© Etactics Inc via Unsplash
Personne ne nie l’intérêt, la nécessité de voir les géants pharmaceutiques coopérer avec le secteur public pour la santé. Mais jusqu’où? Le sujet agite les réseaux sociaux et, plus prudemment, les médias. Il y a de quoi se poser des questions au vu de la puissance financière et de l’influence de ces multinationales. Un exemple local? Une ponte de l’Université de Lausanne entre au conseil d’administration de Galenica.
Solange Peters est une personnalité d’exception, travailleuse acharnée, active dans maints domaines. Au parti socialiste, à la tête de la fondation du Béjart Ballet Lausanne – dans la tourmente ces temps-ci –, promotrice de l’initiative «Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac». Et surtout professeure à la Faculté de médecine de Lausanne, cheffe du service d’oncologie médicale. A ce titre, elle préside la Société européenne d’oncologie médicale (25’000 membres dans 160 pays!). Et voilà qu’elle vient de rejoindre un autre club, voulu par le président Macron, le «Paris-Saclay Cancer Cluster» qui rassemble tous les acteurs de l’innovation en oncologie: des équipes de recherche, des spécialistes médicaux et professionnels de la santé, des start-up, des PME, des grandes industries pharmaceutiques, des laboratoires, des patients… Avec un but: pousser plus loin le partenariat privé-public.
Tout cela est fort louable mais les dirigeants de la santé publique ne doivent-ils pas aussi garder leur indépendance? Eviter les dérives des entreprises dont le premier objectif est la prospérité financière? Equilibrer les efforts entre médicaments et autres soins? Solange Peters se dit certes attachée à la liberté académique. Mais par ailleurs elle vient d’entrer au conseil d’administration de l’entreprise suisse Galenica, modeste centrale d’achat à sa création à Clarens en 1927, devenue un poids lourd pharmaceutique: 3,3 milliards de chiffre d’affaires, le plus grand réseau de pharmacies en Suisse (au nombre de 500). Ce fleuron helvétique, présent aussi aux Etats-Unis, n’est pas actif sur le front de la recherche mais sur celui de la distribution. On comprend qu’il s’adjoigne une personnalité aussi rayonnante que la grande oncologue lausannoise, à l’heure où le prix des médicaments est devenu un enjeu politique chaud. Mais sans faire de procès à quiconque, on est en droit de se demander si une telle charge est compatible avec l’indépendance de l’université.
La question se pose aussi au plan politique. Comme le rappelle une récente péripétie fédérale. Après le départ du célèbre responsable des maladies infectieuses à l’OFSP, Daniel Koch, et à la suite d'un interim, il lui a été trouvé une succession. Sandra Bloch, médecin zurichoise, qui a fait toute sa carrière dans les grandes sociétés pharmaceutiques américaines. Dix-sept ans chez Pfizer, un passage chez Bayer, Biogen et récemment encore chez AbbVie, géant de la recherche basé dans l’Illinois (56 milliards de chiffre d’affaires). Cette nomination a fait grincer des dents dans certains milieux médicaux qu’enthousiasme peu la tendance actuelle de développer des vaccins fort coûteux pour toutes sortes de maladies. Il faut dire que cet organe doit prendre des mesures et des lois sur des sujets qui heurtent quelque peu les pharmas: les modalités d’indemnisations en cas d’effets secondaires graves, le frein aux abus d’antibiotiques, la promotion de la prévention, l’assurance de l’approvisionnement en médicaments de base peu coûteux. Or la nouvelle cheffe des épidémies, entrée en fonction le 3 janvier, a démissionné après quelques jours seulement! Sans donner de raisons. Tout est à recommencer. L’affaire, curieusement, fait fort peu de bruit à Berne. A chacun de se demander pourquoi.
