Actuel / Manifestations: la police peut-elle sortir de la confrontation permanente?
Affrontements entre forces de l'ordre à Lyon, repliés devant une vitrine cassée et manifestants lors du défilé du 1er mai. © Jeff Pachoud/AFP
Depuis janvier 2023 et les premières mobilisations contre la réforme des retraites, au 1er mai 2023, l’actualité s’est fait régulièrement l’écho d’actions musclées et des confrontations qui ont caractérisé le rapport entre forces du maintien de l’ordre et manifestants.
Jacques de Maillard, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay et Aurélien Restelli, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Une situation déjà observée dans les années 2010, notamment à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes.
Construits à partir d’entretiens réalisés avec des policiers, des gendarmes ou des membres du corps préfectoral, du recueil de documentation interne à la police et à la gendarmerie et de mises en perspective internationales, différents travaux de spécialistes ont montré ce tournant. Ainsi, la « gestion patrimonialiste des conflits sociaux », fondée sur la négociation avec les organisations syndicales et une certaine tolérance vis-à-vis des troubles causés par les manifestants, a laissé la place à un modèle de maintien de l’ordre beaucoup plus dur, dont l’objectif semble être d’empêcher les manifestations, plutôt que de faciliter leur déroulement.
Ces opérations de maintien de l’ordre sont en effet caractérisées depuis quelques années, par une certaine « brutalisation » et un durcissement dont témoigne aussi l’usage croissant d’outils judiciaires et administratifs contre les manifestants.
Un changement de doctrine qui a fait long feu
Pourtant, lorsque la mobilisation contre la réforme des retraites a débuté, en janvier, les difficultés relatives aux opérations de maintien de l’ordre semblaient être de l’histoire ancienne. Depuis le remplacement de Didier Lallement par Laurent Nunez au poste de préfet de police, une approche différente de l’encadrement des cortèges parisiens prévalait. Les policiers et les gendarmes n’encadraient plus les manifestants au plus près, mais se situaient au contraire à bonne distance de ceux-ci, dans des rues adjacentes. Et les syndicats et leur service d’ordre avaient repris la main sur l’organisation des manifestations, en bonne intelligence avec les préfets et les forces de l’ordre.
Mais ce récit de l’« adoucissement » ne résiste guère à l’analyse et occulte certains excès policiers à l’encontre de manifestants. Un journaliste indépendant a ainsi dû être amputé d’un testicule suite au coup de matraque porté par un policier lors de la manifestation du 19 janvier, à Paris. De plus, l’apparent changement de doctrine consécutif à la nomination de Laurent Nunez n’a pas empêché plusieurs dizaines de personnes visiblement pacifiques de subir des matraquages injustifiés lors de charges policières (le 19 janvier, le 31 janvier et le 11 février).
Surtout, à partir du 16 mars et du recours par le gouvernement à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, les journalistes et les observateurs ont largement documenté les violences physiques exercées par les forces de l’ordre à l’encontre des manifestants, ainsi que les arrestations arbitraires, voire les humiliations subies par ces derniers lors des manifestations nocturnes (non-déclarées par les syndicats) consécutives à l’annonce du recours au 49.3.
Des unités policières et des dispositifs judiciaires qui interrogent
Les critiques se sont notamment focalisées sur les agissements de la BRAV-M, une unité créée en 2019 pour réprimer les cortèges mobiles et sauvages des Gilets jaunes. Mais d’autres images attestent également de violences commises par des policiers membres de CRS ou de Compagnies d’Intervention (CI).
Au total, depuis le début de la mobilisation, l’IGPN a été saisie de 53 enquêtes judiciaires, principalement pour Paris (chiffres au 1er mai), tandis que la Défenseure des droits a été saisie 115 fois (chiffres du 17 avril) pour des violences policières supposées.
Concernant les arrestations arbitraires, si elles peuvent être décrites comme telles, c’est en raison du faible nombre d’interpellations qui aboutissent, en bout de chaîne, à des déferrements. Ainsi, au cours de la soirée du 16 mars, 292 personnes ont été placées en garde-à-vue mais seulement neuf d’entre elles ont été déférées avec des sanctions très faibles.
Le lendemain, 64 personnes ont été placées en garde-à-vue et six d’entre elles ont été déférées. Cela renforce l’idée d’un détournement de la garde-à-vue, qui n’est plus utilisée pour mettre un suspect à disposition d’un officier de police judiciaire (OPJ), mais simplement pour punir un individu d’avoir participé à une manifestation ou « pour vider les rues ».
Un basculement répressif
Comment peut-on expliquer ce basculement répressif à partir de la mi-mars ? Les forces de l’ordre, soutenues par le gouvernement et les syndicats policiers, avancent trois types d’arguments, déjà utilisés au plus fort du mouvement des Gilets jaunes, en décembre 2018.
Le premier a trait au caractère émeutier des manifestations les plus récentes, rendant les moyens habituellement employés pour encadrer les manifestations intersyndicales insuffisants pour rétablir l’ordre. Le deuxième argument pointe la fatigue et la lassitude des forces de l’ordre à cause de la répétition des manifestations et de la surcharge de travail, ce qui expliquerait les dérives et les bavures.
Le troisième est la violence exercée contre les forces de l’ordre, dont ont témoigné de nombreuses images comme ce policer qui s’écroule après avoir reçu un pavé dans la tête lors de la manifestation parisienne du 23 mars. Les chiffres rapportés par le ministère de l’Intérieur font état de 441 policiers blessés pour cette seule journée à Paris.
La violence exercée par les forces de l’ordre est alors présentée comme une réponse, par l’État, à ce déferlement. Ces arguments ne peuvent pas être balayés notamment avec la recomposition du répertoire manifestant, avec des violences de certains groupes minoritaires (facilitées à Paris par le contexte urbain, et notamment l’amas de poubelles dans les rues).
La lecture des journaux de marche des compagnies de CRS, comme a pu le faire Le Monde, est à cet égard instructive : celles-ci ont dû faire en différents endroits à des guets-apens, des jets de projectiles, incendies de poubelles ou de palettes, tirs de mortiers d’artifice, voire de cocktails Molotov. Cependant, ces éléments forment le contexte de l’intervention, sans pour autant déterminer la stratégie adoptée par les forces de l’ordre.
Un manque d’intérêt pour les stratégies de désescalade
Face à ces nouvelles conditions, nous observons un manque d’intérêt persistant des différentes autorités (ministère de l’Intérieur, préfecture de police de Paris, police nationale et gendarmerie nationale) pour la notion de désescalade.
Cette approche vise à retarder, voire éviter le recours à la force, en privilégiant d’autres moyens (temporisation, dialogue, recul des forces de l’ordre) tant que cela est possible. S’en passer conduit les forces de l’ordre à se montrer brutales dès qu’une difficulté apparaît et contribue à distinguer nettement la France d’un grand nombre de pays européens.
