Actuel / Les médecins nous sauveront-ils de la banalisation du suicide?
Détail de «Allegoria sacra», collage numérique du collectif russe AES+F. © AES+F
Allons-nous vers le droit au suicide assisté pour tous, très malades, nettement moins malades, voire pas du tout? La dynamique est lancée et les nouvelles directives de l’Académie des sciences médicales (ASSM) franchissent un pas dans ce sens. Mais les médecins résistent: la FMH pourrait aller au clash historique, le 25 octobre, en votant contre le texte de l’ASSM. Bertrand Kiefer les y encourage vivement. Dans un récent article qu’il co-signe avec Philippe Ducor dans le Bulletin des médecins suisses*, le directeur de Médecine et Hygiène soulève une question vertigineuse: où est la limite entre respect de l’autonomie et abandon? Rencontre.
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Mais ce à quoi je ne m’oppose pas, c’est le suicide assisté en fin de vie. Il y a une différence énorme entre le suicide assisté en fin de vie et le suicide assisté tout court. Ces nouvelles directives franchissent la frontière qui les sépare, c’est un pas décisif.</p> <p><strong>Les directives disent que le candidat au suicide doit souffrir d’ «une maladie ou de limitations fonctionnelles»: n’est-ce pas un critère objectif? </strong></p> <p>Certes, mais qui n’a pas l’une ou les autres? Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies diagnostiques, on est capables de déceler des maladies chez tout le monde! «Limitations fonctionnelles», c’est un critère qui n’en est pas un, on est dans un flou total.</p> <p><strong>Ce que vous critiquez surtout, c’est le principe d’autonomie de l’individu érigé en dogme? </strong></p> <p>Oui. Nous percevons derrière ce texte une sensibilité néo-libérale que l’on retrouve ailleurs en matière de santé: la personne en surpoids est responsable de son sur-poids, celle en burn-out de son burn-out, la suicidaire de son suicide... Or, il n’y a pas que des individus à la liberté intangible, il y a aussi des facteurs sociaux. Il y a par exemple le fait que les personnes âgées sont de plus en plus exclues de la société et que l’on tend à leur faire porter le poids moral et économique de leur déclin.</p> <p><strong>L’autonomie est «sacralisée» au détriment du lien social?</strong></p> <p>Nous considérons en effet que dans la bioéthique contemporaine, le principe d’autonomie devient une notion quasi religieuse: quelque chose d’absolu, au-dessus de toute contingence. Or, le fond du problème, c’est que quand une personne est en souffrance, il y a beaucoup de choses que l’on pourrait faire et qui changeraient son désir de suicide. Il faut aussi tenir compte du fait que toute parole humaine est fondamentalement complexe et ambivalente. Quand quelqu’un dit «Je veux me suicider» il peut y avoir mille autres choses derrière. Y compris: allez-vous résister? Qu’allez-vous me proposer d’autre? Nous plaidons pour une approche complexe de la réalité. Il y a trop de simplification dans la manière dont les directives de l’ASSM présentent les choses. </p> <p><strong>Elles disent: il faut vérifier que tout a été fait pour soulager le souffrant…</strong></p> <p>Mais «tout», c’est quoi, lorsque la société ne propose presque rien?</p> <p><strong>Derrière le soi-disant respect de l’autonomie, la réalité de l’abandon?</strong></p> <p>Nous affirmons en effet qu’entre respect de l’autonomie et abandon, la marge est très ténue. Il est important de respecter la liberté des gens, mais encore plus important de ne pas abandonner les plus vulnérables. Ce souci apparaît bien peu dans les directives de l’ASSM.</p> <p><strong>Celui qui recourt au suicide assisté ne fait-il pas davantage preuve de maîtrise que de vulnérabilité?</strong></p> <p>C’est le cas pour un certain public, oui. Comme celui qu’on a pu voir dans la <a href="/actuel/mon-suicide-lave-plus-blanc">campagne de pub d’Exit suisse alémanique:</a> des personnes très articulées, pour qui cette issue relève d’une philosophie de vie, d’une posture stoïcienne. Des gens viscéralement attachés à leur liberté et qui ont très peur de perdre le contrôle sur ce qu’on va leur faire. Mais ce public n’est pas celui auquel les médecins ont affaire la plupart du temps. Ce qu’ils voient surtout, ce sont des vieux qui souffrent de solitude et d’abandon. Ils veulent se suicider parce que les enfants ne viennent plus les voir, qu’ils se sentent un poids pour eux, qu’ils ont l’impression de coûter trop cher et qu’ils se sentent inutiles. Nous sommes en face d’un vrai problème culturel. La réponse qui consiste à dire: aidons-les à se suicider est d’une très grande pauvreté pour une civilisation qui se targue d’être si avancée. Il faut le savoir: les discours sur le coût de la santé mais aussi l’émergence, dans les médias, de véritable «héros» du suicide assisté, tout cela a une influence sur les plus vulnérables.</p> <p><strong>Faites-vous allusion par exemple à cette seputagénaire de Gstaad à laquelle <em>Le Temps</em> consacrait récemment une page sous le titre <a href="https://www.letemps.ch/societe/mourir-belle-lan-prochain">«Mourir encore belle, l’an prochain»</a>? </strong></p> <p>Oui, il s’agit d’un exemple frappant. Une femme septuagénaire annonce avoir pris la décision de mourir par suicide assisté en janvier 2020. Elle est décrite comme élégante et sportive, ne souffrant d’aucune maladie grave. Mais elle estime avoir atteint sa limite d’âge et veut décider elle-même du moment de mourir. Ce souhait relève évidemment de sa liberté. Mais le malaise vient du prosélitysme dans lequel elle enrobe son témoignage, faisant de son cas un exemple de courage et de lucidité face à la simple vieillesse. Un de ses récents blogs, sur le site du Temps, s’intitule: «Plaidoyer pour le suicide de bilan». Sa manière d’entraîner un de ses fils dans sa décision, puisqu’il va filmer sa dernière année de vie, est aussi très malsaine. On assiste à un jeu étrange et un peu exhibitionniste autour de la mort. Mais le procédé n’est pas anodin. Des études montrent que les témoignages valorisant le suicide ont des effets entraînants sur les personnes fragiles et indécises. Quel rôle joue un journal en relayant sans aucune distance un tel témoignage? Il me semble que les médias devraient s’interroger davantage sur leur contribution ou non au climat pro-suicide.</p> <p><strong>«Courage», «respect», «dignité»: la valorisation du suicide assisté passe aussi par les mots? </strong></p> <p>Oui, bien sûr. Il y a tout un vocabulaire très incitatif qui est distillé par les associations d’aide au suicide. Cela me choque énormément: car des mots comme «courage» et «dignité», personne n’a le droit de se les approprier. Il n’y a pas plus de dignité et de courage à se donner la mort qu’à ne pas se la donner. Nous devons faire très attention à ne pas tomber dans un climat pro-suicide. Faire société, c’est aussi résister ensemble aux pulsions de mort. Nous sommes en train de passer de la résistance collective aux pulsions de mort à leur banalisation. La prévention du suicide est un choix de société: voulons-nous être une société qui fait encore cet effort? Déjà, la Suisse, en comparaison internationale, est très en retard dans ce domaine, y compris pour les jeunes…</p> <p><strong>Le climat pro-suicide, c’est aussi l’idée que le suicide assisté pour tous, c’est le progrès? </strong></p> <p>Oui. Aujourd’hui déjà, si vous exprimez des réticences, vous passez facilement pour un rétrograde. Du coup, personne, médecins compris, n’a trop envie de monter au créneau sur la question…</p> <p><strong>Vous trouvez les médecins trop peu engagés?</strong></p> <p>Je les trouve trop silencieux sur ce sujet. Ils portent beaucoup de la souffrance non dite de notre société, ils devraient davantage exprimer leurs convictions, s’impliquer dans le débat. Mais c’est difficile, on prend vite des coups… Il y a aussi simplement le fait que parler de la mort, c’est violent. Chez les médecins qui s’occupent de malades graves, je vois une réticence à se lancer trop frontalement dans des controverses sur le sujet. On dit: le suicide assisté, c’est mieux qu’une mort violente. Mais la violence intrinsèque de la mort ne s’efface pas, elle est seulement masquée. Je pense surtout à la violence de la mort infligée, aux proches, aux soignants. Une souffrance sous-estimée et complètement négligée par les associations d’assistance au suicide, quoi qu’elles disent. Mais là aussi, il faut le redire: il y a une différence énorme entre le suicide assisté en fin de vie ou non. Plus la fin de vie est éloignée, plus la violence est grande.</p> <p><strong>A la fin de votre article, vous appelez carrément les médecins à la résistance! </strong></p> <p>Aux délégués de la FMH, nous disons: votez contre les directives. Et aux médecins: même si elles entrent dans le code de déontologie, on n’est pas obligé de les suivre.</p> <p><strong>S’opposer au projet de suicide d’un patient, c’est d’abord prendre le temps de parler avec lui… Considérant l’évolution du métier de médecin, croyez-vous vraiment qu’il va s’en trouver une majorité pour résister à la banalisation du suicide? </strong></p> <p>Je ne suis sûr de rien. J’ignore comment la Chambre votera le 25 octobre. Mais l’incertitude pèse aussi sur l’avenir de la médecine elle-même. Je parle de la médecine en tant qu’activité qui se donne la peine de définir une déontologie, une réflexion sur l’humain. Tout cela est encore un luxe de civilisation par rapport à l’utilitarisme pur. Mais combien de temps cela durera-t-il? On peut parfaitement imaginer que ça s’effondre, au profit d’un système où l’on verrait de simples techniciens de la santé coiffés par des systèmes économiques en mains des assureurs. Ces praticiens-là, c’est clair, face à une demande de suicide, ne prendront pas la peine de se poser la question: d’où vient cette demande? Que puis-je faire? </p> <p> </p> <hr /> <p> </p> <h4> *A lire: <a href="https://bullmed.ch/fr/article/doi/bms.2018.06871/">"Principe d'autonomie: un dernier sacrement?" L'article de Bertrand Kiefer et Philippe Ducor paru dans le Bulletin des médecins suisses.</a></h4> <p> </p> <hr /> <p> </p> <h4>Illustration issue de l'exposition <em></em><a href="/culture/a-geneve-un-collectif-d-art-russe-exalte-nos-cliches"><em>Theatrum Mundi</em> actuellement au Musée d'Art et d'Histoire de Genève.</a></h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'les-medecins-nous-sauveront-ils-de-la-banalisation-du-suicide', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 843, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1201, 'homepage_order' => (int) 1421, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 13, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'Anna Lietti', 'description' => 'Allons-nous vers le droit au suicide assisté pour tous, très malades, nettement moins malades, voire pas du tout? 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Il y a tout un vocabulaire très incitatif qui est distillé par les associations d’aide au suicide. Cela me choque énormément: car des mots comme «courage» et «dignité», personne n’a le droit de se les approprier. Il n’y a pas plus de dignité et de courage à se donner la mort qu’à ne pas se la donner. Nous devons faire très attention à ne pas tomber dans un climat pro-suicide. Faire société, c’est aussi résister ensemble aux pulsions de mort. Nous sommes en train de passer de la résistance collective aux pulsions de mort à leur banalisation. La prévention du suicide est un choix de société: voulons-nous être une société qui fait encore cet effort? Déjà, la Suisse, en comparaison internationale, est très en retard dans ce domaine, y compris pour les jeunes…</p> <p><strong>Le climat pro-suicide, c’est aussi l’idée que le suicide assisté pour tous, c’est le progrès? </strong></p> <p>Oui. Aujourd’hui déjà, si vous exprimez des réticences, vous passez facilement pour un rétrograde. 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L'article de Bertrand Kiefer et Philippe Ducor paru dans le Bulletin des médecins suisses.</a></h4> <p> </p> <hr /> <p> </p> <h4>Illustration issue de l'exposition <em></em><a href="/culture/a-geneve-un-collectif-d-art-russe-exalte-nos-cliches"><em>Theatrum Mundi</em> actuellement au Musée d'Art et d'Histoire de Genève.</a></h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'les-medecins-nous-sauveront-ils-de-la-banalisation-du-suicide', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 843, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1201, 'homepage_order' => (int) 1421, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 13, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4247, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => '«Une nouvelle forme de féminicide social»', 'subtitle' => 'Le «genre» supplante le «sexe» et l’extrême droite n’est pas la seule à s’en inquiéter: des voix féministes s’élèvent pour dénoncer une évolution qui se fait aux dépens du féminin. 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Comme ça, nous ne sommes pas d’accord.</p> <p>Car il y a bel et bien une réalité du corps et le corps des femmes est le fondement même de leur oppression historique: «<em>Si ce corps est effacé</em>, précise Marie-Jo Bonnet, <em>si on nie qu’une femme soit une personne née biologiquement femme, avec des seins, des ovaires, un utérus et des menstrues, on supprime toute raison de se solidariser entre femmes pour combattre le patriarcat</em>.» On permet aussi, par exemple, à des personnes dotées d’organes sexuels masculins d’accéder aux vestiaires ou aux prisons pour femmes. On favorise surtout une autre dérive, moins médiatisée mais de plus en plus documentée: la pression exercée sur les lesbiennes par des femmes trans non opérées pour les pousser à accepter un rapport sexuel avec pénétration. 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Ce sont bel et bien les femmes qui, sous couvert de progressisme, font les frais de la déconstruction des genres.</p> <h3>«2023, année de la TERF»</h3> <p>Mari-Jo Bonnet n’a plus 20 ans. Ni Margrith Von Felten, 78 ans, pionnière du féminisme à Bâle, qui a récemment repris du service pour combattre une nouvelle loi sur l’égalité prévoyant de supprimer les catégories «homme» et «femme». C’est la fin de la lutte pour l’égalité, dit l’ancienne conseillère nationale, puisque «juridiquement, on ne peut pas combattre ce qui n’est pas nommé, à savoir l’inégalité hommes/femmes.»