Actuel / Les «vieux», acteurs de la prévention face à la Covid-19 au Sénégal
Un fidèle âgé d'une mosquée se lave les mains avant la prière le premier jour de la levée de l'interdiction sur les rassemblements, le 12 mai 2020 à Dakar. © John Wessels/AFP
En Europe, les personnes âgées sont essentiellement présentées comme les premières victimes de la pandémie. «The Conversation» nous emmène en Afrique de l'Ouest, où les choses semblent bien différentes. Un dépaysement bienvenu alors que nous sommes terriblement concentrés sur nous-mêmes en cette période mouvementée.
Gabriele Laborde-Balen, Institut de recherche pour le développement (IRD); Bernard Taverne, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Khoudia Sow, Institut de recherche pour le développement (IRD)
La forte proportion de formes graves et de décès liés à la Covid-19 chez les personnes âgées – 60 ans et plus – a été signalée par l’Organisation mondiale de la santé dès l’apparition de l’épidémie en Chine. Les autorités sanitaires du Sénégal avaient très tôt reconnu la nécessité de protéger les personnes âgées considérées comme plus vulnérables.
Comment ces personnes âgées ont-elles vécu le phénomène épidémique? Comment ont-elles réagi face aux mesures de restrictions, et à l’évocation répétée de leur vulnérabilité médicale?
Une étude anthropologique, composante du programme Ariacov, a été menée au Sénégal de mars à décembre 2020. Elle est basée sur l’analyse de «journaux de l’épidémie» rédigés par dix enquêteurs répartis dans diverses localités du pays et sur les témoignages d’une quarantaine de personnes âgées vivant à Dakar et en banlieue.
Les conditions de logement et la place des personnes âgées dans les ménages
Au Sénégal, la proportion des personnes âgées de 60 ans et plus est peu élevée: elles représentent 5,6 % de la population, et les 70 ans et plus, 2,2 %. La place et le rôle des personnes âgées dans les ménages urbains sont particuliers. A Dakar, selon le rapport 2020 de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, 74 % des individus vivent dans des ménages de six personnes ou plus; 68 % des individus vivent dans des logements surpeuplés (deux personnes ou plus partagent une seule pièce). La cohabitation intergénérationnelle est fréquente: la quasi-totalité des personnes âgées vivent avec d’autres adultes (Golaz & Antoine 2018).
Les conditions de vie des personnes âgées sont précaires. Moins du tiers d’entre elles disposent d’une pension de retraite leur permettant de contribuer à l’économie domestique. Celles qui n’ont pas de pension travaillent le plus longtemps possible avant d’être prises en charge par leurs proches. En cas de maladie, la faible efficacité du dispositif de protection sociale entraîne leur totale dépendance à l’égard des plus jeunes, alors qu’un tiers de la population est considérée en situation de pauvreté monétaire.
Les dépenses de santé sont ainsi l’une des principales préoccupations des personnes âgées. Bien que les personnes âgées soient, en proportion, peu nombreuses, le thème de leur vulnérabilité spécifique par rapport à la Covid-19 a donc concerné un grand nombre de ménages.
Les personnes âgées au centre de la circulation des informations dans les ménages
Dès la diffusion des premières informations sur l’épidémie, les personnes âgées se sont intéressées à l’événement. Elles se sont mises à suivre très attentivement les nouvelles diffusées par la presse nationale, via les radios et télévisions.
Un des rédacteurs confie:
«Ma grand-mère suit sans arrêt les informations, elle est tout le temps scotchée sur sa petite radio et elle partage ces infos avec la famille.»
Le caractère cérémonieux et dramatique du communiqué de presse matinal diffusé par le ministère de la Santé, qui détaille chaque jour le nombre de nouveaux cas, puis les décès et les localités concernées, a été rapidement considéré comme une marque de la gravité de la situation.
Dans les premières semaines, il était attendu et écouté avec attention: «à l’approche de 10, je n’ai aucune occupation, j’attends impatiemment le communiqué», témoignait un homme de 70 ans au mois de mars; un observateur rapporte:
«Au village, à partir de 10h, tout le monde se place autour de la radio et attend le communiqué sur les cas de corona.»
La messagerie instantanée WhatsApp a été aussi communément utilisée par nombre de personnes âgées pour partager des informations sur l’épidémie, démultipliant les sources d’informations en favorisant les échanges personnalisés avec les membres de la famille résidant à l’étranger, dans différents pays alors fortement touchés par l’épidémie.