Plusieurs conséquences en découlent : une incapacité à opérer des distinctions entre les profils de manifestants – et donc l’usage de la force contre des manifestants apparemment non violents ; une sous-utilisation des mécanismes de communication en continu par l’emploi de moyens humains (équipes dédiées chargées de communiquer en continu avec les manifestants) et technologiques (l’utilisation de panneaux lumineux permettant de rendre plus visibles les ordres de dispersion et sommations) ; une tendance à réduire la contestation sociale à l’action de groupes minoritaires (d’« ultragauche » notamment), et donc à déployer la force.
L’unité dite de la BRAV-M a été particulièrement cible de critiques. Émission de C à Vous, YouTube, 7 avril 2023.
Sans entrer dans le détail de faits individuels pour lesquels les procédures judiciaires sont en cours, le non-respect de règles déontologiques tel que le port du RIO (numéro d’identification), le fait d’avoir le visage masqué, l’emploi d’un ton agressif ou du tutoiement, l’usage de gaz lacrymogène non légitime, etc., apparaît de façon récurrente.
L’utilisation d’unités proactives à l’instar des Brav-M – binômes motorisés mandatés pour interpeller des individus suspectés d’infractions – est l’expression paroxystique de cet ensemble de décisions et pratiques reposant sur un style d’action musclé : interpellations violentes, relations individuelles agressives avec des manifestants, etc.
L’enregistrement diffusé par Le Monde le soir du 20 mars, révèle ces dérives : propos insultants et humiliants et attitudes menaçantes se succèdent auprès de plusieurs jeunes interpellés pendant de longues minutes ; « je peux te dire qu’on en a cassé des coudes et des gueules ».
Deux effets pervers majeurs
Outre qu’elle contribue à porter atteinte à la réputation de la France sur le plan international, cette stratégie confrontationnelle comporte deux effets pervers majeurs.
D’abord, elle a des conséquences humaines sur les individus qui en sont les victimes en termes, a minima, d’atteintes à la liberté de manifester, et a maxima, d’atteintes physiques graves. Ensuite, elle tend à accroître l’hostilité de la part des manifestants, y compris ceux qui sont au départ pacifiques. L’utilisation perçue comme illégitime et excessive de la force finit par devenir un élément de mobilisation. Les interventions viriles d’unités comme les Brav-M sont elles-mêmes facteurs de dégradations des situations.
Une telle stratégie accroît plus généralement les antagonismes entre manifestants et forces de l’ordre, défenseurs des libertés publiques et organisations professionnelles de défense des policiers. C’est ici le risque du « hard power trap », quand la dégradation des relations aboutit à ce que l’obéissance ne résulte plus que de la contrainte, bien mis en évidence dans les travaux internationaux sur la police depuis de nombreuses années.
Au contraire, dans le cas de la manifestation dans le Tarn du 21 avril contre un projet autoroutier, la police était présente mais peu visible et éloignée des cortèges, résultant en peu de heurts. D’autres choix sont donc possibles.
Ce que nous apprend l’histoire des polices
L’histoire des polices montre que certaines périodes sont plus favorables à une réflexion collective sur les conditions de la légitimité des polices. En France, entre les années 1970 et 1990 s’est construit un ensemble de pratiques de maintien de l’ordre reposant sur le tryptique « prévision, négociation, contrôle », logique associée à une acceptation tendancielle de la pacification des conflits par les mouvements protestataires.
Devant une transformation des répertoires (plus imprévisibles, moins déclarés, moins organisés, etc.) et l’incapacité à neutraliser les protestataires plus violents, les gouvernements français ont privilégié, depuis maintenant une dizaine d’années, une réponse consistant à frapper plus durement l’ensemble des manifestants pour préserver l’ordre public.
Dans un ouvrage récent, nous montrons que le modèle policier français, dont la légitimité a d’abord été pensée par rapport à la préservation de l’ordre politique, doit désormais s’adapter aux demandes de tranquillité émanant des territoires et asseoir l’autorité de ses agents aux yeux des publics divers d’une société française inégalitaire et plurielle.
Cette question se pose particulièrement pour le maintien de l’ordre. A un moment où le fonctionnement de la démocratie représentative est structurellement remis en cause, et où donc de nouvelles formes de protestation ne manqueront pas d’émerger, il semble essentiel de prendre le temps de repenser le maintien de l’ordre, en combinant usage légitime et proportionné de la force et respect des libertés individuelles.
Jacques de Maillard, Professeur des Universités, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay et Aurélien Restelli, Doctorant, sociologie, CESDIP, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Ainsi, la « gestion patrimonialiste des conflits sociaux », fondée sur la négociation avec les organisations syndicales et une <a href="https://www.cairn.info/strategies-de-la-rue--9782724607074.htm">certaine tolérance</a> vis-à-vis des troubles causés par les manifestants, a laissé la place à un modèle de maintien de l’ordre beaucoup plus dur, dont l’objectif semble être d’empêcher les manifestations, plutôt que de faciliter leur déroulement.</p> <p><a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-qui-decide-de-quoi-119128">Ces opérations de maintien de l’ordre</a> sont en effet caractérisées depuis quelques années, par une certaine <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/politiques-du-desordre-olivier-fillieule/9782021433968">« brutalisation »</a> et un <a href="https://www.cairn.info/police-et-societe-en-france--9782724640007-page-325.htm">durcissement</a> dont témoigne aussi l’usage croissant d’outils judiciaires et administratifs contre les manifestants.</p> <h3>Un changement de doctrine qui a fait long feu</h3> <p>Pourtant, lorsque la mobilisation contre la réforme des retraites a débuté, en janvier, les difficultés relatives aux opérations de maintien de l’ordre semblaient être de l’histoire ancienne. Depuis le <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/laurent-nunez-devrait-remplacer-didier-lallement-a-la-tete-de-la-prefecture-de-police-de-paris-4124120">remplacement</a> de Didier Lallement par Laurent Nunez au poste de préfet de police, une approche différente de l’encadrement des cortèges parisiens prévalait. Les policiers et les gendarmes n’encadraient plus les manifestants au plus près, mais se situaient au contraire à bonne distance de ceux-ci, dans des rues adjacentes. Et les syndicats et leur service d’ordre avaient repris la main sur l’organisation des manifestations, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/manifestation-contre-la-reforme-des-retraites-comment-le-maintien-de-l-ordre-est-il-assure-dans-les-corteges_5605253.html">bonne intelligence</a> avec les préfets et les forces de l’ordre.</p> <p>Mais ce récit de l’« adoucissement » ne résiste guère à l’analyse et occulte certains excès policiers à l’encontre de manifestants. Un journaliste indépendant a ainsi dû être <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/manifestation-un-homme-emascule-apres-un-coup-de-matraque-d-un-policier-20230122">amputé d’un testicule</a> suite au coup de matraque porté par un policier lors de la manifestation du 19 janvier, à Paris. De plus, l’apparent changement de doctrine consécutif à la nomination de Laurent Nunez n’a pas empêché plusieurs dizaines de personnes visiblement pacifiques de subir des <a href="https://actu.fr/societe/coups-injustifies-usage-d-armes-les-violences-policieres-c-est-quoi-exactement_58340413.html">matraquages injustifiés</a> lors de charges policières (le 19 janvier, le 31 janvier et le 11 février).