</p> <p>Faut-il en conclure à un conflit de générations entre jeunes et vieilles féministes? Le courant majoritaire aime à le faire croire, tout comme il renvoie constamment les critiques du genre au camp de l’extrême droite. En réalité, il n’en est rien. Les féministes dissidentes, qui se reconnaissent volontiers dans le courant dit radical (RadFem), sont souvent jeunes. 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Manière crâne d’opérer un retournement de stigmate. TERF est en effet un acronyme anglais hautement infamant, surgi il y a quelques années au sein de la communauté LGBTQIA+ pour étiqueter les féministes radicales (Radical Feminists) comme trans-exclusives (Trans Exclusionary). A noter que comme on l’a vu, il est très facile d’être une TERF: il suffit de penser qu’une femme est une personne adulte dotée d’un utérus. </p> <p>La plus célèbre des TERFS est la britannique J.K.Rowling; une femme de gauche, insoupçonnable d’intolérance, que le succès n’a jamais distrait de son engagement sans faille aux côtés des femmes précarisées et victimes de violence. L’auteure de Harry Potter subit, elle aussi, depuis 2019, une brutale campagne de dénigrement. 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Récemment, une association canadienne de personnes concernées par la dysphorie de genre – «Gender Dysphoria Alliance Canada» – est tout de même sortie du bois avec <a href="https://web.archive.org/web/20210724122022/https:/www.gdalliancecanada.com/post/trans-men-fight-back" target="_blank" rel="noopener">un manifeste</a> intitulé «Les hommes trans contre-attaquent» («<em>Trans Men Fight Back</em>».) Et qui affirme: une petite minorité de personnes ont pris le contrôle du «narratif trans». 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Tandis que des spectateurs agacés levaient les yeux au ciel en lâchant des remarques peu amènes, CIB est restée à l’écoute, bienveillante, concentrée, sans donner le moindre signe d’impatience. A l’issue de la soirée, on avait l’impression d’avoir compris quelque chose d’important sur la célèbre chroniqueuse, actrice et dramaturge genevoise: elle a beau dire un tas de gros mots, elle est parfaitement dénuée de méchanceté ou de désir de nuire. Face aux accusations de racisme et de transphobie dont elle a fait l’objet l’an dernier (en cause, deux chroniques vidéo publiées sur le site du <i>Temps</i>), il y avait de quoi réagir comme elle l’a fait: par une stupéfaction totale, qui n’est toujours pas retombée.</p> <p><i>Poussières du Sahara</i> réunit des chroniques déjà publiées dans <i>Heidi.news</i> et d’autres, inédites. Les textes ne sont pas datés mais une bonne partie relatent la vie en temps de pandémie. Encore le Covid? D’abord on a un mouvement de recul. Puis on constate que, en véritable auteure, CIB transcende son sujet: ce dont elle nous parle, c’est de la pandémie comme métaphore. De ce moment civilisationnel où nous aurons assisté au rétrécissement de nos vies. Où, en sursautant devant un baiser de cinéma, nous aurons mesuré le basculement de notre rapport à la réalité. Où l’angoisse de la contagion et l’impérialisme algorithmique auront fusionné pour alimenter notre paranoïa, notre méfiance de l’autre et notre tentation d’abdiquer face à l’horizon d’une société de surveillance. C’est drôle, c’est grinçant, c’est restitué avec une précision microscopique. Même si la chroniqueuse-entomologiste donne souvent l’impression d’avoir fumé la moquette avant de se mettre au clavier...</p> <p>J’écris pour consoler les gens, dit CIB. Son truc d’écrivaine, c’est de se mettre du côté des fragilisés en en faisant des tonnes. Quand, assaillie par l’angoisse de la contagion, elle part dans un délire paranoïaque d’«hydro-alcoolique anonyme» et se met à siffler sa bouteille de désinfectant, elle nous fait mourir de rire. Mais elle traduit aussi parfaitement cette atmosphère d’épaisse anxiété, sans cesse alimentée par de nouveaux sujets de panique, qui met nos psychismes à rude épreuve. Quand elle se complait dans l’évocation de son double menton, de ses acouphènes et de sa condition de femme «vieille, moche, amère et seule» qui n’arrive même plus à ouvrir sa bouteille de San Pellegrino, on se dit qu’elle en rajoute beaucoup. Mais c’est par empathie pour les plus largués, les plus impuissants, ceux vers qui son attention semble naturellement tournée.</p> <p>Il y a aussi de la colère dans <i>Poussières du Sahara</i>, une colère tantôt sombre, tantôt jubilatoire. L’auteure nous fait bien rigoler en gambergeant sur un futur dystopique où la police des déchets sèmera la terreur et où le citoyen fautif, détecté grâce à son ADN, sera condamné à bouffer ses ordures en place publique. Mais c’est pour mieux dire son indignation face à l’incohérence d’une attitude qu’elle observe jusque chez le plus zélé des écoresponsables: d’un côté, il l’«emmerde pour trois épluchures de carottes», de l’autre il participe sans broncher à l’escalade techno-consommatoire en courant s’acheter le dernier modèle de smartphone. Celui même qui écoutera ses conversations téléphoniques pour ensuite lui enfiler des pubs sur mesure. CIB nous raconte ça à propos de son fils cadet. Mais en le désignant, elle dit son désarroi face à toute une génération, qui semble délibérément aspirer à un racornissement de son libre arbitre. Ça, elle n’en revient pas. «Je suis dépassée», dit-elle.</p> <p>Mais c’est contre les médias que sa colère est la plus vive. On va dire: normal, elle est amère, son divorce avec <i>Le Temps</i> a été douloureux. N’empêche: nous avons tous vécu ce moment de perplexité en constatant que, du jour au lendemain, la catastrophe sanitaire, après avoir éclipsé un temps la catastrophe climatique, avait disparu de nos radars pour faire place à la catastrophe humanitaire de la guerre en Ukraine. Et que dans tout ça, plus personne ne parlait des migrants en Méditerranée, qui continuent pourtant allègrement à se noyer dans l’indifférence générale.</p> <p>Il y a quelque chose de pourri dans cette «surenchère de mots terribles» dit CIB, dans ce régime médiatique qui semble fonctionner par rouleaux compresseurs successifs. Quelque chose qui alimente notre désarroi, notre culpabilité et notre sentiment d’impuissance. Comment faire autrement? La question n’est pas simple. Claude-Inga Barbey n’a pas la réponse. 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C’était la deuxième fois en trois semaines que l’Université de Genève vivait un tel épisode de censure, après le coup de force qui a silencié, fin avril, Caroline Eliacheff et Céline Masson, auteures de <em>La fabrique de l’enfant trans genre</em> (<a href="https://bonpourlatete.com/actuel/un-vendredi-soir-a-geneve-et-ceci-pourrait-ne-pas-etre-un-article" target="_blank" rel="noopener">BPLT du 6 mai</a>).</p> <p>Le livre d’Eric Marty est une somme de plus de 500 pages, qui retrace l’histoire de la notion de genre, ce «dernier grand message idéologique de l’Occident au reste du monde.» Ceux qui voudraient se faire une idée de son contenu sans nécessairement investir le temps d’une lecture complète peuvent utilement écouter l’interview accordée par l’auteur à l’émission <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/signes-des-temps/gender-studies-la-premiere-grande-enquete-philosophique-sur-l-origine-des-etudes-de-genre-et-leurs-consequences-aujourd-hui-7520974" target="_blank" rel="noopener"><i>Signes des temps</i></a> sur France Culture lors de la sortie du livre.</p> <p>Voici ce que j’ai retiré de l’écoute de cette interview:</p> <p><strong>1.</strong> La papesse de la notion de genre est l’Américaine Judith Butler. C’est elle qui, dans la deuxième moitié du XXème siècle, a imposé l’idée que le sexe auquel nous croyons appartenir naturellement est en fait socialement et culturellement construit. Et qui lui substitue la notion de genre, affranchi de la biologie. Mais si Judith Butler est l’auteure de référence des «gender studies», il est communément admis qu’elle s’est inspirée des penseurs de la «French theory», et notamment de Michel Foucault et Jacques Derrida. L’origine de la notion de genre serait en fait européenne. <span>Eric Marty n’en est pas convaincu. Après avoir vaillamment re-parcouru les cathédrales d’opacité que sont les ouvrages de ces différents auteurs, il observe que la pensée butlérienne dérive très loin de celle de ses supposés inspirateurs. Et que, pour faire court, la fluidité de genre est au bout du compte un truc très américain: «Une idéologie du self-making», de la construction de soi à la carte en quelque sorte, «en parfaite harmonie avec le système néo-libéral.» </span><span></span><span></span></p> <p><strong>2.</strong> Marty s’interroge sur le phénomène de la transition. Il est porteur, relève-t-il, d’une contradiction fondamentale: s’il faut passer par la prise d’hormones et la chirurgie pour devenir ce que l’on est vraiment, c’est donc qu’il y a un «vrai sexe», une réalité physiologique de l’identité sexuée. Ce qui contredit la notion de genre comme pure construction sociale et culturelle. «La transition surconstruit le genre», dit-il, elle réintroduit la binarité tout en la condamnant. Bien sûr, toutes les démarches trans ne s’inscrivent pas dans la binarité et bien des gens choisissent aujourd’hui de ne pas se faire opérer. Sur ce point, Eric Marty en dit plus dans <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/07/16/la-notion-de-genre-est-amenee-a-se-substituer-a-celle-de-sexe_6088394_3451060.html" target="_blank" rel="noopener">une interview accordée au <em>Monde</em></a> en juillet dernier. Le phénomène des personnes qui veulent «déserter leur genre», très nombreuses aujourd’hui chez les jeunes, prend deux formes, admet-il. La première est «une demande de norme et même une réhabilitation du genre comme essence ("Je suis une fille dans un corps de garçon")». La seconde est plus complexe et s’incarne par exemple dans le «trans entre-deux non-opéré». 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Leur thèse: la médicalisation précoce des troubles de l’identité de genre fait aujourd’hui scientifiquement débat, il semble que ses effets délétères aient été sous-estimés. <a href="https://www.rts.ch/info/monde/12295658-la-suede-freine-sur-la-question-du-changement-de-sexe-des-mineurs.html" target="_blank" rel="noopener">Des pays pionniers comme la Suède</a> remettent leurs pratiques en question, écoutons ce signal d’alarme! Parmi les quelque 250 signataires de la pétition, on trouve deux autre militants gays historiques − Jean-Pierre Sigrist et Pierre Biner.</p> <p>Plus largement, dans son article, François Brutsch éclaire l’enjeu idéologique sous-jacent à ce débat: le succès fulgurant d’une «idéologie trans» qui considère le genre comme une pure affaire de perception individuelle et va jusqu’à nier la réalité objective du sexe biologique. «Pour moi, il s’agit d’un dévoiement des études genre, précise l’auteur dans un échange par Skype depuis Londres où il vit depuis 20 ans. Je suis sidéré de voir la vitesse à laquelle cette vision s’est répandue, y compris dans les milieux institutionnels.» Dans plusieurs pays, la notion d’autodéclaration sexuelle est déjà entrée dans la loi.</p> <p>Ce qu’il faut savoir, c’est que l’idéologie de genre suscite aussi des divisions dans ces mêmes milieux progressistes qui l’ont vue naître: «Chez les féministes comme chez les gays, des gens se battent pour défendre l’idée que le sexe est une donnée biologique objective», précise le Genevois. Ainsi, François Brutsch a rejoint la dissidence gay de la LGB Alliance, née en Grande Bretagne et présente dans divers pays, du Brésil à l’Australie («A quand la Suisse?»). Côté féministe aussi, la dissidence est d’abord anglophone. Mais la <a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=KtYUy-3ahIw&list=PLWdSdWv0R1DtnBbAlbmAmY_IgB_uxe9SJ" target="_blank" rel="noopener">Déclaration pour les droits des femmes fondés sur le sexe</a> (acronyme anglophone: WHRC) dispose depuis avril 2021 d’une plateforme en français.</p> <p>Tous ces mouvements sont à mille lieues de la transphobie ordinaire: ils reconnaissent pleinement la souffrance vécue par les personnes trans et applaudissent les progrès survenus dans la reconnaissance de leur droits. Ils n’en dénoncent pas moins une médicalisation outrancière et prématurée qui menace la santé des enfants. Et sous laquelle, paradoxalement, ils lisent une forme d’homophobie qui ne dit pas son nom…</p> <h3><strong>Retour de balancier</strong></h3> <p>Mais n’allons pas trop vite. Pour comprendre l’inquiétude qui s’exprime aujourd’hui concernant la santé des adolescents, il faut revenir en arrière de quelques décennies. Les personnes trans ont derrière elles une longue histoire de souffrances, d’ostracisation et d’humiliations qui n’a trouvé une reconnaissance qu’avec le 20<sup>e </sup>siècle déclinant. S’est alors développée une prise en charge médicale dédiée, toute entière concentrée sur l’allègement de ces souffrances. Ainsi, selon les recommandations de l’Association mondiale des professionnels de la santé transgenre (WPATH), il ne s’agit plus de mettre longuement à l’épreuve les personnes qui veulent entreprendre une transition, mais d’«accompagner» leur demande sans la juger, avec effet immédiat si nécessaire. D’autre part, alors que par le passé on ne traitait que des adultes, il est aujourd’hui communément admis que plus la médication commence tôt, meilleurs sont les résultats. C’est ainsi qu’en Suisse, des mineurs se voient prescrire des bloqueurs de puberté, avant une prise d’hormones de l’autre sexe − affectant la voix, la masse musculaire, la pilosité − qui peut commencer à 14 ans ou même avant. Aucune limite d’âge inférieure n’est légalement prévue, pour la chirurgie non plus, pourvu que l’enfant ait sa «capacité de discernement». De même, l’accord des parents n'est pas exigé par la loi, même s'il est recherché par les professionnels consciencieux.</p> <p>C’est dans ce contexte que l’on assiste, depuis une dizaine d’années, à deux phénomènes impressionnants: le premier, c’est l’explosion du nombre d’adolescentes qui veulent devenir des garçons. L’augmentation des personnes en questionnement de genre − plus 1500% en dix ans en Suède − est générale, mais la flambée particulièrement massive chez les filles de 13-17 ans. Alors que jusqu’ici, les trans étaient en majorité des hommes (adultes) devenus femmes, la nouvelle population des personnes en transition est composée à 70% de filles.