Dans le contexte d’inquiétude croissante des premières semaines, des regroupements familiaux autour du chef de famille ou de la personne âgée se sont organisés dans les ménages pour partager les informations, confronter les opinions, et décider des attitudes à avoir: «à 17 h, nous voilà tous réunis dans la chambre du grand-père pour partager les nouvelles de la journée.»
L’annonce du premier décès lié à la Covid-19, le 31 mars 2020, a suscité une inquiétude d’autant plus vive chez les personnes âgées qu’il s’agissait de M. Papa Mababa Diouf dit Pape Diouf, alors âgé de 68 ans, qui était une célébrité nationale (ancien président du club de football de l’Olympique de Marseille). À travers cet homme connu de tous, la menace devenait plus proche, exacerbant l’inquiétude des personnes âgées. Un jeune homme rapporte:
«La peur et le stress se lisent sur les visages de mes deux parents, surtout celui de mon père.»
Un autre observe:
«Mon grand-père semble choqué par le décès de Pape Diouf. Il dit qu’il ne s’y attendait pas. Il nous dit que “68 ans ce n’est pas un vieux!”»
Les personnes âgées garantes de l’application des mesures sanitaires
L’inquiétude des personnes âgées face à la maladie a favorisé leur adhésion initiale aux diverses mesures sanitaires. Dans les ménages, nombre de personnes âgées ont investi une position d’autorité pour faire appliquer les consignes sanitaires: la surveillance des entrées et des sorties de l’habitation, le lavage des mains, le nettoyage du logement, ont été scrupuleusement contrôlés.
Des personnes âgées rappelaient aux plus jeunes les recommandations et parvenaient à imposer une discipline collective stricte:
«Mon grand-père nous a tous informés qu’à partir de 20 h l’appartement sera fermé à clé.»
Les personnes âgées ont été dans l’ensemble favorables à la plupart des mesures sanitaires, y compris celles qui paraissaient avoir le plus d’impact sur leurs pratiques sociales, telles la fermeture des mosquées ou l’interdiction des regroupements se traduisant par l’impossibilité de participer à divers rites sociaux (baptêmes, mariages, cérémonies funéraires), ou le renoncement aux prières à la mosquée, y compris lors de la fête la Tabaski.
Pour les femmes âgées, dont la vie sociale est rythmée, tout au long de l’année, par les cérémonies familiales, ces interdictions de regroupement ont souvent entraîné un isolement. Les hommes âgés ont été un peu moins affectés par la disparition de ces espaces de socialisation, car ils étaient davantage présents dans l’espace public, notamment au travers des activités professionnelles qui, bien que réduites, ont été souvent maintenues.
Thierno Mamoudou, une personne âgée, se tient à côté de son étal à Dakar, le 22 avril 2020. Il reconnait les risques liés à la pandémie, mais est obligé de travailler pour subvenir à ses besoins. © John Wessels/Afp
L’érosion de l’autorité, la sélection des mesures sanitaires pour protéger les personnes âgées
Dès la fin du premier mois de l’état d’urgence (avril 2020) la lassitude face aux mesures sanitaires est présente dans la plupart des ménages. La peur de la maladie persiste, elle est alimentée par le décompte quotidien du nombre des «cas communautaires»; leur variation est au centre des conversations.
Une sorte de décalage s’installe entre la peur et l’expérience quotidienne de la maladie dont la gravité ne paraît pas si alarmante, notamment pour les jeunes qui ont alors tendance à moins respecter les règles de distance: «J’ai tendu à plusieurs reprises la main à mon grand-père qui me rappelle que le coronavirus est encore là», témoigne un jeune homme (29 mai). «Dans la rue, un monsieur qui habite le quartier interpelle des jeunes “portez vos masques s’il vous plaît. Soyez plus compréhensifs avec vos parents et vos grands-parents à la maison”» (13 juin).
L’autorité avec laquelle les personnes âgées faisaient respecter les mesures sanitaires s’érode: «Ma grand-mère se fâche parce que mon frère est sorti. Au début on se taisait, maintenant on se cache quelque part pour rire, tellement cela ne nous fait plus rien», reconnaît une jeune femme (8 avril).
Quatre mois après le début de l’épidémie, la maladie Covid semblait déjà ne plus être le sujet dominant dans les ménages: «Les commentaires sur l’évolution de la maladie sont très rares, on est fatigués de discuter du corona» (29 juillet); «Mon grand-père n’aborde plus le sujet de la Covid, mais plutôt le manque de clients, les difficultés des transports en commun» (1 septembre). Certaines mesures sanitaires (l’utilisation du gel; le lavage des mains) ont été peu à peu délaissées.
