bière et manger du porc grillé.</p> <p>En Suisse et en Occident d'une manière générale, la mort est devenue insupportable, alors on l'escamote. En Serbie comme dans beaucoup des pays anciennement communistes, la mort est encore présente dans le quotidien des gens. On imprime des petites annonces bordées de noir que l'on colle sur les portes des immeubles où vivait la personne décédée. C'est ainsi que j'ai appris qu'une de mes voisines avait atteint l'âge de 109 ans. Les personnes épinglent souvent un badge rectangulaire noir sur leur chemise pour indiquer qu'elles portent le deuil d'un être cher. Quarante jours après le décès, on se retrouve à nouveau pour une célébration et une collation animée. Et les collations qui suivent un enterrement ne se réduisent pas à quelques cacahuètes et un verre de vin, ce sont de véritables festins où l'on se lâche tout à fait. Ici la mort et l'amour sont encore tout à fait ritualisés. Cette apparente banalité et cette uniformité permettent aux proches de se libérer d'une quantité de questions impossibles et de décisions complexes. Que survienne un décès et tout le monde passe en pilote automatique et peut ainsi se concentrer sur l'essentiel et non sur les détails.</p> <p>Mon père aurait probablement apprécié ces manières simples et répétitives. N'étant pas du tout d'un naturel timide, son choix d'une ritualisation stricte aurait pu surprendre. On aurait pu attendre de lui qu'il fasse éclater l'ouverture de Tannhäuser ou qu'il ait convié un orchestre philharmonique pour nous offrir l'Adagietto de Mahler sur l'esplanade. Mais en sortant de la cérémonie il m'est apparu que, peut-être, il visait bien plus haut que quelques flatteries post-mortem. En nous imposant un culte ordinaire et en s'effaçant complètement derrière le rite funéraire, mon père suggérait – je ne peux pas prétendre le savoir – qu'en escamotant son individualité, il participait à quelque chose de bien plus conséquent, qui lui offrait sa place dans la continuité d'une tradition et le sublimait très au-dessus des contingences immédiates de sa vie concrète. Cette attitude met l'accent sur les institutions et les traditions humaines et relègue les questions métaphysiques au second plan. On ne s'intéressait pas, ni à l'enterrement de mon père, ni dans les enterrements serbes, à l'existence de dieu ou à la vie après la mort. L'important, c'est d'en entendre les récits d'usage, selon les rites.</p> <p>Peut-être qu'une épure serait bienvenue dans nos enterrements. Pas un retour au passé systématique, pas non plus d'approches froides et administratives. 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Les derniers fêtards de Halloween, hagards et le maquillage défait, déambulaient sans but dans les couloirs. J'attendais le premier train en direction de l'aéroport de Genève. Une jeune femme s'est approchée de moi et m'a demandé dans un anglais hésitant si c'était le bon train. Dans la trentaine, elle avait une longue chevelure blond platine, un maquillage impeccable, une bouche refaite, des bottines à talons, une robe en laine moulante, un chapeau de cow-boy et de longs ongles peints. Cette apparence détonnait avec la fillette de cinq ans qui l'accompagnait, et avec son ventre rebondi de femme enceinte de plusieurs mois. J'en ai rapidement déduit qu'elle se rendait, comme moi, à Belgrade.</p> <p>Durant le trajet qui nous menait à Cointrin, comme le train était vide, nous avons fait connaissance. Cette jeune mère vit dans une grande ville au sud de Belgrade et vient de rendre visite à sa mère qui vit depuis plusieurs années près de Lausanne. Elle a longtemps pensé émigrer en Suisse mais depuis qu'elle est mère, son avis a changé. Elle ne veut pas que ses enfants aient les cheveux bleus et des piercings et des problèmes d'identité sexuelle. De plus, et je lui donne raison, la Serbie est particulièrement sûre, on y vit très bien, et même si le coût de la vie a considérablement augmenté, on est encore très, très loin des prix suisses. Et puis elle ne se fait aucun souci. Les offres de travail bien payé, elle en a autant qu'elle en veut. Car elle est officier supérieur d'infanterie dans l'armée serbe. Et le monde est plein de femmes très riches qui paient très chers les services d'un garde du corps féminin et surentraîné, sans compter qu'elle est également ceinture noire de karaté.</p> <p>Ma vie en Serbie est pleine de rencontres de ce type. C'est-à-dire de gens qui ne vivent pas encore dans la matrice idéologique et médiatique tellement contrainte du monde occidental. Je dis pas encore, mais peut-être devrait-on dire déjà plus, l'avenir nous le dira. Quoiqu'il en soit, ces mondes sont géographiquement proches, mais distants de plusieurs galaxies pour ce qui concerne la manière de penser.</p> <p>Pour ce qui concerne l'élection américaine, mes amis belgradois indiquent par leurs choix une indépendance d'esprit vivifiante. A Belgrade, on peut parler de cette élection librement. En Europe occidentale, dire qu'on est trumpiste est suicidaire d'une part, et prévisible d'autre part. Cela signifie que l'on est soit vieux, soit chrétien, soit conservateur, soit tous les trois. A Belgrade, un nombre considérable de mes amis, et surtout de mes amies, professent plus d'attachement pour Trump que pour Harris. Des jeunes femmes urbaines, sexuellement libérées, éduquées supérieures et athées qui non seulement pensent, mais disent que Trump serait leur choix si elles pouvaient voter. A Lausanne ou à Paris, si l'on fait partie des catégories jeunes, éduquées et urbaines, Kamala n'est pas une évidence, c'est une obligation.</p> <p>Ainsi qu'il s'agisse de Poutine ou de Trump, de la politique des genres, de changement climatique, d'immobilier, de culture pop ou de progrès technologiques, les Serbes ont leur façon de réfléchir et de se positionner sur chaque problème. Ce n'est donc pas massivement pour Trump que les Belgradois se déclarent, mais substantiellement plus qu'à Londres ou Zurich. Autrement dit il n'y a pas dans le comportement belgradois une opposition parfaite ou une symétrie prévisible: il y a une forme d'indépendance et de méfiance vis-à-vis de tout système narratif officiel. Il y a des raisons concrètes à cela, outre les évidences slaves et orthodoxes, qui sont un peu tarte-à-la-crème. Même pour ceux qui sont nés après les années 90, le souvenir de l'éclatement de la Yougoslavie est encore très vif. On ne peut pas sous-estimer l'impact de ce souvenir sur une population. D'une année à l'autre, tout l'univers dans lequel ils avaient été éduqués et formés s'était volatilisé dans le sang et dans les larmes. Sans rentrer ici dans les questions de responsabilité, ces bouleversements ont modifié et formé la manière de penser des générations successives. Une idéologie, renforcée par des décennies d'endoctrinement, un univers de 22 millions d'habitants à la fois très réel et imaginaire, tout cela a été détruit et discrédité en quelques mois seulement. Des millions de gens se retrouvaient soudain exilés dans leur propre pays, entourés de frontières incertaines et de compatriotes désormais étrangers et ennemis. Pis, ils étaient instantanément interdits à la fois de souvenir et d'avenir, le premier étant honteux, le second trop indéfini pour être rêvé. Ceux-là même qui les avaient dirigés depuis des années leur déclaraient maintenant que rien ne pouvait plus être fait pour eux. Qu'après l'échec du Grand Soir et de l'idéologie officielle de Fraternité et Unité, on ne pouvait plus compter que sur soi-même.</p> <p>Depuis donc plus d'un quart de siècle tout ce qui est déclaré, par un gouvernement serbe ou étranger, par un média dominant, par un personnage élu, tout est pris avec un recul <em>a</em> <em>priori</em>. On ne croit rien, en Serbie, avant d'en avoir au moins le début d'une preuve. Les Serbes se sont fait avoir et s'en souviennent. Avant de suivre toutes les modes et d'accepter tous les discours, on prend un peu de recul et on décide pour soi-même et pour ses propres intérêts de ce qui est acceptable ou pas. Toute militaire qu'elle soit, ma compagne de voyage n'en a pas délaissé son jugement. A force de se faire mobiliser des dizaines de fois par le gouvernement serbe en vue d'un affrontement inévitable et décisif avec les forces du Kosovo – qui n'est jamais venu bien sûr – elle a fini par perdre patience et foi. 