</p> <p>Le second phénomène est celui des détransitionneurs, majoritairement des détransitionneuses. A savoir des personnes qui, à un moment plus ou moins précoce de leur chemin entre un sexe et l’autre, regrettent leur décision et souhaitent revenir en arrière*. La plus célèbre est <a href="https://bonpourlatete.com/ailleurs/la-sage-de-keira-bell-repentie-du-changement-de-sexe-secoue-la-grande-gretagne" target="_blank" rel="noopener">Keira Bell, </a>cette jeune Britannique qui s’est retournée contre la clinique qui lui a − beaucoup trop facilement, juge-t-elle aujourd’hui − administré des hormones à 16 ans. Jusqu’ici, les détransitionneuses étaient toutes anglophones. 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Lorsqu’elle s’est heurtée à un psychiatre qui a refusé d’entrer en matière, elle a simplement trouvé, via une association trans, un médecin qui lui a prescrit des hormones sans discuter. Le travail des professionnels de la santé face à ces jeunes en crise n’est pas simple, admet Elie. L’enjeu, c’est de «sortir de l’idée que la transition est la solution unique à la dysphorie de genre.» C’est bien de dysphorie dont elle souffrait, mais la réponse n’était pas dans les hormones et la mastectomie. C’était de s’autoriser à vivre comme une femme masculine, conclut-elle de sa voix posée, qui restera celle d’un garçon.</p> <p>Via le site Post Trans créé avec sa compagne Nele, Elie diffuse une <a href="https://files.cargocollective.com/c523136/01_Post-Trans_Booklet_FR.pdf" target="_blank" rel="noopener">brochure</a> d’information très bien faite, également disponible en français, où d’autres détransitionneuses se racontent. Elles reprochent au corps médical de ne pas s’être suffisamment intéressé aux causes de leur mal-être. «J’aurais aimé qu’on me pose des questions sur mes traumatismes», «J’aurais aimé que quelqu’un travaille sérieusement avec moi sur les raisons pour lesquelles je me sentais seule et isolée», «J’aurais désespérément souhaité que mes problèmes de traumatisme et de santé mentale soient examinés»…</p> <p>Un autre leitmotif traverse ces témoignages, tous anonymes et pour cause: la crainte de dévoiler son identité par peur des réactions de la communauté trans. 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Le film s’intitule <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3lMa8ph_Xrs" target="_blank" rel="noopener"><em>Transtrain, </em></a>le train de la transition, pour traduire cette impression largement partagée: il fait bon monter dans cet engin plein de promesses, mais une fois qu’il est lancé, il ne s’arrête pas pour vous laisser descendre, il faut sauter. La seule détransitionneuse qui se soit à ce jour exprimée publiquement en Suisse, la quadragénaire Samantha K, parle carrément de «chaîne de montage» dans son témoignage à la <a href="https://www.nzz.ch/gesellschaft/die-frau-die-kein-mann-mehr-sein-will-ein-transmann-bereut-ld.1599401" target="_blank" rel="noopener"><em>NZZ. </em></a>Elle déplore la trop grande connivence entre médecins spécialisés et transactivistes. 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Le psychanalyste français Serge Hefez, pourtant plutôt trans-enthousiaste, cite, dans <a href="https://www.elle.fr/Love-Sexe/Psycho/Serge-Hefez-La-transidentite-n-est-pas-un-caprice-d-enfant-gate-3874791" target="_blank" rel="noopener">une interview à </a><em><a href="https://www.elle.fr/Love-Sexe/Psycho/Serge-Hefez-La-transidentite-n-est-pas-un-caprice-d-enfant-gate-3874791" target="_blank" rel="noopener">Elle</a>,</em><a href="https://www.elle.fr/Love-Sexe/Psycho/Serge-Hefez-La-transidentite-n-est-pas-un-caprice-d-enfant-gate-3874791"><em></em></a><em> </em>des études canadiennes selon lesquelles «20% des jeunes qui se font opérer deviennent des "regretteurs"». Mais les voix les plus autorisées tranchent: la vérité est qu’on n’en sait rien, aucune étude ne permet à ce jour d’articuler un chiffre. James Caspian, un psychologue britannique défenseur de la cause des jeunes trans, alerté sur des épisodes inquiétants, a voulu entamer une recherche. L’Université de Bath Spa a refusé son projet, politiquement trop incorrect. Caspain a porté l’affaire devant la justice.</p> <p>Ce qu’on comprend en attendant des données scientifiques solides sur la question, c’est qu’une bonne partie de ces victimes collatérales du trans-enthousiasme échappe aux statistiques. En attendant la fameuse enquête, l’AMQG cite un indice intéressant: sur le réseau social <a href="https://www.reddit.com/r/detrans/" target="_blank" rel="noopener">Reddit, le groupe «Detrans»</a> compte 22 000 membres, contre 15 000 il y a un an.</p> <h3><strong>Et en Suisse?</strong></h3> <p>Aux Etats-Unis, des détransitionneurs ont raconté avoir obtenu un diagnostic de dysphorie de genre puis des hormones, d’un seul clic, sur internet. La Suisse ne tombe certainement pas dans de tels excès. Est-elle pour autant à l’abri de l’erreur médicale redoutée par François Brutsch? Le discours général, y compris dans les associations qui accompagnent les jeunes en questionnement**, est celui de la prudence et d’une prise en charge scrupuleuse et individualisée. Les parents membres de l’AMQG dénoncent, eux, un décalage massif entre ce discours et une réalité nettement plus expéditive, empreinte d’une périlleuse trans-euphorie. Un exemple en apparence anodin, mais révélateur: celui de l’école qui organise la transition sociale d’une élève sans en avertir les parents. L’association cite deux cas genevois, concernant des filles de 11 et 16 ans.</p> <p>Au CHUV à Lausanne, Mathilde Morisod, responsable de la consultation «Dysphorie de genre» pour enfants et adolescents, affirme au contraire l’importance d’associer les parents − «au moins un des deux» − à la démarche de prise en charge. Sa consultation fait face, comme ailleurs, à une forte augmentation des cas – 17 nouvelles demandes, dont plus des trois quarts féminines, entre janvier et juin 2021 contre 8 en 2020, 17 en 2019, 5 en 2018. Mathilde Morisod n’exclut pas un phénomène de contagion sociale et dit repérer assez rapidement les ados mal dans leur peau qui croient à tort avoir trouvé LA réponse à leur inconfort.</p> <p>Mais aussi: «Il y a de la souffrance, une souffrance parfois insupportable», chez ces jeunes patients, rappelle-t-elle. Pour certains, il n’y a pas de doutes quant à la présence d’une dysphorie de genre qui mérite d’être prise en charge médicalement. Et c’est «un travail d’équilibriste» que de déterminer, face à des mômes en plein remaniement identitaire, si la bonne réponse est celle de la transition médicalisée ou s’il faut chercher ailleurs. En tous cas, la pédopsychiatre lausannoise se dit «très consciente de l’irréversibilité des traitements» de transition et ne manque pas d’en avertir ses jeunes patients.</p> <p>Mais puisqu’«on marche sur des œufs», comme elle le dit elle-même, puisque le risque de se tromper met les professionnels scrupuleux en état de «stress éthique» (l’expression est d’un médecin suédois dans <em>Transtrain</em>), pourquoi ne pas mettre en place des garde-fous élémentaires, comme l’interdiction des hormones avant 16 ans?</p> <p>Au nom de l’approche «sur mesure» et de l’extrême variabilité des cliniques, Mathilde Morisod rechigne à toute restriction par catégorie d’âge. Tout comme Friedrich Stiefel, qui dirige, dans le même hôpital vaudois, le service de psychiatrie de liaison dont dépend la consultation «Dysphorie de genre» adulte. De plus, rappelle ce dernier, «le droit de disposer de son propre corps est reconnu à des enfants dans d’autres circonstances: un mineur atteint de leucémie par exemple, peut, indépendamment de ses parents, refuser un traitement, à condition qu’il possède le discernement. Une ado enceinte peut obtenir un avortement.» Certes, la capacité de discernement requise «peut parfois être très difficile à définir», n’empêche: prévoir un traitement d’exception pour les enfants en questionnement de genre serait problématique, selon ces spécialistes. Dans l’affaire Keira Bell, la Cour d’appel britannique vient d’ailleurs de trancher contre une interdiction des bloqueurs avant 16 ans et pour une décision laissée aux médecins. Mais comment dès lors se prémunir contre les dérives trans-affirmatives? Pour les deux psychiatres lausannois, un élément essentiel pour une approche « prudentielle » est de garantir la présence d’un professionnel du psychisme qui parvienne à explorer avec son patient les raisons profondes de sa demande.</p> <p>Problème: actuellement déjà, n’importe quel médecin, pressé, ignorant des enjeux ou excessivement trans-euphorique, peut signer une ordonnance pour des hormones. Et l’idée de l’investigation psychiatrique comme porte d’entrée à l’indication de transition est combattue par les transactivistes. Au sein même de l’Association mondiale des professionnels de la santé transgenre (WPATH), il est question de faire l’économie de cette investigation. Absurde, avertit Friedrich Stiefel: «Certes, la dysphorie de genre n’est pas en soi un diagnostic psychiatrique. C’est une condition humaine douloureuse. Mais justement: le psychiatre de liaison est formé pour accompagner précisément l’effet des transformations physiques sur le psychisme et pour évaluer le rapport coût/bénéfice d’un traitement à l’aune de la souffrance humaine.»</p> <p>En somme, le mouvement trans-affirmatif le plus radical, en faisant de l’autodéclaration la pierre angulaire de son accompagnement, part du présupposé vertigineux qu’on ne peut pas se tromper sur soi-même ni se mentir à soi-même. Difficile à avaler pour les spécialistes du psychisme. Dans <a href="https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2020/revue-medicale-suisse-709/role-du-psychiatre-psychotherapeute-dans-la-prise-en-charge-de-la-dysphorie-de-genre" target="_blank" rel="noopener">un article </a>paru l’an dernier dans la Revue Médicale suisse, dix psychiatres du CHUV et des HUG, dont leur deux sus-cités, plaidaient pour l’importance du rôle du psychiatre-psychothérapeute dans la prise en charge des personnes en questionnement de genre. Ils disaient la nécessité de déconstruire, chez certains, des attentes irréalistes proches de la «pensée magique». Ils pointaient le «risque de banalisation de la dysphorie de genre» et celui de l’«erreur médicale» en cas de mauvais diagnostic.</p> <p>Ce qu’on comprend à demi-mots en parlant avec ces spécialistes, c’est que le milieu médical est divisé sur cette question ultra-délicate. Et plus ou moins sensible au risque de créer «des filles à barbe», selon la formule-choc d’Anne Waehre, médecin à l’hôpital d’Oslo.</p> <p>Comment se prémunir contre ce risque? Mathilde Morisod verrait volontiers la Suisse adopter des «recommandations de bonne pratique nationales». Friedrich Stiefel propose de «déléguer la pose d’indications à des centres spécialisés.» Je traduis: si on veut s’assurer contre l’erreur médicale, les mailles du filet gagneraient à être resserrées, notamment en se dotant d’un guide de conduite plus restrictif que celui du WPATH. Quant à la demande faite aux professionnels dans l’appel de l’AMQG, à savoir d'agir avec prudence et de justifier au cas par cas que le rapport coût-bénéfices soit favorable au jeune patient, les deux psychiatres ne peuvent qu’être d’accord avec cette proposition et considèrent d’ailleurs qu’elle correspond à leur pratique usuelle.</p> <p>L’attitude «prudentielle» a-t-elles des chances de gagner en Suisse? Dans l’ignorance des rapports de force sous-jacents, on ne peut que l’espérer. Pour l’heure, le CHUV annonce en primeur qu’il est en train de mettre sur pied une consultation interdisciplinaire dédiée: elle permettra aux personnes transgenres d’être prises en charge simultanément par différents spécialistes dont des psychiatres, pédopsychiatres, des endocrinologues, des pédiatres ou des généralistes d’Unisanté. Et aussi d’être suivies par des chirurgiens, des dermatologues, des gynécologues ou des ORL qui se rencontreront régulièrement autour d’un même ou d’une même patiente.</p> <h3><strong>Mais pourquoi cette flambée de filles ? </strong></h3> <p>La question la plus intrigante reste entière: pourquoi, dans la foule des adolescents qui veulent changer de sexe, l’écrasante majorité sont des filles? Aucune étude n’a à ce jour apporté une réponse mais on voit bien que cette dernière est à chercher du côté de la sociologie autant que de la médecine. Là encore, les détransitionneuses fournissent de précieuses clés de compréhension. Des clés pas très rassurantes, il faut le dire.</p> <p>Elie explique qu’elle s’est sentie seule comme adolescente car elle ne correspondait pas aux stéréotypes de la féminité. Que ce qui lui a manqué, ce sont simplement des amies, une communauté, qui la rassurent sur ce qu’elle a toujours été: une femme, masculine, lesbienne, «et c’est ok». Faute de les trouver, elle a rejoint la communauté trans et s’est persuadée que pour une femme masculine, la seule issue est devenir un homme.</p> <p>C’est ce qui fait dire aux dissidents du mouvement LGBT que l’insistance à promouvoir la transition cache une homophobie intériorisée. Malgré les discours sur la fluidité, le sous-texte est brutal: mieux vaut changer de sexe que de vivre son homosexualité. «A la limite, résume François Brutsch, la transition peut être considérée comme la thérapie de conversion ultime.» C’est aussi la thèse de cinq médecins qui ont quitté le Gender Identity Development Service de Londres, mal à l’aise avec cette constatation: trop de jeunes homosexuels demandent à changer de sexe pour échapper aux souffrances de l’homophobie. Ces médecins ont raconté dans les médias britanniques qu’un mauvais gag circulait dans la clinique: «Bientôt, il ne restera plus de gays…» Le lien entre souffrance homophobe et désir de changer de sexe serait confirmé par une étude de l’Université de l’Arizona, citée dans <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/2019/05/transgenre-sexe-detransitionneurs-transition-identite-genre-orientation/" target="_blank" rel="noopener">une longue enquête de Radio Canada .