Mais une vigilance collective, de la part des personnes âgées et des jeunes adultes, persiste souvent. En effet, les lieux de rassemblement continuent à être considérés par tous comme des espaces de possible contamination. La participation des membres des ménages à ces rassemblements est soumise à une décision collective.
Ce fut notamment le cas pour la participation au grand rassemblement religieux du Magal de Touba en octobre 2020. De nombreuses personnes âgées ont pris l’initiative de ne pas s’y rendre: «D’habitude, mon père, 68 ans, allait à Touba, mais cette année, il n’y est pas allé à cause du coronavirus.» Des adultes plus jeunes ont pris la même décision «pour ne pas faire courir de risque à ma grand-mère». Des chefs de famille âgés ont déconseillé voire interdit à leurs enfants ou petits-enfants de s’y rendre du fait de l’épidémie.
Fin novembre 2020, l’épidémie de Covid semble disparaître des préoccupations quotidiennes, notamment chez les plus jeunes. Bien que les personnes âgées aient repris la plupart de leurs activités sociales, elles restent dans l’ensemble encore vigilantes et respectueuses des «mesures barrières», notamment du port du masque.
Les personnes âgées actrices de la prévention
A l’inverse des sociétés européennes où la moyenne d’âge est nettement plus élevée, la faible proportion des personnes âgées en Afrique marginalise leurs problèmes de santé. Néanmoins, on constate que l’attitude des familles est globalement marquée par le souci de protéger leurs aînés.
La presque totalité des personnes âgées vit avec des membres plus jeunes de leur famille (enfants et petits-enfants). Même s’ils contribuent peu ou plus à l’économie domestique, un rôle de chef de ménage leur est souvent reconnu, en tant qu’autorité morale liée à leur statut d’aîné.
La crainte de la maladie, pour eux-mêmes et leurs proches, les a conduits à investir un rôle d’acteur dans la prévention en tant que garants de l’application des mesures sanitaires domestiques. Dans la perspective d’une large mobilisation communautaire, leur rôle, leur attitude et leur position dans les familles en font des «alliés naturels» que l’on gagnerait à associer à la lutte contre l’épidémie.
Avec la contribution de: Alioune Diagne, Halimatou Diallo, Mariama Diedhiou, Fatou Diop, Maïmouna Diop, Seynabou Diop, Oumou Kantome Fall, Aminata Niang, Bintou Rassoul Top, Souleymane Sow.
Gabriele Laborde-Balen, Anthropologue, Centre Régional de Recherche et de Formation à la prise en charge Clinique de Fann (CRCF, Dakar), Institut de recherche pour le développement (IRD); Bernard Taverne, Anthropologue, médecin, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Khoudia Sow, Chercheuse en anthropologie de la santé (CRCF)/TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Elles se sont mises à suivre très attentivement les nouvelles diffusées par la presse nationale, via les radios et télévisions.</p> <p>Un des rédacteurs confie:</p> <blockquote> <p>«Ma grand-mère suit sans arrêt les informations, elle est tout le temps scotchée sur sa petite radio et elle partage ces infos avec la famille.»</p> </blockquote> <p>Le caractère cérémonieux et <a href="http://www.sante.gouv.sn/taxonomy/term/14">dramatique du communiqué de presse matinal</a> diffusé par le ministère de la Santé, qui détaille chaque jour le nombre de nouveaux cas, puis les décès et les localités concernées, a été rapidement considéré comme une marque de la gravité de la situation.</p> <p>Dans les premières semaines, il était attendu et écouté avec attention: «à l’approche de 10, je n’ai aucune occupation, j’attends impatiemment le communiqué», témoignait un homme de 70 ans au mois de mars; un observateur rapporte:</p> <blockquote> <p>«Au village, à partir de 10h, tout le monde se place autour de la radio et attend le communiqué sur les cas de corona.»</p> </blockquote> <p>La messagerie instantanée WhatsApp a été aussi communément utilisée par nombre de personnes âgées pour partager des informations sur l’épidémie, démultipliant les sources d’informations en favorisant les échanges personnalisés avec les membres de la famille résidant à l’étranger, dans différents pays alors fortement touchés par l’épidémie.</p> <blockquote> <p>Dans le contexte d’inquiétude croissante des premières semaines, des regroupements familiaux autour du chef de famille ou de la personne âgée se sont organisés dans les ménages pour partager les informations, confronter les opinions, et décider des attitudes à avoir: «à 17 h, nous voilà tous réunis dans la chambre du grand-père pour partager les nouvelles de la journée.»