Actuel / «Les gens sont mon habitat»: un chercheur se met dans la peau du coronavirus pour mieux l’expliquer
Micrographie électronique en transmission de particules du virus SRAS-CoV-2. NIAID
Depuis des mois, on ne parle que de lui… sans jamais cependant entendre son point de vue! Franck Courchamp, directeur de recherche au CNRS et titulaire de la Chaire Axa sur la biologie des invasions (Université Paris-Saclay), s’est glissé le temps d’une interview imaginaire dans la peau de ce coronavirus SARS-CoV-2 qui affole la planète. Au-delà de l’aspect ludique de cette « rencontre », c’est aussi une façon pour le scientifique de nous faire changer de perspective sur les enjeux de la pandémie et des enseignements qu’il serait heureux d’en tirer.
Franck Courchamp, Université Paris-Saclay
Qui êtes-vous, coronavirus ?
Je commencerais par dire, modestement, que je suis le King. Le roi. Après tout, corona en latin signifie « couronne », vous le reconnaissez donc vous-même en me donnant ce nom. Je suis un petit bijou de l’évolution, pourtant, je suis resté assez simple. Paradoxalement, cette simplicité est une source d’incompréhension pour vous. Vous avez déjà du mal à vous décider sur un point aussi basique que de savoir si je suis ou non vivant… À votre décharge, vous vous posez la même question pour tous mes autres confrères virus.
Personnellement, cela m’importe peu de savoir où vous me classez. Il est vrai que mon fonctionnement diffère sensiblement de celui des êtres vivants. Vous pouvez voir en moi une sorte de machine biologique microscopique. Mon programme est très simple : survivre et me reproduire pour perdurer d’une génération à l’autre. En cela, j’ai exactement le même objectif que toutes les espèces vivantes.
La différence est sûrement que n’ai pour cela besoin que du strict minimum : je m’introduis dans les cellules de mon hôte, et j’y emprunte tout ce qu’il faut pour fonctionner. En détournant la machinerie des cellules que j’infecte, je fabrique des copies de moi-même, je me réplique autant que je peux. Mes semblables, des particules virales toutes neuves, sont ensuite relâchées partout autour, et partent à l’assaut d’autres cellules. Nous, les coronavirus, produisons 1000 virus par cellule infectée, en à peine dix heures !
Et pourtant, je ne suis pas grand. Mon diamètre est de l’ordre de la centaine de nanomètres, soit un dix-millième de millimètre.
Je suis donc mille fois plus petit que les bactéries, elles-mêmes 10 à 100 fois plus petites qu’une cellule humaine. 50 000 milliards de fois plus petit qu’une goutte d’eau. À mon échelle, vos cellules sont bien plus grandes pour moi que ne le sont vos villes pour vous.
Pourquoi infectez-vous les gens ?
C’est une question étrange. Les gens sont mon habitat, mon écosystème, et mes ressources. C’est comme si je vous demandais pourquoi vous vivez dans cette plaine ou sur cette montagne.
Cependant, contrairement à vous, je n’ai pas une vie facile de sédentaire. Je suis un nomade, car mon vaisseau (vous, ou les animaux que j’infecte) n’est pas immortel. Afin de me perpétuer, je dois donc sans cesse passer à un autre hôte avant que le premier ne disparaisse. Il faut reconnaître que parfois, nous y sommes un peu pour quelque chose : certains de nos hôtes ne supportent pas nos proliférations, qui peuvent avoir tendance à abîmer leurs organes. Mais il arrive aussi que nos hôtes soient victimes de la guerre que nous livre leur système immunitaire, qui finit parfois hors de contrôle.
Comment nous infectez-vous ?
En ce qui me concerne, mes moyens sont simples et vous avez déjà percé certains de mes secrets, comme celui qui consiste à voyager dans les gouttelettes de postillons, d’éternuement, et à rester sur les mains ou les objets manipulés par les gens qui ont touché leur salive ou leur morve.
Je peux caser 100 milliards de mes congénères par millilitre dans un crachat et je peux tenir 5 jours sur du plastique ou 7 jours sur un masque chirurgical. Je ne suis pas très sophistiqué, mais efficace. Comme tous les autres virus en fait. L’efficacité, ça nous connaît, nos adaptations n’ont pas de limites.
À lire aussi : Coronavirus SARS-CoV-2 : ce que l’on sait, ce que l’on ignore encore
Prenons, par exemple, la difficulté majeure de la transmission à un autre hôte. Pourquoi croyez-vous que lorsque vous êtes infectés, vous éternuez ? Une fois contaminé, vous voilà transformé en puissant spray capable de nous transporter à plus de 50 km/h dans un nuage de dizaines de milliers de gouttelettes vers nos nouvelles victimes (ou dans vos mains, que vous mettez ensuite un peu partout).
Autre exemple : pas facile de bouger quand on n’a pas de pied. Heureusement, vous avez de la morve, et vous en produisez d’autant plus quand nous vous infectons, nous les virus respiratoires. Pas étonnant : c’est un moyen de transport bien pratique pour nous transmettre plus facilement… Certains autres virus choisissent des fluides différents, liquéfient vos selles et vous donnent la diarrhée. Résultat : une transmission de masse très efficace également… Aucun contact avec personne ? Qu’à cela ne tienne : nous pouvons nous loger dans vos fluides séminaux et nous transmettre lors des rapports sexuels. Vous pouvez vous isoler tant que vous voudrez, en tant qu’espèce, vous êtes bien obligés de passer par la reproduction à un moment où à un autre…
Quant aux virus qui font changer les comportements pour permettre une transmission plus facile, comme la rage, qui désoriente et rend agressif, prêt à mordre, difficile de lutter contre ça, n’est-ce pas…
Pourquoi vous, virus, en voulez-vous ainsi aux humains ?
Il ne faut pas être si nombriliste. Nous ne vous en voulons pas, nous n’éprouvons aucun sentiment, ni bon ni mauvais, envers vous. Vous êtes juste des vaisseaux de choix.
Car il faut dire qu’en tant qu’hôtes, les humains sont parfaits. Ils nous facilitent les choses à de nombreux points de vue. Déjà, ils vivent souvent dans des lieux très denses, et leur population globale est interconnectée. Ce qui nous donne à nous autres virus presque systématiquement accès à la totalité des hôtes disponible, d’un bout à l’autre de la planète !
Je l’ai bien démontré ces derniers mois : parti d’une région quelconque de Chine, j’ai très rapidement (et sans petites pattes), réussi à m’inviter sur tous les continents, et jusque dans les coins les plus reculés du globe. Les autres populations animales sont généralement fragmentées, ce qui limite notre potentiel de dispersion et nous cantonne à de petites régions. On y tourne un peu en rond. Mais avec les humains, c’est autre chose ! Plus une mer, plus une montagne ne nous arrête. Nous voyageons d’un hôte à l’autre par bateau, par avion : des perspectives sans frontières, sans limites ! En théorie, en moins d’une semaine, je peux créer des foyers d’infection sur tous les continents.
En outre, vous nous facilitez les choses : les êtres humains maintiennent une grande partie de leur population dans des conditions sanitaires assez déplorables, ce qui facilite grandement notre transmission. Sans parler des comportements de certains de vos dirigeants, qui n’ont soit pas la moralité soit pas l’intelligence d’agir avec responsabilité. Tout cela crée pour nous des opportunités incroyables dans certains coins du monde, où l’épidémie est officiellement minimisée pour ne pas avoir à être contrôlée…
Mais, à la base, vous n’infectiez pas les humains…
Effectivement, j’étais à l’origine inféodé à d’autres espèces animales. Mais pour toutes les raisons que je viens d’expliquer, nous, les virus qui infectons d’autres animaux que l’être humain, avons de quoi être jaloux de ceux qui ont su s’adapter à un tel hôte ! Toutefois, à force de nous copier et nous recopier au sein des cellules que nous infectons, il se trouve que de temps à autre, une de nos répliques mute, et devient légèrement différente des autres. Et, de temps en temps, un de ces mutants tire le gros lot : sa mutation le rend capable de survivre dans – et de se transmettre via – d’autres animaux que ceux que ses congénères infectent habituellement. Cette nouvelle souche de virus est alors prête à changer d’hôte.
Mais cette situation est très rare. D’autant plus rare qu’il ne s’agit pas seulement d’acquérir la capacité à infecter une nouvelle espèce animale : encore faut-il en être assez proche pour pouvoir l’infecter ! La probabilité que ces événements coïncident est assez infime, mais deux facteurs jouent pour nous.
D’une part, nous sommes très, très nombreux. Vous êtes environ 5000 espèces de mammifères ? Nous avons environ 320 000 virus différents infectant les mammifères ! Une bien belle panoplie de possibilités, puisque plus il y a de virus, plus il y a de mutations.
