Actuel / Le Suisse qui ausculte le monde… depuis Kaboul
Le journaliste suisse Franz J. Marty, en direct de Kaboul pour la chaîne France 24. © Capture d'écran France 24
Le visage de Franz J. Marty est devenu soudain familier des télévisions germanophones et anglophones. Ce journaliste suisse est resté à Kaboul après la victoire des talibans et continue de communiquer à travers internet et donne d’impeccables interviews en vidéo. Ce connaisseur de l’Afghanistan − il y est établi depuis 2014 − n’est pas un correspondant comme les autres. Il est l’un des jeunes chercheurs qui ont créé le «Swiss Institute for Global Affairs (SIGA)», une plateforme consacrée à la géopolitique.
Le personnage est impressionnant, avec sa grosse barbe noire et son calme absolu. Il a déclaré à la TV allemande Das Erste pouvoir continuer son travail «pour le moment» sans encombres. Les talibans ont fait savoir que les journalistes peuvent travailler librement. A condition, ont-ils précisé, qu’ils le fassent avec objectivité, ne relatant pas seulement les situations dramatiques mais aussi le lent retour à la vie normale. Mais le cadre précis de cet exercice n’a pas encore été communiqué. Marty reste en contact avec ses informateurs, des ex-officiers de l’armée en déroute, des politiciens de divers bords, et son réseau d’amis et amies. Il explique que des actes de vengeance ont été relevés mais que ceux-ci ne se sont pas généralisés. Des ex-militaires lui ont dit avoir été bien traités par les vainqueurs. Quant aux femmes, bien qu’autorisées à se rendre au travail, à l’école et à l’université, on en voit fort peu dans les rues. La peur subsiste dans l’attente des prochaines décisions d’un gouvernement et d’un programme qui reste à s’affirmer.
«Sismographe de la géopolitique»
Cet observateur averti ne se laisse aller à aucun emballement médiatique et se garde de prévoir ce qui va se passer. Il faut dire que son expérience est grande. Avant de crapahuter dans les contrées les plus agitées de l’Afghanistan, il a sillonné l’Asie centrale, l’Iran, la Jordanie, l’Egypte et la Russie. Avec une attention particulière sur les enjeux internationaux et militaires. La NZZ le qualifie de «sismographe de la géopolitique». Une approche qu’il développe avec ses amis fondateurs du Swiss Institute for Global Affairs. Les animateurs de ce lieu de réflexion, Remo Reginold et Urs Vögeli, cités par le journal zurichois, résument ainsi leur démarche: «C’est une perspective sociale et anthropologique qui aide à déconstruire les grands narratifs des puissances au pouvoir.» Comprendre en profondeur ce qui se passe dans le monde et concerne la Suisse. Dans un langage très académique, le site globalaffairs.ch explique sa méthode basée sur des réseaux de compétences, hors des catégories et limites habituelles. En bref, sortir des discours fabriqués par les porte-parole de tous bords, percevoir les réalités du terrain et dessiner en profondeur les relations de pouvoir et leur évolution. Un exemple? Il est souvent dit que la Chine est la grande gagnante en Afghanistan. Or les Chinois se méfient profondément des talibans, même s’ils sont prêts à commercer avec eux. Et les Afghans, traditionnellement, sont fort réticents face à leur puissant voisin. Ceux-ci, avec leurs propres divisions, se trouvent plus que jamais à une charnière mouvante de l’Asie. Le regard et le savoir de Franz J. Marty sont fort précieux pour qui, songeant à cela, ne se contentent pas des gros titres.
Une vaste palette d'outils d'information
Ces chercheurs hors-cadre offrent sur leur site une vaste palette d’outils, textes longs et courts, cartes, vidéos, invitations à des rencontres. L’exploration porte aussi bien sur le langage des officiels que sur celui des réseaux sociaux. Le choix des mots et leur arrière-plan en dit tant sur le cours des événements.
L’équipe de base peut compter sur plusieurs spécialistes qui apportent leurs contributions occasionnelles. Un team de connaisseurs des Balkans, établis à Belgrade, Pristina et Skopje s’est associé à l’entreprise. A lire aussi!