</p> </blockquote> <p>L’annonce du premier décès lié à la Covid-19, le 31 mars 2020, a suscité une inquiétude d’autant plus vive chez les personnes âgées qu’il s’agissait de M. <a href="https://www.bbc.com/afrique/sports-52221313">Papa Mababa Diouf dit Pape Diouf</a>, alors âgé de 68 ans, qui était une célébrité nationale (ancien président du club de football de l’Olympique de Marseille). 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Même s’ils contribuent peu ou plus à l’économie domestique, un rôle de chef de ménage leur est souvent reconnu, en tant qu’autorité morale liée à leur statut d’aîné.</p> <p>La crainte de la maladie, pour eux-mêmes et leurs proches, les a conduits à investir un rôle d’acteur dans la prévention en tant que garants de l’application des mesures sanitaires domestiques. 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Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-vieux-acteurs-de-la-prevention-face-a-la-covid-19-au-senegal-151561">article original</a>.</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'les-vieux-acteurs-de-la-prevention-face-a-la-covid-1-au-senegal', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 450, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2749, 'homepage_order' => (int) 2989, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => 'Afrique', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'Bon pour la tête', 'description' => 'En Europe, les personnes âgées sont essentiellement présentées comme les premières victimes de la pandémie. «The Conversation» nous emmène en Afrique de l'Ouest, où les choses semblent bien différentes. 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Les autorités sanitaires du Sénégal avaient très tôt reconnu la nécessité de protéger les personnes âgées considérées comme plus vulnérables.</p> <p>Comment ces personnes âgées ont-elles vécu le phénomène épidémique? Comment ont-elles réagi face aux mesures de restrictions, et à l’évocation répétée de leur vulnérabilité médicale?</p> <p>Une étude anthropologique, composante du programme <a href="https://www.ird.fr/ariacov">Ariacov</a>, a été menée au Sénégal de mars à décembre 2020. Elle est basée sur l’analyse de «journaux de l’épidémie» rédigés par dix enquêteurs répartis dans diverses localités du pays et sur les témoignages d’une quarantaine de personnes âgées vivant à Dakar et en banlieue.</p> <h3>Les conditions de logement et la place des personnes âgées dans les ménages</h3> <p>Au Sénégal, la <a href="http://www.ansd.sn/ressources/publications/1-SES-2016_%C3%89tat-structure-population.pdf">proportion des personnes âgées de 60 ans et plus est peu élevée</a>: elles représentent 5,6 % de la population, et les 70 ans et plus, 2,2 %. La place et le rôle des personnes âgées dans les ménages urbains sont particuliers. A Dakar, <a href="https://www.ansd.sn/ressources/ses/SES_2017-2018.pdf">selon le rapport 2020</a> de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, 74 % des individus vivent dans des ménages de six personnes ou plus; 68 % des individus vivent dans des logements surpeuplés (deux personnes ou plus partagent une seule pièce). La cohabitation intergénérationnelle est fréquente: la quasi-totalité des personnes âgées vivent avec d’autres adultes (<a href="https://www.documentation.ird.fr/hor/fdi:010075938">Golaz & Antoine 2018</a>).</p> <p>Les conditions de vie des personnes âgées sont précaires. Moins du tiers d’entre elles disposent d’une pension de retraite leur permettant de contribuer à l’économie domestique. Celles qui n’ont pas de pension travaillent le plus longtemps possible avant d’être prises en charge par leurs proches. En cas de maladie, la faible efficacité du dispositif de protection sociale entraîne leur totale dépendance à l’égard des plus jeunes, alors qu’un <a href="https://afrique.le360.ma/senegal/societe/2020/07/25/31260-uemoa-conditions-de-vie-des-menages-un-tiers-des-senegalais-en-situation-de-pauvrete-monetaire">tiers de la population est considérée en situation de pauvreté monétaire</a>.</p> <p>Les dépenses de santé sont ainsi l’une des principales préoccupations des personnes âgées. Bien que les personnes âgées soient, en proportion, peu nombreuses, le thème de leur vulnérabilité spécifique par rapport à la Covid-19 a donc concerné un grand nombre de ménages.</p> <h3>Les personnes âgées au centre de la circulation des informations dans les ménages</h3> <p>Dès la diffusion des premières informations sur l’épidémie, les personnes âgées se sont intéressées à l’événement. Elles se sont mises à suivre très attentivement les nouvelles diffusées par la presse nationale, via les radios et télévisions.