</p> <p>Surtout, à partir du 16 mars et du recours par le gouvernement à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, les journalistes et les observateurs ont largement documenté les violences physiques exercées par les forces de l’ordre à l’encontre des manifestants, ainsi que les arrestations arbitraires, voire les <a href="https://www.bfmtv.com/paris/violences-de-policiers-de-la-brav-m-deux-manifestants-vont-porter-plainte_AN-202303260314.html">humiliations</a> subies par ces derniers lors des manifestations nocturnes (non-déclarées par les syndicats) consécutives à l’annonce du recours au 49.3.</p> <h3>Des unités policières et des dispositifs judiciaires qui interrogent</h3> <p>Les critiques se sont notamment focalisées sur les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/24/je-peux-te-dire-qu-on-en-a-casse-des-coudes-et-des-gueules-quand-la-brav-m-derape-au-cours-d-une-interpellation_6166857_3224.html">agissements de la BRAV-M</a>, une unité créée en 2019 pour réprimer les cortèges mobiles et sauvages des Gilets jaunes. Mais d’autres images attestent également de violences commises par des policiers membres de CRS ou de Compagnies d’Intervention (CI).</p> <p>Au total, depuis le début de la mobilisation, l’IGPN a été saisie de <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/reforme-des-retraites-53-enquetes-judiciaires-confiees-a-l-igpn-depuis-le-debut-du-mouvement_AN-202304140038.html">53 enquêtes judiciaires</a>, principalement pour Paris (chiffres au 1<sup>er</sup> mai), tandis que la Défenseure des droits a été saisie <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/retraites-115-saisines-de-la-defenseure-des-droits-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-20230417">115 fois</a> (chiffres du 17 avril) pour des violences policières supposées.</p> <p>Concernant les arrestations arbitraires, si elles peuvent être décrites comme telles, c’est en raison du faible nombre d’interpellations qui aboutissent, en bout de chaîne, à des déferrements. Ainsi, au cours de la soirée du 16 mars, 292 personnes ont été placées en garde-à-vue mais seulement neuf d’entre elles ont été déférées avec des <a href="https://www.bfmtv.com/paris/neuf-personnes-deferees-sur-les-292-interpellations-lors-de-la-manifestation-place-de-la-concorde-j">sanctions très faibles</a>.</p> <p>Le lendemain, 64 personnes ont été placées en garde-à-vue et six d’entre elles <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/200323/violences-interpellations-abusives-le-retour-d-un-maintien-de-l-ordre-qui-seme-l">ont été déférées</a>. Cela renforce l’idée d’un détournement de la garde-à-vue, qui n’est plus utilisée pour mettre un suspect à disposition d’un officier de police judiciaire (OPJ), mais simplement pour punir un individu d’avoir participé à une manifestation ou « pour vider les rues ».</p> <h3>Un basculement répressif</h3> <p>Comment peut-on expliquer ce basculement répressif à partir de la mi-mars ? Les forces de l’ordre, soutenues par le gouvernement et les syndicats policiers, avancent trois types d’arguments, déjà utilisés au plus fort du mouvement des Gilets jaunes, en décembre 2018.</p> <p>Le premier a trait au <a href="https://theconversation.com/le-vertige-de-lemeute-108449">caractère émeutier</a> des manifestations les plus récentes, rendant les moyens habituellement employés pour encadrer les manifestations intersyndicales insuffisants pour rétablir l’ordre. Le deuxième argument pointe la fatigue et la lassitude des forces de l’ordre à cause de la répétition des manifestations et de la surcharge de travail, ce qui expliquerait les dérives et les bavures.</p> <p>Le troisième est la violence exercée contre les forces de l’ordre, dont ont témoigné de nombreuses images comme ce policer qui s’écroule après avoir reçu un pavé dans la tête lors de la <a href="https://www.bfmtv.com/paris/greve-du-23-mars-a-paris-laurent-nunez-annonce-saisir-la-justice-apres-la-blessure-d-un-policier-a-la-tete_AN-202303240410.html">manifestation parisienne du 23 mars</a>. Les chiffres rapportés par le ministère de l’Intérieur font état de 441 policiers blessés pour cette seule journée à Paris.</p> <p>La violence exercée par les forces de l’ordre est alors présentée comme une réponse, par l’État, à ce déferlement. Ces arguments ne peuvent pas être balayés notamment avec la <a href="https://www.cairn.info/violences-politiques-en-france--9782724627305.htm">recomposition du répertoire manifestant</a>, avec des violences de certains groupes minoritaires (facilitées à Paris par le contexte urbain, et notamment l’amas de poubelles dans les rues).</p> <p>La lecture des journaux de marche des compagnies de CRS, comme a pu le faire Le Monde, est à cet égard <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/25/retraites-les-crs-eprouves-apres-une-journee-noire-a-nantes-rennes-bordeaux-ou-toulouse_6166955_3224.html">instructive</a> : celles-ci ont dû faire en différents endroits à des guets-apens, des jets de projectiles, incendies de poubelles ou de palettes, tirs de mortiers d’artifice, voire de cocktails Molotov. Cependant, ces éléments forment le contexte de l’intervention, sans pour autant déterminer la stratégie adoptée par les forces de l’ordre.</p> <h3>Un manque d’intérêt pour les stratégies de désescalade</h3> <p>Face à ces nouvelles conditions, nous observons un manque d’intérêt persistant des différentes autorités (ministère de l’Intérieur, préfecture de police de Paris, police nationale et gendarmerie nationale) pour la notion de désescalade.</p> <p>Cette approche vise à retarder, voire éviter le recours à la force, en privilégiant d’autres moyens (temporisation, dialogue, recul des forces de l’ordre) tant que cela est possible. S’en passer conduit les forces de l’ordre à se montrer brutales dès qu’une difficulté apparaît et <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=41982">contribue à distinguer nettement la France</a> d’un grand nombre de pays européens.</p> <p>Plusieurs conséquences en découlent : une incapacité à opérer des distinctions entre les profils de manifestants – et donc l’usage de la force contre des manifestants apparemment non violents ; une sous-utilisation des mécanismes de communication en continu par l’emploi de moyens humains (équipes dédiées chargées de communiquer en continu avec les manifestants) et technologiques (l’utilisation de panneaux lumineux permettant de rendre plus visibles les ordres de dispersion et sommations) ; une tendance à réduire la contestation sociale à l’action de groupes minoritaires (d’« ultragauche » notamment), et donc à déployer la force.</p> <h4 style="text-align: center;"><iframe frameborder="0" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/O3YKU9UGeCY?wmode=transparent&start=0" width="440"></iframe><em><span>L’unité dite de la BRAV-M a été particulièrement cible de critiques. 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Ensuite, elle tend à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2011-6-page-1047.htm">accroître</a> l’hostilité de la part des manifestants, y compris ceux qui sont au départ pacifiques. L’utilisation perçue comme illégitime et excessive de la force finit par devenir un élément de mobilisation. Les interventions viriles d’unités comme les Brav-M sont elles-mêmes facteurs de dégradations des situations.