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Syndicats et autorités politiques ont pourtant tout fait pour sauver l’entreprise historique, aux mains d’une multinationale qui compare avantages et inconvénients de chaque lieu de production. Ici, hauts salaires, franc fort et dans ce cas, retard technologique. Donc, départ. Chapeau aux travailleurs qui cherchaient des solutions, des innovations. Les voilà licenciés. Les messages de solidarité font du bien mais n’assurent pas leur avenir. Qu’ils puissent être aidés à rebondir.</span></p> <p><span>Est-ce à dire que notre pays est menacé de désindustrialisation comme il en est beaucoup question chez nos voisins? Gare aux réponses trop simples. Les faits. Face au secteur des services comptant les banques et les assurances, le tourisme, le commerce de gros et de détail, l'administration publique et les assurances sociales, qui pèse pour 75% du PIB, l’industrie résiste, avec environ 24% (contre moins de 14% en France!). 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Le groupe pharmaceutique Lonza, dont le siège est à Bâle mais le site de production à Viège, y a investi plus d’un milliard de francs. Un nouveau complexe de production high-tech fournit des solutions adaptées pour le développement et la fabrication de nouveaux médicaments. Ce site et ses possibilités inédites dans la pharma ancrent Viège et le Valais au cœur des chaînes mondiales de création de valeur. Les investissements dans la recherche et la formation ont joué un rôle majeur pour le développement économique du canton. A la génération précédente, c’est la HES, la Haute école spécialisée, qui a formé des ingénieurs précieux pour alimenter une industrie en plein essor. Petit à petit tout un écosystème propice à l’émergence d’idées innovantes s’est installé en Valais. La Fondation The Ark favorise l’établissement et l’éclosion de start-ups dans les domaines de l’informatique, de l’énergie, des sciences de la vie et de l’environnement. 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Son industrie – étroitement liée à celle de la Suisse –, souffre du coût exorbitant de l’énergie depuis la rupture avec la Russie, de l’attraction des Etats-Unis où émigrent tant de ses entreprises, de la concurrence chinoise qui, avec ses voitures électriques, met à rude épreuve le secteur de l’automobile. La France s’embourbe dans les déficits et les tensions sociales. L’Italie et l’Espagne gardent le moral mais sont aussi surchargées de dettes publiques. Les pays dits de l’Est vont mieux et même bien, leurs économies sont devenues très performantes, dopées depuis leur entrée dans l’Union, très généreuse à leur égard, mais l’élan donne des signes de tassement. Enfin tous sont mis au défit technologique des Etats-Unis et de la Chine. </span></p> <p><span>Question: les Etats réunis à Bruxelles, dans la configuration qui sortira des urnes début juin, donneront-ils la priorité aux savoirs, au soutien des entreprises privées et parallèlement aux améliorations sociales? Ou leur politique dite verte conduira-t-elle à la décroissance? La concentration des efforts sur la course aux armements et l’aide à l’Ukraine, telle qu’elle est brandie aujourd’hui, peut aider certains secteurs industriels mais coûtera extrêmement cher. On articule à Bruxelles le chiffre de 100 milliards à cette fin d’ici 2029. Ce sera forcément au détriment d’autres attentes, dans les infrastructures, l’éducation, la recherche, la cohésion sociale. Sans compter que la transition écologique, nous assure-t-on, nécessitera en plus une pluie de milliards. Quelles priorités fixera le nouveau Parlement? Selon les choix, les retombées sur l’économie suisse seront différentes. Le surarmement de l’Europe ne nous rapporte quasiment rien, sa santé économique et sociale nous est bien plus bien profitable.</span></p> <p><span>Deuxième point. Le fonctionnement même de l’Union. Deux tendances s’affrontent. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
8 Commentaires
@AlbertD576 27.01.2023 | 10h41
«Merci pour cet éclairage. Votre hebdo n'est pas le seul à se poser la question. Le renommé British Medical Journal vient de publier un article sur le même sujet: "from FDA to MHRA: are drugs regulators for hire ?"
Ce journal fait le même constat. Rappelons qu'en Suisse, Swissmedic est largement financé par l'industrie pharmaceutique. Le risque que l'Etat ne dispose plus de la capacité de contrôler l'industrie, donc de garantir la sécurité de la population, est réel.