</p> <p>Un des rédacteurs confie:</p> <blockquote> <p>«Ma grand-mère suit sans arrêt les informations, elle est tout le temps scotchée sur sa petite radio et elle partage ces infos avec la famille.»</p> </blockquote> <p>Le caractère cérémonieux et <a href="http://www.sante.gouv.sn/taxonomy/term/14">dramatique du communiqué de presse matinal</a> diffusé par le ministère de la Santé, qui détaille chaque jour le nombre de nouveaux cas, puis les décès et les localités concernées, a été rapidement considéré comme une marque de la gravité de la situation.</p> <p>Dans les premières semaines, il était attendu et écouté avec attention: «à l’approche de 10, je n’ai aucune occupation, j’attends impatiemment le communiqué», témoignait un homme de 70 ans au mois de mars; un observateur rapporte:</p> <blockquote> <p>«Au village, à partir de 10h, tout le monde se place autour de la radio et attend le communiqué sur les cas de corona.»</p> </blockquote> <p>La messagerie instantanée WhatsApp a été aussi communément utilisée par nombre de personnes âgées pour partager des informations sur l’épidémie, démultipliant les sources d’informations en favorisant les échanges personnalisés avec les membres de la famille résidant à l’étranger, dans différents pays alors fortement touchés par l’épidémie.</p> <blockquote> <p>Dans le contexte d’inquiétude croissante des premières semaines, des regroupements familiaux autour du chef de famille ou de la personne âgée se sont organisés dans les ménages pour partager les informations, confronter les opinions, et décider des attitudes à avoir: «à 17 h, nous voilà tous réunis dans la chambre du grand-père pour partager les nouvelles de la journée.»</p> </blockquote> <p>L’annonce du premier décès lié à la Covid-19, le 31 mars 2020, a suscité une inquiétude d’autant plus vive chez les personnes âgées qu’il s’agissait de M. <a href="https://www.bbc.com/afrique/sports-52221313">Papa Mababa Diouf dit Pape Diouf</a>, alors âgé de 68 ans, qui était une célébrité nationale (ancien président du club de football de l’Olympique de Marseille). À travers cet homme connu de tous, la menace devenait plus proche, exacerbant l’inquiétude des personnes âgées. Un jeune homme rapporte:</p> <blockquote> <p>«La peur et le stress se lisent sur les visages de mes deux parents, surtout celui de mon père.»</p> </blockquote> <p>Un autre observe:</p> <blockquote> <p>«Mon grand-père semble choqué par le décès de Pape Diouf. Il dit qu’il ne s’y attendait pas. Il nous dit que “68 ans ce n’est pas un vieux!”»</p> </blockquote> <h3>Les personnes âgées garantes de l’application des mesures sanitaires</h3> <p>L’inquiétude des personnes âgées face à la maladie a favorisé leur adhésion initiale aux diverses mesures sanitaires. Dans les ménages, nombre de personnes âgées ont investi une position d’autorité pour faire appliquer les consignes sanitaires: la surveillance des entrées et des sorties de l’habitation, le lavage des mains, le nettoyage du logement, ont été scrupuleusement contrôlés.</p> <p>Des personnes âgées rappelaient aux plus jeunes les recommandations et parvenaient à imposer une discipline collective stricte:</p> <blockquote> <p>«Mon grand-père nous a tous informés qu’à partir de 20 h l’appartement sera fermé à clé.»</p> </blockquote> <p>Les personnes âgées ont été dans l’ensemble favorables à la plupart des mesures sanitaires, y compris celles qui paraissaient avoir le plus d’impact sur leurs pratiques sociales, telles la fermeture des mosquées ou l’interdiction des regroupements se traduisant par l’impossibilité de participer à divers rites sociaux (baptêmes, mariages, cérémonies funéraires), ou le renoncement aux prières à la mosquée, y compris lors de la fête la Tabaski.</p> <p>Pour les femmes âgées, dont la vie sociale est rythmée, tout au long de l’année, par les cérémonies familiales, ces interdictions de regroupement ont souvent entraîné un isolement. Les hommes âgés ont été un peu moins affectés par la disparition de ces espaces de socialisation, car ils étaient davantage présents dans l’espace public, notamment au travers des activités professionnelles qui, bien que réduites, ont été souvent maintenues.</p> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1609867755_file20201216211199yr8.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /><br />Thierno Mamoudou, une personne âgée, se tient à côté de son étal à Dakar, le 22 avril 2020. Il reconnait les risques liés à la pandémie, mais est obligé de travailler pour subvenir à ses besoins. © John Wessels/Afp</h4> <h3>L’érosion de l’autorité, la sélection des mesures sanitaires pour protéger les personnes âgées</h3> <p>Dès la fin du premier mois de l’état d’urgence (avril 2020) la lassitude face aux mesures sanitaires est présente dans la plupart des ménages. La peur de la maladie persiste, elle est alimentée par le décompte quotidien du nombre des «cas communautaires»; leur variation est au centre des conversations.