Dresde. Les cadavres de victimes après les bombardements aériens des 13 et 14 février 1945. Derrière, les ruines des bâtiments détruits. © Bundesarchiv
Nous avions besoin de ce livre, concis et profond. Recommandable à quiconque se demande, sérieusement, ce que veut dire le mot guerre. Edgar Morin (101 ans) a vécu la débâcle de 1940, la Résistance, et fut attaché à l’Etat-major de l’armée française qui occupa l’Allemagne défaite. Il a suivi les guerres qui ont ensuite secoué l’Europe, de l’Algérie à la Yougoslavie. Et celle qui ravage l’Ukraine l’interroge.
Edgar Morin raconte sa réaction en traversant les villes détruites par les Alliés à la toute fin du conflit, alors qu’ils avaient déjà gagné. Se disant simplement: «C’est la guerre». La petite Pforzheim, 17’000 morts, où il fut en poste. La grande ville d’art, Dresde, 300’000 morts, sans parler des autres. «C’est bien plus tard – depuis l’invasion de l’Ukraine – que monta en moi la conscience de la barbarie des bombardements accomplis au nom de la civilisation contre la barbarie nazie.» L’Allemagne nazie a commis des crimes effroyables. L’URSS qui se saigna pour l’abattre fut coupable, là aussi, d’atrocités. Mais comment ne pas penser à «l’anéantissement aveugle de centaines de milliers de civils par les aviations alliées»? Réponse sobre: «Il a fallu que des années, des décennies s’écoulent pour qu’il devienne clair que si juste que fut la résistance au nazisme, la guerre du Bien comporta du Mal en elle.»
Suivent ensuite quelques courts chapitres éclairants. Sur l’hystérie de guerre, «faite de la haine de l’ennemi et de sa totale criminalisation», telle qu’elle apparut en 1914-1918. Sur les mensonges de guerre. Le plus sordide, celui de Staline, qui attribua aux nazis le massacre des officiers polonais à Katyn, perpétré en fait par les Soviétiques. Il y en eut, jusqu’à aujourd’hui, tant d’autres. L’espionnite, la chasse aux traîtres avérés ou supposés. La criminalisation globale du peuple ennemi, de sa langue, de sa culture.
En philosophe et historien, Morin démonte aussi le mécanisme de la radicalisation de la guerre. L’escalade dans sa propre dynamique, échappant à toute raison. Ce fut maintes fois le cas, aussi bien lors de la guerre d’Algérie que dans le conflit israélo-palestinien ou l’éclatement de la Yougoslavie. A chaque fois les camps ennemis se persuadent qu’il n’y a qu’une seule issue possible, la victoire. Mais quelle victoire? Et pour quel lendemain? En s’accrochant à leur récit, sans le contextualiser, enfermés dans une version volontairement simpliste, les belligérants, de part et d’autre, peuvent se réserver de mauvaises surprises. «A considérer le siècle précédent et le nôtre jusqu’à présent, je peux certifier que tous les événements majeurs ont été inattendus», assure Morin qui en dresse la liste. Avec une exception cependant: en 2014, après la révolution de Maidan, il avait écrit que l’Ukraine allait se trouver dans une situation explosive. Ce furent en effet huit ans de guerre civile dans le Donbass. Puis l’agression russe du 24 février 2022.
Que les chasseurs de «poutinophiles» masqués passent leur chemin. Morin n’a pas la moindre complaisance envers le Kremlin. Mais il résume froidement la situation: «il y a trois guerres en une: la continuation de la guerre interne entre pouvoir ukrainien et province séparatiste, la guerre russo-ukrainienne, et une guerre politico-économique internationalisée anti-russe de l’Occident animée par les Etats-Unis.» Et il conclut sur la nécessité impérative et urgente du dialogue. Mais voilà… «Parler de cessez-le-feu, de négociations, est dénoncé comme une ignominieuse capitulation par les belliqueux, qui encouragent la guerre qu’ils veulent éviter à tout prix chez eux.» Il s’étonne que les Européens, les premiers concernés, manifestent si peu de volonté à imaginer et promouvoir une politique de paix.
Cet ouvrage, clair et vite lu, est à mettre entre toutes les mains. Car outre ses réflexions, l’auteur résume en quelques pages le défilé des guerres européennes et mondiales de 1914 à nos jours. Mieux qu’aucune école ne peut le faire. Les cancres en histoire n’ont plus d’excuses.