Ce manque d'indépendance a déjà eu des effets dévastateurs dans d'autres domaines: crise financière de 2007, trucage des logiciels de contrôle d'émission des moteurs diesels, Boeing 737 Max, etc
Alors appliquer le même principe à notre santé.»
@RAS 27.01.2023 | 14h19
«En fait seul une réaction de la population face à la corruption par les lobbyistes de la majorité des élus et des différents services de la confédération, pourrait éventuellement changer les choses. Quand on voit que c’est aux élus de voter concernant l’obligatIon de déclarer leurs mandats privés et les revenus de ces derniers, il y a quand même un gros problème. Pour rappel une des votations demandée concernant ce problème, le 51 % des élus on rejeté le texte. Donc on peut en déduire que la majorité est entretenue par des mandats autres que de servir l’intérêt de la population.»
@PB41 27.01.2023 | 15h10
«Cher Monsieur, que voilà un étrange mélange des genres !
Solange Peters, dont vous relevez à juste titre les nombreux et variés mérites est mise en cause par votre fallacieux argument: «Eviter les dérives des entreprises dont le premier objectif est la prospérité
financière? »
Mais vous allez plus loin en affirmant: »on est en droit de se demander si une telle charge est compatible avec l’indépendance de l’université. »
Oui, vous avez le droit de vous interroger mais là vous mettez en cause l’indépendance de Madame Solange Peters.
Je trouve cela très grave.
Mais, le pire c’est que, partant de ce constat très contestable, vous enchaînez sur les dérives de la direction de l’OFSP, ce qui n’a strictement rien à voir.
Vous paraphrasant je dirais: on est en droit de s’interroger sur la pertinence de cette comparaison?
La polémique n’autorise pas toutes les dérives.
»
@Eggi 27.01.2023 | 18h47
«Comme PB41, je trouve qu'il y a dans cet éditorial des éléments d'information qui n'ont rien à voir entre eux, mais qui mériteraient chacun un développement particulier. Les conditions d'indépendance du professeur d'université, l'objectif de prospérité financière des entreprises, la collaboration secteurs privé-public dans le domaine de la santé, la mobilité professionnelle des hauts fonctionnaires, les choix de la recherche et du développement de médicaments et de vaccins dans l'industrie pharmaceutique, par exemple. Et on peut disserter sur tous ces sujets sans les soupoudrer de quelques pseudo-scandales de personnes...»
@willoft 27.01.2023 | 20h32
«Il est toujours curieux que des trolls, sous pseudo, essaient d'insinuer que l'auteur a tord?
De quoi ont-ils peur?
Olivier Wilhem
Willoft»
@evo 28.01.2023 | 18h39
«Voilà un nouveau problème posé. Je constate simplement que les "politiques" laissent faire et ne veulent surtout pas que l'Etat s'occupe enfin de cette problématique. Non, les laquais de la grande industrie de la pharma qui siègent aux Chambres fédérales suivent les consignes que de ces milieux. Ils sont élus uniquement pour cela dont ils ont la charge de démanteler les finances publiques pour laisser la place aux puissants d'agir librement à leurs guises. Quant à Solange Peters, je peux comprendre qu'elle puisse, au moins, influencer ces milieux par sa notoriété et son sens aigu de la chose publique. Y parviendra t'elle? A voir...
Eric Voruz, Morges »
@Chan clear 07.02.2023 | 09h43
«La question se pose de comment peut on bien siéger dans autant de conseils d’administrations et de fondations. Au vu de la débâcle des Ballets Béjart et la fermeture de l’école Rudra. Mme Solange Peters est elle meilleure oncologue que conseillère dans les milieux de la Culture.
Aucuns doutes à cela. »
@Spark 09.02.2023 | 00h17
«La France aime bien engager de temps en temps des suisses pour faire du marketing-politique, et pour se montrer gentille avec nous, alors qu'à Bruxelles des 27 elle en est la plus hostile à notre égard. J'aime la France et je déteste sa politique envers la Suisse. »