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Selon toute probabilité les deux nouveaux au Conseil fédéral seront Albert Rösti, l’UDC bernois, conseiller national, et Eva Herzog, conseillère aux Etats bâloise, du PS. Or ces deux personnalités posent un sérieux problème politique, peu soulevé: l’influence des lobbies sur le pouvoir.



C’est presque joué. Le rival du Bernois, le Zurichois Hans-Ueli Vogt, est mal aimé du Parlement qu’il a quitté de son plein gré l’an passé, déclarant qu’il s’y sentait «comme un joueur de tennis sur un terrain de football». De plus il lui est arrivé de prendre des positions contraires à celles de son parti. Quant à la candidate jurassienne, Elisabeth Baume-Schneider, elle est fort appréciée, aimable et courageuse. Mais les Alémaniques, qu’ils en conviennent ou pas, ne veulent pas se voir en minorité au Conseil fédéral, avec quatre «Latins» sur sept. Ce qui est un réel problème au vu de la représentativité des régions linguistiques prévue dans la Constitution.

En outre Eva Herzog, de l’aile droite de son parti, a tout pour plaire au camp bourgeois. Elle a été pendant quinze ans ministre des Finances du demi-canton de Bâle-Ville. Il en est résulté une extrême proximité avec les géants pharmaceutiques, Novartis et Roche en tête, qui y ont leur siège. Un cadre de son propre parti a même lâché un jour qu’elle est en fait «la porte-parole médiatique des pharmas». Certes il n’y a pas de lien formel entre elle et ces entreprises, mais ce sont bien celles-ci qui ont imprégné la vision économique de la candidate, d’ailleurs fort compétente. Or deux dossiers chauds se présentent. Le prix des médicaments et la répartition des nouveaux impôts qui frapperont les multinationales. Toutes les tentatives de libéraliser le commerce pharmaceutique, d’autoriser les importations directes de produits beaucoup moins chers à l’étranger, ont échoué. Mais le sujet reviendra. On connaît d’avance l’avis de Mme Herzog. Très actuelle, la modification de la taxation des géants, que l’OCDE impose à ses membres: 15% au moins sur les bénéfices des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions. La Suisse qui en est membre doit suivre. Nous devrons voter sur cet objet l’an prochain. Inutile de dire que les mastodontes ne sont pas chauds, une partie du camp bourgeois non plus. La partie sera serrée. Le Conseil fédéral devra se montrer convaincant. Or les deux nouveaux en vue sont pour le moins réticents! 

Et où iront ces milliards de recettes supplémentaires? La loi prévoit 75% aux cantons, le reste à la Confédération, mais cela se discute. Eva Herzog déclare déjà qu’ils doivent aller principalement aux cantons, ce serait un pactole inouï pour Bâle qui compte entre 50 et 70 entreprises concernées. D’autres voix réclament une répartition plus favorable aux régions moins peuplées. Ou, pourquoi pas, aux transports. On imagine déjà les débats au sein du nouveau Conseil fédéral…

Quant à Albert Rösti, c’est plus simple: depuis de longues années, il est lobbyiste de métier. Il représente les intérêts de seize groupements privés, entités administratives et associations. Pour quelle somme? Il ne le dit pas, affirmant cependant qu’au total, c’est moins que la rétribution d’un conseiller fédéral. Parmi ses principaux mandats: Auto-Schweiz, l’association des importateurs d’automobiles, et Swissoil, l’association des marchands de produits pétroliers, dont il fut le président. La mention de cette dernière a soudainement disparu de la page du candidat. 

Comme pour les médicaments, notre porte-monnaie est en jeu. Les automobiles et les pièces de rechange sont plus chères en Suisse que chez les voisins en dépit de leur taux de TVA plus élevés. Cela grâce au monopole de fait des importateurs. Tout ce business est conçu pour décourager l’achat direct à l’étranger, théoriquement possible. Des relations commerciales plus libérales profiteraient aux consommateurs. Mais la droite helvétique a ses arrangements avec le libéralisme…

En cas d’élection Albert Rösti se défera bien sûr de ses liens avec des intérêts particuliers. Mais quand on les a servis si longtemps, quand on est entré dans leur logique, on ne se refait pas. Même en accédant au pouvoir.