D’autre part, vous les humains nous facilitez la chose en multipliant les contacts avec les autres espèces, et donc les chances que l’on a de vous rencontrer, et de passer chez vous. Entre toutes ces incursions brutales que vous effectuez dans les territoires fragilisés d’espèces déjà stressées par la chasse, le manque d’habitat et de ressources, la pollution ou le climat, et toutes les espèces sauvages que vous chassez, encagez, entassez sur vos marchés, mangez plus ou moins bien cuites, à raison de millions de tonnes par an, les opportunités de vous infecter sont de plus en plus fréquentes. C’est ainsi que le VIH, le SRAS, l’Ebola, le Zika ou le MERS sont passés chez vous ces dernières années.
On peut d’ailleurs ajouter que lorsqu’un virus ne tombe pas sur l’humain, mais sur une de ses espèces domestiques, le résultat est assez similaire. Lorsque vous grignotez le territoire des chauves-souris et installez aux pieds de leurs habitats dévastés des élevages intensifs de porcs, vous augmentez les chances qu’un virus de chauve-souris (au hasard, le Nipah) passe au porc lorsque celui-ci entre en contact avec leur salive ou leurs déjections (dans lesquels les virus sont présents). Comme ces porcs vivent en très grande densité et en conditions sanitaires appauvries, les chances de transmissions augmentent et rien ne nous arrête.
Imaginez des hôtes côte à côte, à perte de vue, affaiblis, stressés, vivants dans leurs déjections et parmi les cadavres déjà tombés, pour un virus, c’est buffet à volonté ! C’est ainsi que les copains de la grippe aviaire H5N1 et de la grippe porcine ont pris d’assaut les élevages de volailles et de porcs il y a quelques années. Ces concentrations d’hôtes en mauvaise santé mènent à des concentrations extraordinaires de virus. Cela augmente nos chances de passer ensuite de l’animal domestique à l’humain. Comme le Nipah (qui entraîne de 40 à 75 % de mortalité chez vous), ou le H5N1.
Et comme je l’ai dit plus haut, la difficulté (toute relative maintenant) est d’infecter le premier humain. Après, votre système de mondialisation fait le reste. À croire que vous avez créé tout cela pour la libre circulation des virus ! Donc, merci beaucoup, thank you very much, danke schöne, 衷心感谢, muchas gracias, большое спасибо, etc.
Avez-vous conscience du mal que vous faites ?
Nous ne vous voulons pas plus de mal qu’un mouton ne voudrait du mal à une touffe d’herbe. Si l’on avait le choix, évidemment on préférerait que nos humains infectés ne meurent jamais et continuent à nous abriter indéfiniment. Ça nous faciliterait grandement la vie, croyez-moi. Mais leur caractère mortel nous pousse parfois à nous répliquer rapidement pour pouvoir infecter un autre humain avant que le premier ne meure. Cette réplication intense crée des symptômes qui leur sont parfois nocifs, voire même fatals. Un des problèmes est que si l’on reste tranquille et faisons profil bas, nos faibles effectifs de départ risquent d’être rapidement submergés par vos défenses immunitaires, si nous ne parvenons pas à nous cacher assez bien dans votre corps. Entre survivre sans trop nuire et être éliminé, l’équilibre n’est pas facile à trouver !
Quoi qu’il en soit, nous les virus et les espèces que nous infectons sommes la plupart du temps liés par des centaines de milliers d’années de coévolution, si bien qu’au final nous sommes généralement bien « adaptés » les uns aux autres, avec dans la grande majorité des cas, peu de dégâts d’un côté ou de l’autre.
Surtout, il ne faut pas oublier que nous autres virus jouons un rôle régulateur important sur les populations des autres êtres vivants (des micro-organismes aux plantes en passant par les animaux). Si nous disparaissions tous du jour au lendemain, il est possible que celles-ci finiraient par être en surpopulation, risquant de mourir de faim après avoir tellement augmenté qu’elles en épuiseraient leurs ressources… D’ailleurs, on dit que nous sommes d’une importance majeure pour l’écologie et l’évolution du monde vivant.
Et puis, nombre de virus sont bénéfiques pour vous, par exemple parce qu’ils tuent des bactéries que vous n’appréciez pas non plus vraiment. Certains envisagent même de les utiliser pour suppléer aux antibiotiques !. Par ailleurs, n’oublions pas que les virus peuvent avoir un effet qu’on pourrait qualifier de « neutre ». Chez l’humain, toujours, puisqu’il n’y a que cela qui vous intéresse, on recense environ 5000 virus différents, mais moins de 3 % d’entre eux provoquent une maladie, autrement dit sont « pathogènes ». Ce n’est finalement pas tant que ça…
Enfin, il y a tous les virus qui s’intéressent tellement peu à vous que vous ne vous y intéressez pas non plus. Présents dans le sol, en suspension dans l’air, flottant dans l’eau, ils infectent les plantes, les insectes ou les étoiles de mer… On trouve par exemple un million de virus en suspension dans un litre d’eau de mer. En fait, il y a tellement de virus en suspension dans les océans que, mis bout à bout et malgré leur taille ridiculement minuscule, la longueur obtenue représenterait une distance dépassant les galaxies voisines de la nôtre.
Encore une fois, les virus sont partout, même si vous ne les voyez pas… Et parfois, ils sont sous vos yeux, et vous ne les reconnaissez pas, comme ces extraordinaires virus géants, plus gros que certaines bactéries, avec qui on les a initialement confondus…
D’ailleurs, d’où venez-vous, vous autres virus ?
J’imagine que vous voulez dire de quand venons-nous ? En fait, nous avons toujours été là. En tout cas depuis que les humains existent, et même bien avant vos premiers ancêtres animaux. Certains disent que nous sommes plus anciens que les bactéries les plus anciennes.
Déjà présents à l’origine du vivant, nous avons joué un rôle essentiel dans l’évolution, notamment en permettant des transferts de gènes non pas d’une génération à l’autre, mais bien entre les espèces. Nous sommes tellement anciens que certains d’entre nous se sont intégrés dans vos génomes ici et là, pour finalement faire partie intégrante de vous.
Au total, pas loin de 10 % de votre génome est de l’ADN de virus assimilé dans vos chromosomes. Et de tous ces nouveaux gènes que nous vous avons offerts, certains sont importants, voire essentiels. Chez les mammifères par exemple, l’embryon n’est accepté par le système immunitaire de la mère malgré son caractère étranger (c’est un hybride entre le père et la mère), que par l’existence du placenta, dont l’origine est due à un virus intégré dans votre génome. Alors, merci qui ?
Et vous-même, d’où venez-vous, coronavirus SARS-CoV-2 ?
Quelle espèce mes ancêtres infectaient avant de passer chez vous ? Je ne le sais pas. Mais chauve-souris, pangolin, singe, ou autre, qu’importe ? Que feriez-vous si vous le découvriez ? Vous arrêteriez de braconner et dévorer cette espèce ? Vous l’extermineriez ? Feriez-vous pareil pour toutes les espèces dont vous risqueriez d’attraper les virus ? Impossible évidemment, il s’agirait de pratiquement tous les animaux…
Et pourquoi cherchez-vous des coupables quand ils sont tout désignés ? Les coupables ne sont-ils pas plutôt ceux qui « vont chercher » les virus en perturbant des systèmes virus-animal relativement hermétiques depuis des millions d’années ? Si vous vous faites griffer par un chat que vous embêtez, vous allez éliminer tous les chats ? Ne devriez-vous pas plutôt apprendre à cesser de leur tirer la queue ?
Comment se débarrasser de vous ?
En théorie c’est assez simple. Il suffit de concevoir les épidémies comme des incendies de forêt. L’un et l’autre sont des phénomènes naturels, mais lorsque vous jouez avec les lois de la nature, ils peuvent devenir hors de contrôle.
Les incendies sont, par exemple, favorisés par une accumulation de conditions favorables (comme du bois mort qui s’entasse). Après une flambée rapide, ils disparaissent généralement : soit parce qu’ils arrivent dans des zones où les arbres sont trop éloignés pour que les flammes passent de l’un à l’autre (l’équivalent de votre distanciation sociale), soit parce qu’ils arrivent dans des zones où les espèces d’arbres sont moins inflammables (ils sont immunisés contre le feu).
Dans le cas des épidémies naturelles, la situation est relativement similaire. Elles émergent puis se propagent jusqu’à ce que la contagion soit freinée parce que la plupart des infectés échouent à contaminer d’autres personnes. Cela peut être dû au fait qu’ils n’en rencontrent plus (à cause de la mise en place de mesures de distanciation sociale, de quarantaine…), ou parce que ceux qu’ils rencontrent sont immunisés (immunité acquise lors d’une infection passée, ou grâce à la vaccination). Si le rythme des infections diminue, alors l’épidémie s’atténue, jusqu’à disparaître.
La question importante est donc plutôt de savoir comment ne pas attraper le prochain de vos congénères virus ?
Effectivement, car il ne s’agit pas de savoir « si » un nouveau virus dangereux pour l’être humain émergera à partir d’une autre espèce, mais « quand ».