</p> <p>Une telle stratégie accroît plus généralement les antagonismes entre manifestants et forces de l’ordre, défenseurs des libertés publiques et organisations professionnelles de défense des policiers. C’est ici le risque du « hard power trap », quand la dégradation des relations aboutit à ce que l’obéissance ne résulte plus que de la contrainte, bien mis en évidence dans les <a href="https://policy.bristoluniversitypress.co.uk/good-policing">travaux internationaux sur la police</a> depuis de nombreuses années.</p> <p>Au contraire, dans le cas de la manifestation dans le Tarn du 21 avril <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/manifestations-contre-l-autoroute-a69-premiere-en-france-d-une-surveillance-en-drones-par-les-forces-de-l-ordre-2758690.html">contre un projet autoroutier</a>, la police était présente mais peu visible et éloignée des cortèges, résultant en peu de heurts. D’autres choix sont donc possibles.</p> <h3>Ce que nous apprend l’histoire des polices</h3> <p>L’histoire des polices montre que certaines périodes sont plus favorables à une réflexion collective sur les conditions de la légitimité des polices. En France, entre les années 1970 et 1990 s’est construit un ensemble de pratiques de maintien de l’ordre reposant sur le tryptique <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100688560">« prévision, négociation, contrôle »</a>, logique associée à une acceptation tendancielle de la pacification des conflits par les mouvements protestataires.</p> <p>Devant une transformation des répertoires (plus imprévisibles, moins déclarés, moins organisés, etc.) et l’incapacité à neutraliser les protestataires plus violents, les gouvernements français ont privilégié, depuis maintenant une dizaine d’années, une réponse consistant à frapper plus durement l’ensemble des manifestants pour préserver l’ordre public.</p> <p><a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100546260">Dans un ouvrage récent</a>, nous montrons que le modèle policier français, dont la légitimité a d’abord été pensée par rapport à la préservation de l’ordre politique, doit désormais s’adapter aux demandes de tranquillité émanant des territoires et asseoir l’autorité de ses agents aux yeux des publics divers d’une société française inégalitaire et plurielle.</p> <p>Cette question se pose particulièrement pour le maintien de l’ordre. A un moment où le fonctionnement de la démocratie représentative <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">est structurellement remis en cause</a>, et où donc de nouvelles formes de protestation ne manqueront pas d’émerger, il semble essentiel de prendre le temps de repenser le maintien de l’ordre, en combinant usage légitime et proportionné de la force et respect des libertés individuelles.<img src="https://counter.theconversation.com/content/204626/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <p> </p> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/jacques-de-maillard-283190">Jacques de Maillard</a>, Professeur des Universités, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-de-versailles-saint-quentin-en-yvelines-uvsq-universite-paris-saclay-2271">Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay </a></em> et <a href="https://theconversation.com/profiles/aurelien-restelli-761010">Aurélien Restelli</a>, Doctorant, sociologie, CESDIP, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-de-versailles-saint-quentin-en-yvelines-uvsq-universite-paris-saclay-2271">Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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réalisés avec des policiers, des gendarmes ou des membres du corps préfectoral, du recueil de documentation interne à la police et à la gendarmerie et de mises en perspective internationales, différents travaux de spécialistes ont montré ce <a href="https://theconversation.com/violence-et-police-un-probleme-dencadrement-juridique-185097">tournant</a>. Ainsi, la « gestion patrimonialiste des conflits sociaux », fondée sur la négociation avec les organisations syndicales et une <a href="https://www.cairn.info/strategies-de-la-rue--9782724607074.htm">certaine tolérance</a> vis-à-vis des troubles causés par les manifestants, a laissé la place à un modèle de maintien de l’ordre beaucoup plus dur, dont l’objectif semble être d’empêcher les manifestations, plutôt que de faciliter leur déroulement.</p> <p><a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-qui-decide-de-quoi-119128">Ces opérations de maintien de l’ordre</a> sont en effet caractérisées depuis quelques années, par une certaine <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/politiques-du-desordre-olivier-fillieule/9782021433968">« brutalisation »</a> et un <a href="https://www.cairn.info/police-et-societe-en-france--9782724640007-page-325.htm">durcissement</a> dont témoigne aussi l’usage croissant d’outils judiciaires et administratifs contre les manifestants.</p> <h3>Un changement de doctrine qui a fait long feu</h3> <p>Pourtant, lorsque la mobilisation contre la réforme des retraites a débuté, en janvier, les difficultés relatives aux opérations de maintien de l’ordre semblaient être de l’histoire ancienne. Depuis le <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/laurent-nunez-devrait-remplacer-didier-lallement-a-la-tete-de-la-prefecture-de-police-de-paris-4124120">remplacement</a> de Didier Lallement par Laurent Nunez au poste de préfet de police, une approche différente de l’encadrement des cortèges parisiens prévalait. Les policiers et les gendarmes n’encadraient plus les manifestants au plus près, mais se situaient au contraire à bonne distance de ceux-ci, dans des rues adjacentes. Et les syndicats et leur service d’ordre avaient repris la main sur l’organisation des manifestations, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/manifestation-contre-la-reforme-des-retraites-comment-le-maintien-de-l-ordre-est-il-assure-dans-les-corteges_5605253.html">bonne intelligence</a> avec les préfets et les forces de l’ordre.</p> <p>Mais ce récit de l’« adoucissement » ne résiste guère à l’analyse et occulte certains excès policiers à l’encontre de manifestants. Un journaliste indépendant a ainsi dû être <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/manifestation-un-homme-emascule-apres-un-coup-de-matraque-d-un-policier-20230122">amputé d’un testicule</a> suite au coup de matraque porté par un policier lors de la manifestation du 19 janvier, à Paris. De plus, l’apparent changement de doctrine consécutif à la nomination de Laurent Nunez n’a pas empêché plusieurs dizaines de personnes visiblement pacifiques de subir des <a href="https://actu.fr/societe/coups-injustifies-usage-d-armes-les-violences-policieres-c-est-quoi-exactement_58340413.html">matraquages injustifiés</a> lors de charges policières (le 19 janvier, le 31 janvier et le 11 février).</p> <p>Surtout, à partir du 16 mars et du recours par le gouvernement à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, les journalistes et les observateurs ont largement documenté les violences physiques exercées par les forces de l’ordre à l’encontre des manifestants, ainsi que les arrestations arbitraires, voire les <a href="https://www.bfmtv.com/paris/violences-de-policiers-de-la-brav-m-deux-manifestants-vont-porter-plainte_AN-202303260314.html">humiliations</a> subies par ces derniers lors des manifestations nocturnes (non-déclarées par les syndicats) consécutives à l’annonce du recours au 49.3.