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Comme si je rendais un chauffeur de taxi coupable de ne pas être Ayrton Senna, ou la bistrotière du coin de la rue de ne pas être Alain Ducasse.</p> <p>Le temps moyen de visite du Louvre est d'environ une heure, snack et achats à la boutique compris. Ce qui signifie que l'écrasante majorité des visiteurs fonce tout droit vers la Joconde, bifurque pour faire coucou à la Vénus de Milo, puis fait une photo, de loin, de la Victoire de Samothrace avant de terminer au magasin de souvenirs pour y acheter des reproductions des bijoux portés par le modèle d'un portrait que l'on n'a pas eu le temps d'admirer. Spotify, l'application de streaming musical suédoise, propose une sélection à la fois gigantesque et minuscule à ses abonnés, dont je suis. Car comme le Louvre, Spotify aspire à l'universel et propose absolument tous les catalogues, de Palestrina au plus jeune rappeur de la côte est. Et comme le Louvre, Spotify ne vend effectivement qu'une partie infinitésimale de son catalogue. 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Caillebotte n'aurait jamais atteint ces hauteurs sans les milliers de peintres impressionnistes qui coexistaient à Montmartre à la fin du XIXème siècle. Personne ne devient un ou une grande artiste dans une solitude complète. Tous les grands noms de l'art sont entourés de myriades d'inconnus qui ont directement contribué à fertiliser ces quelques individus. Et tous les artistes qui ont acquis une renommée universelle font partie de vastes mouvements ou d'écoles qui ont été nourris par des milliers d'artistes anonymes, le plus souvent oubliés – et néanmoins absolument nécessaires.</p> <p>Comme nous ne valorisons plus que les artistes qui sont valorisés par le marché, les autres disparaissent avant même d'avoir livré bataille. Aujourd'hui, aucun peintre ne peut vivre de son art s'il n'est pas entouré par une galerie importante et par des institutions qui justifient des commandes et des subventions conséquentes. Aucun musicien ne peut vivre de son art sans un label puissant qui lui assure des tournées internationales. Aucun écrivain ne peut vivre de son art sans le soutien d'un éditeur réputé qui lui assure des campagnes de promotion dignes de celles que l'on réserve à des marques de vêtements. Les autres, les millions d'autres, sont très vite contraints à l'abandon en rase campagne, avant même d'avoir atteint leurs trente ans. Les conditions économiques de la production artistique sont devenues tellement exigeantes que même le rêve poussiéreux de l'artiste bohème est désormais inaccessible. On voudrait bien crever la faim dans un studio mal chauffé, mais même cela, on ne le peut plus. Alors on devient prof, ou publiciste, ou n'importe quoi pourvu qu'on puisse en vivre.</p> <p>Alors, bien sûr, le talent est une condition nécessaire et les collègues moins talentueux que Paul McCartney ont été oubliés. Mais Matisse, au début de sa carrière, était un mauvais peintre, un artiste sans talent. 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Il était temps pour moi de leur emboîter le pas. De nombreuses raisons justifiaient cette décision, à laquelle je songeais dès le début. Dès le premier jour même.
Le soir du premier vernissage de ma première galerie, je suis rentré chez moi dans un état de dépression totale. C'était en mai 2017. L'espace était un ancien entrepôt de plus de 100 mètres carrés de sol en béton, au bord du Danube, avec de hauts murs blancs et cette touche post-industrielle qui met les amateurs d'art en transe. Ce premier vernissage avait pourtant été un succès retentissant, peut-être même le plus réussi que la ville ait jamais connu. Plus de 600 personnes avaient fait le déplacement, ministres, princes, hommes d'affaires, collectionneurs, les plus belles femmes de la ville, ce qui à Belgrade n'est pas un euphémisme. Toute la soirée, j'avais été interviewés par tous les médias. En une seule soirée, j'avais réussi l'impossible: mettre mon nom sur la carte. Pourtant, vers 23 heures, lorsque je suis rentré chez moi, une anxieuse frustration m'avait envahi. Sur les 600 personnes présentes, dont certaines trônaient au sommet de fortunes considérables, aucune n'avait même demandé le prix des œuvres exposées. Mon instinct me murmurait que j'avais ouvert ma galerie au pire moment possible. J'avais lancé un nouveau Blackberry juste au moment de la sortie de l'iPhone. Ce modèle économique, qui existait sous cette forme depuis quelques décennies, montrait déjà des signes alarmants de déliquescence. Et ce soir-là j'ai compris, comme je le craignais déjà, que j'étais condamné à tenir un commerce avec la certitude statistique que je perdrais de l'argent.
Mais je n'ai pas perdu espoir tout de suite. Quelques semaines après l'ouverture, j'ai vendu quelques grands formats, ce qui m'a hélas redonné du courage. Puis j'ai ouvert un nouvel espace, bien plus petit, au centre de la ville. Très vite, j'ai toutefois observé que, même en maintenant les frais de fonctionnement au strict de minimum, les revenus stagnaient. A peu près à la même époque, j'ai commencé à vendre via des plateformes en ligne comme artsy.com et par Instagram. La part des ventes en galerie était encore dominante, mais la tendance favorisait nettement les ventes en ligne. Il était clair que cette tendance rendrait tôt ou tard un espace physique redondant. Il m'a fallu pourtant encore quelque temps pour me défaire de toute illusion. Ce qui commençait par tenter de comprendre les dynamiques étranges et contradictoires qui régissent le fonctionnement d'une galerie.
Gérer une galerie d'art, en effet, ne se résume pas à vendre pour réaliser un profit, du moins pas d'une manière conventionnelle. Il faut investir dans l'espace et dans l'artiste, prouver que l'on suit une sélection vraiment personnelle et produire des expositions de qualité. En tant que galeriste votre premier devoir est envers vos artistes, et seulement ensuite envers vos clients. Ce sont les artistes que vous sélectionnez qui font votre réputation, qui attirent dans votre galerie une certaine clientèle et qui la fidélisent. Si vous traitez vos artistes avec négligence, si votre sélection manque de cohérence, autant vendre des pelotes de laine ou des cuillères à café.
Le premier devoir étant envers l'artiste, il est naturellement crucial de pouvoir gagner sa vie pour lui et, comme c'est de plus en plus le cas pour les jeunes artistes, pour elle. Certains artistes vendent facilement, d'autres non, certains ne vendent même jamais. Il faut éliminer progressivement les artistes qui ne vendent pas, encourager et parler souvent avec ceux qui peuvent vendre plus, entretenir la confiance avec ceux qui vendent bien. Et tout le temps il faut chercher de nouveaux artistes, les rencontrer, visiter leurs studios, établir une véritable relation avec eux. C'est la plus excitante et la plus gratifiante partie du travail. Et même s'il ne s'agit pas d'une entreprise commerciale conventionnelle, elle ne fonctionnera pas si elle subit constamment des pertes. Voilà ce qui me passait par la tête, assis tout seul derrière mon petit bureau, jour après jour, dans ma belle galerie, écoutant mes propres pensées rebondir sur les murs dans le silence de mort de l'après-midi. De simples calculs indiquaient que je ne pourrais pas à la fois maintenir un espace physique, avec tous les coûts que cela implique, et atteindre le seuil de rentabilité. Il est bien révolu, en effet, le temps où un galeriste dans une ville française ou italienne de troisième rang pouvait se garantir un style de vie très confortable, sans parler de New York ou de Londres.