</a> </p> <p>Mais cela n’éclaircit pas encore le mystère: si, pour un certain nombre d’ados contemporains, la transition est une manière d’esquiver leur homosexualité, que signifie cette surreprésentation de filles? Cela veut-il dire qu’il est plus difficile, pour une adolescente, en 2021, de se découvrir lesbienne que pour un garçon de se découvrir gay? On voit mal d’autre conclusion plausible. Tout se passe comme si, en quelques décennies, s’était produite une inversion de tendance: pour les filles, il est plus difficile aujourd’hui d’être un garçon manqué tandis que pour les garçons, il est devenu plus facile d’être féminin. </p> <p>«Sur Instagram, avec les images de filles super belles, féminines, sexy, tu te dis qu’il n’y a pas d’autre voie […] Ça a déclenché chez moi […] une anxiété intolérable, et, de l’autre côté, je ne voulais pas être lesbienne», raconte une détransitionneuse citée dans l’enquête de Radio Canada. On a beau se féliciter des avancées de la condition féminine, il est difficile, en regardant les cours d’écoles et les réseaux sociaux, d’échapper à ce constat: les stéréotypes de genre pèsent aujourd’hui plus lourd sur les filles qu’il y a 40 ans. Elie, trop masculine pour être heureuse, trop seule dans la cour au milieu de ses copines super moulées et maquillées, a grandi à Bruxelles, dans la deuxième décennie du vingt-et-unième siècle.</p> <p>A côté de l'homosexualité douloureusement vécue, une autre thématique est très présente dans les témoignages des détransitionneuses: celle de l'abus sexuel et de l'insoutenable statut de proie. «J’ai fait une transition pour échapper à ma réalité de femme et de survivante de violences…», lit-on encore dans la brochure diffusée par Post Trans. Elie et Nele y invitent leurs lectrices à «se réconcilier avec [leur] sexe biologique». Tout indique que, pour diverses funestes raisons, la flambée des adolescentes en questionnement de genre est l’indice d’un mouvement contraire. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les femmes.</p> <hr /> <p>*Lorsque la transition hormonale ou chirugicale n’est pas entamée, on parle de «désisteurs» et «désisteuses».</p> <p>** J’ai eu, pour préparer ce texte, un échange avec une répondante de la Fondation Agnodice, spécialisée dans l’accompagnement d’enfants et d’adolescents en questionnement de genre. Elle a exigé, pour être citée, de relire, non pas seulement ses citations, mais la totalité de cet article. Ce n’est pas acceptable dans une optique d’indépendance journalistique. J’ai donc renoncé à la citer.</p> <h2>Parus récemment sur le sujet</h2> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1632920467_product_9782072950926_195x320.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="217" height="317" /><br />Claude Habib, <em>La question trans</em>. Gallimard, Le Débat, 2021.</h4> <h4><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1632920552_9780861540495_9_1_1.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="215" height="344" /><br />Helen Joyce, Trans</em>, Onlyword Publications<br />En cours de traduction en français. <a href="https://tradfem.wordpress.com/2021/09/18/preface-dun-livre-choc-en-cours-de-traduction/" target="_blank" rel="noopener">La préface est déjà disponible</a> via le collectif de traduction féministe TRADFEM</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1632920715_7e27a34e19aaed768624ce1cb2278e12538374dd_364_front_228x364.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="206" height="330" /><br />Serge Hefez, <em>Transitions. Réinventer le genre</em>. Calmann-Levy, 2020</h4> <p> </p> <p> </p>', 'content_edition' => '«Aujourd’hui le risque est que dans 20 ans le Conseil Fédéral se tordra les mains en excuses et constituera un fond d’indemnisation pour avoir poussé des jeunes à voir leur vie bouleversée par des soins inadéquats… » Quel est donc ce scandale médical, si peu annoncé et néanmoins redouté par François Brutsch sur son blog Un Swissroll? Ce qui alarme ce haut fonctionnaire socialiste genevois à la retraite, c’est la trop grande facilité avec laquelle des enfants et adolescents en questionnement de genre se voient aujourd’hui prescrire des traitements de transition aux effets partiellement ou complètement irréversibles – bloqueurs de puberté, hormones de l’autre sexe, chirurgie. Un phénomène mondial, qui menace également la Suisse, affirme-t-il. François Brutsch n’est pas exactement un conservateur crispé dans la défense de la famille traditionnelle. C’est un pionnier du combat pour les droits des homosexuels, co-fondateur de Pink Cross, l’association nationale des gays en Suisse. Il a donc dû braver les soupçons de traîtrise à la cause LGBT pour annoncer fin août, dans l’article sus-mentionné, qu’il avait signé «L’appel au respect du principe de précaution» lancé par l’AMQG, (Association pour une approche mesurée des questionnements de genre chez les jeunes), récemment créée à Genève par des parents concernés. Leur thèse: la médicalisation précoce des troubles de l’identité de genre fait aujourd’hui scientifiquement débat, il semble que ses effets délétères aient été sous-estimés. Des pays pionniers comme la Suède remettent leurs pratiques en question, écoutons ce signal d’alarme! 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Bertrand Kiefer est un médecin suisse, théologien et éthicien. Il est rédacteur en chef de la Revue médicale suisse. © DR
Commençons par un bref résumé des épisodes précédents. Le suicide assisté en Suisse a longtemps été réservé aux personnes atteintes d’une maladie mortelle. En 2014, Exit, la principale association active dans ce domaine, étend discrètement ses interventions aux «fatigués de la vie». L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) décide de clarifier la situation. Elle élabore de nouvelles directives qui vont elles aussi dans le sens d’un assouplissement…
Oui, car dans les directives en vigueur jusqu’ici, l’ASSM considère le suicide assisté comme acceptable seulement lorsque «la fin de vie est proche». Ce critère a disparu du nouveau texte, au profit de celui de «souffrance insupportable». L’autonomie de l’individu devient la seule référence.
Ces nouvelles directives ont été approuvées le 17 mai dernier mais la FMH (Fédération des médecins suisses) s’y oppose. Elle pourrait refuser de les intégrer à son code de déontologie. Ce serait une première historique…
Selon la procédure, la Chambre médicale, qui est en quelque sorte le parlement de la FMH, vote pour intégrer, à mesure de leur publication, les nouvelles directives de l’ASSM dans le code de déontologie des médecins. Jusqu’à présent, ce vote a toujours été positif. Mais cette fois, on est dans un cas de figure inédit: la FMH a dit «non» aux nouvelles directives lors de leur mise en consultation. Elle pourrait voter «non» à leur intégration dans son code de déontologie. Ceci le 25 octobre prochain, lors de la prochaine réunion de la Chambre médicale.
Qui sont les acteurs de ce clash annoncé? La FMH est la plus grande association de médecins en Suisse, mais l’ASSM?
C’est une des quatre grandes sociétés scientifiques suisses. Elle est composée principalement de professeurs d’université qui se sont donnés pour tâche de réfléchir aux liens entre science et société.
Que va-t-il se passer si la FMH vote contre les directives de l’ASSM le 25 octobre?
Rien, en apparence: l’ASSM gardera ses directives et la FMH son code de déontologie. On peut bien sûr vivre avec l’idée qu’il existe des désaccords en matière de bioéthique entre ces deux grandes institutions. Mais il y a dans cette affaire un gros enjeu juridique: jusqu’à présent, le droit suisse s’est beaucoup appuyé sur les directives de l’ASSM pour trancher dans les cas litigieux. Que va-t-il se passer si tout à coup, les directives de l’Académie et le code de déontologie des médecins ne disent pas la même chose? Personne ne le sait.
Si le droit s’appuie sur les règles de déontologie médicale, c’est que la loi elle-même ne dit pratiquement rien sur le suicide assisté, rappelez-vous dans votre article. Vous y citez le cas de figure extrême de l’adolescent qui veut se suicider après un chagrin d’amour: si, par compassion, je l’aide à mourir, je ne suis pas punissable…
Plutôt que de loi, il faudrait en effet parler de vide juridique. Pour que l’aide au suicide ne soit pas un délit en Suisse, il suffit qu’il y ait capacité de discernement d’un côté et absence de motif égoïste de l’autre.
Voyons le passage le plus controversé de ces nouvelles directives: l’aide au suicide est acceptable, dit le texte, si la personne qui la demande est victime de «souffrances insupportables.» Qui décide de ce qui est insupportable?
C’est précisément une des grandes faiblesses du texte: il ne fournit pas une réponse cohérente à cette question. A la page 11, il affirme que «le caractère insupportable de la souffrance ne peut être défini que par le souffrant lui-même et ne peut lui être attribué par d’autres personnes»; autrement dit, la personne se retrouve complètement seule face à sa souffrance puisque c’est elle et uniquement elle qui peut juger de son caractère insupportable. Mais dans un autre passage, page 26, les directives affirment que «le médecin reste juge ultime du caractère acceptable de la demande du souffrant.» C’est une incohérence majeure. La notion de fin de vie proche, qui faisait foi jusqu’ici, n’était pas d’une précision absolue mais au moins c’était un critère objectif, et un garde-fou très utile contre toutes sortes de dérives. Dans ce nouveau texte, il n’y a plus aucun critère objectif, seulement deux autonomies face à face.
Etes-vous opposé au suicide assisté?
Non. Je peux même imaginer y avoir un jour recours. Mais ce à quoi je ne m’oppose pas, c’est le suicide assisté en fin de vie. Il y a une différence énorme entre le suicide assisté en fin de vie et le suicide assisté tout court. Ces nouvelles directives franchissent la frontière qui les sépare, c’est un pas décisif.
Les directives disent que le candidat au suicide doit souffrir d’ «une maladie ou de limitations fonctionnelles»: n’est-ce pas un critère objectif?
Certes, mais qui n’a pas l’une ou les autres? Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies diagnostiques, on est capables de déceler des maladies chez tout le monde! «Limitations fonctionnelles», c’est un critère qui n’en est pas un, on est dans un flou total.
Ce que vous critiquez surtout, c’est le principe d’autonomie de l’individu érigé en dogme?
Oui. Nous percevons derrière ce texte une sensibilité néo-libérale que l’on retrouve ailleurs en matière de santé: la personne en surpoids est responsable de son sur-poids, celle en burn-out de son burn-out, la suicidaire de son suicide... Or, il n’y a pas que des individus à la liberté intangible, il y a aussi des facteurs sociaux. Il y a par exemple le fait que les personnes âgées sont de plus en plus exclues de la société et que l’on tend à leur faire porter le poids moral et économique de leur déclin.
L’autonomie est «sacralisée» au détriment du lien social?
Nous considérons en effet que dans la bioéthique contemporaine, le principe d’autonomie devient une notion quasi religieuse: quelque chose d’absolu, au-dessus de toute contingence. Or, le fond du problème, c’est que quand une personne est en souffrance, il y a beaucoup de choses que l’on pourrait faire et qui changeraient son désir de suicide. Il faut aussi tenir compte du fait que toute parole humaine est fondamentalement complexe et ambivalente. Quand quelqu’un dit «Je veux me suicider» il peut y avoir mille autres choses derrière. Y compris: allez-vous résister? Qu’allez-vous me proposer d’autre? Nous plaidons pour une approche complexe de la réalité. Il y a trop de simplification dans la manière dont les directives de l’ASSM présentent les choses.
Elles disent: il faut vérifier que tout a été fait pour soulager le souffrant…
Mais «tout», c’est quoi, lorsque la société ne propose presque rien?
Derrière le soi-disant respect de l’autonomie, la réalité de l’abandon?
Nous affirmons en effet qu’entre respect de l’autonomie et abandon, la marge est très ténue. Il est important de respecter la liberté des gens, mais encore plus important de ne pas abandonner les plus vulnérables. Ce souci apparaît bien peu dans les directives de l’ASSM.
Celui qui recourt au suicide assisté ne fait-il pas davantage preuve de maîtrise que de vulnérabilité?
C’est le cas pour un certain public, oui. Comme celui qu’on a pu voir dans la campagne de pub d’Exit suisse alémanique: des personnes très articulées, pour qui cette issue relève d’une philosophie de vie, d’une posture stoïcienne. Des gens viscéralement attachés à leur liberté et qui ont très peur de perdre le contrôle sur ce qu’on va leur faire. Mais ce public n’est pas celui auquel les médecins ont affaire la plupart du temps. Ce qu’ils voient surtout, ce sont des vieux qui souffrent de solitude et d’abandon. Ils veulent se suicider parce que les enfants ne viennent plus les voir, qu’ils se sentent un poids pour eux, qu’ils ont l’impression de coûter trop cher et qu’ils se sentent inutiles. Nous sommes en face d’un vrai problème culturel. La réponse qui consiste à dire: aidons-les à se suicider est d’une très grande pauvreté pour une civilisation qui se targue d’être si avancée. Il faut le savoir: les discours sur le coût de la santé mais aussi l’émergence, dans les médias, de véritable «héros» du suicide assisté, tout cela a une influence sur les plus vulnérables.
Faites-vous allusion par exemple à cette seputagénaire de Gstaad à laquelle Le Temps consacrait récemment une page sous le titre «Mourir encore belle, l’an prochain»?
Oui, il s’agit d’un exemple frappant. Une femme septuagénaire annonce avoir pris la décision de mourir par suicide assisté en janvier 2020. Elle est décrite comme élégante et sportive, ne souffrant d’aucune maladie grave. Mais elle estime avoir atteint sa limite d’âge et veut décider elle-même du moment de mourir. Ce souhait relève évidemment de sa liberté. Mais le malaise vient du prosélitysme dans lequel elle enrobe son témoignage, faisant de son cas un exemple de courage et de lucidité face à la simple vieillesse. Un de ses récents blogs, sur le site du Temps, s’intitule: «Plaidoyer pour le suicide de bilan». Sa manière d’entraîner un de ses fils dans sa décision, puisqu’il va filmer sa dernière année de vie, est aussi très malsaine. On assiste à un jeu étrange et un peu exhibitionniste autour de la mort. Mais le procédé n’est pas anodin. Des études montrent que les témoignages valorisant le suicide ont des effets entraînants sur les personnes fragiles et indécises. Quel rôle joue un journal en relayant sans aucune distance un tel témoignage? Il me semble que les médias devraient s’interroger davantage sur leur contribution ou non au climat pro-suicide.