</p> <h3>Des unités policières et des dispositifs judiciaires qui interrogent</h3> <p>Les critiques se sont notamment focalisées sur les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/24/je-peux-te-dire-qu-on-en-a-casse-des-coudes-et-des-gueules-quand-la-brav-m-derape-au-cours-d-une-interpellation_6166857_3224.html">agissements de la BRAV-M</a>, une unité créée en 2019 pour réprimer les cortèges mobiles et sauvages des Gilets jaunes. Mais d’autres images attestent également de violences commises par des policiers membres de CRS ou de Compagnies d’Intervention (CI).</p> <p>Au total, depuis le début de la mobilisation, l’IGPN a été saisie de <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/reforme-des-retraites-53-enquetes-judiciaires-confiees-a-l-igpn-depuis-le-debut-du-mouvement_AN-202304140038.html">53 enquêtes judiciaires</a>, principalement pour Paris (chiffres au 1<sup>er</sup> mai), tandis que la Défenseure des droits a été saisie <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/retraites-115-saisines-de-la-defenseure-des-droits-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-20230417">115 fois</a> (chiffres du 17 avril) pour des violences policières supposées.</p> <p>Concernant les arrestations arbitraires, si elles peuvent être décrites comme telles, c’est en raison du faible nombre d’interpellations qui aboutissent, en bout de chaîne, à des déferrements. Ainsi, au cours de la soirée du 16 mars, 292 personnes ont été placées en garde-à-vue mais seulement neuf d’entre elles ont été déférées avec des <a href="https://www.bfmtv.com/paris/neuf-personnes-deferees-sur-les-292-interpellations-lors-de-la-manifestation-place-de-la-concorde-j">sanctions très faibles</a>.</p> <p>Le lendemain, 64 personnes ont été placées en garde-à-vue et six d’entre elles <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/200323/violences-interpellations-abusives-le-retour-d-un-maintien-de-l-ordre-qui-seme-l">ont été déférées</a>. Cela renforce l’idée d’un détournement de la garde-à-vue, qui n’est plus utilisée pour mettre un suspect à disposition d’un officier de police judiciaire (OPJ), mais simplement pour punir un individu d’avoir participé à une manifestation ou « pour vider les rues ».</p> <h3>Un basculement répressif</h3> <p>Comment peut-on expliquer ce basculement répressif à partir de la mi-mars ? Les forces de l’ordre, soutenues par le gouvernement et les syndicats policiers, avancent trois types d’arguments, déjà utilisés au plus fort du mouvement des Gilets jaunes, en décembre 2018.</p> <p>Le premier a trait au <a href="https://theconversation.com/le-vertige-de-lemeute-108449">caractère émeutier</a> des manifestations les plus récentes, rendant les moyens habituellement employés pour encadrer les manifestations intersyndicales insuffisants pour rétablir l’ordre. Le deuxième argument pointe la fatigue et la lassitude des forces de l’ordre à cause de la répétition des manifestations et de la surcharge de travail, ce qui expliquerait les dérives et les bavures.</p> <p>Le troisième est la violence exercée contre les forces de l’ordre, dont ont témoigné de nombreuses images comme ce policer qui s’écroule après avoir reçu un pavé dans la tête lors de la <a href="https://www.bfmtv.com/paris/greve-du-23-mars-a-paris-laurent-nunez-annonce-saisir-la-justice-apres-la-blessure-d-un-policier-a-la-tete_AN-202303240410.html">manifestation parisienne du 23 mars</a>. Les chiffres rapportés par le ministère de l’Intérieur font état de 441 policiers blessés pour cette seule journée à Paris.</p> <p>La violence exercée par les forces de l’ordre est alors présentée comme une réponse, par l’État, à ce déferlement. Ces arguments ne peuvent pas être balayés notamment avec la <a href="https://www.cairn.info/violences-politiques-en-france--9782724627305.htm">recomposition du répertoire manifestant</a>, avec des violences de certains groupes minoritaires (facilitées à Paris par le contexte urbain, et notamment l’amas de poubelles dans les rues).</p> <p>La lecture des journaux de marche des compagnies de CRS, comme a pu le faire Le Monde, est à cet égard <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/25/retraites-les-crs-eprouves-apres-une-journee-noire-a-nantes-rennes-bordeaux-ou-toulouse_6166955_3224.html">instructive</a> : celles-ci ont dû faire en différents endroits à des guets-apens, des jets de projectiles, incendies de poubelles ou de palettes, tirs de mortiers d’artifice, voire de cocktails Molotov. Cependant, ces éléments forment le contexte de l’intervention, sans pour autant déterminer la stratégie adoptée par les forces de l’ordre.</p> <h3>Un manque d’intérêt pour les stratégies de désescalade</h3> <p>Face à ces nouvelles conditions, nous observons un manque d’intérêt persistant des différentes autorités (ministère de l’Intérieur, préfecture de police de Paris, police nationale et gendarmerie nationale) pour la notion de désescalade.</p> <p>Cette approche vise à retarder, voire éviter le recours à la force, en privilégiant d’autres moyens (temporisation, dialogue, recul des forces de l’ordre) tant que cela est possible. S’en passer conduit les forces de l’ordre à se montrer brutales dès qu’une difficulté apparaît et <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=41982">contribue à distinguer nettement la France</a> d’un grand nombre de pays européens.</p> <p>Plusieurs conséquences en découlent : une incapacité à opérer des distinctions entre les profils de manifestants – et donc l’usage de la force contre des manifestants apparemment non violents ; une sous-utilisation des mécanismes de communication en continu par l’emploi de moyens humains (équipes dédiées chargées de communiquer en continu avec les manifestants) et technologiques (l’utilisation de panneaux lumineux permettant de rendre plus visibles les ordres de dispersion et sommations) ; une tendance à réduire la contestation sociale à l’action de groupes minoritaires (d’« ultragauche » notamment), et donc à déployer la force.</p> <h4 style="text-align: center;"><iframe frameborder="0" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/O3YKU9UGeCY?wmode=transparent&start=0" width="440"></iframe><em><span>L’unité dite de la BRAV-M a été particulièrement cible de critiques. 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Ensuite, elle tend à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2011-6-page-1047.htm">accroître</a> l’hostilité de la part des manifestants, y compris ceux qui sont au départ pacifiques. L’utilisation perçue comme illégitime et excessive de la force finit par devenir un élément de mobilisation. Les interventions viriles d’unités comme les Brav-M sont elles-mêmes facteurs de dégradations des situations.</p> <p>Une telle stratégie accroît plus généralement les antagonismes entre manifestants et forces de l’ordre, défenseurs des libertés publiques et organisations professionnelles de défense des policiers. C’est ici le risque du « hard power trap », quand la dégradation des relations aboutit à ce que l’obéissance ne résulte plus que de la contrainte, bien mis en évidence dans les <a href="https://policy.bristoluniversitypress.co.uk/good-policing">travaux internationaux sur la police</a> depuis de nombreuses années.</p> <p>Au contraire, dans le cas de la manifestation dans le Tarn du 21 avril <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/manifestations-contre-l-autoroute-a69-premiere-en-france-d-une-surveillance-en-drones-par-les-forces-de-l-ordre-2758690.html">contre un projet autoroutier</a>, la police était présente mais peu visible et éloignée des cortèges, résultant en peu de heurts. D’autres choix sont donc possibles.