Actuel / Les mollachus de l’Europe
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Le contraste est frappant. Alors que l’économie et la société helvétiques témoignent d’une grande et rapide capacité d’adaptation aux changements de l’époque, l’appareil politique s’enferre dans la procrastination et le déni face à un dossier brûlant. Les liens avec l’Union européenne. Le nouveau président du PLR en rajoute une couche sur l’air de «tout va bien madame la Marquise, tout ira bien».
Dans une longue interview à la NZZ, le fringant Thierry Burkart, conseiller aux Etats d’Argovie, affiche un sourire de vainqueur: il est persuadé que la Suisse gagnera la partie, que les bons vieux accords sectoriels seront prolongés. Il flingue quiconque ose proposer une stratégie en l’absence d’une ligne claire du Conseil fédéral et du Parlement. Le lancement d’une initiative populaire par Opération Libero et les Verts libéraux est pour lui «une foutaise», «un autogoal», «un coup dans le dos du gouvernement». La velléité du PS de faire revoter le peuple sur une adhésion à l’Espace économique européen (Islande, Liechtenstein et Norvège) lui paraît être un pas de trop dans le rapprochement et «guère susceptible de trouver une majorité politique». Ces messieurs-dames de la droite croient savoir si bien ce que pense le peuple qu’ils négligent de le consulter.
Il est vrai que ces deux pistes n’ont pas de quoi réjouir non plus les partisans d’un accord solide. Inscrire ce vœu dans la constitution demanderait de nombreuses années. Quant au mini-club de l’EEE, ce qu’il offre est à la fois plus et moins satisfaisant, selon les sujets, que l’accord-cadre sabordé en mai.
Le mot-clé des chantres du statu quo, c’est le pragmatisme. «Des deux côtés», précise Burkart. Avec toujours le même refrain: l’UE a besoin de la Suisse autant que nous d’elle. Il s’agit donc de bricoler les arrangements actuels, qualifiés de «win-win». Alors qu’au contraire les Européens sont clairs: ils veulent une entente «institutionnelle».
Les premiers pépins survenus ne troublent pas le tribun argovien. Rappel: décrochage de la recherche et des universités, tracas pour la branche medtech, difficultés accrue pour l’approvisionnement en électricité. Avec des effets concrets et alarmants.
Il n'est plus question d'une Europe à la carte
L’historien et aviateur militaire Hans-Ulrich Jost aime à dire qu’un avion de chasse dont le pilote garde le regard fixé sur la cible la manque souvent, il fait mieux de balayer tout le ciel, dans toutes les dimensions. Il en va de même en politique. Rester braqué en l’occurrence sur les accords techniques et commerciaux, c’est perdre de vue le tableau d’ensemble, la donne mondiale, la perspective historique. L’Union a beaucoup changé depuis l’époque du lancement de l’EEE (1994) et des négociations après le refus de la Suisse d’y adhérer (1999-2004). Après l’entrée dans l’UE des pays d’Europe centrale et de plusieurs ex-membres de l’EEE, a fortiori après le Brexit, plus question d’une Europe à la carte. Profiter de ses avantages en refusant les règles du jeu, c’est fini. Il en va de l’avenir du projet. Quand on voit à quel point d’échauffement on arrive dans le cas des infractions démocratiques de la Pologne et celui, fort différent, des droits de pêche entre la France et la Grande-Bretagne, on mesure qu’en touchant à l’édifice et aux engagements pris, on risque de se brûler les pattes.
Le président du PLR, dont la culture historique paraît limitée, n’a cure d’un point de vue aussi large. Il en oublie même la sérieuse panne économique survenue en Suisse après le non à l’EEE, de 1992 à 2000, période sans accords. En dépit de ses attaches familiales avec l’Italie, il n’a pas la moindre fibre européenne. Il a peu voyagé. Il incarne une mentalité très répandue, surtout outre-Sarine: l’arrogance du succès. L’obsession nombriliste. Comme nous sommes prospères, sûr de nous, rien ne changera. Nous sommes promis à la faveur des dieux pour l’éternité. Des accrocs, des revers, un déclin possible? Ces hypothèses n’entrent pas dans la tête de ce politicien tombé tôt dans la soupe. D’abord à gauche puis à la droite de la droite.