«Courage», «respect», «dignité»: la valorisation du suicide assisté passe aussi par les mots?
Oui, bien sûr. Il y a tout un vocabulaire très incitatif qui est distillé par les associations d’aide au suicide. Cela me choque énormément: car des mots comme «courage» et «dignité», personne n’a le droit de se les approprier. Il n’y a pas plus de dignité et de courage à se donner la mort qu’à ne pas se la donner. Nous devons faire très attention à ne pas tomber dans un climat pro-suicide. Faire société, c’est aussi résister ensemble aux pulsions de mort. Nous sommes en train de passer de la résistance collective aux pulsions de mort à leur banalisation. La prévention du suicide est un choix de société: voulons-nous être une société qui fait encore cet effort? Déjà, la Suisse, en comparaison internationale, est très en retard dans ce domaine, y compris pour les jeunes…
Le climat pro-suicide, c’est aussi l’idée que le suicide assisté pour tous, c’est le progrès?
Oui. Aujourd’hui déjà, si vous exprimez des réticences, vous passez facilement pour un rétrograde. Du coup, personne, médecins compris, n’a trop envie de monter au créneau sur la question…
Vous trouvez les médecins trop peu engagés?
Je les trouve trop silencieux sur ce sujet. Ils portent beaucoup de la souffrance non dite de notre société, ils devraient davantage exprimer leurs convictions, s’impliquer dans le débat. Mais c’est difficile, on prend vite des coups… Il y a aussi simplement le fait que parler de la mort, c’est violent. Chez les médecins qui s’occupent de malades graves, je vois une réticence à se lancer trop frontalement dans des controverses sur le sujet. On dit: le suicide assisté, c’est mieux qu’une mort violente. Mais la violence intrinsèque de la mort ne s’efface pas, elle est seulement masquée. Je pense surtout à la violence de la mort infligée, aux proches, aux soignants. Une souffrance sous-estimée et complètement négligée par les associations d’assistance au suicide, quoi qu’elles disent. Mais là aussi, il faut le redire: il y a une différence énorme entre le suicide assisté en fin de vie ou non. Plus la fin de vie est éloignée, plus la violence est grande.
A la fin de votre article, vous appelez carrément les médecins à la résistance!
Aux délégués de la FMH, nous disons: votez contre les directives. Et aux médecins: même si elles entrent dans le code de déontologie, on n’est pas obligé de les suivre.
S’opposer au projet de suicide d’un patient, c’est d’abord prendre le temps de parler avec lui… Considérant l’évolution du métier de médecin, croyez-vous vraiment qu’il va s’en trouver une majorité pour résister à la banalisation du suicide?
Je ne suis sûr de rien. J’ignore comment la Chambre votera le 25 octobre. Mais l’incertitude pèse aussi sur l’avenir de la médecine elle-même. Je parle de la médecine en tant qu’activité qui se donne la peine de définir une déontologie, une réflexion sur l’humain. Tout cela est encore un luxe de civilisation par rapport à l’utilitarisme pur. Mais combien de temps cela durera-t-il? On peut parfaitement imaginer que ça s’effondre, au profit d’un système où l’on verrait de simples techniciens de la santé coiffés par des systèmes économiques en mains des assureurs. Ces praticiens-là, c’est clair, face à une demande de suicide, ne prendront pas la peine de se poser la question: d’où vient cette demande? Que puis-je faire?
*A lire: "Principe d'autonomie: un dernier sacrement?" L'article de Bertrand Kiefer et Philippe Ducor paru dans le Bulletin des médecins suisses.
Illustration issue de l'exposition Theatrum Mundi actuellement au Musée d'Art et d'Histoire de Genève.
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Mais ce à quoi je ne m’oppose pas, c’est le suicide assisté en fin de vie. Il y a une différence énorme entre le suicide assisté en fin de vie et le suicide assisté tout court. Ces nouvelles directives franchissent la frontière qui les sépare, c’est un pas décisif.</p> <p><strong>Les directives disent que le candidat au suicide doit souffrir d’ «une maladie ou de limitations fonctionnelles»: n’est-ce pas un critère objectif? </strong></p> <p>Certes, mais qui n’a pas l’une ou les autres? Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies diagnostiques, on est capables de déceler des maladies chez tout le monde! «Limitations fonctionnelles», c’est un critère qui n’en est pas un, on est dans un flou total.</p> <p><strong>Ce que vous critiquez surtout, c’est le principe d’autonomie de l’individu érigé en dogme? </strong></p> <p>Oui. 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Il faut aussi tenir compte du fait que toute parole humaine est fondamentalement complexe et ambivalente. Quand quelqu’un dit «Je veux me suicider» il peut y avoir mille autres choses derrière. Y compris: allez-vous résister? Qu’allez-vous me proposer d’autre? Nous plaidons pour une approche complexe de la réalité. Il y a trop de simplification dans la manière dont les directives de l’ASSM présentent les choses. </p> <p><strong>Elles disent: il faut vérifier que tout a été fait pour soulager le souffrant…</strong></p> <p>Mais «tout», c’est quoi, lorsque la société ne propose presque rien?</p> <p><strong>Derrière le soi-disant respect de l’autonomie, la réalité de l’abandon?</strong></p> <p>Nous affirmons en effet qu’entre respect de l’autonomie et abandon, la marge est très ténue. Il est important de respecter la liberté des gens, mais encore plus important de ne pas abandonner les plus vulnérables. Ce souci apparaît bien peu dans les directives de l’ASSM.</p> <p><strong>Celui qui recourt au suicide assisté ne fait-il pas davantage preuve de maîtrise que de vulnérabilité?</strong></p> <p>C’est le cas pour un certain public, oui. Comme celui qu’on a pu voir dans la <a href="/actuel/mon-suicide-lave-plus-blanc">campagne de pub d’Exit suisse alémanique:</a> des personnes très articulées, pour qui cette issue relève d’une philosophie de vie, d’une posture stoïcienne. Des gens viscéralement attachés à leur liberté et qui ont très peur de perdre le contrôle sur ce qu’on va leur faire. Mais ce public n’est pas celui auquel les médecins ont affaire la plupart du temps. Ce qu’ils voient surtout, ce sont des vieux qui souffrent de solitude et d’abandon. Ils veulent se suicider parce que les enfants ne viennent plus les voir, qu’ils se sentent un poids pour eux, qu’ils ont l’impression de coûter trop cher et qu’ils se sentent inutiles. Nous sommes en face d’un vrai problème culturel. La réponse qui consiste à dire: aidons-les à se suicider est d’une très grande pauvreté pour une civilisation qui se targue d’être si avancée. Il faut le savoir: les discours sur le coût de la santé mais aussi l’émergence, dans les médias, de véritable «héros» du suicide assisté, tout cela a une influence sur les plus vulnérables.</p> <p><strong>Faites-vous allusion par exemple à cette seputagénaire de Gstaad à laquelle <em>Le Temps</em> consacrait récemment une page sous le titre <a href="https://www.letemps.ch/societe/mourir-belle-lan-prochain">«Mourir encore belle, l’an prochain»</a>? </strong></p> <p>Oui, il s’agit d’un exemple frappant. Une femme septuagénaire annonce avoir pris la décision de mourir par suicide assisté en janvier 2020. Elle est décrite comme élégante et sportive, ne souffrant d’aucune maladie grave. Mais elle estime avoir atteint sa limite d’âge et veut décider elle-même du moment de mourir. Ce souhait relève évidemment de sa liberté. Mais le malaise vient du prosélitysme dans lequel elle enrobe son témoignage, faisant de son cas un exemple de courage et de lucidité face à la simple vieillesse. Un de ses récents blogs, sur le site du Temps, s’intitule: «Plaidoyer pour le suicide de bilan». Sa manière d’entraîner un de ses fils dans sa décision, puisqu’il va filmer sa dernière année de vie, est aussi très malsaine. On assiste à un jeu étrange et un peu exhibitionniste autour de la mort. Mais le procédé n’est pas anodin. Des études montrent que les témoignages valorisant le suicide ont des effets entraînants sur les personnes fragiles et indécises. Quel rôle joue un journal en relayant sans aucune distance un tel témoignage? Il me semble que les médias devraient s’interroger davantage sur leur contribution ou non au climat pro-suicide.</p> <p><strong>«Courage», «respect», «dignité»: la valorisation du suicide assisté passe aussi par les mots? </strong></p> <p>Oui, bien sûr. Il y a tout un vocabulaire très incitatif qui est distillé par les associations d’aide au suicide. Cela me choque énormément: car des mots comme «courage» et «dignité», personne n’a le droit de se les approprier. Il n’y a pas plus de dignité et de courage à se donner la mort qu’à ne pas se la donner. Nous devons faire très attention à ne pas tomber dans un climat pro-suicide. Faire société, c’est aussi résister ensemble aux pulsions de mort. Nous sommes en train de passer de la résistance collective aux pulsions de mort à leur banalisation. La prévention du suicide est un choix de société: voulons-nous être une société qui fait encore cet effort? Déjà, la Suisse, en comparaison internationale, est très en retard dans ce domaine, y compris pour les jeunes…</p> <p><strong>Le climat pro-suicide, c’est aussi l’idée que le suicide assisté pour tous, c’est le progrès? </strong></p> <p>Oui. Aujourd’hui déjà, si vous exprimez des réticences, vous passez facilement pour un rétrograde. Du coup, personne, médecins compris, n’a trop envie de monter au créneau sur la question…</p> <p><strong>Vous trouvez les médecins trop peu engagés?</strong></p> <p>Je les trouve trop silencieux sur ce sujet. Ils portent beaucoup de la souffrance non dite de notre société, ils devraient davantage exprimer leurs convictions, s’impliquer dans le débat. Mais c’est difficile, on prend vite des coups… Il y a aussi simplement le fait que parler de la mort, c’est violent. Chez les médecins qui s’occupent de malades graves, je vois une réticence à se lancer trop frontalement dans des controverses sur le sujet. On dit: le suicide assisté, c’est mieux qu’une mort violente. Mais la violence intrinsèque de la mort ne s’efface pas, elle est seulement masquée. Je pense surtout à la violence de la mort infligée, aux proches, aux soignants. Une souffrance sous-estimée et complètement négligée par les associations d’assistance au suicide, quoi qu’elles disent. Mais là aussi, il faut le redire: il y a une différence énorme entre le suicide assisté en fin de vie ou non. Plus la fin de vie est éloignée, plus la violence est grande.</p> <p><strong>A la fin de votre article, vous appelez carrément les médecins à la résistance! </strong></p> <p>Aux délégués de la FMH, nous disons: votez contre les directives. Et aux médecins: même si elles entrent dans le code de déontologie, on n’est pas obligé de les suivre.</p> <p><strong>S’opposer au projet de suicide d’un patient, c’est d’abord prendre le temps de parler avec lui… Considérant l’évolution du métier de médecin, croyez-vous vraiment qu’il va s’en trouver une majorité pour résister à la banalisation du suicide? </strong></p> <p>Je ne suis sûr de rien. J’ignore comment la Chambre votera le 25 octobre. Mais l’incertitude pèse aussi sur l’avenir de la médecine elle-même. Je parle de la médecine en tant qu’activité qui se donne la peine de définir une déontologie, une réflexion sur l’humain. Tout cela est encore un luxe de civilisation par rapport à l’utilitarisme pur. Mais combien de temps cela durera-t-il? On peut parfaitement imaginer que ça s’effondre, au profit d’un système où l’on verrait de simples techniciens de la santé coiffés par des systèmes économiques en mains des assureurs. Ces praticiens-là, c’est clair, face à une demande de suicide, ne prendront pas la peine de se poser la question: d’où vient cette demande? Que puis-je faire? </p> <p> </p> <hr /> <p> </p> <h4> *A lire: <a href="https://bullmed.ch/fr/article/doi/bms.2018.06871/">"Principe d'autonomie: un dernier sacrement?" 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Il y a tout un vocabulaire très incitatif qui est distillé par les associations d’aide au suicide. Cela me choque énormément: car des mots comme «courage» et «dignité», personne n’a le droit de se les approprier. Il n’y a pas plus de dignité et de courage à se donner la mort qu’à ne pas se la donner. Nous devons faire très attention à ne pas tomber dans un climat pro-suicide. Faire société, c’est aussi résister ensemble aux pulsions de mort. Nous sommes en train de passer de la résistance collective aux pulsions de mort à leur banalisation. La prévention du suicide est un choix de société: voulons-nous être une société qui fait encore cet effort? Déjà, la Suisse, en comparaison internationale, est très en retard dans ce domaine, y compris pour les jeunes…</p> <p><strong>Le climat pro-suicide, c’est aussi l’idée que le suicide assisté pour tous, c’est le progrès? </strong></p> <p>Oui. Aujourd’hui déjà, si vous exprimez des réticences, vous passez facilement pour un rétrograde. 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L'article de Bertrand Kiefer et Philippe Ducor paru dans le Bulletin des médecins suisses.</a></h4> <p> </p> <hr /> <p> </p> <h4>Illustration issue de l'exposition <em></em><a href="/culture/a-geneve-un-collectif-d-art-russe-exalte-nos-cliches"><em>Theatrum Mundi</em> actuellement au Musée d'Art et d'Histoire de Genève.</a></h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'les-medecins-nous-sauveront-ils-de-la-banalisation-du-suicide', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 843, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1201, 'homepage_order' => (int) 1421, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 13, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4247, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => '«Une nouvelle forme de féminicide social»', 'subtitle' => 'Le «genre» supplante le «sexe» et l’extrême droite n’est pas la seule à s’en inquiéter: des voix féministes s’élèvent pour dénoncer une évolution qui se fait aux dépens du féminin. 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Nous vivons «une nouvelle forme de féminicide social».