Serez-vous prêts ? Mieux vaut être capable répondre rapidement, car les épidémies venant d’animaux sauvages se multiplient depuis quelques années, et vos sociétés ont déjà goûté à mes cousins virus sur plusieurs continents…
Nous les virus émergents avons tué des millions des vôtres, frappant parfois vos congénères au hasard, ou nous attaquant à des catégories très ciblées (comme ici les plus vulnérables physiquement). Nous avons mis à mal vos systèmes économiques et politiques, nous vous avons enfermés chez vous, terrorisés, fait naître les théories complotistes les plus absurdes… Qu’en avez-vous retenu ?
Et vous, que nous réservez-vous dans le futur ?
Je serais bien en peine de vous le dire : moi et ma prolifique descendance nous allons au hasard des infections et des mutations.
Si vous survivez à mon passage dans votre organisme, serez-vous immunisés contre mon retour, une fois guéris ? Je ne sais pas, et ce n’est pas mon problème. Serez-vous capables de me maintenir à distance à coup de masques et de distanciation physique lors de la seconde vague hivernale ? Nous allons le découvrir ensemble.
Une chose est sûre : je ne resterai pas absolument identique d’une année sur l’autre. Rappelez-vous, nous les virus, nous mutons. Et si nous sommes très nombreux – comme, par exemple, quand des millions d’humains sont infectés, ce qui est le cas actuellement – alors ces mutations sont plus nombreuses aussi.
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Parmi elles, la plupart des mutations donne des souches moins viables, moins contagieuses ou moins virulentes. Celles-ci disparaîtront vite. Plus rarement, des mutations donnent des souches plus contagieuses ou plus mortelles. Même si ces mutations plus dangereuses sont moins fréquentes chez les coronavirus, plus vous avez du mal à nous tenir en échec, plus nous sommes nombreux, et donc mathématiquement plus vous augmentez les chances qu’une souche plus dangereuse apparaisse…
Rassurez-vous cependant : un virus qui devient tellement dangereux qu’il détruit totalement sa population hôte, cela n’existe pas. Tout simplement parce qu’il détruirait en même temps ses ressources, son écosystème et son environnement. Il disparaîtrait donc du même coup. Et même si je ne suis pas intelligent, je ne suis pas assez bête pour détruire mon propre environnement. Qui le serait ?
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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En cela, j’ai exactement le même objectif que toutes les espèces vivantes.</p> <p>La différence est sûrement que n’ai pour cela besoin que du strict minimum : je m’introduis dans les cellules de mon hôte, et j’y emprunte tout ce qu’il faut pour fonctionner. En détournant la machinerie des cellules que j’infecte, je fabrique des copies de moi-même, je me réplique autant que je peux. Mes semblables, des particules virales toutes neuves, sont ensuite relâchées partout autour, et partent à l’assaut d’autres cellules. Nous, les <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-coronavirus-font-a-notre-corps-130898">coronavirus</a>, produisons 1000 virus par cellule infectée, en à peine dix heures !</p> <p>Et pourtant, je ne suis pas grand. 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Afin de me perpétuer, je dois donc sans cesse passer à un autre hôte avant que le premier ne disparaisse. Il faut reconnaître que parfois, nous y sommes un peu pour quelque chose : certains de nos hôtes ne supportent pas nos proliférations, qui peuvent avoir tendance à abîmer leurs organes. Mais il arrive aussi que nos hôtes soient victimes de la guerre que nous livre leur système immunitaire, <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-frederic-altare-lobesite-facteur-tres-aggravant-du-covid-19-137920">qui finit parfois hors de contrôle</a>.</p> <p><strong>Comment nous infectez-vous ?</strong></p> <p>En ce qui me concerne, mes moyens sont simples et vous avez déjà percé certains de mes secrets, comme celui qui consiste à voyager dans les gouttelettes de postillons, d’éternuement, et à rester sur les mains ou les objets manipulés par les gens qui ont touché leur salive ou leur morve.</p> <p>Je peux caser <a href="https://www.adioscorona.org/questions-reponses/2020-04-21-chiffres-sars-covid.html">100 milliards de mes congénères par millilitre dans un crachat</a> et je peux tenir <a href="https://www.adioscorona.org/questions-reponses/2020-04-23-combien-de-temps-le-virus-est-il-infectieux.html">5 jours sur du plastique ou 7 jours sur un masque chirurgical</a>. 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Résultat : une transmission de masse très efficace également… Aucun contact avec personne ? Qu’à cela ne tienne : nous pouvons nous loger dans vos fluides séminaux et nous transmettre lors des rapports sexuels. Vous pouvez vous isoler tant que vous voudrez, en tant qu’espèce, vous êtes bien obligés de passer par la reproduction à un moment où à un autre…</p> <p>Quant aux virus qui font changer les comportements pour permettre une transmission plus facile, comme la rage, qui désoriente et rend agressif, prêt à mordre, difficile de lutter contre ça, n’est-ce pas…</p> <figure><img src="https://images.theconversation.com/files/356802/original/file-20200907-24-1rfijqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="" /> <figcaption><span>Micrographie électronique à balayage d’une cellule fortement infectée par des particules du virus du SRAS-CoV-2 (en jaune), isolée à partir d’un échantillon prélevé sur un patient.</span> <span><a href="https://www.flickr.com/photos/nihgov/50098153461/in/photolist-2jynB5V-2jk2hum-2jk18mh-2iTjLFU-2iEP3MV-2iH8Kxi-2iERQ6u-2jcerea-2jfwmb2-2jfwm7p-2iCRVSJ-2jk18Cz-2jfwm3X-2iTjLJQ-2iH8KzC-2jk18s4-2iDVeRk-2ivWYAQ-2iYmxva-2j4dFiW-2iLBJKi-2iCRVRX-2inuGL9-2iCUCv6-2ivY9Xk-2iETgaX-2jciuth-2iERQ8d-2iERQiZ-2itfPmQ-2iCUCvw-2iG5wqt-2ivY9VB-2jfzdMX-2iLBJK3-2iDSu3E-2iDVeUX-2iDSu77-2iDWFNp-2iDVeVt-WwL7yT-2iERQmQ-2iNeJNB-2iG5wss-2iCUCvr-wewpg4-2ivUoUn-2ivUoW6-2ivUoVj-2itgZyx/">NIAID/NIH</a></span></figcaption> </figure> <p><strong>Pourquoi vous, virus, en voulez-vous ainsi aux humains ?</strong></p> <p>Il ne faut pas être si nombriliste. Nous ne vous en voulons pas, nous n’éprouvons aucun sentiment, ni bon ni mauvais, envers vous. Vous êtes juste des vaisseaux de choix.</p> <p>Car il faut dire qu’en tant qu’hôtes, les humains sont parfaits. Ils nous facilitent les choses à de nombreux points de vue. Déjà, ils vivent souvent dans des lieux très denses, et leur population globale est interconnectée. Ce qui nous donne à nous autres virus presque systématiquement accès à la totalité des hôtes disponible, d’un bout à l’autre de la planète !</p> <p>Je l’ai bien démontré ces derniers mois : parti d’une région quelconque de Chine, j’ai très rapidement (et sans petites pattes), réussi à m’inviter sur tous les continents, et jusque dans les coins les plus reculés du globe. Les autres populations animales sont généralement fragmentées, ce qui limite notre potentiel de dispersion et nous cantonne à de petites régions. On y tourne un peu en rond. Mais avec les humains, c’est autre chose ! Plus une mer, plus une montagne ne nous arrête. Nous voyageons d’un hôte à l’autre par bateau, par avion : des perspectives sans frontières, sans limites ! En théorie, en moins d’une semaine, je peux créer des foyers d’infection sur tous les continents.</p> <div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1323194990382796800"}"></div> <p>En outre, vous nous facilitez les choses : les êtres humains maintiennent une grande partie de leur population dans des conditions sanitaires assez déplorables, ce qui facilite grandement notre transmission. Sans parler des comportements de certains de vos dirigeants, qui n’ont soit pas la moralité soit pas l’intelligence d’agir avec responsabilité. Tout cela crée pour nous des opportunités incroyables dans certains coins du monde, où l’épidémie est officiellement minimisée pour ne pas avoir à être contrôlée…</p> <p><strong>Mais, à la base, vous n’infectiez pas les humains…</strong></p> <p>Effectivement, j’étais <a href="https://theconversation.com/covid-19-lanalyse-des-genomes-revelerait-une-origine-double-du-virus-133797">à l’origine inféodé à d’autres espèces animales</a>. Mais pour toutes les raisons que je viens d’expliquer, nous, les <a href="https://theconversation.com/maladies-emergentes-dorigine-animale-dou-viendra-la-prochaine-menace-136208">virus qui infectons d’autres animaux</a> que l’être humain, avons de quoi être jaloux de ceux qui ont su s’adapter à un tel hôte ! Toutefois, à force de nous copier et nous recopier au sein des cellules que nous infectons, il se trouve que de temps à autre, une de nos répliques mute, et devient légèrement différente des autres. Et, de temps en temps, un de ces mutants tire le gros lot : sa mutation le rend capable de survivre dans – et de se transmettre via – d’autres animaux que ceux que ses congénères infectent habituellement. Cette nouvelle souche de virus est alors prête à changer d’hôte.