Une découverte, cet «institut» hors normes. Car l’intelligence géopolitique portée à ce point de raffinement n’est pas courante. Elle est d’autant plus remarquable qu’elle n’est pas issue du système académique, choyé par les pouvoirs publics mais emmuré dans ses disciplines. Tous les animateurs du site gagnent leur vie dans divers autres emplois. Ils assument eux-mêmes les coûts de l’opération, en totale indépendance. Chapeau.
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.</p> <p>N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. Conscients d’être dans une dictature, nous constations que chacun exprimait sans peur sa foi, son appartenance. Nous avions visité l’admirable mosquée des Omeyyades à Damas. Nous nous sommes étonnés auprès de deux jeunes filles de voir tant de monde, des familles en sortie, un dimanche et non un vendredi. Elles éclatèrent de rire: «Mais c’est le jour de Pâques!». Comme Noël, les jours de fêtes chrétiennes sont officiellement fériés en Syrie. Jusqu’à quand?</p> <p>Le prêtre d’Alep, devenu un ami, qui vit aujourd’hui en France, n’a pas le cœur à applaudir le tournant actuel. Il s’est exilé avec les siens après que sa fille de dix-huit ans ait été débarquée d’un bus, violée et assassinée parce qu’elle portait une croix autour du cou. Par des «rebelles modérés» comme on disait à l’époque. 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Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.</p> <p>Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. Tout comme la rivale du vainqueur, arrivée en deuxième position, Elena Lasconi, qui voit là «un retour des jours sombres du communisme». Mme von der Leyen croit bon au contraire d’appuyer le président roumain sortant qui réclame une enquête sur les ingérences hypothétiques de la Russie lors de la campagne, largement menée sur les réseaux sociaux.</p> <h3><strong>Qui veut la peau de Călin Georgescu ?</strong></h3> <p>C’est piquant si l’on songe que sur l’autre bord, l’influence américaine pèse lourd sur ce pays. Son commandant en chef, le général Vlad, a été formé dans la plus haute école militaire aux USA et a même participé à l’opération menée contre l’Irak en 2003. Depuis la guerre en Ukraine, la pression de l’OTAN et des lobbies de l’armement est énorme. Le budget de la défense roumaine a augmenté de 53 %, il représente 3 % du PIB. Une grande base est en construction à la frontière avec la Russie. Des contingents étrangers sont sur place, notamment avec environ 1000 soldats français. </p> <p>Alors évidemment Georgescu est un gêneur. Il ne veut pas quitter l’OTAN, mais considère que l’intérêt de la Roumanie, c’est l’arrêt au plus vite de la guerre. Ce qui lui vaut aussitôt chez nous l’étiquette de pro-russe. Il s’oppose aussi à une dépense prévue de 6,5 milliards de dollars pour l’achat d’une flotte de FA-35 dans un pays où le quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. On voit dès lors qui veut sa peau, au-delà des appareils politiques locaux accrochés à leurs pouvoirs et leurs privilèges. </p> <p>L’impertinent aggrave encore son cas avec sa revendication d’un meilleur contrôle et d’une plus forte imposition des sociétés internationales (notamment américaines, françaises, autrichiennes, kazakhs, émiratis... et russes) qui exploitent les considérables ressources minières de la Roumanie, pétrole et gaz en tête. 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Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. Plus inquiétant pour lui: divers services s’activent pour trouver quelques charges à son encontre qui permettraient d’écarter une nouvelle candidature. «Comme il n’y a rien à me reprocher, il leur faut du temps pour fabriquer des preuves…», commente l’intéressé. Il appelle de ses vœux des enquêteurs internationaux, européens, américains. Ajoutant: «Nous respectons nos partenaires démocratiques, mais j’ai le sentiment qu’ils nous lâchent, j’espère me tromper.»</p> <h3><strong>L’Union européenne discréditée </strong></h3> <p>Il y a bien lâchage du côté de Mme von der Leyen et ses gens. Soucieux d’abord de s’aligner sur la ligne de l’OTAN et de l’administration Biden, entraînant tant de médias dans ce sillage. Il s’agit là d’une dérive de l’UE et de ses principes. Une fois de plus, la tactique du «deux poids deux mesures». On tance un Erdogan, un Fico (le président slovaque), mais pas un mot sur le président roumain Iohannis qui prolonge son mandat en cassant une élection. 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1 Commentaire
@clm 10.09.2021 | 07h58
«Merci pour cette référence "extra muros".»