Le plus frappant, c’est l’indifférence de tous les partis à cette problématique. Chacun regarde l’échiquier politicien, avance ses propres pions et il ne se trouve guère de voix pour poser les questions de principe. Parce que chaque famille a ses petits arrangements? Ici comme ailleurs, on parle beaucoup de la transparence en politique. En Suisse, c’est pour rire.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

9 Commentaires

@loriot54 02.12.2022 | 10h39

«Merci à Jacques Pilet pour cet éclairage.
Deux brèves remarques.
1. On comprend que les partis ferraillent pour défendre leurs poulains, mais qu'ils aient à ce point le nez dans le guidon, qu'ils ne parviennent pas, dans la circonstance très particulière d'une élection au Conseil fédéral, à prendre un peu de hauteur pour se soucier de la capacité (ou non) de leur candidat à défendre le bien commun (et non les intérêts de quelques entreprises, si dynamiques et florissantes soient-elles), cela est affligeant.
2. Avec les orientations qui sont les siennes et les actions qu'elle a menées, on se demande sérieusement ce que Mme Herzog fait au PS et ce que le PS attend de Mme Herzog. On dirait une libérale très bon teint...
Alain Jacquemoud, Carouge »


@vladm 02.12.2022 | 11h45

«Ls situation décrite est bien dramatique.
en particulier pour A. Rösti, qui outre la vision SVP/UDC et ses liens avec les lobby pétroliers et automobiles, est presque un climato-négationiste.
C'en est à se demander si la nomination de H-U- Vogt n'était pas justement la stratégie un peu vicieuse de son parti de s'assurer que bien que présentant un ticket à deux, le second n'a quasiment aucune chance d'être élu. Tout ceci alors ue l'urgence climatique frappe de plus en plus fort à notre porte, tout en étant un des pays du monde le plus touché dans les Alpes, et que la Suisse prend du retard sur des cations concrètes et recule dans le classement des "bons élèves" pour la transition énergétique.»


@Latombe 02.12.2022 | 12h25

«Pour l'instant rien n'est fait, mais la probabilité est grande. Dans ce cas je me réjouis de voir M. Roesti lobbyiste du mazout devoir défendre une interdiction de son usage pour 2050 et Mme Herzog lobbyiste de la pharma devoir défendre un projet du Conseil fédéral de limitation drastique du prix des médicaments. Ainsi vont les contraintes de la collégialité au CF qui amènent souvent un membre d'un parti à s'opposer aux voeux des son propre parti (voyez Berset du PS défendant l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes). C'est l'effet centripète de la collégialité qui ramène tout à l'extrême centre ...»


@willoft 02.12.2022 | 18h52

«"Le plus frappant, c’est l’indifférence de tous les partis à cette problématique".

Ce serait pourtant simple, sur le site de la Confédération, un tableau où chaque politique a l'obligation de mentionner chaque entité dans laquelle il est impliqué et ses honoraires, bête comme chou, mais ce doit sans doute être la chèvre et le chou, ou la fable de la grenouille ou encore l'autre qui passe la rivière avec une vipère sur son dos!

A part ça, le pouvoir ne réside pas dans le Conseil Fédéral, mais au Parlement, donc, ça ne devrait pas changer grand-chose.
Sans vouloir minimiser la force d'un CF qui pense avoir l'appui du Parlement pour tordre des bras.
D'où sans doute quelques désillusions en votation.»


@willoft 03.12.2022 | 19h19

«P.S. d'abord on félicite BPLT de la vitesse de publication (ils doivent sans doute être occupés par la CDF, la coupe du monde du foot).

Monsieur Pilet étant un journaliste plus que chevronné, il est quand même curieux qu'il soulève le lièvre démocratique suisse.
Avec sa thèse sur les CF.