</p> <p>Mais cette situation est très rare. D’autant plus rare qu’il ne s’agit pas seulement d’acquérir la capacité à infecter une nouvelle espèce animale : encore faut-il en être assez proche pour pouvoir l’infecter ! La probabilité que ces événements coïncident est assez infime, mais deux facteurs jouent pour nous.</p> <p>D’une part, nous sommes très, très nombreux. Vous êtes environ 5000 espèces de mammifères ? Nous avons environ 320 000 virus différents infectant les mammifères ! Une bien belle panoplie de possibilités, puisque plus il y a de virus, plus il y a de mutations.</p> <p>D’autre part, vous les humains nous facilitez la chose en multipliant les contacts avec les autres espèces, et donc les chances que l’on a de vous rencontrer, et de passer chez vous. Entre toutes ces incursions brutales que vous effectuez dans les territoires fragilisés d’espèces déjà stressées par la chasse, le manque d’habitat et de ressources, la pollution ou le climat, et toutes les espèces sauvages que vous chassez, encagez, entassez sur vos marchés, mangez plus ou moins bien cuites, à raison de millions de tonnes par an, les opportunités de vous infecter sont de plus en plus fréquentes. C’est ainsi que le <a href="https://www.ird.fr/layout/set/print/la-mediatheque/fiches-d-actualite-scientifique/465-l-origine-geographique-du-sida-a-present-connue">VIH</a>, le <a href="http://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/4817">SRAS</a>, l’<a href="https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/ebola">Ebola</a>, le <a href="https://theconversation.com/virus-zika-premiers-cas-de-transmission-en-france-metropolitaine-par-le-moustique-tigre-125675">Zika</a> ou le <a href="https://theconversation.com/mers-comment-ce-virus-a-emerge-et-ce-que-lon-peut-faire-56374">MERS</a> sont passés chez vous ces dernières années.</p> <p>On peut d’ailleurs ajouter que lorsqu’un virus ne tombe pas sur l’humain, mais sur une de ses espèces domestiques, le résultat est assez similaire. Lorsque vous grignotez le territoire des chauves-souris et installez aux pieds de leurs habitats dévastés des élevages intensifs de porcs, vous augmentez les chances qu’un virus de chauve-souris (au hasard, le <a href="https://www.who.int/csr/disease/nipah/fr/#:%7E:text=Le%20virus%20Nipah%20a%20%C3%A9t%C3%A9,avait%20pas%20d%E2%80%99h%C3%B4te%20interm%C3%A9diaire.">Nipah</a>) passe au porc lorsque celui-ci entre en contact avec leur salive ou leurs déjections (dans lesquels les virus sont présents). Comme ces porcs vivent en très grande densité et en conditions sanitaires appauvries, les chances de transmissions augmentent et rien ne nous arrête.</p> <p>Imaginez des hôtes côte à côte, à perte de vue, affaiblis, stressés, vivants dans leurs déjections et parmi les cadavres déjà tombés, pour un virus, c’est buffet à volonté ! C’est ainsi que les copains de la <a href="https://theconversation.com/grippe-aviaire-comment-le-virus-h5n1-a-contamine-les-elevages-francais-1-53601">grippe aviaire H5N1</a> et de la grippe porcine ont pris d’assaut les élevages de volailles et de porcs il y a quelques années. Ces concentrations d’hôtes en mauvaise santé mènent à des concentrations extraordinaires de virus. Cela augmente nos chances de passer ensuite de l’animal domestique à l’humain. Comme le Nipah (qui entraîne de 40 à 75 % de mortalité chez vous), ou le H5N1.</p> <div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1228391003519934471"}"></div> <p>Et comme je l’ai dit plus haut, la difficulté (toute relative maintenant) est d’infecter le premier humain. Après, votre système de mondialisation fait le reste. À croire que vous avez créé tout cela pour la libre circulation des virus ! Donc, merci beaucoup, thank you very much, danke schöne, 衷心感谢, muchas gracias, большое спасибо, etc.</p> <p><strong>Avez-vous conscience du mal que vous faites ?</strong></p> <p>Nous ne vous voulons pas plus de mal qu’un mouton ne voudrait du mal à une touffe d’herbe. Si l’on avait le choix, évidemment on préférerait que nos humains infectés ne meurent jamais et continuent à nous abriter indéfiniment. Ça nous faciliterait grandement la vie, croyez-moi. Mais leur caractère mortel nous pousse parfois à nous répliquer rapidement pour pouvoir infecter un autre humain avant que le premier ne meure. Cette réplication intense crée des symptômes qui leur sont parfois nocifs, voire même fatals. Un des problèmes est que si l’on reste tranquille et faisons profil bas, nos faibles effectifs de départ risquent d’être rapidement submergés par vos défenses immunitaires, si nous ne parvenons pas à nous cacher assez bien dans votre corps. Entre survivre sans trop nuire et être éliminé, l’équilibre n’est pas facile à trouver !</p> <p>Quoi qu’il en soit, nous les virus et les espèces que nous infectons sommes la plupart du temps liés par des centaines de milliers d’années de coévolution, si bien qu’au final nous sommes généralement bien « adaptés » les uns aux autres, avec dans la grande majorité des cas, peu de dégâts d’un côté ou de l’autre.</p> <p>Surtout, il ne faut pas oublier que nous autres virus jouons un rôle régulateur important sur les populations des autres êtres vivants (des micro-organismes aux plantes en passant par les animaux). Si nous disparaissions tous du jour au lendemain, il est possible que celles-ci finiraient par être en surpopulation, risquant de mourir de faim après avoir tellement augmenté qu’elles en épuiseraient leurs ressources… D’ailleurs, on dit que nous sommes d’une importance majeure pour l’<a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-virus-sont-une-des-forces-majeures-qui-faconnent-la-biosphere">écologie et l’évolution</a> du monde vivant.</p> <p>Et puis, nombre de virus sont bénéfiques pour vous, par exemple parce qu’ils tuent des bactéries que vous n’appréciez pas non plus vraiment. Certains envisagent même de <a href="https://www.vidal.fr/actualites/24064/la_phagotherapie_la_renaissance_d_un_vieux_traitement/">les utiliser pour suppléer aux antibiotiques !</a>. Par ailleurs, n’oublions pas que les virus peuvent avoir un effet qu’on pourrait qualifier de « neutre ». Chez l’humain, toujours, puisqu’il n’y a que cela qui vous intéresse, on recense environ 5000 virus différents, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Virus">mais moins de 3 % d’entre eux provoquent une maladie</a>, autrement dit sont « pathogènes ». Ce n’est finalement pas tant que ça…</p> <p>Enfin, il y a tous les virus qui s’intéressent tellement peu à vous que vous ne vous y intéressez pas non plus. Présents dans le sol, en suspension dans l’air, flottant dans l’eau, ils infectent les plantes, les insectes ou les étoiles de mer… On trouve par exemple un million de virus en suspension dans un litre d’eau de mer. En fait, il y a tellement de virus en <a href="https://www.nature.com/articles/nrmicro1750">suspension dans les océans</a> que, mis bout à bout et malgré leur taille ridiculement minuscule, la longueur obtenue représenterait une distance dépassant les galaxies voisines de la nôtre.</p> <p>Encore une fois, les virus sont partout, même si vous ne les voyez pas… Et parfois, ils sont sous vos yeux, et vous ne les reconnaissez pas, comme ces <a href="http://www.cnrs.fr/fr/pandoravirus-des-virus-geants-qui-inventent-leurs-propres-genes">extraordinaires virus géants</a>, plus gros que certaines bactéries, avec qui <a href="https://www.pourlascience.fr/sd/microbiologie/les-virus-geants-6759.php">on les a initialement confondus</a>…</p> <p><strong>D’ailleurs, d’où venez-vous, vous autres virus ?</strong></p> <p>J’imagine que vous voulez dire de quand venons-nous ? En fait, nous avons toujours été là. En tout cas depuis que les humains existent, et même bien avant vos premiers ancêtres animaux. Certains disent que nous sommes plus anciens que les bactéries les plus anciennes.</p> <p>Déjà présents à l’origine du vivant, nous avons joué un rôle essentiel dans l’évolution, notamment en permettant des transferts de gènes non pas d’une génération à l’autre, mais bien entre les espèces. Nous sommes tellement anciens que certains d’entre nous se sont intégrés dans vos génomes ici et là, pour finalement faire partie intégrante de vous.</p> <p>Au total, <a href="https://www.lemonde.fr/passeurdesciences/article/2012/05/28/les-humains-sont-apparentes-aux-virus_5986230_5470970.html">pas loin de 10 % de votre génome est de l’ADN de virus</a> assimilé dans vos chromosomes. Et de tous ces nouveaux gènes que nous vous avons offerts, certains sont importants, voire essentiels. Chez les mammifères par exemple, l’embryon n’est accepté par le système immunitaire de la mère malgré son caractère étranger (c’est un hybride entre le père et la mère), que par l’existence du placenta, dont l’origine est due à un virus intégré dans votre génome. Alors, merci qui ?</p> <p><strong>Et vous-même, d’où venez-vous, coronavirus SARS-CoV-2 ?