La pression sur les galeries des métropoles européennes et américaines est intenable depuis plusieurs années déjà, les coûts fixes absorbant toute les marges et au-delà. Avant même le Covid19, entre 2015 et 2020, vingt-deux galeries ont dû fermer rien qu'à Zurich, une ville remplie de gens riches, éduqués et amateurs d'art. A Bâle, capitale mondiale de l'art contemporain grâce à la foire Art Basel, une seule authentique galerie subsiste, mais à perte, et pour combien de temps encore? Récemment, moins de cinq minutes après avoir pénétré dans cette galerie d'art parisienne flambant neuve, sa propriétaire m'a rassuré sans ambages: «Bien sûr, je ne fais pas de profit». Bien sûr. La crise de 2008 a causé, selon certaines estimations, la fermeture de 30% des galeries dans le monde entier. L'accélération de la transition vers le commerce en ligne, l'explosion des coûts de l'immobilier et la pandémie de 2020 ont fait le reste. C'est tout un business model qui fonce en piqué vers le sol. Pourtant on n'en parle que dans les pages des magasines spécialisés, sans jamais dire les choses franchement, sans citer de noms ou de chiffres, comme on parlait autrefois de la syphilis ou du divorce. Pour ne rien arranger, l'explosion du commerce en ligne et l'irruption des NFT, un sujet connexe qui nécessiterait plusieurs articles, encouragent les jeunes artistes à changer, et plus souvent encore à quitter simplement leur galerie et à vendre sans passer par des intermédiaires.
Comme cela s'observe sur tous les segments de l'économie, ces évolutions ne profitent qu'aux très grands et épargnent les très petits, mais fauchent sans pitié tous ceux qui les séparent, c'est-à-dire l'écrasante majorité des acteurs du marché. Les méga-galeries comme Gagosian, Hauser & Wirth, Pace, Lehmann Maupin ou David Zwirner, qui possèdent des espaces dans le monde entier et qui courtisent les milliardaires, ouvrent désormais des espaces hors des capitales européennes ou américaines qui ont fait leur fortune. De l'aveu même de la galeriste new-yorkaise Dominique Levy, originaire de Lausanne, il ne sert plus à grand chose de maintenir des espaces et de fréquenter les foires en Europe et aux Etats-Unis. L'avenir s'écrit à Hong Kong, Séoul et Tokyo, bientôt peut-être aussi Mumbai ou Kuala Lumpur. Mais aussi à Gstaad, St Moritz, Ibiza, Porto Cervo, Aspen, c'est-à-dire les lieux de villégiature des super-riches, où ils font exploser les records de vente. De nouveaux acheteurs arrivent en masse, venus d'ailleurs, avec d'autres goûts et d'autres horizons culturels. En 2021, la maison d'enchères Christie's comptait que, parmi ses acheteurs, 54% d'entre eux en étaient à leur premier achat. Ceux-ci, essentiellement venus d'Asie, plus jeunes et plus mobiles, ne visitent plus les galeries mais surfent sur les plateformes numériques, achètent à distance et revendent à un rythme bien plus élevé qu'autrefois. Ils se concentrent sur l'art ultra-contemporain, c'est-à-dire sur les artistes de moins de 40 ans, et ne montrent pratiquement aucun intérêt pour l'art moderne ou pour pour les grands maîtres, dont les cotes s'effondrent. Un portrait du Greco peine à atteindre les deux millions, tandis que le premier NFT de Beeple (né en 1981) est parti pour 69 millions. Les œuvres échangées sont rarement exposées et passent de longues périodes dans les port-francs. Les méga-yachts sont également en train de devenir des lieux d'exposition pour des tableaux à millions de dollars. Ceux-ci présentent le double avantage d'être détaxés et entièrement sécurisés. Cela se fait parfois au prix d'étonnants sacrifices: on rabote un Pollock pour le faire passer dans la master bedroom, on expose un Rothko horizontalement pour éviter de telles extrémités, ou bien on garnit les toilettes de l'équipage d'une petite huile de Lucian Freud.
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Il existe plusieurs facteurs aggravants qui accélèrent cette disparition. D'abord il y a la concurrence acharnée des maisons d'enchères. Au tournant du millénaire, celles-ci, qui traditionnellement ne commerçaient que sur le marché des grands maîtres, constatant l'énormité des profits réalisés par les marchands d'art contemporain, ont décidé de s'intéresser à ce marché. Or les maisons d'enchères bénéficient d'avantages concurrentiels majeurs sur les galeries. Elles existent, pour les plus importantes d'entre elles, depuis environ deux siècles et sont implantées dans le monde entier. Elles sont actives sur des segments variés entre lesquels circulent et se multiplient les acheteurs: art, antiquités, vins, bijoux et montres, voitures, et désormais aussi immobilier. Elles ont des adresses, des carnets de clients et des réputations qui font saliver même les plus grandes galeries. Enfin, et l'argument est essentiel, elles pratiquent une transparence (presque!) complète sur les prix de vente. C'est l'une des critiques récurrentes qui a été faite contre les galeries: l'opacité des prix et des pratiques de vente. Tandis que les maisons d'enchères indiquent l'estimation et le prix final, les galeries ont trop souvent manœuvré dans la pénombre, gardant le prix final caché des artistes eux-mêmes, mais aussi des autres acheteurs, se ménageant ainsi des commissions ridiculement excessives.
Aujourd'hui Sotheby's, Christie's, Bonham's et Phillips ont largement dépassé en volume de vente les galeries et dominent ainsi la totalité du marché de l'art, des antiquités aux ultra-contemporains. Tandis que les méga-galeries tentent, vainement bien entendu, de faire de l'ombre aux maisons d'enchères en vendant des Picasso et des Schiele dans les foires d'art contemporain. Ajoutons à cela l'arrogance inouïe avec laquelle les galeries se sont comportées pendant des décennies, à l'égard des artistes autant qu'à celui des visiteurs, et le résultat semble logique.
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Il est bien révolu, en effet, le temps où un galeriste dans une ville française ou italienne de troisième rang pouvait se garantir un style de vie très confortable, sans parler de New York ou de Londres. </p> <p>La pression sur les galeries des métropoles européennes et américaines est intenable depuis plusieurs années déjà, les coûts fixes absorbant toute les marges et au-delà. Avant même le Covid19, entre 2015 et 2020, vingt-deux galeries ont dû fermer rien qu'à Zurich, une ville remplie de gens riches, éduqués et amateurs d'art. A Bâle, capitale mondiale de l'art contemporain grâce à la foire Art Basel, une seule authentique galerie subsiste, mais à perte, et pour combien de temps encore? Récemment, moins de cinq minutes après avoir pénétré dans cette galerie d'art parisienne flambant neuve, sa propriétaire m'a rassuré sans ambages: «Bien sûr, je ne fais pas de profit». Bien sûr. La crise de 2008 a causé, selon certaines estimations, la fermeture de 30% des galeries dans le monde entier. L'accélération de la transition vers le commerce en ligne, l'explosion des coûts de l'immobilier et la pandémie de 2020 ont fait le reste. C'est tout un <em>business model</em> qui fonce en piqué vers le sol. Pourtant on n'en parle que dans les pages des magasines spécialisés, sans jamais dire les choses franchement, sans citer de noms ou de chiffres, comme on parlait autrefois de la syphilis ou du divorce. Pour ne rien arranger, l'explosion du commerce en ligne et l'irruption des NFT, un sujet connexe qui nécessiterait plusieurs articles, encouragent les jeunes artistes à changer, et plus souvent encore à quitter simplement leur galerie et à vendre sans passer par des intermédiaires.