Ca semble un peu l'ambassadeur, sauf erreur danois de l'OTAN, clamant son incompréhension face à l'attitude neutre de la Suisse.
La Suisse n'a aucun conseil à reçevoir des US, chantre des "armes de destruction massives" et qui ferait mieux de balayer devant sa porte.

La guerre en Ukraine a un seul coupable, les US et leur vassal l'UE»


@Zabou 21 05.12.2022 | 15h17

«La transparence en politique ? "La transparence a pour but d’éviter la connivence et de favoriser la compétence (...). Nous avons ainsi, parmi les dirigeants de ce pays, un grand nombre de personnes qui n’ont pas les compétences pour exercer leurs fonctions et qui craignent évidemment plus que tout la transparence, qui mettrait en exergue tous les manquements dont ils se sont fait les auteurs pendant de nombreuses années.

Un livre qui semble passionnant : Lobbytomie de Stéphane Horel
"Comment les lobbies empoisonnent nos vies et la démocratie"

Lobby des pesticides. Lobby du tabac. Lobbies de la chimie, de l’amiante, du sucre ou du soda. On évoque souvent les « lobbies » de façon abstraite, créatures fantastiques venues du mystérieux pays du Marché, douées de superpouvoirs corrupteurs et capables de modifier la loi à leur avantage. Leurs dirigeants prennent en toute conscience des décisions qui vont à l’encontre de la santé publique et de la sauvegarde de l’environnement.
C’est cet univers méconnu que Stéphane Horel, grâce à des années d’enquête, nous fait découvrir dans ce livre complet et accessible. Depuis des décennies, Monsanto, Philip Morris, Exxon, Coca-Cola et des centaines d’autres firmes usent de stratégies pernicieuses afin de continuer à diffuser leurs produits nocifs, parfois mortels, et de bloquer toute réglementation. Leurs responsables mènent ainsi une entreprise de destruction de la connaissance et de l’intelligence collective, instrumentalisant la science, créant des conflits d’intérêts, entretenant le doute, disséminant leur propagande.
Dans les cercles du pouvoir, on fait peu de cas de ce détournement des politiques publiques. Mais les citoyens n’ont pas choisi d’être soumis aux projets politiques et économiques de multinationales du pétrole, du désherbant ou du biscuit. Une enquête au long cours, à lire impérativement pour savoir comment les lobbies ont capturé la démocratie et ont fait basculer notre système en « lobbytomie ».»


@Spark 08.12.2022 | 17h39

«La majorité des affairistes de Berne ont choisi l'affaiblissement des socialistes aux élections fédérales de 2023 au lieu d'élire la meilleure parmi elles/eux. Les combines triomphent toujours sur l'intérêt du pays et des ses citoyens dans les élections au CF. Dommage! La tradition impose la médiocrité en coupant les têtes qui dépassent. EBS est ok mais elle n'a pas l'envergure de Herzog ni son rayonnement. Les alémaniques seront sans pitié à l'avenir pour reprendre toutes les places qui vont se libérer dans les 8 ans à venir au CF.»


@stef 08.12.2022 | 18h57

«Eh bien, contre toute attente, bravo à Mme Elisabeth Baume-Schneider pour son élection »


@RAS 09.12.2022 | 11h13

«Il est grand temps de réagir et de cesser de parler de lobby, mais de dire tout haut corruption ! Car malheureusement c'est à tout les échelons des élus, soit aux chambres, soit au Conseil fédéral, ou aux différents départements que le cancer de la corruption est en développement constant. Les seules fois où il y a des interpellations la réponse est généralement des plus vague !
Par exemple concernant le GAVI, les versements à Swissmedic, où plus ancien, les agissements de M. Couchepin concernant les caisses maladies et ses petits copains etc... Une seule réaction à l'époque contre une conseillère fédérale qui a téléphoné à son mari, mais après ce règlement de compte ils sont devenus intouchables.»


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