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Actuel / A quand l'antivirus de la cyberaddiction?

David Glaser

7 novembre 2017

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Addiction Suisse a tenu une conférence début octobre sur l'impact des TIC au travail. Autrement dit, il a été question de l'hyperconnectivité des employés et de leurs managers. Les ravages de ce mal contemporain aussi appelé «cyberaddiction» se font sentir à la fois chez les cadres et chez leurs subordonnés. L'organisation a invité au pupitre une dizaine de spécialistes de santé au travail et de la question numérique. Pour éviter le «burnout digital», ils ont distillé analyses et conseils. Les 150 professionnels de santé et d'autres corps de métier connectés présents dans la salle ont pu aussi exprimer leurs inquiétudes face à un phénomène qui rejoint les autres cyberaddictions comme les jeux en ligne ou la cyberpornographie sur un point: le malade n'a pas toujours conscience de son addiction. Reportage multimédia avec des interviews enregistrées au smartphone.



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Chaque matin, Donald Trump donne le ton de sa politique tout feu tout flamme via un petit message de 140 caractères. Un jour sans tweet en provenance de Washington DC, c'est long comme un jour sans pain. On se prend à se faire du souci pour le présent hyperconnecté de la première puissance numérique du monde. A-t-il lâché l'affaire? Est-il malade? Et si c'était le contraire? Si «The Donald» était justement atteint d'un syndrome bien réel en étant accroc au «tweeting» quotidien intempestif, victime de l'addiction aux médias numériques. Il y a plusieurs appellations du mal qui frappent les hypercommunicants comme Trump: la cyberdépendance, la nomophobie ou le fomo (la peur de louper quelque chose), le burnout numérique... On parle aujourd'hui selon Addiction Suisse d'addiction d'usage problématique ou symptomatique car tous au sein du monde scientifique ne parlent pas d'une même voix pour classer l'usage d'Internet parmi les addictions. La Suisse est l'un des premiers pays à utiliser le web. En 1997, 7% de la population se connectait au moins une fois par semaine au réseau des réseaux comme on l'appelait à l'époque. Aujourd'hui, c'est 85% selon l'office fédéral de la statistique.

Dwight Rodrick, responsable de prévention et de formation en entreprises pour Addiction Suisse et organisateur de la conférence. © DR

Certains utilisateurs perdent le contrôle de leur utilisation d'Internet ou d'une activité en ligne et n'arrivent plus à s'en passer. Dans le monde du travail, pas d'exception, cette addiction au web peut aller de pair avec les nouvelles activités économiques générées par le numérique, nécessitant de nouvelles compétences. Cette consommation «nomophobique» est un problème qui entraîne des dégâts dans les organisations, un travail de moins bonne qualité dû à la fatigue, l'anxiété ou la démotivation des employés, toutes catégories confondues. En cas de symptômes révélés, vous êtes fortement prié d'entamer une cyber-detox ou une déconnexion pour éviter de causer de plus graves dégâts chez vous et dans votre entreprise.

Attention à l'isolement

L'expert en comportements addictifs, Thierry Le Fur monte à la tribune organisée par Dwight Rodrick, responsable de prévention et de formation en entreprises pour Addiction Suisse. L'ancien cadre en marketing, «alcoolodépendant» comme il le dit en se présentant, constate que la relation avec le temps a changé. Il y a une connexion trop forte chez les cadres en dehors du travail. 80% d'entre eux sont accros. Le temps, c'est aussi cette modification de sa gestion, «c'est le multitâches, on fait plusieurs choses en même temps. Le problème, c'est que le cerveau ne sait plus se poser et ne sait plus se concentrer.» Selon le spécialiste, on crée une porosité avec ces cadres qui utilisent le numérique à titre professionnel chez eux, mais qui l'utilisent aussi à titre privé au travail. «Quand les gens commencent à s'isoler derrière un écran au travail, ils s'isolent aussi chez eux» analyse-t-il.


Quels sont les remèdes aux addictions au numérique dans le travail? La réponse, de Thierry Le Fur, expert en comportements numériques et addictifs:



En Suisse et au Québec, il y a un homme qui observe les TIC (technologies de l'information et de la communication) de près. Il voit ces petites bêtes lumineuses et mobiles rendre certains employés un peu toc-toc. Il s'appelle Christian Voirol, professeur HES-SO à Neuchâtel. Et comme les smartphones modernes devenus des assistants de vie (Siri, Alexa...), il n'a pas la langue dans sa poche. Pour le professeur, les TIC ne mènent pas obligatoirement aux TOC (troubles obsessionnels compulsifs) mais il faut les maîtriser, donner des garde-fous aux directions des entreprises et aux employés. Le droit à la déconnexion en Suisse se traduit par plusieurs textes de lois qui, pour résumer, limitent la surveillance de l'employé par l'employeur. L'article 328a vise à protéger le salarié dans ce sens. D'autres articles obligent l'employeur à préserver la santé des salariés en les formant aux risques. Christian Voirol précise qu'on «est solides dans ce qu'on a comme ressources. A ma plus grande surprise, la jurisprudence suisse, c'est l'équilibre entre les moyens pour la surveillance et la pertinence de cet équilibre. Vous ne pouvez pas surveiller vos salariés parce que vous avez une petite névrose de contrôle, ça va nécessiter un cadre avec des conditions valables. On peut imaginer que vous soyez connectés 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. C'est le cas pour les urgences, c'est le cas pour les médecins de garde... ça n'est pas interdit. Il s'agit juste de demander si la contrainte horaire est adéquate?» décrit le professeur. Le travail au sein de l'entreprise passe par une analyse entre la direction et les ressources humaines des besoins en outils numériques et sur un plan de formation à leur utilisation pour éviter de rendre les employés addicts.