</p> <p>Comme cela s'observe sur tous les segments de l'économie, ces évolutions ne profitent qu'aux très grands et épargnent les très petits, mais fauchent sans pitié tous ceux qui les séparent, c'est-à-dire l'écrasante majorité des acteurs du marché. Les méga-galeries comme Gagosian, Hauser & Wirth, Pace, Lehmann Maupin ou David Zwirner, qui possèdent des espaces dans le monde entier et qui courtisent les milliardaires, ouvrent désormais des espaces hors des capitales européennes ou américaines qui ont fait leur fortune. De l'aveu même de la galeriste new-yorkaise Dominique Levy, originaire de Lausanne, il ne sert plus à grand chose de maintenir des espaces et de fréquenter les foires en Europe et aux Etats-Unis. L'avenir s'écrit à Hong Kong, Séoul et Tokyo, bientôt peut-être aussi Mumbai ou Kuala Lumpur. Mais aussi à Gstaad, St Moritz, Ibiza, Porto Cervo, Aspen, c'est-à-dire les lieux de villégiature des super-riches, où ils font exploser les records de vente. De nouveaux acheteurs arrivent en masse, venus d'ailleurs, avec d'autres goûts et d'autres horizons culturels. En 2021, la maison d'enchères Christie's comptait que, parmi ses acheteurs, 54% d'entre eux en étaient à leur premier achat. Ceux-ci, essentiellement venus d'Asie, plus jeunes et plus mobiles, ne visitent plus les galeries mais surfent sur les plateformes numériques, achètent à distance et revendent à un rythme bien plus élevé qu'autrefois. Ils se concentrent sur l'art ultra-contemporain, c'est-à-dire sur les artistes de moins de 40 ans, et ne montrent pratiquement aucun intérêt pour l'art moderne ou pour pour les grands maîtres, dont les cotes s'effondrent. Un portrait du Greco peine à atteindre les deux millions, tandis que le premier NFT de Beeple (né en 1981) est parti pour 69 millions. Les œuvres échangées sont rarement exposées et passent de longues périodes dans les port-francs. Les méga-yachts sont également en train de devenir des lieux d'exposition pour des tableaux à millions de dollars. Ceux-ci présentent le double avantage d'être détaxés et entièrement sécurisés. Cela se fait parfois au prix d'étonnants sacrifices: on rabote un Pollock pour le faire passer dans la <i>master bedroom</i>, on expose un Rothko horizontalement pour éviter de telles extrémités, ou bien on garnit les toilettes de l'équipage d'une petite huile de Lucian Freud.</p> <p>Le marché l'indique ainsi sans doute possible: la galerie, en tant qu'espace physique de taille moyenne et active localement, est parvenue au bout de son cycle. On pourrait se lamenter de ces évolutions, regretter le joli temps des vernissages, des balades à travers les couloirs d'Art Basel à pouffer de rire en regardant les tenues d'excentriques milliardaires. Pourtant la galerie n'est pas un fait éternel dans le monde de l'art. Elle est une invention new yorkaise de l'après-guerre, rendue nécessaire par une scène artistique en pleine ébullition au moment même où explosaient la société de consommation et les grandes surfaces. Avant cela, on découvrait le travail des artistes essentiellement chez leurs commanditaires et leurs protecteurs, princes, évêques ou marchands, et puis dès le XIXème siècle dans les salons. Au début du XXème siècle, les grands marchands tels que Vollard, Durand-Ruel ou Seligmann ont institué le rituel de découvrir le travail d'un artiste contemporain dans leur résidence, à l'occasion d'une petite fête privée, établissant peu à peu les fondements d'un authentique marché. La galerie d'art contemporain telle que nous la connaissons est donc une invention relativement récente, que les évolutions technologiques et les habitudes rendent rapidement obsolète.</p> <p>Il existe plusieurs facteurs aggravants qui accélèrent cette disparition. D'abord il y a la concurrence acharnée des maisons d'enchères. Au tournant du millénaire, celles-ci, qui traditionnellement ne commerçaient que sur le marché des grands maîtres, constatant l'énormité des profits réalisés par les marchands d'art contemporain, ont décidé de s'intéresser à ce marché. Or les maisons d'enchères bénéficient d'avantages concurrentiels majeurs sur les galeries. Elles existent, pour les plus importantes d'entre elles, depuis environ deux siècles et sont implantées dans le monde entier. Elles sont actives sur des segments variés entre lesquels circulent et se multiplient les acheteurs: art, antiquités, vins, bijoux et montres, voitures, et désormais aussi immobilier. Elles ont des adresses, des carnets de clients et des réputations qui font saliver même les plus grandes galeries. Enfin, et l'argument est essentiel, elles pratiquent une transparence (presque!) complète sur les prix de vente. C'est l'une des critiques récurrentes qui a été faite contre les galeries: l'opacité des prix et des pratiques de vente. Tandis que les maisons d'enchères indiquent l'estimation et le prix final, les galeries ont trop souvent manœuvré dans la pénombre, gardant le prix final caché des artistes eux-mêmes, mais aussi des autres acheteurs, se ménageant ainsi des commissions ridiculement excessives.</p> <p>Aujourd'hui Sotheby's, Christie's, Bonham's et Phillips ont largement dépassé en volume de vente les galeries et dominent ainsi la totalité du marché de l'art, des antiquités aux ultra-contemporains. Tandis que les méga-galeries tentent, vainement bien entendu, de faire de l'ombre aux maisons d'enchères en vendant des Picasso et des Schiele dans les foires d'art contemporain. Ajoutons à cela l'arrogance inouïe avec laquelle les galeries se sont comportées pendant des décennies, à l'égard des artistes autant qu'à celui des visiteurs, et le résultat semble logique.</p> <p>Ce résultat, je l'ai fait mien de tout cœur et j'ai fermé, sans aucun regret, mon propre espace, jurant de ne jamais en ouvrir un autre. De quoi l'avenir sera fait? C'est bien évidemment la question que tout le monde se pose et à laquelle il n'existe pas de réponse évidente. Internet s'impose comme l'espace dominant des échanges, mais beaucoup de questions annexes – et passionnantes – restent ouvertes. L'art contemporain restera-t-il le premier des marchés de l'art? Les grands maîtres reviendront-ils au goût du jour? La production d'art, en constante augmentation, menace-t-elle le marché d'étouffement? La valeur des géants d'aujourd'hui – Koons, Kaws, Ruscha, Wool – va-t-elle se maintenir, ou alors doit-on comprendre que l'effondrement de la cote de Damien Hirst (-84% depuis 2011) est annonciatrice de modifications radicales? Je n'ai aucune certitude et demeure optimiste et prudent. J'organise des expos entre Belgrade, New York et Zurich et continue de croître et de prospérer en ligne. 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En 2009, lors d'une dictée imposée à 1'348 enfants français de seconde, deux tiers d'entre eux ont obtenu un zéro. 14% seulement ont eu la moyenne. Dit autrement, les francophones dans leur majorité ne maîtrisent pas leur langue à l'écrit. Pourtant la dictée est un véritable sport national: on en a organisé une en 2018 au stade de France.</p> <p>Les enfants de 2024 savent parfaitement parler mais font, en moyenne, deux fois plus de fautes que ceux de 1985. On se demande toujours comment améliorer la situation, trop rarement comment on est arrivé à ce lamentable état des choses. Pourtant un constat avait été fait en 1783 déjà, sous la plume de Rivarol dans son <em>Discours sur l'universalité de la langue française</em>: «On se fit une langue écrite et une langue parlée, et ce divorce de l'orthographe et de la prononciation dure encore». Il existe donc un divorce au cœur même de notre langue. On en apprend deux: une langue parlée et une langue une écrite, tout à fait distinctes l'une de l'autre. Ce qui explique <em>pourquoi </em>la dictée est un enfer, mais pas <em>comment</em> elle l'est devenue.</p> <p>Comment est-il possible que nous soyons incapables de maîtriser notre propre langue à l'écrit? Pour commencer, il faut remonter un peu le cours du temps. Langue latine, le français a évolué du bas-latin et s'est ensuite mâtiné de langues germaniques pour parvenir à ce langage qu'on parlait dans le bassin parisien à la fin du Moyen-Age. On le parlait, on ne l'écrivait presque pas. Pour l'écriture on se servait d'un latin bâtardisé et déjà criblé de mots français. Le français n'était rien d'autre que le patois parisien, c'était par conséquent la langue du roi. On l'écrivait phonétiquement, presque sans règle. Dans la chanson de Roland, écrite il y a mille ans, on écrit <em>fer</em> ou <em>fere</em> pour faire, <em>ki</em> pour qui, <em>e</em> pour et, <em>hom</em> pour hommes. Sous François Ier, premier roi de la Renaissance, on compte que moins de 10% de la population parle le français, et qu'une poignée d'entre eux seulement savent l'écrire. L'immense diversité des langues fait que le pouvoir du roi est mal compris et peu, ou mal, appliqué. D'où ce premier acte fondateur: l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui décrète que le français seul sera la langue de l'administration et de la justice. Cette ordonnance crée le premier rapprochement entre langue et pouvoir. Preuve de son importance capitale, l'ordonnance de Villers-Cotterêts est la plus ancienne loi citée encore de nos jours dans les tribunaux français.