</p> <h3>Ce que nous apprend l’histoire des polices</h3> <p>L’histoire des polices montre que certaines périodes sont plus favorables à une réflexion collective sur les conditions de la légitimité des polices. En France, entre les années 1970 et 1990 s’est construit un ensemble de pratiques de maintien de l’ordre reposant sur le tryptique <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100688560">« prévision, négociation, contrôle »</a>, logique associée à une acceptation tendancielle de la pacification des conflits par les mouvements protestataires.</p> <p>Devant une transformation des répertoires (plus imprévisibles, moins déclarés, moins organisés, etc.) et l’incapacité à neutraliser les protestataires plus violents, les gouvernements français ont privilégié, depuis maintenant une dizaine d’années, une réponse consistant à frapper plus durement l’ensemble des manifestants pour préserver l’ordre public.</p> <p><a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100546260">Dans un ouvrage récent</a>, nous montrons que le modèle policier français, dont la légitimité a d’abord été pensée par rapport à la préservation de l’ordre politique, doit désormais s’adapter aux demandes de tranquillité émanant des territoires et asseoir l’autorité de ses agents aux yeux des publics divers d’une société française inégalitaire et plurielle.</p> <p>Cette question se pose particulièrement pour le maintien de l’ordre. A un moment où le fonctionnement de la démocratie représentative <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">est structurellement remis en cause</a>, et où donc de nouvelles formes de protestation ne manqueront pas d’émerger, il semble essentiel de prendre le temps de repenser le maintien de l’ordre, en combinant usage légitime et proportionné de la force et respect des libertés individuelles.<img src="https://counter.theconversation.com/content/204626/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <p> </p> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/jacques-de-maillard-283190">Jacques de Maillard</a>, Professeur des Universités, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-de-versailles-saint-quentin-en-yvelines-uvsq-universite-paris-saclay-2271">Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay </a></em> et <a href="https://theconversation.com/profiles/aurelien-restelli-761010">Aurélien Restelli</a>, Doctorant, sociologie, CESDIP, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-de-versailles-saint-quentin-en-yvelines-uvsq-universite-paris-saclay-2271">Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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Mais rien ne permet d’abandonner l’idée que la parole reste « le propre de l’homme », c’est-à-dire la capacité à articuler avec sa bouche des sons distinctifs qui peuvent se combiner à l’infini pour donner une infinité de sens.</p> <p>C’est sans doute à cette spécificité que la question de l’émergence de la parole dans l’évolution humaine doit d’être restée à travers les âges au cœur de recherches dans le domaine de la philosophie, de la linguistique et, plus récemment, de l’éthologie, de la psychologie et des neurosciences. Cette question renvoie à la fois à l’existence des capacités cognitives adaptées à l’émergence du langage, qu’il soit parlé ou non, et à l’existence de capacités physiques de la bouche et des lèvres pour structurer et articuler les unités sonores qui seront les vecteurs acoustiques du langage, via la parole.</p> <p>Cognitivement, le <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2011.0295">langage renvoie fondamentalement à la capacité d’abstraction</a>. C’est la raison pour laquelle la fabrication d’outils, la maîtrise du feu, les peintures pariétales, la structuration de l’habitat sont autant d’étapes de l’évolution humaine qui ont fréquemment été utilisées comme des marqueurs potentiels de l’émergence de la capacité au langage. Il n’y a pas de consensus sur l’émergence de la parole. Nos travaux visent à contribuer à ces débats, en étudiant si les capacités des hominines fossiles (les Néandertaliens qui sont proches de nous comme leurs ancêtres, les H. heidelbergensis datant de 500 000 ans voire les Australopithèques qui sont beaucoup plus anciens et appartiennent à un autre genre) leur permettaient d’articuler suffisamment de sons distinctifs pour constituer la base du langage parlé.</p> <h3>Depuis quand peut-on articuler ?</h3> <p>Sur le plan physique, c’est l’usage de la bouche qui est au cœur de la capacité à parler. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XVE4B6TxlfM">Le célèbre ethnologue français André Leroi-Gourhan</a> (1911-1986) voyait dans le passage de la quadrupédie à la bipédie une étape essentielle dans l’émergence du langage parlé : permettant l’usage de la main pour des gestes de préhension jusqu’alors effectués par la bouche, la bipédie a « libéré » la mandibule, les lèvres et la langue pour leur permettre d’exécuter un répertoire gestuel riche et structuré, capable de transmettre le langage via le son.</p> <p>Quand est apparue la capacité physique à articuler des sons distinctifs ? C’est lorsque l’ensemble de cartilages marqué par la pomme d’Adam, qu’on appelle le larynx, est suffisamment descendu dans le cou, répondit le <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.164.3884.1185">chercheur américain Philip Lieberman</a> (1934-2022) dans le journal Science en 1969. Cette descente du larynx aurait, selon lui, offert à la langue un espace vertical nouveau, suffisamment large pour qu’elle puisse se déformer, se bomber ou s’aplatir pour générer une variété de formes et de sons appropriée à la richesse combinatoire du langage.</p> <p>Cette hypothèse, qui a fonctionné pendant plusieurs décennies, en sclérosant quelque peu la recherche dans ce domaine, a depuis lors été fortement contestée. Le chercheur <a href="https://theconversation.com/la-parole-ne-serait-pas-apparue-avec-homo-sapiens-et-ce-sont-les-singes-qui-nous-le-disent-128708">Louis-Jean Boë et ses collègues</a> ont en effet montré que les cris de babouins, dont le larynx est élevé et la langue plate, contiennent des sons proches du « a », du « ou » et du « i », les trois voyelles qui constituent la base fondamentale des systèmes vocaliques des langues du monde.</p> <p>De même, Fitch, pourtant disciple de Lieberman, et ses collègues, <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.1600723">dans un article paru dans <em>Science Advances</em> en 2016</a>, ont montré, à partir de radiographies de la gueule de macaques au cours de la déglutition, que malgré leur larynx élevé, ces primates pouvaient générer des formes de langue compatibles avec la production de voyelles suffisamment variées et distinctes pour constituer les bases sonores d’un langage parlé. La descente du larynx ne semble donc pas constituer un marqueur fiable de l’émergence de la capacité physique à parler au cours de l’évolution humaine, et le mystère reste entier.</p> <p>Pour tenter de le percer, notre projet <a href="https://iscd.sorbonne-universite.fr/research/sponsored-junior-teams/origins-of-speech/">« Origins of Speech »</a>, s’est proposé d’élaborer des modèles biomécaniques de langue d’humains fossiles.</p> <p>Un modèle biomécanique est un modèle numérique, sur ordinateur, qui représente une partie du corps humain, avec son anatomie, ses structures osseuses, ses tissus mous, ses muscles, et est capable de rendre compte des mécanismes physiques qui régissent leurs mouvements et leurs déformations sous l’action d’activations musculaires. Pour la langue, de tels modèles permettent d’étudier comment les muscles linguaux influencent la forme et la position de la langue dans la bouche. Ainsi, pour les fossiles, ces modèles offriraient la possibilité d’étudier, quantitativement et systématiquement, leur capacité à produire des sons de parole.