</p> <p>Une sorte de décalage s’installe entre la peur et l’expérience quotidienne de la maladie dont la gravité ne paraît pas si alarmante, notamment pour les jeunes qui ont alors tendance à moins respecter les règles de distance: «J’ai tendu à plusieurs reprises la main à mon grand-père qui me rappelle que le coronavirus est encore là», témoigne un jeune homme (29 mai). «Dans la rue, un monsieur qui habite le quartier interpelle des jeunes “portez vos masques s’il vous plaît. Soyez plus compréhensifs avec vos parents et vos grands-parents à la maison”» (13 juin).</p> <p>L’autorité avec laquelle les personnes âgées faisaient respecter les mesures sanitaires s’érode: «Ma grand-mère se fâche parce que mon frère est sorti. Au début on se taisait, maintenant on se cache quelque part pour rire, tellement cela ne nous fait plus rien», reconnaît une jeune femme (8 avril).</p> <p>Quatre mois après le début de l’épidémie, la maladie Covid semblait déjà ne plus être le sujet dominant dans les ménages: «Les commentaires sur l’évolution de la maladie sont très rares, on est fatigués de discuter du corona» (29 juillet); «Mon grand-père n’aborde plus le sujet de la Covid, mais plutôt le manque de clients, les difficultés des transports en commun» (1 septembre). Certaines mesures sanitaires (l’utilisation du gel; le lavage des mains) ont été peu à peu délaissées.</p> <p>Mais une vigilance collective, de la part des personnes âgées et des jeunes adultes, persiste souvent. En effet, les lieux de rassemblement continuent à être considérés par tous comme des espaces de possible contamination. La participation des membres des ménages à ces rassemblements est soumise à une décision collective.</p> <p>Ce fut notamment le cas pour la participation au grand <a href="https://theconversation.com/senegal-les-risques-sanitaires-du-plus-grand-rassemblement-religieux-de-lannee-128750">rassemblement religieux du Magal de Touba</a> en octobre 2020. De nombreuses personnes âgées ont pris l’initiative de ne pas s’y rendre: «D’habitude, mon père, 68 ans, allait à Touba, mais cette année, il n’y est pas allé à cause du coronavirus.» Des adultes plus jeunes ont pris la même décision «pour ne pas faire courir de risque à ma grand-mère». Des chefs de famille âgés ont déconseillé voire interdit à leurs enfants ou petits-enfants de s’y rendre du fait de l’épidémie.</p> <p>Fin novembre 2020, l’épidémie de Covid semble disparaître des préoccupations quotidiennes, notamment chez les plus jeunes. Bien que les personnes âgées aient repris la plupart de leurs activités sociales, elles restent dans l’ensemble encore vigilantes et respectueuses des «mesures barrières», notamment du port du masque.</p> <h3>Les personnes âgées actrices de la prévention</h3> <p>A l’inverse des sociétés européennes où la moyenne d’âge est nettement plus élevée, la faible proportion des personnes âgées en Afrique marginalise leurs problèmes de santé. Néanmoins, on constate que l’attitude des familles est globalement marquée par le souci de protéger leurs aînés.</p> <p>La presque totalité des personnes âgées vit avec des membres plus jeunes de leur famille (enfants et petits-enfants). Même s’ils contribuent peu ou plus à l’économie domestique, un rôle de chef de ménage leur est souvent reconnu, en tant qu’autorité morale liée à leur statut d’aîné.</p> <p>La crainte de la maladie, pour eux-mêmes et leurs proches, les a conduits à investir un rôle d’acteur dans la prévention en tant que garants de l’application des mesures sanitaires domestiques. 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Que je fasse du Pilates?</p> <p>- Non… Serge et toi avez raison…</p> <p>- A propos de quoi ma chérie?</p> <p>- Mais à propos de Pierre! Il est en train de se transformer en woke! Je ne sais pas quoi faire, je t’en supplie, aide-moi!</p> <p>Lorsque Mireille est arrivée à la maison, j’étais en larmes et elle en sueur. Elle m’a prise dans ses bras, c’est gentil mais elle sentait fort la transpiration. Lorsque je lui ai expliqué ce que j’avais trouvé dans l’ordinateur de Pierre, elle a secoué la tête et a voulu à nouveau me prendre dans ses bras mais j’ai esquivé ce rapprochement.</p> <p>- Pierre fait partie d’un groupe d’homme «en phase de déconstruction».</p> <p>- Ma pauvre chérie, c’est vraiment horrible. Je ne pensais pas que ça arriverait à l’une d’entre nous.