</p> <p>Cette loi crée toutefois autant de problèmes qu'elle en résout. Car s'il est décidé que le français seul exprimera la volonté royale, on ne sait pas de quel français il s'agit. C'est ainsi que va naître une querelle acharnée, qui dure encore de nos jours, sur la forme que doit adopter notre langue. Dès le XVIème siècle, les savants se divisent en deux camps opposés: les phonétistes, et les étymologistes. Pour les premiers, il faut continuer comme on l'a fait jusqu’alors et écrire comme on parle. C'est la pratique dominante, autrefois comme aujourd'hui, et notamment la pratique des latins et des grecs. Mais les étymologistes adoptent un point de vue très différent et, disons-le, bizarre.</p> <p>Ce sont les poètes tels que du Bellay et sa <em>Défense et illustration de la langue française</em> qui vont former notre orthographe. A cette époque, la France redécouvre son passé gréco-romain, une appellation fautive mais qui s'est imposée. A bien des aspects, la Renaissance est un retour à un passé fantasmé. Délaissant le style gothique, on met soudain des colonnes doriques et des statues du panthéon partout. De leur côté les intellectuels soumettent la langue au même exercice. Ils vont appeler leur invention «orthographe ancienne», comme si celle-ci était fidèle à l'orthographe romaine quand bien même elle est imaginée de toutes pièces. Le k est remplacé par qu pour tous les mots supposés venir du latin – <em>Kan</em> devient quand, <em>kel</em> devient quel, etc; on transforme les f en ph et les t en th lorsque le mot est supposé venir du grec, jusque dans nénuphar qui pourtant nous vient du persan; on écrit <em>ils faisaient</em>, car il vient de <em>fecerunt</em>, un mot qui désormais compte neuf lettres pour quatre sons, et deux fois le doublon <em>ai</em> – car il se fonde sur verbe <em>facere</em> – se trouve prononcé différemment.</p> <p>L'une des clés de cette orthographe consistant à imaginer une continuité entre le français et le latin, la décision a été prise de ne rajouter aucune lettre. Pourtant les sons avaient beaucoup évolué depuis l'empire romain. Les apports germaniques nous ont par exemple donné les <em>on</em>, <em>an</em>, <em>un</em>, <em>oin</em>, etc. Tous ces sons auraient pu être transcrits par une seule lettre. Au lieu de cela, les poètes de la Renaissance créent des doublons, qui n'ont même pas tous la même valeur. Ainsi les sons <em>an</em> et <em>un</em> vont s'écrire de plusieurs façons, selon l'origine du mot: on écrit <em>lundi</em> à cause de la lune, mais <em>main</em> à cause de <em>manus</em>.</p> <p>Il faut donc bien s'imprégner de cette réalité: notre orthographe n'est pas compliquée à cause de son âge, elle est compliquée parce que certains l'ont voulue ainsi. Ce divorce entre langue orale et écrite était prévu. Rivarol avait raison.</p> <p>A la question de savoir si une réforme profonde de l'orthographe était nécessaire, 98% des répondants à un sondage récent s'y opposaient vivement. Et c'est ce paradoxe qui est le plus étonnant: tout le monde ou presque rencontre des difficultés importantes avec l'orthographe, on gaspille des milliers d'heures précieuses dans les écoles presque en pure perte, mais personne ou presque ne souhaite y apporter de solutions. La difficulté de l'orthographe française ne relève pas du hasard. Elle révèle des phénomènes beaucoup plus profonds.</p> <p>L'orthographe étymologique a donc fini par s'imposer contre le français phonétique de la «pauvre orthographe», comme le raillait du Bellay. Encore faut-il s'assurer de l'uniformité de la langue à travers le royaume. L'initiative est prise par le cardinal de Richelieu en 1635, avec la création de l'Académie française. Etonnante institution linguistique qui, depuis bientôt quatre siècles, ne compte pas un seul linguiste dans ses rangs. Car la volonté de Richelieu n'est pas linguistique, mais politique. Il s'agit de s'assurer que la langue du roi soit respectée autant que ses lois, et que les intellectuels du royaume soient les obligés du monarque. Dès le début, l'Académie remplace son absence de but précis par du prestige. Sans aucun pouvoir réel, elle n'en a pas moins une grande puissance. On raille volontiers les Immortels, leurs privilèges ou leur âge. Pourtant, de la même manière que l'ordonnance de Villers-Cotterêts est la plus ancienne loi encore citée en France aujourd'hui, l'Académie est la plus ancienne institution à avoir survécu – intacte! – à la Révolution. Son rôle n'a jamais été prévu pour être cette supposée police de la langue qu'on a souvent moquée. Elle a été placée sous la protection du roi, des empereurs et désormais des présidents. Comme un Vatican ou une antique dynastie monarchique, l'Académie est pleine de vieilles traditions obscures, de costumes étranges, de mystères et de pompe. Dans la France du XXIème siècle, elle est la dernière expression physique d'une forme de continuité entre la France de l'Ancien régime et la République. C'est précisément son inutilité pratique qui lui confère sa dignité. En tant que temple de la langue, l'Académie est la gardienne de l'unité française.</p> <p>Lentement mais sûrement, la langue devient ainsi un des dénominateurs de la nation et l'un des piliers de l'absolutisme. Le roi en personne se manifeste à travers sa politique linguistique que couronne l'Académie, revêtue de sa toute-puissance pour unifier l'usage de la langue, de <em>sa </em>langue. A l'unification <em>par</em> la langue, décidée à Villers-Cotterêts, succède l'unification <em>de</em> la langue, décidée par l'établissement de l'Académie. Ces unifications successives permettent plus qu'elles ne reflètent l'unification de la nation même.</p> <p>A la cour de Versailles, les poètes et les dramaturges, souvent académiciens eux-mêmes, donc obligés du roi, vont se charger de donner à la langue tout son prestige. C'est de cette époque que date la transformation définitive du vieux français en notre français actuel, notamment depuis la publication du dictionnaire de 1740. Cette époque aura donc fixé les canons de l'architecture, des arts et de la langue. On peut difficilement lire Ronsard dans le texte, mais pour Molière ou Diderot on ne rencontre pas un problème.</p> <p>La cour des Bourbons, avec ses codes particulièrement rigides, même pour l'époque, contribue lentement à inscrire dans la langue une dimension qui, elle aussi, n'a fait que se renforcer avec l'âge: celle de sélection sociale. On n'est pas accepté si on ne parle pas correctement le français, un accent provincial vous exclut de toute fonction sérieuse, et la maîtrise de la langue assure la gloire même aux roturiers. La difficulté qu'avaient inscrite dans l'orthographe les linguistes du XVIème siècle se transforme alors presque en code secret. La langue sert à la fois à répandre le prestige royal, mais également à restreindre l'accès au roi et à la cour. Cette fonction sélective ne connaît pas la crise. Les élites françaises sont encore largement choisies de nos jours selon des critères linguistiques.</p> <p>Nous voilà juste avant la Révolution. On compte qu'alors environ 3 millions de Français sur 26 parlent le français. Le XVIIIème siècle a consacré le règne des hommes de lettres et des philosophes, les publications se sont multipliées à un rythme sidérant, la cour s'enivre de lectures et de bons mots et de poésie. Mais nous sommes sous l'Ancien régime et la nation, même si elle est déjà en train de changer en profondeur, reste définie par deux critères: le corps du roi, et Dieu qui l'a nommé. En dépit des grands troubles qui émaillent la fin du règne de Louis XV et celui du jeune Louis XVI, ces deux critères sont incontestés sur l'ensemble du territoire.</p> <p>Pour reprendre l'expression de l'historien Jean-Clément Martin, 1789 est «l'histoire d'un échec», en ce que les changements nécessaires et désormais prévisibles de la société auraient encore pu s'effectuer dans une relative douceur. 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Et comme il n'existe plus ni roi, ni dieu pour se faire respecter, les législateurs vont considérablement accentuer la notion de la langue en tant qu'expression du pouvoir, jusqu'à en faire un pouvoir en tant que tel.