</p> <h3>Prédire la langue des humains fossiles à partir des os de la tête</h3> <p>Mais sur quoi s’appuyer pour élaborer de tels modèles ? Aucune donnée anatomique n’existe. En effet, les tissus mous de langue, des parois de la bouche, et du visage ne fossilisent pas. Seuls restent les os, plus ou moins abîmés par les sévices du temps.</p> <p>C’est l’idée originale de notre projet, présentée dans <a href="https://journals.plos.org/ploscompbiol/article?id=10.1371/journal.pcbi.1011808">notre article récent</a> publié dans le journal <em>PLoS Computational Biology</em> porté par les jeunes chercheurs de notre équipe, Pablo Alvarez, Marouane El Mouss et Maxime Calka.</p> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/590916/original/file-20240429-20-zn36pe.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/590916/original/file-20240429-20-zn36pe.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="" /></a><em><span>Processus permettant la génération d’un modèle biomécanique de langue de babouin par la transformation d’un modèle de référence élaboré sur un humain actuel. Cette transformation s’appuie sur la modélisation mathématique des différences morphologiques entre les structures osseuses crâniennes de l’humain actuel et du babouin.</span> <span><span>Fourni par l'auteur</span></span></em></h4> <p>Elle consiste à exploiter les structures osseuses fossilisées pour prédire la forme et l’anatomie de la langue de ces humains disparus. Pour cela, nous utilisons comme référence le modèle biomécanique de langue d’un humain vivant, que nous avons soigneusement conçu dans nos laboratoires grenoblois GIPSA-lab et TIMC au cours de près de 3 décennies de recherches coordonnées.</p> <p>Ce modèle rend compte fidèlement de la morphologie de la langue, de ses structures musculaires, des caractéristiques mécaniques de ses tissus mous, et de ses interactions mécaniques avec la mandibule, le palais et l’os hyoïde, un petit os mobile qui relie la langue… au larynx.</p> <h4 style="text-align: center;"><iframe frameborder="0" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Pz0A5HTYFeM?wmode=transparent&start=0" width="440"></iframe><em><span>Modèle de langue TIMC et Gipsa lab Grenoble.</span></em></h4> <p>C’est en modifiant la géométrie du modèle de référence que nous générerons des modèles biomécaniques pour les langues fossiles. Pour cela, en nous appuyant sur des outils mathématiques combinant des transformations géométriques complexes, nous déterminons tout d’abord la transformation géométrique optimale qui permet de passer de la géométrie du crâne et de la mandibule de l’humain actuel à celle du crâne et de la mandibule de l’humain fossile.</p> <p>Puis nous appliquons cette transformation géométrique au modèle de langue du premier pour le déformer et en faire un modèle de langue pour le second, avec sa forme spécifique, ses structures musculaires, et ses interactions avec la mandibule, le palais et l’os hyoïde…</p> <p>Mais dans quelle mesure peut-on faire confiance à une transformation géométrique basée sur les structures osseuses pour prédire les tissus mous de la langue ? Pour répondre à cette question, cruciale pour valider la méthode, nous avons choisi d’évaluer leur méthode sur la génération d’un modèle biomécanique de langue de babouin, un primate non-humain dont la morphologie de la tête est très différente de celle d’un Homo Sapiens.</p> <p>Notre hypothèse en la matière consiste à dire que si cette méthode marche pour un tel primate, alors il est vraisemblable qu’elle sera fiable pour la prédiction de la langue de tous les humains fossiles dont les crânes sont moins différents de celui d’un Homo Sapiens, que ne l’est celui d’un babouin.Nous avons alors généré deux modèles de langue de babouin. Le premier a été conçu en utilisant une transformation géométrique optimale déterminée en prenant en compte les structures osseuses et les tissus mous de la tête. Comme on peut s’y attendre, la complétude des informations morphologiques prises en compte permet d’obtenir un modèle qui décrit avec une grande précision la morphologie de la langue du babouin.</p> <p>Puis nous avons généré un second modèle, en déterminant la transformation géométrique optimale sur la seule base des informations sur les structures osseuses, ignorant celles sur les tissus mous. Ce second modèle s’est avéré être très proche du premier et la fiabilité de cette prédiction a été validée par des outils statistiques de quantification des incertitudes développés par Anca Belme à l’Institut Jean Le Rond d’Alembert de Sorbonne Université. Nous avons alors pu conclure que notre méthode est fiable pour générer, à partir des seules structures osseuses, des modèles biomécaniques réalistes pour les langues de primates, qu’ils soient humains ou non humains, qu’ils soient vivants ou (bientôt car les analyses sont en cours) fossiles.</p> <p>C’est en exploitant cette méthode, que nous travaillons actuellement à la génération de modèles biomécaniques de la langue d’humains fossiles, tels que les <em>Homo Heidelbergensis</em> connus en Europe à partir de 600 000 ans ou les Néandertaliens de 70-50 000 ans, à partir respectivement des ossements d’Arago 21 (grotte à proximité de Perpignan) et de ceux de La Ferrassie 1 en Dordogne. Notre but est d’explorer systématiquement les conséquences des activations des muscles de la langue dans ces modèles, d’observer le spectre des formes de la bouche qui peuvent ainsi être générées et d’analyser les caractéristiques des sons qui seraient ainsi produits par les fossiles, en faisant l’hypothèse qu’ils possédaient des cordes vocales et des capacités pulmonaires similaires à celles des Homo Sapiens. Il sera aussi possible de tester quantitativement, en jouant sur la position de l’os hyoïde, connecté au larynx, dans quelle mesure la position, plus ou moins haute, du larynx est susceptible d’influencer la richesse des formes de bouches et des sons produits.</p> <p>C’est la méthodologie de recherche que nous avons choisie pour percer le mystère de l’émergence au cours de l’évolution humaine de la capacité à produire avec la bouche des sons suffisamment variés pour constituer la base d’un langage utilisant l’acoustique pour véhiculer des idées entre congénères…<img src="https://counter.theconversation.com/content/226977/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/pascal-perrier-1528361">Pascal Perrier</a>, Professeur en Mathématiques du Signal - Modèles biomécaniques orofociaux - Modèlisation du contrôle moteur de la production de la parole, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/institut-polytechnique-de-grenoble-grenoble-inp-2428">Institut polytechnique de Grenoble (Grenoble INP)</a></em>; <a href="https://theconversation.com/profiles/amelie-vialet-1528373">Amélie Vialet</a>, Maître de conférences en paléoanthropologie, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/museum-national-dhistoire-naturelle-mnhn-2191">Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)</a></em> et <a href="https://theconversation.com/profiles/yohan-payan-1528354">Yohan Payan</a>, Chercheur en biomécanique des tissus mous, laboratoire TIMC (CNRS, Univ. 