«De guerre en guerre. De 1940 à l’Ukraine», Edgar Morin, Editions de l'Aube, 100 pages.
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.</p> <p>N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. Conscients d’être dans une dictature, nous constations que chacun exprimait sans peur sa foi, son appartenance. Nous avions visité l’admirable mosquée des Omeyyades à Damas. Nous nous sommes étonnés auprès de deux jeunes filles de voir tant de monde, des familles en sortie, un dimanche et non un vendredi. Elles éclatèrent de rire: «Mais c’est le jour de Pâques!». Comme Noël, les jours de fêtes chrétiennes sont officiellement fériés en Syrie. Jusqu’à quand?</p> <p>Le prêtre d’Alep, devenu un ami, qui vit aujourd’hui en France, n’a pas le cœur à applaudir le tournant actuel. Il s’est exilé avec les siens après que sa fille de dix-huit ans ait été débarquée d’un bus, violée et assassinée parce qu’elle portait une croix autour du cou. Par des «rebelles modérés» comme on disait à l’époque. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
6 Commentaires
@willoft 03.02.2023 | 00h23
«Que voilà un homme sage.
la guerre est-elle plus profitable que la paix?
L'on peut se poser la question à voir tous ces dirigeants européens va t'en guerre?
Aux ordres de Zélansky, mendiant toujours plus, WWIII soon...!
Des canons, des avions et des Mc Dos pour nos démocraties, hahaha
Seraient-t'ils tous espiègles?»
@RAS 03.02.2023 | 14h18
«Ce qui est navrant, c'est que des tristes politiciens et politiciennes, PLR, Verts, Centre et PS votent pour la vente de munitions à des pays qui les acheminent par la suite en Ukraine.
Maintenant les mêmes tristes personnes suivent une motion de la PLR Maja Riniker devant la commission de la politique de sécurité proposant de livrer une partie des chars Léopard déclassés à l'Ukraine, motion rejetée par 15 voix contre 10. En fait des élus qui ne respectent en aucun cas les bases mêmes de notre Constitution en mettant la priorité à une rentabilité matérielle afin de mieux suivre les lobbys qui les entretiennent.
Un oubli total des expériences des guerres et conflits passés.
»
@simone 03.02.2023 | 16h12
«Ce résumé passionnant va me faire courir acheter le livre. Mille mercis!
Suzette Sandoz»
@willoft 03.02.2023 | 21h19
«On lit qu'un 55% des suisses seraient favorables à la réexportation du matériel de guerre (les obus des chars léopards)!
Bon, un sondage Tamédia vaut ce qu'il vaut, mais ce pays commence à marcher sur sa tête.
Entre les PS, verts, comme d'ailleurs les verts allemands, favorables à ne pas perdre le manche de la belliqueuse... .
Même un PLR parle de Tribunal de guerre pour la Russie et l'UDC oscille entre neutralité et intérêts économiques, comme d'habitude.
Vivant en Uruguay depuis plus de 15 ans, j'ai été surpris de voir Temps Présent en Koh Lanta du chalet de luxe qui a perdu son toìt.
Intéressant, mais digne d'un pays qui vit dans son monde.
Ceci dit, on remercie la SSR de permettre aux expats comme moi de voir encore quelques émissions, même s'ils ont bloqués tous les VPN.
La Suisse doit être sans doute plus royaliste que sa maigre démocracie?»
@Eggi 04.02.2023 | 23h24
«Tout Morin qu'il soit, Edgar se trompe de bataille. Un mauvais garçon connu agresse un membre de ma famille pour de fallacieux motifs et le blesse grièvement, au point de lui faire côtoyer la mort. Et on va me demander de "négocier" son arrestation et son jugement? Malheureusement, à part les cours pénales internationales, inefficaces à quelques exceptions près, il n'y a pas de police internationale pour arrêter les délinquants. Il ne reste que la légitime défense et des moyens que toute honnête nation doit fournir pour l'exercer... On ne peut envisager une négociation qu'une fois l'agresseur arrêté et jugé!»
@willoft 08.02.2023 | 02h05
«L'Ukraine réclamant l'aide internationale va aider la Turquie...
Bon pas la Syrie aidée par la Russie!»