</p> <p>Cette nouvelle politique est résumée dans le <em>Rapport et projet de décret sur l'organisation des écoles primaires </em>de 1791 qui stipule «que la langue française devienne en peu de temps la langue familière de toutes les parties de la République». A une époque où seuls 15 ou 20% de la population parle cette langue, il faut imaginer la violence de cette ambition. Talleyrand, dans son <em>Rapport sur l'instruction publique</em>, propose de «chasser cette foule de dialectes corrompus, derniers vestiges de la féodalité». En 1794, Barère de Vieuzac rédige un <em>Rapport du Comité de salut public sur les idiomes</em>: «L'idiome appelé bas-breton, l'idiome basque, les langues allemande et italienne ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la domination des prêtres, des nobles et des praticiens, empêché la révolution de pénétrer dans neuf départements importants, et peuvent favoriser les ennemis de la France». Et de conclure: «Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l'émigration et la haine de la République parlent allemand; la contre-révolution parle l'italien, et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreur». En 1794, l'Abbé Grégoire publie son <em>Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française</em>: «On peut uniformer le langage d’une grande nation… Cette entreprise qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale et qui doit être jaloux de consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté.»</p> <p>Il ne s'agit pas seulement d'une langue, il s'agit aussi du peuple qui s'en sert et dont on désire l'uniformisation, par la force si nécessaire. Et les équivalences entre français et République, patois et Ancien régime ont été suffisamment martelées pour devenir des règles.</p> <p>C'est donc pendant la Révolution que naît la politique linguistique moderne, elle-même héritière de la politique royale. La langue devient ainsi la nouvelle incarnation de la nation, en remplacement des incarnations précédentes désormais disparues. D'un royaume encore pleinement plurilingue, on entre dans l'ère du monolinguisme français. En 1994, il sera inscrit dans la Constitution que le français est la seule langue de la République. Les autres langues qui existent encore en France, malgré tout, le corse, le breton ou le provençal, n'ont simplement pas droit de cité. Bourdieu a longuement critiqué cet «impérialisme de l'universel» au nom duquel, depuis la Révolution et surtout depuis la République, on a sciemment anéanti les cultures, les langues et les identités locales pour les fondre dans une république plus uniformisante qu'unifiante.</p> <p>En dépit de ces aspects, peu connus mais établis, il reste que la langue française est devenue, bon gré malgré, un facteur d'unité et probablement bien plus que cela. Les deux siècles qui ont succédé à la Révolution ont vu les Français se lancer dans une telle quantité de coups d'Etat, de révolutions, de guerres, de révoltes et dans une telle variété de régimes qu'on est en droit de se demander comment il est possible que la France existe encore.</p> <p>Que reste-t-il aux Français pour affirmer leur unité, pour incarner leur nation? Le roi est mort, Dieu est mort, et la République est constamment remise en question. Il reste la langue. C'est tout ce qui reste, et c'est immense.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«Langue: se prend aussi quelquefois pour Nation.»</em></h3> <h3 style="text-align: center;"><em>Dictionnaire de l'Académie française, cinquième édition, 1798</em></h3> <hr /> <p>La langue qui, depuis cinq siècles, s'est d'abord constituée, puis s'est structurée, a survécu à tout et s'est lentement imposée à un territoire gigantesque, écrasant toutes les autres sur son passage et unifiant les citoyens derrière elle, malgré tout. 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Pour bien marquer son intention, il avait également souhaité que la mise en terre soit faite avant le culte, et non après. Le résultat fut tout à fait original. Plus de deux cent personnes avaient fait le voyage, certains des coins les plus reculés du continent, pour assister à l'enterrement d'un homme dont ils ne verraient pas le cercueil, et pour lequel aucune évocation ne serait servie par l'officiant. Cette vaste assistance, que l'amour pour mon père et sa famille avaient déplacée jusque dans cette église, n'a eu droit au final qu'à un culte ordinaire. Un culte excellent, grâce à un pasteur inspiré et une organiste hors pair. Mais un culte ordinaire.</p> <p>Lorsque j'ai pris connaissance des exigences de mon père, j'ai été moins surpris qu'inquiet. Face à une cérémonie si radicalement sobre, certains risqueraient de rester sur leur faim. Au bout de l'expérience, je me suis demandé si mon père n'avait pas eu là une intuition aussi dissidente que salvatrice. Car nos enterrements, libérés des obligations rituelles, semblent s'être quelque peu dispersés en une infinité de variations, aussi stressantes pour les proches que confondantes pour l'assistance. Comme pour les mariages, la disparition de la transcendance ritualisée a pour effet immédiat de reporter toute la cérémonie sur les individus qui se prêtent à l'exercice, jeunes mariés ou défunts. On assiste donc à une surenchère d'arrangements floraux, de chansons, de portraits, de discours et de performances dont le but est de souligner l'individualité humaine et non plus le divin. J'ai par exemple assisté à des funérailles où toute parole avait été bannie au profit d'une suite de chansons choisies par celui qui, dans son cercueil, n'en profiterait même pas. Comme personne ne parlait et que rien d'autre ne nous unissait que d'être assis à écouter des chansons en regardant un cercueil, la chose ressemblait plus à un salle d'attente d'aéroport qu'aux derniers adieux à un être cher. 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L'Eglise y réaffirmait son magistère, les cercles sociaux et familiaux y étaient représentés selon leurs hiérarchies et dans l'ordre de succession, et tout cela se passait sans aucune originalité, dans le cadre strict d'une liturgie connue de tous et sans surprise aucune. Sauf exception, la personnalité du défunt importait peu, seul le rite, la société constituée et la continuité de la tradition comptaient. Cela nous semble à bien des égards étouffant et inhumain. Nous sommes devenus allergiques à toute forme de ritualisation formatée. Célébrer un être disparu sans se poser de questions et en ne faisant que suivre le rite liturgique nous semble ainsi presque barbare. Or le service funèbre de mon père m'a appris que cela n'est pas si évident.</p> <p>Il n'y a pas que cela. Je vis en Serbie, où les enterrements n'ont pas encore – mais ça vient – connu ces tendances. Dans un pays où l'Eglise orthodoxe a encore un pouvoir non négligeable et où identité nationale et religion ne font qu'un, les sacrements sont d'une surprenante uniformité. Lors de mon mariage, le pope ne nous avait posé qu'une seule question: voulez-vous la liturgie longue ou courte. Le reste allait de soi et ne nécessitait aucune instruction ou même d'opinion de notre part. Les enterrements sont à la même enseigne. Pour un occidental, la chose peut sembler brutale. Ainsi dans la plupart des cas, on enterre les morts le lendemain du décès. Et comme les gens sont généralement pris de court, on ne s'étend pas trop. En moins de trente minutes, le mort est sous terre ou consumé par le four crématoire. Le pope récite sa liturgie devant la tombe, tandis que des ouvriers en bleu de travail attendent, pelle en main, de la refermer. On ne passe pas une heure sur un banc d'église à essuyer ses larmes, à conforter ses voisins et à écouter les éloges de celui-ci ou de celle-là. Riche ou pauvre, on se retrouve dans une chapelle, on pleure un bon coup, on enterre vite le mort et on sort dans le désordre pour aller boire une bière et manger du porc grillé.</p> <p>En Suisse et en Occident d'une manière générale, la mort est devenue insupportable, alors on l'escamote. En Serbie comme dans beaucoup des pays anciennement communistes, la mort est encore présente dans le quotidien des gens. On imprime des petites annonces bordées de noir que l'on colle sur les portes des immeubles où vivait la personne décédée. C'est ainsi que j'ai appris qu'une de mes voisines avait atteint l'âge de 109 ans. Les personnes épinglent souvent un badge rectangulaire noir sur leur chemise pour indiquer qu'elles portent le deuil d'un être cher. Quarante jours après le décès, on se retrouve à nouveau pour une célébration et une collation animée. Et les collations qui suivent un enterrement ne se réduisent pas à quelques cacahuètes et un verre de vin, ce sont de véritables festins où l'on se lâche tout à fait. Ici la mort et l'amour sont encore tout à fait ritualisés. Cette apparente banalité et cette uniformité permettent aux proches de se libérer d'une quantité de questions impossibles et de décisions complexes. Que survienne un décès et tout le monde passe en pilote automatique et peut ainsi se concentrer sur l'essentiel et non sur les détails.