</strong></p> <p>Quelle espèce mes ancêtres infectaient avant de passer chez vous ? Je ne le sais pas. Mais chauve-souris, pangolin, singe, ou autre, qu’importe ? Que feriez-vous si vous le découvriez ? Vous arrêteriez de braconner et dévorer cette espèce ? Vous l’extermineriez ? Feriez-vous pareil pour toutes les espèces dont vous risqueriez d’attraper les virus ? Impossible évidemment, il s’agirait de pratiquement tous les animaux…</p> <p>Et pourquoi cherchez-vous des coupables quand ils sont tout désignés ? Les coupables ne sont-ils pas plutôt ceux qui « vont chercher » les virus en perturbant des systèmes virus-animal relativement hermétiques depuis des millions d’années ? Si vous vous faites griffer par un chat que vous embêtez, vous allez éliminer tous les chats ? Ne devriez-vous pas plutôt apprendre à cesser de leur tirer la queue ?</p> <div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1243835409664262144"}"></div> <p><strong>Comment se débarrasser de vous ?</strong></p> <p>En théorie c’est assez simple. Il suffit de concevoir les épidémies comme des incendies de forêt. L’un et l’autre sont des phénomènes naturels, mais lorsque vous jouez avec les lois de la nature, ils peuvent devenir hors de contrôle.</p> <p>Les incendies sont, par exemple, favorisés par une accumulation de conditions favorables (comme du bois mort qui s’entasse). Après une flambée rapide, ils disparaissent généralement : soit parce qu’ils arrivent dans des zones où les arbres sont trop éloignés pour que les flammes passent de l’un à l’autre (l’équivalent de votre distanciation sociale), soit parce qu’ils arrivent dans des zones où les espèces d’arbres sont moins inflammables (ils sont immunisés contre le feu).</p> <p>Dans le cas des épidémies naturelles, la situation est relativement similaire. Elles émergent puis se propagent jusqu’à ce que la contagion soit freinée parce que la plupart des infectés échouent à contaminer d’autres personnes. Cela peut être dû au fait qu’ils n’en rencontrent plus (à cause de la mise en place de mesures de distanciation sociale, de quarantaine…), ou parce que ceux qu’ils rencontrent sont immunisés (immunité acquise lors d’une infection passée, ou grâce à la vaccination). Si le rythme des infections diminue, alors l’épidémie s’atténue, jusqu’à disparaître.</p> <p><strong>La question importante est donc plutôt de savoir comment ne pas attraper le prochain de vos congénères virus ?</strong></p> <p>Effectivement, car il ne s’agit pas de savoir « si » un nouveau virus dangereux pour l’être humain émergera à partir d’une autre espèce, mais « quand ».</p> <p>Serez-vous prêts ? Mieux vaut être capable répondre rapidement, car les épidémies venant d’animaux sauvages <a href="https://theconversation.com/lemergence-des-nouvelles-epidemies-saccelere-comment-y-faire-face-140568">se multiplient depuis quelques années</a>, et vos sociétés ont déjà goûté à mes cousins virus sur plusieurs continents…</p> <p>Nous les virus émergents avons tué des millions des vôtres, frappant parfois vos congénères au hasard, ou nous attaquant à des catégories très ciblées (comme ici les plus vulnérables physiquement). Nous avons mis à mal vos systèmes économiques et politiques, nous vous avons enfermés chez vous, terrorisés, <a href="https://theconversation.com/covid-19-entre-remedes-miracles-et-theses-complotistes-retour-sur-la-vague-infodemique-137099">fait naître les théories complotistes</a> les plus absurdes… Qu’en avez-vous retenu ?</p> <p><strong>Et vous, que nous réservez-vous dans le futur ?</strong></p> <p>Je serais bien en peine de vous le dire : moi et ma prolifique descendance nous allons au hasard des infections et des mutations.</p> <p>Si vous survivez à mon passage dans votre organisme, serez-vous immunisés contre mon retour, une fois guéris ? Je ne sais pas, et ce n’est pas mon problème. Serez-vous capables de me maintenir à distance à coup de masques et de distanciation physique lors de la seconde vague hivernale ? Nous allons le découvrir ensemble.</p> <p>Une chose est sûre : je ne resterai pas absolument identique d’une année sur l’autre. Rappelez-vous, nous les virus, nous mutons. Et si nous sommes très nombreux – comme, par exemple, quand des millions d’humains sont infectés, ce qui est le cas actuellement – alors ces mutations sont plus nombreuses aussi.</p> <hr /> <p><em><strong> À lire aussi : <a href="https://theconversation.com/coronavirus-sars-cov-2-ce-que-lon-sait-ce-que-lon-ignore-encore-146545">Coronavirus SARS-CoV-2 : ce que l’on sait, ce que l’on ignore encore</a></strong></em></p> <hr /> <p>Parmi elles, la plupart des mutations donne des souches moins viables, moins contagieuses ou moins virulentes. Celles-ci disparaîtront vite. Plus rarement, des mutations donnent des souches plus contagieuses ou plus mortelles. Même si ces mutations plus dangereuses sont moins fréquentes chez les coronavirus, plus vous avez du mal à nous tenir en échec, plus nous sommes nombreux, et donc mathématiquement plus vous augmentez les chances qu’une souche plus dangereuse apparaisse…</p> <p>Rassurez-vous cependant : un virus qui devient tellement dangereux qu’il détruit totalement sa population hôte, cela n’existe pas. Tout simplement parce qu’il détruirait en même temps ses ressources, son écosystème et son environnement. Il disparaîtrait donc du même coup. Et même si je ne suis pas intelligent, je ne suis pas assez bête pour détruire mon propre environnement. Qui le serait ?<img src="https://counter.theconversation.com/content/144470/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <p> </p> <p><span><a href="https://theconversation.com/profiles/franck-courchamp-460010">Franck Courchamp</a>, Directeur de recherche CNRS, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-paris-saclay-2174">Université Paris-Saclay</a></em></span></p> <hr /> <p> </p> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-gens-sont-mon-habitat-un-chercheur-se-met-dans-la-peau-du-coronavirus-pour-mieux-lexpliquer-144470">article original</a>.</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'les-gens-sont-mon-habitat-un-chercheur-se-met-dans-la-peau-du-coronavirus-pour-mieux-l-expliquer', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 366, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2900, 'homepage_order' => (int) 2900, 'original_url' => 'https://theconversation.com/les-gens-sont-mon-habitat-un-chercheur-se-met-dans-la-peau-du-coronavirus-pour-mieux-lexpliquer-144470', 'podcast' => false, 'tagline' => '', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'Bon pour la tête', 'description' => 'Depuis des mois, on ne parle que de lui… sans jamais cependant entendre son point de vue! 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Après tout, <em>corona</em> en latin signifie « couronne », vous le reconnaissez donc vous-même en me donnant ce nom. Je suis un petit bijou de l’évolution, pourtant, je suis resté assez simple. Paradoxalement, cette simplicité est une source d’incompréhension pour vous. Vous avez déjà du mal à vous décider sur un point aussi basique que de savoir si je suis ou non vivant… À votre décharge, vous vous posez la même question <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/biologie-cellulaire/question-de-la-semaine-peut-on-considerer-les-virus-comme-des-etres-vivants_111864">pour tous mes autres confrères virus</a>.</p> <p>Personnellement, cela m’importe peu de savoir où vous me classez. Il est vrai que mon fonctionnement diffère sensiblement de celui des êtres vivants. Vous pouvez voir en moi une sorte de machine biologique microscopique. Mon programme est très simple : survivre et me reproduire pour perdurer d’une génération à l’autre. En cela, j’ai exactement le même objectif que toutes les espèces vivantes.</p> <p>La différence est sûrement que n’ai pour cela besoin que du strict minimum : je m’introduis dans les cellules de mon hôte, et j’y emprunte tout ce qu’il faut pour fonctionner. En détournant la machinerie des cellules que j’infecte, je fabrique des copies de moi-même, je me réplique autant que je peux. Mes semblables, des particules virales toutes neuves, sont ensuite relâchées partout autour, et partent à l’assaut d’autres cellules. Nous, les <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-coronavirus-font-a-notre-corps-130898">coronavirus</a>, produisons 1000 virus par cellule infectée, en à peine dix heures !</p> <p>Et pourtant, je ne suis pas grand. Mon diamètre est de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7224694/">l’ordre de la centaine de nanomètres</a>, soit un dix-millième de millimètre.</p> <div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314996537898885121"}"></div> <p>Je suis donc mille fois plus petit que les bactéries, elles-mêmes 10 à 100 fois plus petites qu’une cellule humaine. 50 000 milliards de fois plus petit qu’une goutte d’eau. À mon échelle, vos cellules sont bien plus grandes pour moi que ne le sont vos villes pour vous.</p> <p><strong>Pourquoi infectez-vous les gens ?</strong></p> <p>C’est une question étrange. Les gens sont mon habitat, mon écosystème, et mes ressources. C’est comme si je vous demandais pourquoi vous vivez dans cette plaine ou sur cette montagne.