S’appuyer sur l’Europe pour faire face à l’omniprésence des USA et aux avancées de la Chine? Ce n’est pas son souci. Peut-être rêve-t-il même, comme d’autres, de détourner les timides volontés européennes de résistance. En courtisant à la fois les deux superpuissances.
Une procrastination prolongée
Le futur président de la Confédération, Ignazio Cassis, peut compter sur ce compère de parti pour prolonger la procrastination. Attendre, attendre encore, sans égards aux conséquences. Les autres familles politiques, à gauche et au centre, ne feront rien pour sortir de la pataugeoire. Obsédées par la perspective des élections fédérales de 2023, elles s’en tiendront longtemps encore à ce qu’elles croient être de la prudence. Et après ce cap, parions que le Conseil fédéral se précipitera à Bruxelles, multipliera les concessions et obtiendra finalement un accord aux conditions dictées. A moins qu’un sursaut se produise et qu’une volonté d’adhésion se manifeste enfin.
Au-delà des réels risques ainsi volontairement encourus aujourd’hui, l’image de la Suisse en prendra, en a déjà pris, un méchant coup. A l’Est comme à l’Ouest, elle passe auprès des Européens pour un pays de pique-assiettes, sans vision de son propre avenir. Les discours fumeux et les opérations de marketing n’y changeront rien. Nous sommes vus comme les mollachus opportunistes de l’Europe.
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.</p> <p>N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. Conscients d’être dans une dictature, nous constations que chacun exprimait sans peur sa foi, son appartenance. Nous avions visité l’admirable mosquée des Omeyyades à Damas. Nous nous sommes étonnés auprès de deux jeunes filles de voir tant de monde, des familles en sortie, un dimanche et non un vendredi. Elles éclatèrent de rire: «Mais c’est le jour de Pâques!». Comme Noël, les jours de fêtes chrétiennes sont officiellement fériés en Syrie. Jusqu’à quand?</p> <p>Le prêtre d’Alep, devenu un ami, qui vit aujourd’hui en France, n’a pas le cœur à applaudir le tournant actuel. Il s’est exilé avec les siens après que sa fille de dix-huit ans ait été débarquée d’un bus, violée et assassinée parce qu’elle portait une croix autour du cou. Par des «rebelles modérés» comme on disait à l’époque. 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Des contingents étrangers sont sur place, notamment avec environ 1000 soldats français. </p> <p>Alors évidemment Georgescu est un gêneur. Il ne veut pas quitter l’OTAN, mais considère que l’intérêt de la Roumanie, c’est l’arrêt au plus vite de la guerre. Ce qui lui vaut aussitôt chez nous l’étiquette de pro-russe. Il s’oppose aussi à une dépense prévue de 6,5 milliards de dollars pour l’achat d’une flotte de FA-35 dans un pays où le quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. On voit dès lors qui veut sa peau, au-delà des appareils politiques locaux accrochés à leurs pouvoirs et leurs privilèges. </p> <p>L’impertinent aggrave encore son cas avec sa revendication d’un meilleur contrôle et d’une plus forte imposition des sociétés internationales (notamment américaines, françaises, autrichiennes, kazakhs, émiratis... et russes) qui exploitent les considérables ressources minières de la Roumanie, pétrole et gaz en tête. Le discours nationaliste passe bien ailleurs et fort mal là… A noter qu’il ne souhaite nullement la sortie de l’UE mais souhaite y défendre mieux les intérêts de son pays. Comme à peu près tous. </p> <h3><strong>Portrait d’un personnage peu banal</strong></h3> <p>L’image caricaturale qui nous est proposée de ce personnage peu banal est à côté de la plaque. Cet ingénieur agronome écologiste a fait carrière dans les institutions de son pays et aux Nations Unies (avec un passage à Genève). Il maîtrise son propos, plutôt mesuré. Mais avec le sens de la formule. Par exemple, à propos des partis traditionnels qui ont connu bien des cas de magouilles et de corruptions: «ils essuient leurs bottes sales sur le visage de la démocratie!»</p> <p>C’est un conservateur comme on en trouve en France, en Allemagne. Avec en plus des préoccupations sociales, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la condition paysanne. Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
5 Commentaires
@Mataji 05.11.2021 | 11h53
«Excellente analyse. Il suffit de regarder la carte d'Europe pour deviner la conséquence de la procrastination et du manque de vision de nos dirigeants actuels. Tôt ou tard la Suisse devra rejoindre l'Europe, contrainte et forcée. Il vaut mieux choisir l'EEE tout de suite, d'autant plus qu'en 1992 le peuple souverain l'avait accepté à une courte majorité et que ce sont les cantons qui l'ont refusé. De plus, notre législation est déjà compatible. Alors pourquoi tant de tergiversations??