</p> <p>Mon père aurait probablement apprécié ces manières simples et répétitives. N'étant pas du tout d'un naturel timide, son choix d'une ritualisation stricte aurait pu surprendre. On aurait pu attendre de lui qu'il fasse éclater l'ouverture de Tannhäuser ou qu'il ait convié un orchestre philharmonique pour nous offrir l'Adagietto de Mahler sur l'esplanade. Mais en sortant de la cérémonie il m'est apparu que, peut-être, il visait bien plus haut que quelques flatteries post-mortem. En nous imposant un culte ordinaire et en s'effaçant complètement derrière le rite funéraire, mon père suggérait – je ne peux pas prétendre le savoir – qu'en escamotant son individualité, il participait à quelque chose de bien plus conséquent, qui lui offrait sa place dans la continuité d'une tradition et le sublimait très au-dessus des contingences immédiates de sa vie concrète. Cette attitude met l'accent sur les institutions et les traditions humaines et relègue les questions métaphysiques au second plan. On ne s'intéressait pas, ni à l'enterrement de mon père, ni dans les enterrements serbes, à l'existence de dieu ou à la vie après la mort. L'important, c'est d'en entendre les récits d'usage, selon les rites.</p> <p>Peut-être qu'une épure serait bienvenue dans nos enterrements. Pas un retour au passé systématique, pas non plus d'approches froides et administratives. 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Les derniers fêtards de Halloween, hagards et le maquillage défait, déambulaient sans but dans les couloirs. J'attendais le premier train en direction de l'aéroport de Genève. Une jeune femme s'est approchée de moi et m'a demandé dans un anglais hésitant si c'était le bon train. Dans la trentaine, elle avait une longue chevelure blond platine, un maquillage impeccable, une bouche refaite, des bottines à talons, une robe en laine moulante, un chapeau de cow-boy et de longs ongles peints. Cette apparence détonnait avec la fillette de cinq ans qui l'accompagnait, et avec son ventre rebondi de femme enceinte de plusieurs mois. J'en ai rapidement déduit qu'elle se rendait, comme moi, à Belgrade.</p> <p>Durant le trajet qui nous menait à Cointrin, comme le train était vide, nous avons fait connaissance. Cette jeune mère vit dans une grande ville au sud de Belgrade et vient de rendre visite à sa mère qui vit depuis plusieurs années près de Lausanne. Elle a longtemps pensé émigrer en Suisse mais depuis qu'elle est mère, son avis a changé. Elle ne veut pas que ses enfants aient les cheveux bleus et des piercings et des problèmes d'identité sexuelle. De plus, et je lui donne raison, la Serbie est particulièrement sûre, on y vit très bien, et même si le coût de la vie a considérablement augmenté, on est encore très, très loin des prix suisses. Et puis elle ne se fait aucun souci. Les offres de travail bien payé, elle en a autant qu'elle en veut. Car elle est officier supérieur d'infanterie dans l'armée serbe. Et le monde est plein de femmes très riches qui paient très chers les services d'un garde du corps féminin et surentraîné, sans compter qu'elle est également ceinture noire de karaté.</p> <p>Ma vie en Serbie est pleine de rencontres de ce type. C'est-à-dire de gens qui ne vivent pas encore dans la matrice idéologique et médiatique tellement contrainte du monde occidental. Je dis pas encore, mais peut-être devrait-on dire déjà plus, l'avenir nous le dira. Quoiqu'il en soit, ces mondes sont géographiquement proches, mais distants de plusieurs galaxies pour ce qui concerne la manière de penser.</p> <p>Pour ce qui concerne l'élection américaine, mes amis belgradois indiquent par leurs choix une indépendance d'esprit vivifiante. A Belgrade, on peut parler de cette élection librement. En Europe occidentale, dire qu'on est trumpiste est suicidaire d'une part, et prévisible d'autre part. Cela signifie que l'on est soit vieux, soit chrétien, soit conservateur, soit tous les trois. A Belgrade, un nombre considérable de mes amis, et surtout de mes amies, professent plus d'attachement pour Trump que pour Harris. Des jeunes femmes urbaines, sexuellement libérées, éduquées supérieures et athées qui non seulement pensent, mais disent que Trump serait leur choix si elles pouvaient voter. A Lausanne ou à Paris, si l'on fait partie des catégories jeunes, éduquées et urbaines, Kamala n'est pas une évidence, c'est une obligation.</p> <p>Ainsi qu'il s'agisse de Poutine ou de Trump, de la politique des genres, de changement climatique, d'immobilier, de culture pop ou de progrès technologiques, les Serbes ont leur façon de réfléchir et de se positionner sur chaque problème. Ce n'est donc pas massivement pour Trump que les Belgradois se déclarent, mais substantiellement plus qu'à Londres ou Zurich. Autrement dit il n'y a pas dans le comportement belgradois une opposition parfaite ou une symétrie prévisible: il y a une forme d'indépendance et de méfiance vis-à-vis de tout système narratif officiel. Il y a des raisons concrètes à cela, outre les évidences slaves et orthodoxes, qui sont un peu tarte-à-la-crème. Même pour ceux qui sont nés après les années 90, le souvenir de l'éclatement de la Yougoslavie est encore très vif. On ne peut pas sous-estimer l'impact de ce souvenir sur une population. D'une année à l'autre, tout l'univers dans lequel ils avaient été éduqués et formés s'était volatilisé dans le sang et dans les larmes. Sans rentrer ici dans les questions de responsabilité, ces bouleversements ont modifié et formé la manière de penser des générations successives. Une idéologie, renforcée par des décennies d'endoctrinement, un univers de 22 millions d'habitants à la fois très réel et imaginaire, tout cela a été détruit et discrédité en quelques mois seulement. Des millions de gens se retrouvaient soudain exilés dans leur propre pays, entourés de frontières incertaines et de compatriotes désormais étrangers et ennemis. Pis, ils étaient instantanément interdits à la fois de souvenir et d'avenir, le premier étant honteux, le second trop indéfini pour être rêvé. Ceux-là même qui les avaient dirigés depuis des années leur déclaraient maintenant que rien ne pouvait plus être fait pour eux. Qu'après l'échec du Grand Soir et de l'idéologie officielle de Fraternité et Unité, on ne pouvait plus compter que sur soi-même.</p> <p>Depuis donc plus d'un quart de siècle tout ce qui est déclaré, par un gouvernement serbe ou étranger, par un média dominant, par un personnage élu, tout est pris avec un recul <em>a</em> <em>priori</em>. On ne croit rien, en Serbie, avant d'en avoir au moins le début d'une preuve. Les Serbes se sont fait avoir et s'en souviennent. Avant de suivre toutes les modes et d'accepter tous les discours, on prend un peu de recul et on décide pour soi-même et pour ses propres intérêts de ce qui est acceptable ou pas. Toute militaire qu'elle soit, ma compagne de voyage n'en a pas délaissé son jugement. A force de se faire mobiliser des dizaines de fois par le gouvernement serbe en vue d'un affrontement inévitable et décisif avec les forces du Kosovo – qui n'est jamais venu bien sûr – elle a fini par perdre patience et foi. 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La question de savoir lequel des deux suivra l'autre est désormais passionnante. On doit s'en tenir aux faits: l'Occident tient encore bon, malgré des signes évidents de fatigue et la Serbie, démocratique sur les bords et économiquement naine en comparaison, n'est pas franchement un modèle de développement. Mais qui faut-il croire: celui qui vit sur les rentes d'une victoire militaire et idéologique d'un autre temps et en tire le sens d'une supériorité morale abusive? Ou celui qui, rendu à une réalité sans fard, dépossédé de ses rêves et de son pays, s'adapte sans geindre aux nécessités? La jeune maman blonde platine apportait sa réponse à ce dilemme. Ayant fui Sarajevo avec sa famille en 1994 parce qu'elle était serbe, elle s'était conscrite pour éviter qu'un tel désastre puisse un jour se reproduire. 