</p> <p>Cependant, contrairement à vous, je n’ai pas une vie facile de sédentaire. Je suis un nomade, car mon vaisseau (vous, ou les animaux que j’infecte) n’est pas immortel. Afin de me perpétuer, je dois donc sans cesse passer à un autre hôte avant que le premier ne disparaisse. Il faut reconnaître que parfois, nous y sommes un peu pour quelque chose : certains de nos hôtes ne supportent pas nos proliférations, qui peuvent avoir tendance à abîmer leurs organes. Mais il arrive aussi que nos hôtes soient victimes de la guerre que nous livre leur système immunitaire, <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-frederic-altare-lobesite-facteur-tres-aggravant-du-covid-19-137920">qui finit parfois hors de contrôle</a>.</p> <p><strong>Comment nous infectez-vous ?</strong></p> <p>En ce qui me concerne, mes moyens sont simples et vous avez déjà percé certains de mes secrets, comme celui qui consiste à voyager dans les gouttelettes de postillons, d’éternuement, et à rester sur les mains ou les objets manipulés par les gens qui ont touché leur salive ou leur morve.</p> <p>Je peux caser <a href="https://www.adioscorona.org/questions-reponses/2020-04-21-chiffres-sars-covid.html">100 milliards de mes congénères par millilitre dans un crachat</a> et je peux tenir <a href="https://www.adioscorona.org/questions-reponses/2020-04-23-combien-de-temps-le-virus-est-il-infectieux.html">5 jours sur du plastique ou 7 jours sur un masque chirurgical</a>. Je ne suis pas très sophistiqué, mais efficace. Comme tous les autres virus en fait. L’efficacité, ça nous connaît, nos adaptations n’ont pas de limites.</p> <hr /> <p><em><strong> À lire aussi : <a href="https://theconversation.com/coronavirus-sars-cov-2-ce-que-lon-sait-ce-que-lon-ignore-encore-146545">Coronavirus SARS-CoV-2 : ce que l’on sait, ce que l’on ignore encore</a></strong></em></p> <hr /> <p>Prenons, par exemple, la difficulté majeure de la transmission à un autre hôte. Pourquoi croyez-vous que lorsque vous êtes infectés, vous éternuez ? Une fois contaminé, vous voilà transformé en puissant spray capable de nous transporter à plus de 50 km/h dans un nuage de dizaines de milliers de gouttelettes vers nos nouvelles victimes (ou dans vos mains, que vous mettez ensuite un peu partout).</p> <figure><iframe frameborder="0" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/piCWFgwysu0?wmode=transparent&start=0" width="440"></iframe> <figcaption><span>L’éternuement est un moyen très efficace de diffusion des pathogènes respiratoires…</span></figcaption> </figure> <p>Autre exemple : pas facile de bouger quand on n’a pas de pied. Heureusement, vous avez de la morve, et vous en produisez d’autant plus quand nous vous infectons, nous les virus respiratoires. Pas étonnant : c’est un moyen de transport bien pratique pour nous transmettre plus facilement… Certains autres virus choisissent des fluides différents, liquéfient vos selles et vous donnent la diarrhée. Résultat : une transmission de masse très efficace également… Aucun contact avec personne ? Qu’à cela ne tienne : nous pouvons nous loger dans vos fluides séminaux et nous transmettre lors des rapports sexuels. Vous pouvez vous isoler tant que vous voudrez, en tant qu’espèce, vous êtes bien obligés de passer par la reproduction à un moment où à un autre…</p> <p>Quant aux virus qui font changer les comportements pour permettre une transmission plus facile, comme la rage, qui désoriente et rend agressif, prêt à mordre, difficile de lutter contre ça, n’est-ce pas…</p> <figure><img src="https://images.theconversation.com/files/356802/original/file-20200907-24-1rfijqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="" /> <figcaption><span>Micrographie électronique à balayage d’une cellule fortement infectée par des particules du virus du SRAS-CoV-2 (en jaune), isolée à partir d’un échantillon prélevé sur un patient.</span> <span><a href="https://www.flickr.com/photos/nihgov/50098153461/in/photolist-2jynB5V-2jk2hum-2jk18mh-2iTjLFU-2iEP3MV-2iH8Kxi-2iERQ6u-2jcerea-2jfwmb2-2jfwm7p-2iCRVSJ-2jk18Cz-2jfwm3X-2iTjLJQ-2iH8KzC-2jk18s4-2iDVeRk-2ivWYAQ-2iYmxva-2j4dFiW-2iLBJKi-2iCRVRX-2inuGL9-2iCUCv6-2ivY9Xk-2iETgaX-2jciuth-2iERQ8d-2iERQiZ-2itfPmQ-2iCUCvw-2iG5wqt-2ivY9VB-2jfzdMX-2iLBJK3-2iDSu3E-2iDVeUX-2iDSu77-2iDWFNp-2iDVeVt-WwL7yT-2iERQmQ-2iNeJNB-2iG5wss-2iCUCvr-wewpg4-2ivUoUn-2ivUoW6-2ivUoVj-2itgZyx/">NIAID/NIH</a></span></figcaption> </figure> <p><strong>Pourquoi vous, virus, en voulez-vous ainsi aux humains ?</strong></p> <p>Il ne faut pas être si nombriliste. Nous ne vous en voulons pas, nous n’éprouvons aucun sentiment, ni bon ni mauvais, envers vous. Vous êtes juste des vaisseaux de choix.</p> <p>Car il faut dire qu’en tant qu’hôtes, les humains sont parfaits. Ils nous facilitent les choses à de nombreux points de vue. Déjà, ils vivent souvent dans des lieux très denses, et leur population globale est interconnectée. Ce qui nous donne à nous autres virus presque systématiquement accès à la totalité des hôtes disponible, d’un bout à l’autre de la planète !</p> <p>Je l’ai bien démontré ces derniers mois : parti d’une région quelconque de Chine, j’ai très rapidement (et sans petites pattes), réussi à m’inviter sur tous les continents, et jusque dans les coins les plus reculés du globe. Les autres populations animales sont généralement fragmentées, ce qui limite notre potentiel de dispersion et nous cantonne à de petites régions. On y tourne un peu en rond. Mais avec les humains, c’est autre chose ! Plus une mer, plus une montagne ne nous arrête. Nous voyageons d’un hôte à l’autre par bateau, par avion : des perspectives sans frontières, sans limites ! En théorie, en moins d’une semaine, je peux créer des foyers d’infection sur tous les continents.</p> <div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1323194990382796800"}"></div> <p>En outre, vous nous facilitez les choses : les êtres humains maintiennent une grande partie de leur population dans des conditions sanitaires assez déplorables, ce qui facilite grandement notre transmission. Sans parler des comportements de certains de vos dirigeants, qui n’ont soit pas la moralité soit pas l’intelligence d’agir avec responsabilité. Tout cela crée pour nous des opportunités incroyables dans certains coins du monde, où l’épidémie est officiellement minimisée pour ne pas avoir à être contrôlée…</p> <p><strong>Mais, à la base, vous n’infectiez pas les humains…</strong></p> <p>Effectivement, j’étais <a href="https://theconversation.com/covid-19-lanalyse-des-genomes-revelerait-une-origine-double-du-virus-133797">à l’origine inféodé à d’autres espèces animales</a>. Mais pour toutes les raisons que je viens d’expliquer, nous, les <a href="https://theconversation.com/maladies-emergentes-dorigine-animale-dou-viendra-la-prochaine-menace-136208">virus qui infectons d’autres animaux</a> que l’être humain, avons de quoi être jaloux de ceux qui ont su s’adapter à un tel hôte ! Toutefois, à force de nous copier et nous recopier au sein des cellules que nous infectons, il se trouve que de temps à autre, une de nos répliques mute, et devient légèrement différente des autres. Et, de temps en temps, un de ces mutants tire le gros lot : sa mutation le rend capable de survivre dans – et de se transmettre via – d’autres animaux que ceux que ses congénères infectent habituellement. Cette nouvelle souche de virus est alors prête à changer d’hôte.</p> <p>Mais cette situation est très rare. D’autant plus rare qu’il ne s’agit pas seulement d’acquérir la capacité à infecter une nouvelle espèce animale : encore faut-il en être assez proche pour pouvoir l’infecter ! La probabilité que ces événements coïncident est assez infime, mais deux facteurs jouent pour nous.</p> <p>D’une part, nous sommes très, très nombreux. Vous êtes environ 5000 espèces de mammifères ? Nous avons environ 320 000 virus différents infectant les mammifères ! Une bien belle panoplie de possibilités, puisque plus il y a de virus, plus il y a de mutations.</p> <p>D’autre part, vous les humains nous facilitez la chose en multipliant les contacts avec les autres espèces, et donc les chances que l’on a de vous rencontrer, et de passer chez vous. Entre toutes ces incursions brutales que vous effectuez dans les territoires fragilisés d’espèces déjà stressées par la chasse, le manque d’habitat et de ressources, la pollution ou le climat, et toutes les espèces sauvages que vous chassez, encagez, entassez sur vos marchés, mangez plus ou moins bien cuites, à raison de millions de tonnes par an, les opportunités de vous infecter sont de plus en plus fréquentes. C’est ainsi que le <a href="https://www.ird.fr/layout/set/print/la-mediatheque/fiches-d-actualite-scientifique/465-l-origine-geographique-du-sida-a-present-connue">VIH</a>, le <a href="http://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/4817">SRAS</a>, l’<a href="https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/ebola">Ebola</a>, le <a href="https://theconversation.com/virus-zika-premiers-cas-de-transmission-en-france-metropolitaine-par-le-moustique-tigre-125675">Zika</a> ou le <a href="https://theconversation.com/mers-comment-ce-virus-a-emerge-et-ce-que-lon-peut-faire-56374">MERS</a> sont passés chez vous ces dernières années.