</p> <p>Pourtant, cela ne faisait aucun doute. Depuis plusieurs semaines, Pierre correspondait avec une dizaine de personnes et toutes leurs conversations avaient pour sujet la critique du virilisme, la chasse au masculinisme, la volonté d’abattre le patriarcat «d’abord en nous». Rien que d’y penser, ça me donne envie de vomir. Je sais bien qu’une épidémie wokiste s’est abattue sur l’Occident mais je me pensais à l’abri. Eh bien, non! Cette épidémie a envahi mon salon, elle couche même dans mon lit! J’ai également découvert que Pierre me mentait. Alors qu’il prétendait aller jouer au badminton avec des copains, il participait à des <em>workshops</em> de déconstruction de virilité. «Je ne suis plus sûr de rien, écrivait-il sur le forum To-be-is-not-to-be-a-man. Suis-je un homme, une femme, un être mixte, double? Suis-je? Je ne me sens plus capable de vivre dans un monde dualiste, je veux rejoindre une autre dimension, me sentir dans les autres, sentir les autres en moi…»</p> <p>- En fait, il est peut-être gay… Cela fait combien de temps qu’il ne t’a plus fait l’amour?</p> <p>Mireille a raison. Pierre ne m’a plus touchée depuis au moins trois mois. Mais je crois que c’est encore plus grave que ça…</p> <p>- Si tu veux en avoir le cœur net, appelle Emmanuel de ma part. C’est un spécialiste.</p> <p>Emmanuel est le fils d’un ancien amant de Mireille qui était acteur de théâtre. Le fils, lui, a fait des études d’économie avant de se spécialiser dans la traque aux déviations woke et LGBT. Il est renommé dans toute la région. Très propre sur lui, on le sollicite beaucoup. Après des décennies de doxa social-démocrate, les médias découvrent comme un agréable vent nouveau que de jeunes réactionnaires remettent en question sans aucune gêne le bla-bla post-soixante-huitard. Je l’ai tout de suite trouvé à mon goût mais je n’étais pas là pour ça. Nous nous étions donnés rendez-vous dans un tea-room du centre-ville, j’avais pris avec moi l’ordinateur portable de Pierre. Pierre qui prétendait être parti en séminaire professionnel à Zurich mais, je l’avais découvert sans peine, se trouvait en fait à Tolochenaz où avait lieu une rencontre avec un guru de la déconstruction masculine: «De viril à viriel».</p> <p>- Vous avez donc des doutes concernant votre mari? Expliquez-moi ce qui vous inquiète...</p> <p>Ce vouvoiement a sonné très agréablement à mes oreilles. Avec son col roulé, son blaser et sa coupe de cheveux tout à la fois stricte et décontractée, Emmanuel me fit me rendre compte qu’autour de moi, les hommes avaient depuis longtemps renoncé à leur élégance, privilégiant des tenues décontractées ne mettant plus du tout leurs atouts masculins en valeur.</p> <p>Oui, je dois l’avouer, à moi aussi les jeunes réactionnaires faisaient de l’effet. Lorsque je songeais aux gauchistes à l’hygiène douteuse auxquels j’avais offert mon jeune corps dans les années 1980, des sanglots de regret me serraient la gorge. Sans compter tous ces festivals où nous fumions du cannabis, filles et garçons portant les mêmes vêtements et arborant les mêmes coupes des cheveux… </p> <p>- Vous voyez, Catherine, le wokisme se répand depuis fort longtemps dans la société occidentale. Personne n’a voulu le voir et c’est pourquoi aujourd’hui ses effets sont si pervers. Votre génération l’a laissé s’installer comme une plante invasive et il a pratiquement détruit tous les fondements de notre civilisation. C’est le dernier moment pour agir, ce sursaut est indispensable. C’est pourquoi je salue votre démarche. Vous êtes très courageuse, Catherine, je vais vous aider à libérer votre mari de cette infection, s’il en est encore temps, bien sûr…</p> <p>- Vous pensez qu’il pourrait être trop tard ?</p> <p>- Tout ce que vous me dites m’inquiète beaucoup. Pierre est déjà très perverti. Vous l’avez remarqué, dans ses messages il emploie l’écriture inclusive avec aisance. C’est la preuve que le mal a déjà atteint des couches profondes de sa conscience. De plus, il remet systématiquement en question les bienfaits de la civilisation occidentale dans le monde. Il milite pour la restitution des antiquités découvertes chez les peuples non-civilisés, il a participé au souillage de la statue de David de Pury à Neuchâtel, sous prétexte que celui-ci a participé à la traite d’esclaves…</p> <p>- Oui, je sais, c’est horrible. Tout ça alors que je le croyais occupé avec des clients. Les comptes de notre agence de communication sont dans le rouge. Cela fait des mois que Pierre ne prospecte plus de nouveaux clients et qu'il refuse les commandes au prétexte que la publicité est une aliénation capitalisto-patriarcale.