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Lire l’<a href="https://theconversation.com/emergence-du-langage-dans-levolution-humaine-des-chercheurs-font-parler-les-structures-osseuses-fossilisees-226977">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'emergence-du-langage-dans-l-evolution-humaine-des-chercheurs-font-parler-les-structures-osseuses-fossilisees', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 13, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => 'https://theconversation.com/emergence-du-langage-dans-levolution-humaine-des-chercheurs-font-parler-les-structures-osseuses-fossilisees-226977', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 10, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4881, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) aurait-elle engagé une guerre contre le monde des réalités?', 'subtitle' => 'Avec le jugement favorable à la plainte de l’association KlimaSeniorinnen Schweiz, la CEDH ouvre la voie à la sanction des Etats en se fondant sur des arguments façonnés dans un monde imaginaire. 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Par ce jugement, la CEDH semble vouloir enterrer toute démarche rationnelle appuyée sur des faits pour favoriser des croyances.</p> <p>Accrochées à un mouvement généralisé autour du climat, qui favorise la foi d’une construction sociale de la réalité, à l’instar de la «justice climatique», ces plaignantes semblent avoir banni de leur plaidoyer tout ce qui pourrait résister au contrôle humain de la météo du jour, sans égards aux résultats scientifiques et leurs immenses incertitudes concernant les climats futurs. Les plaignantes ont accusé en substance les autorités suisses de mener une politique climatique aux objectifs et aux mesures insuffisantes, «en violation de leur droit à la vie», arguant de la vulnérabilité des personnes âgées face aux effets des changements en cours, et en particulier aux vagues de chaleur. Ce qui est visé, selon le jugement, serait l’incapacité de la Suisse à fournir une estimation des émissions de gaz à effet de serre futures afin de limiter «le réchauffement climatique» au fameux 1,5°C de l’Accord de Paris, valeur pourtant parfaitement arbitraire et dont les conséquences néfastes restent difficiles à identifier.</p> <p>Mais qu’en est-il vraiment? Que disent les données des études démographiques sur la «violation du droit à la vie» que ce soit sous les climats helvétiques ou mondiaux? Le «réchauffement climatique» met-il réellement en péril le «droit à la vie» des femmes âgées de Suisse?</p> <p>Premier constat, d’après les données de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), l’espérance de vie à la naissance des femmes suisses est passée de 79,3 ans en 1982 à 85,4 ans en 2022, et ce malgré «l’urgence climatique», soit un gain de 56 jours par an depuis 1982. Sur la même période, l’espérance de vie à 65 ans, âge minimal de ces militantes, est passée de 18,4 à 22,5 années. Il ne semble pas que «le climat» ait eu des conséquences fâcheuses sur leur droit à la vie.</p> <p>En recoupant les données de l’OFS et de Météosuisse, on peut observer la nature cyclique du nombre de décès par semaine des personnes de plus de 65 ans en Suisse, de 2010 à 2024 (Figure).</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1713434705_capturedcran2024041812.04.17.png" class="img-responsive img-fluid center " width="784" height="554" /></p> <p>La courbe noire pleine montre que les périodes hivernales restent les plus fatales, toutes causes confondues, pouvant parfois accroître la mortalité de 72% par rapport aux périodes estivales. Bien que les variabilités démographiques soient complexes à appréhender avec précision (comme les «effets moisson» ou les crises sanitaires telles la Covid-19), cette nature cyclique confirme simplement que «le froid tue».</p> <p>Pour s’en convaincre, s’affichent en gris sur la figure et à titre d’exemple, les températures <i>maximales </i>quotidiennes de la station de Neuchâtel montrant de larges amplitudes au cours de l’année. A partir du printemps 2020, la courbe des décès-toutes-causes subit les perturbations du Coronavirus et ses conséquences, rendant hasardeuse toute interprétation de détail. Mais la forte anti-corrélation entre décès et saisonnalité demeure. Nous supportons bien plus aisément les températures non-optimales chaudes que froides. Une étude récente<strong><sup>1</sup></strong> publiée dans <i>The Lancet</i> sur les excès de mortalité dans les villes européennes entre 2000 et 2019, dus cette fois uniquement aux températures non-optimales chaudes ou froides, confirme la tendance générale: entre 65 et 74 ans, le froid tue en Suisse 3 fois plus que le chaud, entre 75 et 84 ans, 6 fois plus, et au-dessus de 85 ans, 7,6 fois davantage. Dans une autre étude du <i>Lancet</i><strong><sup>2</sup></strong> sur les températures non-optimales entre 2000 et 2019 au niveau mondial, le constat est identique: le taux mondial de surmortalité liée au froid a baissé de 0,5% alors que celui lié à la chaleur aurait augmenté de 0,2%, conduisant à une réduction nette du ratio mondial des décès liés aux températures extrêmes. Mais ces pourcentages ne touchent pas le même nombre de personnes, bien plus nombreuses à décéder durant les hivers, ce qui amplifie davantage le bénéfice d’un réchauffement climatique. Ces militantes du climat semblent donc avoir convaincu la CEDH de porter la justice dans un monde fantasmé, où seules les températures excessivement chaudes président à la destinée des femmes, en invitant la Suisse à rejeter la réalité des faits.</p> <p>Pourtant, dans le monde réel, faut-il le rappeler, l’espérance de vie des Suissesses n’a cessé d’augmenter, et ce malgré le «dérèglement climatique», et grâce, pour l’essentiel, aux énergies fossiles. De plus, les décès directement liés aux températures non-optimales s’amenuisent grâce en grande partie à des hivers plus cléments.</p> <p>Dans le monde réel, un pays riche comme la Suisse permet à sa population de s’adapter aisément aux inconforts météorologiques (chauffage ou climatisation, isolations, facilité d’accès aux soins, énergie toujours disponible, etc.). A cela peut s’ajouter une topographie bienveillante durant les étés avec de nombreux lacs et rivières, et une fraicheur montagnarde accessible.</p> <p>Dans le monde réel, la Suisse a diminué de près de 40% ses émissions de CO<sub>2</sub> par habitant depuis 1980 et 91% de sa production électrique est bas-carbone. D’après la Banque Mondiale, les émissions de CO<sub>2</sub> par dollar de parité de pouvoir d’achat de PIB (ce qui ramène tous les pays du monde à une échelle comparable) placent la Suisse au 4ème<sup>.</sup>rang sur 181 pays, démontrant son efficience énergétique tout en maintenant des conditions de vie exceptionnelles, devant la Suède 6ème, la France 28ème, l’Allemagne 74ème (illustrant l’échec de l’<i>Energiewende</i>), les USA 126ème et la Chine 170ème.</p> <p>Dans le monde réel, si la Suisse devait poursuivre ses émissions de CO<sub>2</sub> au niveau de 2019, elle ne contribuerait en 2100 qu’à une élévation de la température mondiale de quelques millièmes de degrés Celsius suivant les formules fournies par le GIEC. Ces valeurs restent non-mesurables et insignifiantes.</p> <p>Mais les militantes du climat ne vivent pas dans le monde réel. Elles séjournent dans un univers peuplé d’illusions où seules les impressions du sujet construisent son milieu, où les slogans inconsistants balaient les données factuelles, où la Suisse parviendrait par sa «politique climatique» à influencer la régulation des climats de la Terre. Oui, la CEDH a bien approuvé la guerre contre la réalité menée par le climatisme, nouvelle religion de certaines classes aisées des pays les plus riches.</p> <hr /> <h4><sup>1</sup>Masselot et al. (2023) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 7, e-271-281</h4> <h4><sup>2</sup>Zhao et al. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@bouc 28.05.2023 | 16h02
«Analyse fouillée et intéressante, bien que l'auteur emploie déferrement au lieu de défèrement.
Luc Recordon»