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Cela sentait l'improvisation, l'amateurisme même. On avait l'impression d'assister à une représentation d'étudiants et non pas, comme c'était le cas, de professionnels confirmés.</p> <p>A une époque pas si lointaine, je serais peut-être parti avant d'attendre la fin. Si j'avais attendu celle-ci, je serais sorti en disant à l'amie qui m'accompagnait tout le mal que je pensais de cette pièce, de ces acteurs et de cette mise en scène. J'aurais probablement affirmé que j'avais assisté à une mauvaise pièce jouée par de mauvais artistes. Et je ne me serais pas privé de faire référence à de grands acteurs, à Peter Brooke et pourquoi pas même à Michel Piccoli parce que ceux-là, au moins, ne m'ont jamais gâché une soirée. J'aurais donc jugé quelques acteurs enthousiastes à l'aune des géants indiscutables de leur art. Comme si je rendais un chauffeur de taxi coupable de ne pas être Ayrton Senna, ou la bistrotière du coin de la rue de ne pas être Alain Ducasse.</p> <p>Le temps moyen de visite du Louvre est d'environ une heure, snack et achats à la boutique compris. Ce qui signifie que l'écrasante majorité des visiteurs fonce tout droit vers la Joconde, bifurque pour faire coucou à la Vénus de Milo, puis fait une photo, de loin, de la Victoire de Samothrace avant de terminer au magasin de souvenirs pour y acheter des reproductions des bijoux portés par le modèle d'un portrait que l'on n'a pas eu le temps d'admirer. Spotify, l'application de streaming musical suédoise, propose une sélection à la fois gigantesque et minuscule à ses abonnés, dont je suis. Car comme le Louvre, Spotify aspire à l'universel et propose absolument tous les catalogues, de Palestrina au plus jeune rappeur de la côte est. Et comme le Louvre, Spotify ne vend effectivement qu'une partie infinitésimale de son catalogue. Le reste est jugé mauvais.</p> <p>Les jeunes acteurs belgradois, les confrères inconnus de van Eyck, les tableaux qui ne sont pas la Joconde et les musiciens qui ne sont pas Taylor Swift sont petit à petit rendus invisibles et inexistants. Notre époque glorifie l'individu et la diversité. Les mots de Picasso selon lesquels tous les humains sont des artistes nous sont ressassés dans tous les musées. Nous éduquons nos enfants, plus que jamais, à tous les arts imaginables et même à ceux qui ne le sont pas. Pourtant, de manière croissante, nous assistons à l'uniformisation stylistique et à la domination absolue d'une poignée d'artistes sur leur média. Il y a les génies d'un côté, qui sont ainsi qualifiés essentiellement sur des critères financiers et non artistiques, et de l'autre côté la masse immense de celles et ceux qui ne le sont pas. Il y a les bons artistes, et il y a les mauvais artistes. Ainsi parla le marché.</p> <p>Les résultats de notre monomanie et de notre monoculture sont là, en dépit de toutes nos protestations du contraire. Lors des grandes années de la parution de la série Harry Potter, son éditeur français Flammarion avait deux lignes comptables: une pour Harry Potter, une autre pour tout le reste du catalogue, qui compte 14'000 titres parmi lesquels Zola, Maupassant, Colette, Mauriac, et même Michel Houellebecq. Hollywood ne produit pratiquement plus que des resucées d'histoires de super-héros, ou des versions 0% matière grasse de films pour enfants. Le reste de la production a été pris en charge par les plateformes de streaming, Netflix en tête. Lors de la remise des Golden Globes en 2023, le comédien Ricky Gervais avait interpellé le patron de Netflix en s'amusant du fait que la cérémonie pourrait se résumer à décerner à ce dernier la totalité des prix dans toutes les catégories. La blague n'en était pas vraiment une. L'industrie du cinéma français est dans une situation comparable, si ce n'est pire, comme l'est celle de l'édition, mais aussi les galeries d'art, les théâtres, en bref, tout ce qui offre du contenu culturel est en chute libre. Tout, c'est-à-dire, plus de 90% de l'offre disponible, produite par des millions de musiciens, de peintres, d'écrivains, de poètes et d'acteurs. Ceci en dépit d'une population qui n'a jamais été aussi éduquée et demandeuse de contenus culturels, et qui pourtant finit par consommer partout exactement la même chose.</p> <p>Le choc esthétique qui m'a été offert lorsque j'ai entendu la chanson <em>Kiss</em> de Prince pour la première fois, que j'ai découvert <em>Matrix</em>, lu <em>American</em> <em>Psycho</em> ou visité la foire d'art de Bâle en 1992, rien de tout cela n'eût été possible si, derrière ces grands noms, n'étaient pas également valorisés et appréciés des millions d'autres artistes. On se souvient des Beatles, mais les Beatles n'auraient jamais existé si, à la même époque, des dizaines d'autres groupes de musiciens n'avaient pas également rencontré un succès commercial substantiel qui justifiait des rivalités féroces entre fans, se distinguant les uns des autres par leurs habits ou leur coiffure. La plupart de ces groupes ont vite disparu et leurs noms ont souvent été oubliés, on ne se souviendra bientôt plus que des quatre garçons de Liverpool. Mais tant que ces autres groupes oubliés furent actifs, ils ont permis à des centaines ou des milliers de gens de vivre de leur art, de susciter des vocations, d'enthousiasmer un large public et de permettre à d'autres styles musicaux d'émerger.</p> <p>Rembrandt est impensable sans les centaines de peintres du Grand Siècle hollandais qui se faisaient une compétition féroce à Amsterdam. Caillebotte n'aurait jamais atteint ces hauteurs sans les milliers de peintres impressionnistes qui coexistaient à Montmartre à la fin du XIXème siècle. Personne ne devient un ou une grande artiste dans une solitude complète. Tous les grands noms de l'art sont entourés de myriades d'inconnus qui ont directement contribué à fertiliser ces quelques individus. Et tous les artistes qui ont acquis une renommée universelle font partie de vastes mouvements ou d'écoles qui ont été nourris par des milliers d'artistes anonymes, le plus souvent oubliés – et néanmoins absolument nécessaires.</p> <p>Comme nous ne valorisons plus que les artistes qui sont valorisés par le marché, les autres disparaissent avant même d'avoir livré bataille. Aujourd'hui, aucun peintre ne peut vivre de son art s'il n'est pas entouré par une galerie importante et par des institutions qui justifient des commandes et des subventions conséquentes. Aucun musicien ne peut vivre de son art sans un label puissant qui lui assure des tournées internationales. Aucun écrivain ne peut vivre de son art sans le soutien d'un éditeur réputé qui lui assure des campagnes de promotion dignes de celles que l'on réserve à des marques de vêtements. Les autres, les millions d'autres, sont très vite contraints à l'abandon en rase campagne, avant même d'avoir atteint leurs trente ans. Les conditions économiques de la production artistique sont devenues tellement exigeantes que même le rêve poussiéreux de l'artiste bohème est désormais inaccessible. On voudrait bien crever la faim dans un studio mal chauffé, mais même cela, on ne le peut plus. Alors on devient prof, ou publiciste, ou n'importe quoi pourvu qu'on puisse en vivre.</p> <p>Alors, bien sûr, le talent est une condition nécessaire et les collègues moins talentueux que Paul McCartney ont été oubliés. Mais Matisse, au début de sa carrière, était un mauvais peintre, un artiste sans talent. Autant que Brett Easton Ellis était un mauvais écrivain ou qu'Olafur Arnalds était un mauvais musicien. Les mauvais artistes sont souvent de bons artistes qui n'ont pas assez travaillé. Comme le rappelait Brassens, «sans technique, un don n'est rien qu'une sale manie». Encore faut-il permettre à ces mauvais artistes de devenir meilleurs. Ce qui signifie qu'il faut aimer et apprécier les mauvais artistes, et surtout ceux-ci. Les autres sont comme le frère du Fils Prodigue: ils n'ont pas besoin d'être sauvés. Je pensais à tout cela en voyant transpirer sur cette petite scène mes quatre acteurs belgradois. Je faisais le compte mental de leurs sacrifices, de leurs nuits sans sommeil, de leurs fins de mois compliquées, de la passion aveuglante qui les unissait et de l'incroyable générosité de leur démarche, ne désirant rien de mieux que nous distraire pour quelques courts instants. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Chan clear 28.05.2023 | 01h51
«Quelle étonnante description du marché de l’art.»