</p> <p>On peut d’ailleurs ajouter que lorsqu’un virus ne tombe pas sur l’humain, mais sur une de ses espèces domestiques, le résultat est assez similaire. Lorsque vous grignotez le territoire des chauves-souris et installez aux pieds de leurs habitats dévastés des élevages intensifs de porcs, vous augmentez les chances qu’un virus de chauve-souris (au hasard, le <a href="https://www.who.int/csr/disease/nipah/fr/#:%7E:text=Le%20virus%20Nipah%20a%20%C3%A9t%C3%A9,avait%20pas%20d%E2%80%99h%C3%B4te%20interm%C3%A9diaire.">Nipah</a>) passe au porc lorsque celui-ci entre en contact avec leur salive ou leurs déjections (dans lesquels les virus sont présents). Comme ces porcs vivent en très grande densité et en conditions sanitaires appauvries, les chances de transmissions augmentent et rien ne nous arrête.</p> <p>Imaginez des hôtes côte à côte, à perte de vue, affaiblis, stressés, vivants dans leurs déjections et parmi les cadavres déjà tombés, pour un virus, c’est buffet à volonté ! C’est ainsi que les copains de la <a href="https://theconversation.com/grippe-aviaire-comment-le-virus-h5n1-a-contamine-les-elevages-francais-1-53601">grippe aviaire H5N1</a> et de la grippe porcine ont pris d’assaut les élevages de volailles et de porcs il y a quelques années. Ces concentrations d’hôtes en mauvaise santé mènent à des concentrations extraordinaires de virus. Cela augmente nos chances de passer ensuite de l’animal domestique à l’humain. Comme le Nipah (qui entraîne de 40 à 75 % de mortalité chez vous), ou le H5N1.</p> <div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1228391003519934471"}"></div> <p>Et comme je l’ai dit plus haut, la difficulté (toute relative maintenant) est d’infecter le premier humain. Après, votre système de mondialisation fait le reste. À croire que vous avez créé tout cela pour la libre circulation des virus ! Donc, merci beaucoup, thank you very much, danke schöne, 衷心感谢, muchas gracias, большое спасибо, etc.</p> <p><strong>Avez-vous conscience du mal que vous faites ?</strong></p> <p>Nous ne vous voulons pas plus de mal qu’un mouton ne voudrait du mal à une touffe d’herbe. Si l’on avait le choix, évidemment on préférerait que nos humains infectés ne meurent jamais et continuent à nous abriter indéfiniment. Ça nous faciliterait grandement la vie, croyez-moi. Mais leur caractère mortel nous pousse parfois à nous répliquer rapidement pour pouvoir infecter un autre humain avant que le premier ne meure. Cette réplication intense crée des symptômes qui leur sont parfois nocifs, voire même fatals. Un des problèmes est que si l’on reste tranquille et faisons profil bas, nos faibles effectifs de départ risquent d’être rapidement submergés par vos défenses immunitaires, si nous ne parvenons pas à nous cacher assez bien dans votre corps. Entre survivre sans trop nuire et être éliminé, l’équilibre n’est pas facile à trouver !</p> <p>Quoi qu’il en soit, nous les virus et les espèces que nous infectons sommes la plupart du temps liés par des centaines de milliers d’années de coévolution, si bien qu’au final nous sommes généralement bien « adaptés » les uns aux autres, avec dans la grande majorité des cas, peu de dégâts d’un côté ou de l’autre.</p> <p>Surtout, il ne faut pas oublier que nous autres virus jouons un rôle régulateur important sur les populations des autres êtres vivants (des micro-organismes aux plantes en passant par les animaux). Si nous disparaissions tous du jour au lendemain, il est possible que celles-ci finiraient par être en surpopulation, risquant de mourir de faim après avoir tellement augmenté qu’elles en épuiseraient leurs ressources… D’ailleurs, on dit que nous sommes d’une importance majeure pour l’<a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-virus-sont-une-des-forces-majeures-qui-faconnent-la-biosphere">écologie et l’évolution</a> du monde vivant.</p> <p>Et puis, nombre de virus sont bénéfiques pour vous, par exemple parce qu’ils tuent des bactéries que vous n’appréciez pas non plus vraiment. Certains envisagent même de <a href="https://www.vidal.fr/actualites/24064/la_phagotherapie_la_renaissance_d_un_vieux_traitement/">les utiliser pour suppléer aux antibiotiques !</a>. Par ailleurs, n’oublions pas que les virus peuvent avoir un effet qu’on pourrait qualifier de « neutre ». Chez l’humain, toujours, puisqu’il n’y a que cela qui vous intéresse, on recense environ 5000 virus différents, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Virus">mais moins de 3 % d’entre eux provoquent une maladie</a>, autrement dit sont « pathogènes ». Ce n’est finalement pas tant que ça…</p> <p>Enfin, il y a tous les virus qui s’intéressent tellement peu à vous que vous ne vous y intéressez pas non plus. Présents dans le sol, en suspension dans l’air, flottant dans l’eau, ils infectent les plantes, les insectes ou les étoiles de mer… On trouve par exemple un million de virus en suspension dans un litre d’eau de mer. En fait, il y a tellement de virus en <a href="https://www.nature.com/articles/nrmicro1750">suspension dans les océans</a> que, mis bout à bout et malgré leur taille ridiculement minuscule, la longueur obtenue représenterait une distance dépassant les galaxies voisines de la nôtre.</p> <p>Encore une fois, les virus sont partout, même si vous ne les voyez pas… Et parfois, ils sont sous vos yeux, et vous ne les reconnaissez pas, comme ces <a href="http://www.cnrs.fr/fr/pandoravirus-des-virus-geants-qui-inventent-leurs-propres-genes">extraordinaires virus géants</a>, plus gros que certaines bactéries, avec qui <a href="https://www.pourlascience.fr/sd/microbiologie/les-virus-geants-6759.php">on les a initialement confondus</a>…</p> <p><strong>D’ailleurs, d’où venez-vous, vous autres virus ?</strong></p> <p>J’imagine que vous voulez dire de quand venons-nous ? En fait, nous avons toujours été là. En tout cas depuis que les humains existent, et même bien avant vos premiers ancêtres animaux. Certains disent que nous sommes plus anciens que les bactéries les plus anciennes.</p> <p>Déjà présents à l’origine du vivant, nous avons joué un rôle essentiel dans l’évolution, notamment en permettant des transferts de gènes non pas d’une génération à l’autre, mais bien entre les espèces. Nous sommes tellement anciens que certains d’entre nous se sont intégrés dans vos génomes ici et là, pour finalement faire partie intégrante de vous.</p> <p>Au total, <a href="https://www.lemonde.fr/passeurdesciences/article/2012/05/28/les-humains-sont-apparentes-aux-virus_5986230_5470970.html">pas loin de 10 % de votre génome est de l’ADN de virus</a> assimilé dans vos chromosomes. Et de tous ces nouveaux gènes que nous vous avons offerts, certains sont importants, voire essentiels. Chez les mammifères par exemple, l’embryon n’est accepté par le système immunitaire de la mère malgré son caractère étranger (c’est un hybride entre le père et la mère), que par l’existence du placenta, dont l’origine est due à un virus intégré dans votre génome. Alors, merci qui ?</p> <p><strong>Et vous-même, d’où venez-vous, coronavirus SARS-CoV-2 ?</strong></p> <p>Quelle espèce mes ancêtres infectaient avant de passer chez vous ? Je ne le sais pas. Mais chauve-souris, pangolin, singe, ou autre, qu’importe ? Que feriez-vous si vous le découvriez ? Vous arrêteriez de braconner et dévorer cette espèce ? Vous l’extermineriez ? Feriez-vous pareil pour toutes les espèces dont vous risqueriez d’attraper les virus ? Impossible évidemment, il s’agirait de pratiquement tous les animaux…</p> <p>Et pourquoi cherchez-vous des coupables quand ils sont tout désignés ? Les coupables ne sont-ils pas plutôt ceux qui « vont chercher » les virus en perturbant des systèmes virus-animal relativement hermétiques depuis des millions d’années ? Si vous vous faites griffer par un chat que vous embêtez, vous allez éliminer tous les chats ? Ne devriez-vous pas plutôt apprendre à cesser de leur tirer la queue ?</p> <div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1243835409664262144"}"></div> <p><strong>Comment se débarrasser de vous ?</strong></p> <p>En théorie c’est assez simple. Il suffit de concevoir les épidémies comme des incendies de forêt. L’un et l’autre sont des phénomènes naturels, mais lorsque vous jouez avec les lois de la nature, ils peuvent devenir hors de contrôle.</p> <p>Les incendies sont, par exemple, favorisés par une accumulation de conditions favorables (comme du bois mort qui s’entasse). Après une flambée rapide, ils disparaissent généralement : soit parce qu’ils arrivent dans des zones où les arbres sont trop éloignés pour que les flammes passent de l’un à l’autre (l’équivalent de votre distanciation sociale), soit parce qu’ils arrivent dans des zones où les espèces d’arbres sont moins inflammables (ils sont immunisés contre le feu).</p> <p>Dans le cas des épidémies naturelles, la situation est relativement similaire. Elles émergent puis se propagent jusqu’à ce que la contagion soit freinée parce que la plupart des infectés échouent à contaminer d’autres personnes. Cela peut être dû au fait qu’ils n’en rencontrent plus (à cause de la mise en place de mesures de distanciation sociale, de quarantaine…), ou parce que ceux qu’ils rencontrent sont immunisés (immunité acquise lors d’une infection passée, ou grâce à la vaccination). Si le rythme des infections diminue, alors l’épidémie s’atténue, jusqu’à disparaître.