</p> <h3>Effacement du féminin</h3> <p>Le moment historique est délicat. Aux Etats-Unis, en Europe, le droit à l’avortement recule au lieu de continuer sa progression. Les partis d’extrême droite, au premier rang desquels l’UDC helvétique, s’érigent bruyamment en sauveurs du peuple contre la «folie woke» et promettent un retour à l’ordre familial hétérosexuel. Vu de loin, le fameux «<em>backlash</em>» ressemble bel et bien à un retour de bâton du camp réactionnaire contre le camp progressiste.</p> <p>La réalité est bien plus complexe. Le camp progressiste est divisé. Un anti-wokisme de gauche émerge et s’affirme. Comme celui de la sociologue française Nathalie Heinich: dans un livre fraîchement publié, elle s’inquiète de voir les justes causes défendues avec des moyens qui virent au totalitarisme, et qui finissent par se retourner contre elles. De la même manière, une minorité de féministes, de plus en plus décidées à se faire entendre, tire la sonnette d’alarme dans son propre camp. Oui, le statut des femmes régresse, disent-elles. Mais ses ennemis les plus dangereux ne sont pas ceux qui défendent ouvertement les valeurs du patriarcat. Ce sont ceux qui, sous la bannière arc-en-ciel du respect de l’individu, promeuvent un effacement du féminin en tant que tel. </p> <p>Au cœur du débat: la notion de «genre» qui se substitue à celle de «sexe» et selon laquelle on est homme ou femme dans sa tête, indépendamment de sa biologie. En clair: une femme, pourvu qu’elle se ressente comme telle, peut être une personne dotée d’un pénis et un homme peut avoir un utérus lui permettant d’enfanter. 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Comme ça, nous ne sommes pas d’accord.</p> <p>Car il y a bel et bien une réalité du corps et le corps des femmes est le fondement même de leur oppression historique: «<em>Si ce corps est effacé</em>, précise Marie-Jo Bonnet, <em>si on nie qu’une femme soit une personne née biologiquement femme, avec des seins, des ovaires, un utérus et des menstrues, on supprime toute raison de se solidariser entre femmes pour combattre le patriarcat</em>.» On permet aussi, par exemple, à des personnes dotées d’organes sexuels masculins d’accéder aux vestiaires ou aux prisons pour femmes. On favorise surtout une autre dérive, moins médiatisée mais de plus en plus documentée: la pression exercée sur les lesbiennes par des femmes trans non opérées pour les pousser à accepter un rapport sexuel avec pénétration. 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Ce sont bel et bien les femmes qui, sous couvert de progressisme, font les frais de la déconstruction des genres.</p> <h3>«2023, année de la TERF»</h3> <p>Mari-Jo Bonnet n’a plus 20 ans. Ni Margrith Von Felten, 78 ans, pionnière du féminisme à Bâle, qui a récemment repris du service pour combattre une nouvelle loi sur l’égalité prévoyant de supprimer les catégories «homme» et «femme». C’est la fin de la lutte pour l’égalité, dit l’ancienne conseillère nationale, puisque «juridiquement, on ne peut pas combattre ce qui n’est pas nommé, à savoir l’inégalité hommes/femmes.»</p> <p>Faut-il en conclure à un conflit de générations entre jeunes et vieilles féministes? Le courant majoritaire aime à le faire croire, tout comme il renvoie constamment les critiques du genre au camp de l’extrême droite. En réalité, il n’en est rien. Les féministes dissidentes, qui se reconnaissent volontiers dans le courant dit radical (RadFem), sont souvent jeunes. C’est le cas notamment de celles qui s’expriment dans le podcast français «Rebelles du genre» (disponible sur la plupart des plateformes audio et sur YouTube): elles ont entre 20 et 30 ans, et elles racontent comment elles sont devenues «critiques du genre», souvent après avoir vécu de l’intérieur le militantisme LGBT, parfois après un début de transition.</p> <p>Un choses frappe dans leurs récits, c’est la violence dont ils font état au sein des certains milieux militants: dans les manifestations, sur les réseaux, intimidations, affrontements et insultes sont monnaie courante. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MUkSzq7tYlg&t=26s" target="_blank" rel="noopener">L’épisode 8</a> du podcast donne la parole à une des plus célèbres RadFem françaises, Dora Moutot, 34 ans.</p> <p>Fondatrice en 2018 du compte Instagram <i>t’asjoui?</i> dédié à la jouissance féminine, elle est passée du statut d’influenceuse adulée à objet d’une violente campagne de harcèlement, pour n’avoir pas dévié de sa définition de la femme comme «un être humain femelle adulte». 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En avril naissait une alliance d’organisations à dominante hispanophone, l’Internationale des femmes féministes, qui affiche son opposition à la prostitution, à la gestation pour autrui ainsi qu’à la «croyance en l’identité de genre»: «<em>Redéfinir le sens donné au mot  "femme" est le nouveau visage de la misogynie</em>», affirme <a href="https://internacionalfeminista.info/fr/le-feminisme-n-est-pas-un-populisme-francais/" target="_blank" rel="noopener">son manifeste</a>.</p> <p>Dans l’actualité printanière, il y a aussi l’anglophone <a href="https://www.standingforwomen.com" target="_blank" rel="noopener">Standing for women</a>, qui promeut «les droits des femmes basés sur le sexe». Elle organise des événements «de libre parole» dans des parcs et lieux publics sous la bannière «Let women speak». Après diverses villes en Australie et au Royaume Uni, elle sera en juin à Vienne (le 10) et Genève (le 11).</p> <p>Standing for women a proclamé 2023 «année de la TERF». Manière crâne d’opérer un retournement de stigmate. TERF est en effet un acronyme anglais hautement infamant, surgi il y a quelques années au sein de la communauté LGBTQIA+ pour étiqueter les féministes radicales (Radical Feminists) comme trans-exclusives (Trans Exclusionary). A noter que comme on l’a vu, il est très facile d’être une TERF: il suffit de penser qu’une femme est une personne adulte dotée d’un utérus. </p> <p>La plus célèbre des TERFS est la britannique J.K.Rowling; une femme de gauche, insoupçonnable d’intolérance, que le succès n’a jamais distrait de son engagement sans faille aux côtés des femmes précarisées et victimes de violence. L’auteure de Harry Potter subit, elle aussi, depuis 2019, une brutale campagne de dénigrement. 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Récemment, une association canadienne de personnes concernées par la dysphorie de genre – «Gender Dysphoria Alliance Canada» – est tout de même sortie du bois avec <a href="https://web.archive.org/web/20210724122022/https:/www.gdalliancecanada.com/post/trans-men-fight-back" target="_blank" rel="noopener">un manifeste</a> intitulé «Les hommes trans contre-attaquent» («<em>Trans Men Fight Back</em>».) Et qui affirme: une petite minorité de personnes ont pris le contrôle du «narratif trans». Elles ne sont pas représentatives.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1684754419_9782415005665.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="303" /></p> <h4>«Quand les filles deviennent des garçons», Marie-Jo Bonnet et Nicole Athea, Editions Odile Jacob, 224 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1684754549_9782226485793j.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="307" /></p> <h4>«Le wokisme serait-il un totalitarisme?», Nathalie Heinich, Editions Albin Michel, 198 pages.</h4>', 'content_edition' => '«Quand j’étais enfant, je rêvais moi aussi de changer de sexe», raconte Marie-Jo Bonnet, co-fondatrice des Gouines rouges dans les années 1970. 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Tandis que des spectateurs agacés levaient les yeux au ciel en lâchant des remarques peu amènes, CIB est restée à l’écoute, bienveillante, concentrée, sans donner le moindre signe d’impatience. A l’issue de la soirée, on avait l’impression d’avoir compris quelque chose d’important sur la célèbre chroniqueuse, actrice et dramaturge genevoise: elle a beau dire un tas de gros mots, elle est parfaitement dénuée de méchanceté ou de désir de nuire. Face aux accusations de racisme et de transphobie dont elle a fait l’objet l’an dernier (en cause, deux chroniques vidéo publiées sur le site du <i>Temps</i>), il y avait de quoi réagir comme elle l’a fait: par une stupéfaction totale, qui n’est toujours pas retombée.</p> <p><i>Poussières du Sahara</i> réunit des chroniques déjà publiées dans <i>Heidi.news</i> et d’autres, inédites. Les textes ne sont pas datés mais une bonne partie relatent la vie en temps de pandémie. Encore le Covid? D’abord on a un mouvement de recul. Puis on constate que, en véritable auteure, CIB transcende son sujet: ce dont elle nous parle, c’est de la pandémie comme métaphore. De ce moment civilisationnel où nous aurons assisté au rétrécissement de nos vies. Où, en sursautant devant un baiser de cinéma, nous aurons mesuré le basculement de notre rapport à la réalité. Où l’angoisse de la contagion et l’impérialisme algorithmique auront fusionné pour alimenter notre paranoïa, notre méfiance de l’autre et notre tentation d’abdiquer face à l’horizon d’une société de surveillance. C’est drôle, c’est grinçant, c’est restitué avec une précision microscopique. Même si la chroniqueuse-entomologiste donne souvent l’impression d’avoir fumé la moquette avant de se mettre au clavier...</p> <p>J’écris pour consoler les gens, dit CIB. Son truc d’écrivaine, c’est de se mettre du côté des fragilisés en en faisant des tonnes. Quand, assaillie par l’angoisse de la contagion, elle part dans un délire paranoïaque d’«hydro-alcoolique anonyme» et se met à siffler sa bouteille de désinfectant, elle nous fait mourir de rire. Mais elle traduit aussi parfaitement cette atmosphère d’épaisse anxiété, sans cesse alimentée par de nouveaux sujets de panique, qui met nos psychismes à rude épreuve. Quand elle se complait dans l’évocation de son double menton, de ses acouphènes et de sa condition de femme «vieille, moche, amère et seule» qui n’arrive même plus à ouvrir sa bouteille de San Pellegrino, on se dit qu’elle en rajoute beaucoup. Mais c’est par empathie pour les plus largués, les plus impuissants, ceux vers qui son attention semble naturellement tournée.</p> <p>Il y a aussi de la colère dans <i>Poussières du Sahara</i>, une colère tantôt sombre, tantôt jubilatoire. L’auteure nous fait bien rigoler en gambergeant sur un futur dystopique où la police des déchets sèmera la terreur et où le citoyen fautif, détecté grâce à son ADN, sera condamné à bouffer ses ordures en place publique. Mais c’est pour mieux dire son indignation face à l’incohérence d’une attitude qu’elle observe jusque chez le plus zélé des écoresponsables: d’un côté, il l’«emmerde pour trois épluchures de carottes», de l’autre il participe sans broncher à l’escalade techno-consommatoire en courant s’acheter le dernier modèle de smartphone. Celui même qui écoutera ses conversations téléphoniques pour ensuite lui enfiler des pubs sur mesure. CIB nous raconte ça à propos de son fils cadet. Mais en le désignant, elle dit son désarroi face à toute une génération, qui semble délibérément aspirer à un racornissement de son libre arbitre. Ça, elle n’en revient pas. «Je suis dépassée», dit-elle.</p> <p>Mais c’est contre les médias que sa colère est la plus vive. On va dire: normal, elle est amère, son divorce avec <i>Le Temps</i> a été douloureux. N’empêche: nous avons tous vécu ce moment de perplexité en constatant que, du jour au lendemain, la catastrophe sanitaire, après avoir éclipsé un temps la catastrophe climatique, avait disparu de nos radars pour faire place à la catastrophe humanitaire de la guerre en Ukraine. Et que dans tout ça, plus personne ne parlait des migrants en Méditerranée, qui continuent pourtant allègrement à se noyer dans l’indifférence générale.</p> <p>Il y a quelque chose de pourri dans cette «surenchère de mots terribles» dit CIB, dans ce régime médiatique qui semble fonctionner par rouleaux compresseurs successifs. Quelque chose qui alimente notre désarroi, notre culpabilité et notre sentiment d’impuissance. Comment faire autrement? La question n’est pas simple. Claude-Inga Barbey n’a pas la réponse. 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C’était la deuxième fois en trois semaines que l’Université de Genève vivait un tel épisode de censure, après le coup de force qui a silencié, fin avril, Caroline Eliacheff et Céline Masson, auteures de <em>La fabrique de l’enfant trans genre</em> (<a href="https://bonpourlatete.com/actuel/un-vendredi-soir-a-geneve-et-ceci-pourrait-ne-pas-etre-un-article" target="_blank" rel="noopener">BPLT du 6 mai</a>).</p> <p>Le livre d’Eric Marty est une somme de plus de 500 pages, qui retrace l’histoire de la notion de genre, ce «dernier grand message idéologique de l’Occident au reste du monde.» Ceux qui voudraient se faire une idée de son contenu sans nécessairement investir le temps d’une lecture complète peuvent utilement écouter l’interview accordée par l’auteur à l’émission <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/signes-des-temps/gender-studies-la-premiere-grande-enquete-philosophique-sur-l-origine-des-etudes-de-genre-et-leurs-consequences-aujourd-hui-7520974" target="_blank" rel="noopener"><i>Signes des temps</i></a> sur France Culture lors de la sortie du livre.</p> <p>Voici ce que j’ai retiré de l’écoute de cette interview:</p> <p><strong>1.</strong> La papesse de la notion de genre est l’Américaine Judith Butler. C’est elle qui, dans la deuxième moitié du XXème siècle, a imposé l’idée que le sexe auquel nous croyons appartenir naturellement est en fait socialement et culturellement construit. Et qui lui substitue la notion de genre, affranchi de la biologie. Mais si Judith Butler est l’auteure de référence des «gender studies», il est communément admis qu’elle s’est inspirée des penseurs de la «French theory», et notamment de Michel Foucault et Jacques Derrida. L’origine de la notion de genre serait en fait européenne. <span>Eric Marty n’en est pas convaincu. Après avoir vaillamment re-parcouru les cathédrales d’opacité que sont les ouvrages de ces différents auteurs, il observe que la pensée butlérienne dérive très loin de celle de ses supposés inspirateurs. Et que, pour faire court, la fluidité de genre est au bout du compte un truc très américain: «Une idéologie du self-making», de la construction de soi à la carte en quelque sorte, «en parfaite harmonie avec le système néo-libéral.» </span><span></span><span></span></p> <p><strong>2.