»
@Gamuret 05.11.2021 | 16h26
«Bonjour !
J'aimerais nuancer le propos de M. Pilet ; en effet, dire : "S'appuyer sur l'Europe pour faire face à l'omniprésence des USA".... C'est bien là que le bât blesse. Car l'Europe telle qu'elle s'est construite a toujours été, dès le début sous la tutelle des USA... Tant et si bien que les derniers pays demandeurs ont été accepté à condition d'accueillir une base de l'Otan.
De fait M. Pilet, je ne comprends pas bien votre "s' appuyer sur l'Europe".... Pouvez-vous éclairer, s'il vous plaît, ma lanterne ?
Mes bonnes salutations !
Philippe Henry »
@adb 06.11.2021 | 10h54
«Bonne analyse. Je crains que notre arrogance du succès perdure encore quelques années et qu’elle ne s’amenuise que lorsque les accrocs deviendront par trop criant. L’aile dominante des radicaux et du centre pourraient alors émerger de leur obsession nombriliste et accepter un accord avec l’EU, à des conditions même moins favorables qu’avant le sabordage de l’accord cadre. Ces milieux souffrent de la même myopie qui perdurait encore une année avant la chute du secret bancaire. »
@willoft 06.11.2021 | 23h05
«"Alors que l’économie et la société helvétiques témoignent d’une grande et rapide capacité d’adaptation aux changements de l’époque,..."
Alors là, on peut en douter fortement.
D'ailleurs, comment expliquer le décalage entre le politique et le peuple?
Il y a une initiative très intéressante à ce ce sujet "le tirage au sort des juges".
Ce qui a le mérite de diluer la séparation des pouvoirs.
Cf. sur les blogs du Temps qui passe, les commentaires des deux professeurs honoraires.
Deux vieilles badernes dont on les gratifie d'un blog, OK, sans doute une audience record?
Aucune solution, seul des critiques, oui, la Suisse en est las...!»
@hermes 16.11.2021 | 15h00
«Les faits dénoncés par M. Pilet sont accablants et têtus pour la Suisse politique : procrastination par manque de courage et déni par manque de vision et de réalisme sont objectivement observables.
Notre relation avec l’UE est psychologiquement perturbée par une alternance de complexe de supériorité (la CH est forte, l’UE a besoin de nous) et de complexe d’infériorité (nos libertés vont être bridées par ce machin bruxellois, on n’aura plus rien à dire) qui empêche nos élites politiques de l’aborder avec sérénité.
De fait, le Conseil Fédéral s’agite comme une poule sans tête ; il court dans tous les sens en butant sur les obstacles, incapable de raisonner et de définir une vision stratégique cohérente pour le pays. Pendant qu’elle se vide de son sang, ses bourreaux se tapent sur le ventre et sonnent les cloches d’une soi-disant liberté.
»