</p> <p><strong>La question importante est donc plutôt de savoir comment ne pas attraper le prochain de vos congénères virus ?</strong></p> <p>Effectivement, car il ne s’agit pas de savoir « si » un nouveau virus dangereux pour l’être humain émergera à partir d’une autre espèce, mais « quand ».</p> <p>Serez-vous prêts ? Mieux vaut être capable répondre rapidement, car les épidémies venant d’animaux sauvages <a href="https://theconversation.com/lemergence-des-nouvelles-epidemies-saccelere-comment-y-faire-face-140568">se multiplient depuis quelques années</a>, et vos sociétés ont déjà goûté à mes cousins virus sur plusieurs continents…</p> <p>Nous les virus émergents avons tué des millions des vôtres, frappant parfois vos congénères au hasard, ou nous attaquant à des catégories très ciblées (comme ici les plus vulnérables physiquement). Nous avons mis à mal vos systèmes économiques et politiques, nous vous avons enfermés chez vous, terrorisés, <a href="https://theconversation.com/covid-19-entre-remedes-miracles-et-theses-complotistes-retour-sur-la-vague-infodemique-137099">fait naître les théories complotistes</a> les plus absurdes… Qu’en avez-vous retenu ?</p> <p><strong>Et vous, que nous réservez-vous dans le futur ?</strong></p> <p>Je serais bien en peine de vous le dire : moi et ma prolifique descendance nous allons au hasard des infections et des mutations.</p> <p>Si vous survivez à mon passage dans votre organisme, serez-vous immunisés contre mon retour, une fois guéris ? Je ne sais pas, et ce n’est pas mon problème. Serez-vous capables de me maintenir à distance à coup de masques et de distanciation physique lors de la seconde vague hivernale ? Nous allons le découvrir ensemble.</p> <p>Une chose est sûre : je ne resterai pas absolument identique d’une année sur l’autre. Rappelez-vous, nous les virus, nous mutons. Et si nous sommes très nombreux – comme, par exemple, quand des millions d’humains sont infectés, ce qui est le cas actuellement – alors ces mutations sont plus nombreuses aussi.</p> <hr /> <p><em><strong> À lire aussi : <a href="https://theconversation.com/coronavirus-sars-cov-2-ce-que-lon-sait-ce-que-lon-ignore-encore-146545">Coronavirus SARS-CoV-2 : ce que l’on sait, ce que l’on ignore encore</a></strong></em></p> <hr /> <p>Parmi elles, la plupart des mutations donne des souches moins viables, moins contagieuses ou moins virulentes. Celles-ci disparaîtront vite. Plus rarement, des mutations donnent des souches plus contagieuses ou plus mortelles. Même si ces mutations plus dangereuses sont moins fréquentes chez les coronavirus, plus vous avez du mal à nous tenir en échec, plus nous sommes nombreux, et donc mathématiquement plus vous augmentez les chances qu’une souche plus dangereuse apparaisse…</p> <p>Rassurez-vous cependant : un virus qui devient tellement dangereux qu’il détruit totalement sa population hôte, cela n’existe pas. Tout simplement parce qu’il détruirait en même temps ses ressources, son écosystème et son environnement. Il disparaîtrait donc du même coup. Et même si je ne suis pas intelligent, je ne suis pas assez bête pour détruire mon propre environnement. Qui le serait ?<img src="https://counter.theconversation.com/content/144470/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <p> </p> <p><span><a href="https://theconversation.com/profiles/franck-courchamp-460010">Franck Courchamp</a>, Directeur de recherche CNRS, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-paris-saclay-2174">Université Paris-Saclay</a></em></span></p> <hr /> <p> </p> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-gens-sont-mon-habitat-un-chercheur-se-met-dans-la-peau-du-coronavirus-pour-mieux-lexpliquer-144470">article original</a>.</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'les-gens-sont-mon-habitat-un-chercheur-se-met-dans-la-peau-du-coronavirus-pour-mieux-l-expliquer', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 366, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2900, 'homepage_order' => (int) 2900, 'original_url' => 'https://theconversation.com/les-gens-sont-mon-habitat-un-chercheur-se-met-dans-la-peau-du-coronavirus-pour-mieux-lexpliquer-144470', 'podcast' => false, 'tagline' => '', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5295, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Un bien cruel conte de Noël (1)', 'subtitle' => 'Catherine et Pierre forment un couple épanoui. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p> <p>Mais Pierre a changé.</p> <p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p> <p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p> <p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. Ce que j’ai découvert est effrayant…</p> <p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p> <hr /> <h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="149" height="206" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /><span>et de<br /></span><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="154" height="207" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'un-bien-cruel-conte-de-noel-1', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 39, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5284, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les ramasseurs de déchets, grands perdants du récit dominant sur la pollution plastique', 'subtitle' => 'A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1er décembre, se sont soldées par un échec. 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En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p> <ul> <li> <p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p> </li> <li> <p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. 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Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.</p> <p>Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.</p> <p>Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.</p> <h3>Qui sont les ramasseurs informels de déchets?</h3> <p>Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344924001824#sec0021">grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale</a>. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. 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Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p> <p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p> <p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. 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Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 42, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5283, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes', 'subtitle' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'subtitle_edition' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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Parmi eux, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Panama_Papers"><em>The Panama Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pandora_Papers"><em>Pandora Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Suisse_Secrets"><em>Suisse Secrets</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/narcofiles-the-new-criminal-order"><em>Narco Files</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/the-pegasus-project/about-the-project"><em>Pegasus Project</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Cyprus_Confidential"><em>Cyprus Confidential </em></a>et la série <a href="https://de.wikipedia.org/wiki/Die_Geldw%C3%A4scherei"><em>Laundromat</em></a>, qui a révélé les systèmes de blanchiment d'argent des élites dirigeantes en Azerbaïdjan et en Russie.</p> <h3><strong>Non sans conditions</strong></h3> <p>Les agences gouvernementales américaines ne financent pas l'OCCRP sans contrepartie: l'<a href="https://www.usaid.gov/"> U.S. Agency for International Development</a> dispose d'un droit de veto sur la nomination des dirigeants de l'OCCRP. De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». Confronté aux dernières découvertes, il a finalement reconnu l'importance du financement de Washington: «C'est le plus grand bailleur de fonds de l'OCCRP, oui, et ce depuis presque le début de notre histoire. [...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p> <p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p> <h3><strong>Conditions posées</strong></h3> <p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p> <p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p> <h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3> <p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p> <p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Jack MacHost 05.11.2020 | 09h39
«Superbe article, merci beaucoup.
Réussir à nous faire passer un bon moment avec ce sujet, voilà qui n'est pas un mince exploit.
Bon pour la tête porte bien son nom sur ce coup.
»
@PiDü 05.11.2020 | 10h24
«Excellent, super… J'ai pourtant lu pas mal d'articles, consulté Universalis et naturellement Wiki… Là j'ai l'impression d'avoir tout compris ! !! Merci»
@hermes 15.11.2020 | 16h33
«Article passionnant. Pas très rassurant mais excellent pour nous faire comprendre la machinerie virale.»