</strong> Marty s’interroge sur le phénomène de la transition. Il est porteur, relève-t-il, d’une contradiction fondamentale: s’il faut passer par la prise d’hormones et la chirurgie pour devenir ce que l’on est vraiment, c’est donc qu’il y a un «vrai sexe», une réalité physiologique de l’identité sexuée. Ce qui contredit la notion de genre comme pure construction sociale et culturelle. «La transition surconstruit le genre», dit-il, elle réintroduit la binarité tout en la condamnant. Bien sûr, toutes les démarches trans ne s’inscrivent pas dans la binarité et bien des gens choisissent aujourd’hui de ne pas se faire opérer. Sur ce point, Eric Marty en dit plus dans <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/07/16/la-notion-de-genre-est-amenee-a-se-substituer-a-celle-de-sexe_6088394_3451060.html" target="_blank" rel="noopener">une interview accordée au <em>Monde</em></a> en juillet dernier. Le phénomène des personnes qui veulent «déserter leur genre», très nombreuses aujourd’hui chez les jeunes, prend deux formes, admet-il. La première est «une demande de norme et même une réhabilitation du genre comme essence ("Je suis une fille dans un corps de garçon")». La seconde est plus complexe et s’incarne par exemple dans le «trans entre-deux non-opéré». 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Leur thèse: la médicalisation précoce des troubles de l’identité de genre fait aujourd’hui scientifiquement débat, il semble que ses effets délétères aient été sous-estimés. <a href="https://www.rts.ch/info/monde/12295658-la-suede-freine-sur-la-question-du-changement-de-sexe-des-mineurs.html" target="_blank" rel="noopener">Des pays pionniers comme la Suède</a> remettent leurs pratiques en question, écoutons ce signal d’alarme! Parmi les quelque 250 signataires de la pétition, on trouve deux autre militants gays historiques − Jean-Pierre Sigrist et Pierre Biner.</p> <p>Plus largement, dans son article, François Brutsch éclaire l’enjeu idéologique sous-jacent à ce débat: le succès fulgurant d’une «idéologie trans» qui considère le genre comme une pure affaire de perception individuelle et va jusqu’à nier la réalité objective du sexe biologique. «Pour moi, il s’agit d’un dévoiement des études genre, précise l’auteur dans un échange par Skype depuis Londres où il vit depuis 20 ans. Je suis sidéré de voir la vitesse à laquelle cette vision s’est répandue, y compris dans les milieux institutionnels.» Dans plusieurs pays, la notion d’autodéclaration sexuelle est déjà entrée dans la loi.</p> <p>Ce qu’il faut savoir, c’est que l’idéologie de genre suscite aussi des divisions dans ces mêmes milieux progressistes qui l’ont vue naître: «Chez les féministes comme chez les gays, des gens se battent pour défendre l’idée que le sexe est une donnée biologique objective», précise le Genevois. Ainsi, François Brutsch a rejoint la dissidence gay de la LGB Alliance, née en Grande Bretagne et présente dans divers pays, du Brésil à l’Australie («A quand la Suisse?»). Côté féministe aussi, la dissidence est d’abord anglophone. Mais la <a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=KtYUy-3ahIw&list=PLWdSdWv0R1DtnBbAlbmAmY_IgB_uxe9SJ" target="_blank" rel="noopener">Déclaration pour les droits des femmes fondés sur le sexe</a> (acronyme anglophone: WHRC) dispose depuis avril 2021 d’une plateforme en français.</p> <p>Tous ces mouvements sont à mille lieues de la transphobie ordinaire: ils reconnaissent pleinement la souffrance vécue par les personnes trans et applaudissent les progrès survenus dans la reconnaissance de leur droits. Ils n’en dénoncent pas moins une médicalisation outrancière et prématurée qui menace la santé des enfants. Et sous laquelle, paradoxalement, ils lisent une forme d’homophobie qui ne dit pas son nom…</p> <h3><strong>Retour de balancier</strong></h3> <p>Mais n’allons pas trop vite. Pour comprendre l’inquiétude qui s’exprime aujourd’hui concernant la santé des adolescents, il faut revenir en arrière de quelques décennies. Les personnes trans ont derrière elles une longue histoire de souffrances, d’ostracisation et d’humiliations qui n’a trouvé une reconnaissance qu’avec le 20<sup>e </sup>siècle déclinant. S’est alors développée une prise en charge médicale dédiée, toute entière concentrée sur l’allègement de ces souffrances. Ainsi, selon les recommandations de l’Association mondiale des professionnels de la santé transgenre (WPATH), il ne s’agit plus de mettre longuement à l’épreuve les personnes qui veulent entreprendre une transition, mais d’«accompagner» leur demande sans la juger, avec effet immédiat si nécessaire. D’autre part, alors que par le passé on ne traitait que des adultes, il est aujourd’hui communément admis que plus la médication commence tôt, meilleurs sont les résultats. C’est ainsi qu’en Suisse, des mineurs se voient prescrire des bloqueurs de puberté, avant une prise d’hormones de l’autre sexe − affectant la voix, la masse musculaire, la pilosité − qui peut commencer à 14 ans ou même avant. Aucune limite d’âge inférieure n’est légalement prévue, pour la chirurgie non plus, pourvu que l’enfant ait sa «capacité de discernement». De même, l’accord des parents n'est pas exigé par la loi, même s'il est recherché par les professionnels consciencieux.</p> <p>C’est dans ce contexte que l’on assiste, depuis une dizaine d’années, à deux phénomènes impressionnants: le premier, c’est l’explosion du nombre d’adolescentes qui veulent devenir des garçons. L’augmentation des personnes en questionnement de genre − plus 1500% en dix ans en Suède − est générale, mais la flambée particulièrement massive chez les filles de 13-17 ans. Alors que jusqu’ici, les trans étaient en majorité des hommes (adultes) devenus femmes, la nouvelle population des personnes en transition est composée à 70% de filles.</p> <p>Le second phénomène est celui des détransitionneurs, majoritairement des détransitionneuses. A savoir des personnes qui, à un moment plus ou moins précoce de leur chemin entre un sexe et l’autre, regrettent leur décision et souhaitent revenir en arrière*. La plus célèbre est <a href="https://bonpourlatete.com/ailleurs/la-sage-de-keira-bell-repentie-du-changement-de-sexe-secoue-la-grande-gretagne" target="_blank" rel="noopener">Keira Bell, </a>cette jeune Britannique qui s’est retournée contre la clinique qui lui a − beaucoup trop facilement, juge-t-elle aujourd’hui − administré des hormones à 16 ans. Jusqu’ici, les détransitionneuses étaient toutes anglophones. 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Lorsqu’elle s’est heurtée à un psychiatre qui a refusé d’entrer en matière, elle a simplement trouvé, via une association trans, un médecin qui lui a prescrit des hormones sans discuter. Le travail des professionnels de la santé face à ces jeunes en crise n’est pas simple, admet Elie. L’enjeu, c’est de «sortir de l’idée que la transition est la solution unique à la dysphorie de genre.» C’est bien de dysphorie dont elle souffrait, mais la réponse n’était pas dans les hormones et la mastectomie. C’était de s’autoriser à vivre comme une femme masculine, conclut-elle de sa voix posée, qui restera celle d’un garçon.</p> <p>Via le site Post Trans créé avec sa compagne Nele, Elie diffuse une <a href="https://files.cargocollective.com/c523136/01_Post-Trans_Booklet_FR.pdf" target="_blank" rel="noopener">brochure</a> d’information très bien faite, également disponible en français, où d’autres détransitionneuses se racontent. Elles reprochent au corps médical de ne pas s’être suffisamment intéressé aux causes de leur mal-être. «J’aurais aimé qu’on me pose des questions sur mes traumatismes», «J’aurais aimé que quelqu’un travaille sérieusement avec moi sur les raisons pour lesquelles je me sentais seule et isolée», «J’aurais désespérément souhaité que mes problèmes de traumatisme et de santé mentale soient examinés»…</p> <p>Un autre leitmotif traverse ces témoignages, tous anonymes et pour cause: la crainte de dévoiler son identité par peur des réactions de la communauté trans. 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Le film s’intitule <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3lMa8ph_Xrs" target="_blank" rel="noopener"><em>Transtrain, </em></a>le train de la transition, pour traduire cette impression largement partagée: il fait bon monter dans cet engin plein de promesses, mais une fois qu’il est lancé, il ne s’arrête pas pour vous laisser descendre, il faut sauter. La seule détransitionneuse qui se soit à ce jour exprimée publiquement en Suisse, la quadragénaire Samantha K, parle carrément de «chaîne de montage» dans son témoignage à la <a href="https://www.nzz.ch/gesellschaft/die-frau-die-kein-mann-mehr-sein-will-ein-transmann-bereut-ld.1599401" target="_blank" rel="noopener"><em>NZZ. </em></a>Elle déplore la trop grande connivence entre médecins spécialisés et transactivistes. 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Le psychanalyste français Serge Hefez, pourtant plutôt trans-enthousiaste, cite, dans <a href="https://www.elle.fr/Love-Sexe/Psycho/Serge-Hefez-La-transidentite-n-est-pas-un-caprice-d-enfant-gate-3874791" target="_blank" rel="noopener">une interview à </a><em><a href="https://www.elle.fr/Love-Sexe/Psycho/Serge-Hefez-La-transidentite-n-est-pas-un-caprice-d-enfant-gate-3874791" target="_blank" rel="noopener">Elle</a>,</em><a href="https://www.elle.fr/Love-Sexe/Psycho/Serge-Hefez-La-transidentite-n-est-pas-un-caprice-d-enfant-gate-3874791"><em></em></a><em> </em>des études canadiennes selon lesquelles «20% des jeunes qui se font opérer deviennent des "regretteurs"». Mais les voix les plus autorisées tranchent: la vérité est qu’on n’en sait rien, aucune étude ne permet à ce jour d’articuler un chiffre. James Caspian, un psychologue britannique défenseur de la cause des jeunes trans, alerté sur des épisodes inquiétants, a voulu entamer une recherche. L’Université de Bath Spa a refusé son projet, politiquement trop incorrect. Caspain a porté l’affaire devant la justice.</p> <p>Ce qu’on comprend en attendant des données scientifiques solides sur la question, c’est qu’une bonne partie de ces victimes collatérales du trans-enthousiasme échappe aux statistiques. En attendant la fameuse enquête, l’AMQG cite un indice intéressant: sur le réseau social <a href="https://www.reddit.com/r/detrans/" target="_blank" rel="noopener">Reddit, le groupe «Detrans»</a> compte 22 000 membres, contre 15 000 il y a un an.</p> <h3><strong>Et en Suisse?</strong></h3> <p>Aux Etats-Unis, des détransitionneurs ont raconté avoir obtenu un diagnostic de dysphorie de genre puis des hormones, d’un seul clic, sur internet. La Suisse ne tombe certainement pas dans de tels excès. Est-elle pour autant à l’abri de l’erreur médicale redoutée par François Brutsch? Le discours général, y compris dans les associations qui accompagnent les jeunes en questionnement**, est celui de la prudence et d’une prise en charge scrupuleuse et individualisée. Les parents membres de l’AMQG dénoncent, eux, un décalage massif entre ce discours et une réalité nettement plus expéditive, empreinte d’une périlleuse trans-euphorie. Un exemple en apparence anodin, mais révélateur: celui de l’école qui organise la transition sociale d’une élève sans en avertir les parents. L’association cite deux cas genevois, concernant des filles de 11 et 16 ans.</p> <p>Au CHUV à Lausanne, Mathilde Morisod, responsable de la consultation «Dysphorie de genre» pour enfants et adolescents, affirme au contraire l’importance d’associer les parents − «au moins un des deux» − à la démarche de prise en charge. Sa consultation fait face, comme ailleurs, à une forte augmentation des cas – 17 nouvelles demandes, dont plus des trois quarts féminines, entre janvier et juin 2021 contre 8 en 2020, 17 en 2019, 5 en 2018. Mathilde Morisod n’exclut pas un phénomène de contagion sociale et dit repérer assez rapidement les ados mal dans leur peau qui croient à tort avoir trouvé LA réponse à leur inconfort.</p> <p>Mais aussi: «Il y a de la souffrance, une souffrance parfois insupportable», chez ces jeunes patients, rappelle-t-elle. Pour certains, il n’y a pas de doutes quant à la présence d’une dysphorie de genre qui mérite d’être prise en charge médicalement. Et c’est «un travail d’équilibriste» que de déterminer, face à des mômes en plein remaniement identitaire, si la bonne réponse est celle de la transition médicalisée ou s’il faut chercher ailleurs. En tous cas, la pédopsychiatre lausannoise se dit «très consciente de l’irréversibilité des traitements» de transition et ne manque pas d’en avertir ses jeunes patients.</p> <p>Mais puisqu’«on marche sur des œufs», comme elle le dit elle-même, puisque le risque de se tromper met les professionnels scrupuleux en état de «stress éthique» (l’expression est d’un médecin suédois dans <em>Transtrain</em>), pourquoi ne pas mettre en place des garde-fous élémentaires, comme l’interdiction des hormones avant 16 ans?</p> <p>Au nom de l’approche «sur mesure» et de l’extrême variabilité des cliniques, Mathilde Morisod rechigne à toute restriction par catégorie d’âge. Tout comme Friedrich Stiefel, qui dirige, dans le même hôpital vaudois, le service de psychiatrie de liaison dont dépend la consultation «Dysphorie de genre» adulte. De plus, rappelle ce dernier, «le droit de disposer de son propre corps est reconnu à des enfants dans d’autres circonstances: un mineur atteint de leucémie par exemple, peut, indépendamment de ses parents, refuser un traitement, à condition qu’il possède le discernement. Une ado enceinte peut obtenir un avortement.» Certes, la capacité de discernement requise «peut parfois être très difficile à définir», n’empêche: prévoir un traitement d’exception pour les enfants en questionnement de genre serait problématique, selon ces spécialistes. Dans l’affaire Keira Bell, la Cour d’appel britannique vient d’ailleurs de trancher contre une interdiction des bloqueurs avant 16 ans et pour une décision laissée aux médecins. Mais comment dès lors se prémunir contre les dérives trans-affirmatives? Pour les deux psychiatres lausannois, un élément essentiel pour une approche « prudentielle » est de garantir la présence d’un professionnel du psychisme qui parvienne à explorer avec son patient les raisons profondes de sa demande.