</p> <p>- Et ça, Catherine, c’est très grave! S’attaquer à l’économie, c’est s’attaquer à nos valeurs premières. </p> <p>- Que faire? Mon Dieu, que faire?</p> <p>-Noël arrive, et je vois là une bonne occasion pour tenter quelque chose qui pourrait faire revenir votre mari à la raison. Il s’agit d’une thérapie de choc que je n’ai encore jamais utilisée mais que des camarades anti-wokes ont mise au point. Me faites-vous confiance, Catherine?</p> <p>Oui, bien sûr que je lui fais confiance à ce preux chevalier, à ce Lancelot des temps modernes, à ce nouveau croisé de la civilisation chrétienne. Même si, je le sais, ce qui va se passer à Noël chez nous va être excessivement éprouvant, et pas seulement pour Pierre…</p> <p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p> <hr /> <h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="133" height="184" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /> et de <br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="130" height="175" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a> </h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'un-bien-cruel-conte-de-noel-2', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 19, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5295, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Un bien cruel conte de Noël (1)', 'subtitle' => 'Catherine et Pierre forment un couple épanoui. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p> <p>Mais Pierre a changé.</p> <p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p> <p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p> <p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. Ce que j’ai découvert est effrayant…</p> <p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p> <hr /> <h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="149" height="206" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /><span>et de<br /></span><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="154" height="207" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'un-bien-cruel-conte-de-noel-1', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 39, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5284, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les ramasseurs de déchets, grands perdants du récit dominant sur la pollution plastique', 'subtitle' => 'A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1er décembre, se sont soldées par un échec. 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Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. 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Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. 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Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. 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Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. 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C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 44, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5283, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes', 'subtitle' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'subtitle_edition' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». Confronté aux dernières découvertes, il a finalement reconnu l'importance du financement de Washington: «C'est le plus grand bailleur de fonds de l'OCCRP, oui, et ce depuis presque le début de notre histoire. [...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p> <p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p> <h3><strong>Conditions posées</strong></h3> <p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p> <p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p> <h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3> <p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p> <p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Logonaute 06.01.2021 | 13h17
«Regardons les chiffres de la mortalité par million d'habitants dans quelques pays, au hasard, ce 6 janvier 2021 (source Worldometers) :
- Sénégal (où le “protocole IHU Marseille" est activement utilisé) - 26 ;
- Suisse - 923 ;
Et voici une liste de pays européens ayant adopté des mesures très strictes depuis mars, sans recourir à l'échelle nationale au “protocole IHU Marseille" :
- Grande-Bretagne - 1'121 ;
- France - 1'014 ;
- Italie - 1'263 ;
- Espagne - 1'100 ;
- Belgique - 1'707 (!) ;
Voici maintenant quelques pays européens qui n'ont imposé aucune obligation :
- Suède - 887 (eh oui, la plupart des pays européens “dépassent“ désormais la Suède...)
- Bélarus (décrié par nos médias depuis le début pour sa politique jugée laxiste en la matière) - 157.»