Comment organiser le travail pour que cela soit bon pour l'employé? La réponse de Christian Voirol, Professeul, HES-SO à Neuchâtel:



A propos du rôle de l'employeur, le Professeur Voirol parle de l'importance de donner clairement des directives à l'employé-utilisateur de smartphone sur ses heures d'utilisation. «Plus c'est implicite, plus l'attente de l'employeur peut être extrême.» Tant que la manager n'a pas explicité quelle était l'attente, l'employé se retrouve livré à lui-même avec son outil. «On donne un smartphone professionnel à l'employé. Il part avec son smartphone et il est tout content. Il a l'impression d'être important et du coup il le laisse allumé en permanence car il ne sait pas exactement ce qu'on attend de lui. Donc l'enjeu est de donner l'outil et les règles du jeu qui vont avec. Sinon l'outil n'a pas de légitimité.»  

Pour les voisins français, l'hyperconnectivité est selon Marie Pezé, Docteure en psychologie et psychanalyste, un véritable problème de santé publique. Il n'est pas assez pris en compte par les pouvoirs publics quand il n'est pas mal pris en compte dans les lois. Le problème est la formation des différents acteurs du monde du travail aux risques psychosociaux. Elle doit être commune aux syndicats, employeurs et employés français et s'appuyer sur une meilleure documentation et des outils à appliquer selon la psychologue. La France est l'une des nations les plus performantes au monde en termes de productivité. Elle dépasse même la Suisse alors que l'économie de cette dernière est généralement en bien meilleure santé. La peur de perdre son travail serait l'une des quelques causes expliquant cette efficacité des Français au travail selon Marie Pezé. Alors pourquoi ressent-on une telle urgence dans l'Hexagone à réagir, avec l'arrivée d'un président Macron vantant les mérites du numérique et lorgnant sur la Silicon Valley pour transformer la France en «Start-up nation»?


Qu'existe-t-il en France pour prévenir les risques de cybberaddiction? La réponse de Marie Pezé, Docteure en psychologie et psychanalyste:



Les entreprises seraient-elles désemparées à l'idée de trouver les bonnes méthodes pour inciter leurs salariés et leurs cadres à la déconnexion. Les questions de la salle fusent après plusieurs heures de débats. Un homme se lève pour parler des connaissances magnifiques qu'on amasse en Suisse sur les risques psychosociaux. Pourtant, il pointe un problème chez beaucoup de managers d'entreprises. Pour ce professionnel de santé, ils font fausse route en pensant que s'occuper des problèmes de santé au travail va réduire la productivité.

Caroline Datchary, Maîtresse de conférences en sociologie à l'Université de Toulouse 2 décide de lui répondre en racontant son expérience auprès des décideurs. Elle devait intervenir chez des entreprises curieuses d'en savoir plus sur ses recherches. Mais proposer des solutions pour régler les problèmes sur l'instabilité croissante des environnements de travail dans l'entreprise ne fut pas une mince affaire.  


Les entreprises demandaient surtout des chiffres à la conférencière. Voici ce que répond Caroline Datchary, Maîtresse de conférences en sociologie à l'Université de Toulouse 2:



Alors pour mettre les employeurs et leurs employés devant leurs responsabilités, la riposte en France est en marche. Mais elle s'ébroue en marge des actions du gouvernement avec une initiative que décrit Marie Pezé. La Docteure en psychologie est associée à Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychanalyste, révélée il y a seize ans avec son livre sur «Le Harcèlement Moral».


Les cafés citoyens santé et travail sont organisés en France. Marie Pezé, Docteur en psychologie et psychanalyste explique le projet:



Addiction Suisse explique sur son site que la surcharge d'information, l'intensité du travail et le rythme qui s'accélèrent affaiblissent les relations interpersonnelles. Les phénomènes de déconcentration ou de burn-out sont pour l'organisation plus nombreux qu'avant. Addiction Suisse préconise des évaluations de l'usage des TIC en mettant au cœur des débats, l'humain. Elle ajoute que les TIC obligent à repenser le management vers plus d'ouverture, en jouant collectif tout en privilégiant l'intelligence émotionnelle.


Vous pouvez consulter les travaux des dix intervenants de la conférence sur le site d'Addiction Suisse.


Précédemment dans Bon pour la tête

Réseaux sociaux: L'e-anxiété de l'hyperconnectivité

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