</p> <p>Problème: actuellement déjà, n’importe quel médecin, pressé, ignorant des enjeux ou excessivement trans-euphorique, peut signer une ordonnance pour des hormones. Et l’idée de l’investigation psychiatrique comme porte d’entrée à l’indication de transition est combattue par les transactivistes. Au sein même de l’Association mondiale des professionnels de la santé transgenre (WPATH), il est question de faire l’économie de cette investigation. Absurde, avertit Friedrich Stiefel: «Certes, la dysphorie de genre n’est pas en soi un diagnostic psychiatrique. C’est une condition humaine douloureuse. Mais justement: le psychiatre de liaison est formé pour accompagner précisément l’effet des transformations physiques sur le psychisme et pour évaluer le rapport coût/bénéfice d’un traitement à l’aune de la souffrance humaine.»</p> <p>En somme, le mouvement trans-affirmatif le plus radical, en faisant de l’autodéclaration la pierre angulaire de son accompagnement, part du présupposé vertigineux qu’on ne peut pas se tromper sur soi-même ni se mentir à soi-même. Difficile à avaler pour les spécialistes du psychisme. Dans <a href="https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2020/revue-medicale-suisse-709/role-du-psychiatre-psychotherapeute-dans-la-prise-en-charge-de-la-dysphorie-de-genre" target="_blank" rel="noopener">un article </a>paru l’an dernier dans la Revue Médicale suisse, dix psychiatres du CHUV et des HUG, dont leur deux sus-cités, plaidaient pour l’importance du rôle du psychiatre-psychothérapeute dans la prise en charge des personnes en questionnement de genre. Ils disaient la nécessité de déconstruire, chez certains, des attentes irréalistes proches de la «pensée magique». Ils pointaient le «risque de banalisation de la dysphorie de genre» et celui de l’«erreur médicale» en cas de mauvais diagnostic.</p> <p>Ce qu’on comprend à demi-mots en parlant avec ces spécialistes, c’est que le milieu médical est divisé sur cette question ultra-délicate. Et plus ou moins sensible au risque de créer «des filles à barbe», selon la formule-choc d’Anne Waehre, médecin à l’hôpital d’Oslo.</p> <p>Comment se prémunir contre ce risque? Mathilde Morisod verrait volontiers la Suisse adopter des «recommandations de bonne pratique nationales». Friedrich Stiefel propose de «déléguer la pose d’indications à des centres spécialisés.» Je traduis: si on veut s’assurer contre l’erreur médicale, les mailles du filet gagneraient à être resserrées, notamment en se dotant d’un guide de conduite plus restrictif que celui du WPATH. Quant à la demande faite aux professionnels dans l’appel de l’AMQG, à savoir d'agir avec prudence et de justifier au cas par cas que le rapport coût-bénéfices soit favorable au jeune patient, les deux psychiatres ne peuvent qu’être d’accord avec cette proposition et considèrent d’ailleurs qu’elle correspond à leur pratique usuelle.</p> <p>L’attitude «prudentielle» a-t-elles des chances de gagner en Suisse? Dans l’ignorance des rapports de force sous-jacents, on ne peut que l’espérer. Pour l’heure, le CHUV annonce en primeur qu’il est en train de mettre sur pied une consultation interdisciplinaire dédiée: elle permettra aux personnes transgenres d’être prises en charge simultanément par différents spécialistes dont des psychiatres, pédopsychiatres, des endocrinologues, des pédiatres ou des généralistes d’Unisanté. Et aussi d’être suivies par des chirurgiens, des dermatologues, des gynécologues ou des ORL qui se rencontreront régulièrement autour d’un même ou d’une même patiente.</p> <h3><strong>Mais pourquoi cette flambée de filles ? </strong></h3> <p>La question la plus intrigante reste entière: pourquoi, dans la foule des adolescents qui veulent changer de sexe, l’écrasante majorité sont des filles? Aucune étude n’a à ce jour apporté une réponse mais on voit bien que cette dernière est à chercher du côté de la sociologie autant que de la médecine. Là encore, les détransitionneuses fournissent de précieuses clés de compréhension. Des clés pas très rassurantes, il faut le dire.</p> <p>Elie explique qu’elle s’est sentie seule comme adolescente car elle ne correspondait pas aux stéréotypes de la féminité. Que ce qui lui a manqué, ce sont simplement des amies, une communauté, qui la rassurent sur ce qu’elle a toujours été: une femme, masculine, lesbienne, «et c’est ok». Faute de les trouver, elle a rejoint la communauté trans et s’est persuadée que pour une femme masculine, la seule issue est devenir un homme.</p> <p>C’est ce qui fait dire aux dissidents du mouvement LGBT que l’insistance à promouvoir la transition cache une homophobie intériorisée. Malgré les discours sur la fluidité, le sous-texte est brutal: mieux vaut changer de sexe que de vivre son homosexualité. «A la limite, résume François Brutsch, la transition peut être considérée comme la thérapie de conversion ultime.» C’est aussi la thèse de cinq médecins qui ont quitté le Gender Identity Development Service de Londres, mal à l’aise avec cette constatation: trop de jeunes homosexuels demandent à changer de sexe pour échapper aux souffrances de l’homophobie. Ces médecins ont raconté dans les médias britanniques qu’un mauvais gag circulait dans la clinique: «Bientôt, il ne restera plus de gays…» Le lien entre souffrance homophobe et désir de changer de sexe serait confirmé par une étude de l’Université de l’Arizona, citée dans <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/2019/05/transgenre-sexe-detransitionneurs-transition-identite-genre-orientation/" target="_blank" rel="noopener">une longue enquête de Radio Canada .</a> </p> <p>Mais cela n’éclaircit pas encore le mystère: si, pour un certain nombre d’ados contemporains, la transition est une manière d’esquiver leur homosexualité, que signifie cette surreprésentation de filles? Cela veut-il dire qu’il est plus difficile, pour une adolescente, en 2021, de se découvrir lesbienne que pour un garçon de se découvrir gay? On voit mal d’autre conclusion plausible. Tout se passe comme si, en quelques décennies, s’était produite une inversion de tendance: pour les filles, il est plus difficile aujourd’hui d’être un garçon manqué tandis que pour les garçons, il est devenu plus facile d’être féminin. </p> <p>«Sur Instagram, avec les images de filles super belles, féminines, sexy, tu te dis qu’il n’y a pas d’autre voie […] Ça a déclenché chez moi […] une anxiété intolérable, et, de l’autre côté, je ne voulais pas être lesbienne», raconte une détransitionneuse citée dans l’enquête de Radio Canada. On a beau se féliciter des avancées de la condition féminine, il est difficile, en regardant les cours d’écoles et les réseaux sociaux, d’échapper à ce constat: les stéréotypes de genre pèsent aujourd’hui plus lourd sur les filles qu’il y a 40 ans. Elie, trop masculine pour être heureuse, trop seule dans la cour au milieu de ses copines super moulées et maquillées, a grandi à Bruxelles, dans la deuxième décennie du vingt-et-unième siècle.</p> <p>A côté de l'homosexualité douloureusement vécue, une autre thématique est très présente dans les témoignages des détransitionneuses: celle de l'abus sexuel et de l'insoutenable statut de proie. «J’ai fait une transition pour échapper à ma réalité de femme et de survivante de violences…», lit-on encore dans la brochure diffusée par Post Trans. Elie et Nele y invitent leurs lectrices à «se réconcilier avec [leur] sexe biologique». Tout indique que, pour diverses funestes raisons, la flambée des adolescentes en questionnement de genre est l’indice d’un mouvement contraire. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les femmes.</p> <hr /> <p>*Lorsque la transition hormonale ou chirugicale n’est pas entamée, on parle de «désisteurs» et «désisteuses».</p> <p>** J’ai eu, pour préparer ce texte, un échange avec une répondante de la Fondation Agnodice, spécialisée dans l’accompagnement d’enfants et d’adolescents en questionnement de genre. Elle a exigé, pour être citée, de relire, non pas seulement ses citations, mais la totalité de cet article. Ce n’est pas acceptable dans une optique d’indépendance journalistique. J’ai donc renoncé à la citer.</p> <h2>Parus récemment sur le sujet</h2> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1632920467_product_9782072950926_195x320.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="217" height="317" /><br />Claude Habib, <em>La question trans</em>. Gallimard, Le Débat, 2021.</h4> <h4><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1632920552_9780861540495_9_1_1.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="215" height="344" /><br />Helen Joyce, Trans</em>, Onlyword Publications<br />En cours de traduction en français. <a href="https://tradfem.wordpress.com/2021/09/18/preface-dun-livre-choc-en-cours-de-traduction/" target="_blank" rel="noopener">La préface est déjà disponible</a> via le collectif de traduction féministe TRADFEM</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1632920715_7e27a34e19aaed768624ce1cb2278e12538374dd_364_front_228x364.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="206" height="330" /><br />Serge Hefez, <em>Transitions. Réinventer le genre</em>. Calmann-Levy, 2020</h4> <p> </p> <p> </p>', 'content_edition' => '«Aujourd’hui le risque est que dans 20 ans le Conseil Fédéral se tordra les mains en excuses et constituera un fond d’indemnisation pour avoir poussé des jeunes à voir leur vie bouleversée par des soins inadéquats… » Quel est donc ce scandale médical, si peu annoncé et néanmoins redouté par François Brutsch sur son blog Un Swissroll? Ce qui alarme ce haut fonctionnaire socialiste genevois à la retraite, c’est la trop grande facilité avec laquelle des enfants et adolescents en questionnement de genre se voient aujourd’hui prescrire des traitements de transition aux effets partiellement ou complètement irréversibles – bloqueurs de puberté, hormones de l’autre sexe, chirurgie. Un phénomène mondial, qui menace également la Suisse, affirme-t-il. François Brutsch n’est pas exactement un conservateur crispé dans la défense de la famille traditionnelle. C’est un pionnier du combat pour les droits des homosexuels, co-fondateur de Pink Cross, l’association nationale des gays en Suisse. Il a donc dû braver les soupçons de traîtrise à la cause LGBT pour annoncer fin août, dans l’article sus-mentionné, qu’il avait signé «L’appel au respect du principe de précaution» lancé par l’AMQG, (Association pour une approche mesurée des questionnements de genre chez les jeunes), récemment créée à Genève par des parents concernés. Leur thèse: la médicalisation précoce des troubles de l’identité de genre fait aujourd’hui scientifiquement débat, il semble que ses effets délétères aient été sous-estimés. Des pays pionniers comme la Suède remettent leurs pratiques en question, écoutons ce signal d’alarme! 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4 Commentaires
@Bogner Shiva 212 27.08.2018 | 11h16
«Je suis membre d'Exit depuis longtemps, je me dis que pour la FMH un patient mort est un patient perdu ! Un patient guéri aussi d'ailleurs ! Et de mon point de vue je préférerais un suicide "propre" dans un cadre adéquat, que d'éparpiller des morceaux sur un quai de gare après le passage d'un direct...c'est radical oui mais, pour les personnes se trouvant sur le quai, je me demande combien d'années de thérapie seront nécessaire pour certaines ! Quand à ceux qui "jouent" les mobiles suspendus à une corde, comptant sur les proches pour les dépendre, sympa non ? Les armes à feu, il faudra refaire le plafond après ! Pour une personne qui en a marre de sa "vie" guillemets voulus, va de toute manière trouver le moyen de "vivre" un "game over" Triste constat d'une société qui n'a aucun scrupule à autoriser la vente de toute sortes de produits qui vont arriver au même résultat, la mort de l'individu, mais lentement, caché, insidieux et hypocrite. Mais...ça rapporte, quand on connaît le rapport retour sur investissement des différents maladies...on comprends mieux où se situe "l'éthique" de certaines instances et de leurs représentants, se drapant dans une attitude bien pensante hypocrite !»
@Lagom 27.08.2018 | 21h27
«La promotion du suicide auprès du public doit être interdite au même titre que l'interdiction de la publicité pour promouvoir la cigarette. @Bogner Shiva 212 nous donne l'impression que financièrement Exit serait au delà de tout soupçon, puisqu'il pense que potentiellement la FMH défend son gagne-pain. Il serait nécessaire de nous expliquer pourquoi la mise en contact d'un patient avec la grande faucheuse coûterait 10'000.- au patient ?
EXIT et ses semblables me donnent le sentiment que nous nous approchons de la fin des temps en Occident, sous l'influence de quelques individus, dont il est permis de croire qu''ils soient potentiellement diaboliques. Merci Madame Lietti et merci Docteur Kiefer pour le courage de publier cet article. Ne banalisons pas la mort !»
@lys 28.08.2018 | 21h45
«Merci pour cette interview, pour le courage de Bertrand Kiefer de lutter contre cette dangereuse dérive de l'assistance au suicide. Et merci aussi à Anna Lietti, qui ne tombe pas dans le piège consistant à ériger l'autonomie comme valeur suprême, au détriment du respect de la vie humaine. Ceci dit, je ne suis pas contre l'assistance au suicide tel qu'elle était conçue avant 2014.
f»
@yeppo 02.09.2018 | 22h16
«Je comprends les réticences de Bertrand Kiefer sur certains aspects de ces nouvelles directives, mais la société n'échappera pas à une remise en question fondamentale de la fin de la vie. Le dogme de la prévention à tout prix, et quasiment à n'importe quel âge ( introduire des statines à 90 ans, sur-traiter les personnes très âgées etc.), les chimiothérapies "adjuvantes" à 90 ans, pour ne prendre que quelques exemples, ne seront plus supportables ne serait-ce qu'économiquement pour une société très vieillissante. La population n'a pas envie de mourir à 105 ans avec un coeur remis à neuf, des prothèses partout mais avec une démence. Et mon expérience de 35 ans de cabinet et d'EMS ne cadre pas du tout avec la récente étude qui conclut que les personnes en EMS n'ont pas envie de mourir....D'où l'émergence de ces courants " autonomistes" qui revendiquent le droit de s'en aller. Par contre toutes ces démarches doivent se faire dans la plus grande discrétion, par respect pour les autres qui n'ont pas à porter le fardeau d'une telle décision.»