Recep Tayyip Erdogan lors de sa visite au Nigeria en 2016, accompagné du président nigérian, Muhammadu Buhari. À Abuja, le 2 mars 2016. Philip Ojisua/AFP
« Qu’est-ce qui fait courir Erdogan en Afrique ? » Après la dernière tournée de Recep Tayyip Erdogan sur le continent, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les motifs de ce voyage et, surtout, sur ses conséquences.
Michel Bozdémir, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
« Qu’est-ce qui fait courir Erdogan en Afrique ? » Après la dernière tournée de Recep Tayyip Erdogan sur le continent, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les motifs de ce voyage et, surtout, sur ses conséquences.
Du 17 au 21 octobre dernier, le président turc s’est rendu en Angola, au Nigeria et au Togo. Dès son retour, il a inauguré à Istanbul le 3ᵉ Forum d’Économie et d’Affaires Turquie-Afrique, tenu en présence de nombreux ministres turcs et de plusieurs centaines de responsables africains en provenance de 41 pays. En outre, le 3ᵉ sommet de partenariat Turquie-Afrique aura lieu les 17-18 décembre prochain, également à Istanbul.
La Turquie en Afrique, c’est nouveau. L’intérêt turc pour le continent remonte à peine au début des années 2000. Une stratégie de développement des relations commerciales et économiques est mise en œuvre depuis 2003. La percée est spectaculaire.
Le nombre d’ambassades turques sur le continent est ainsi passé de 12 en 2002 à 43 aujourd’hui et le volume des échanges commerciaux de 5,4 milliards de dollars à 25,3 milliards en 2020. Une dynamique que le président turc entend conforter. Au dernier Forum d’Économie et d’Affaires Turquie-Afrique, il a ainsi déclaré :
« Notre objectif est d’atteindre d’abord 50 puis 75 milliards de dollars d’échanges commerciaux. »
Par ailleurs, les exportations, importations, investissements et projets privés turcs en Afrique ont fortement augmenté ces vingt dernières années, faisant de la Turquie un partenaire commercial important du continent, particulièrement pour les pays où l’enjeu alimentaire est primordial, étant donné l’autosuffisance alimentaire turque.
Le continent africain est ainsi devenu, en l’espace de deux décennies, un axe majeur de la politique d’influence d’Ankara. D’abord culturel et économique, l’intérêt turc se diversifie et prend de plus en plus des allures stratégiques. Cependant, il convient de rappeler l’échelle des grandeurs : face à la Chine, à la Russie ou à l’Union européenne, la Turquie est loin d’être la plus grande puissance ayant des intérêts en Afrique. Les interventions turques se mesurent en millions de dollars alors que d’autres y déversent des milliards.
La confiance en soi retrouvée, moteur d’une nouvelle politique
Après avoir suivi une politique pro-occidentale durant plusieurs décennies après la Seconde Guerre mondiale, la Turquie s’oriente depuis l’arrivée au pouvoir du parti de la Justice et du Développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan vers une autonomie politique qui menace ses rapports avec ses alliés, plus particulièrement avec les États-Unis et la France.
Profondément installé dans une logique de ressentiment anti-occidental, un sentiment d’hostilité victimaire se diffuse en permanence dans la société turque, aussi bien au sein des catégories les plus croyantes du peuple qu’au niveau des élites islamoconservatrices.
Ces discours sont marqués par la justification du repli sur soi, qui s’exprime après chaque déception dans l’adage populaire « Le Turc n’a pas d’amis ». De là, on passe à « la confiance en soi » fièrement revendiquée et un brin narcissique, à l’origine de l’ambition de rayonnement du pays sur tous les continents, et pas seulement dans le monde arabo-musulman.
Cette ambition s’est exprimée sur de nombreux théâtres : à la recherche de nouveaux espaces d’influence, le président turc a d’abord pensé adhérer à l’Organisation de coopération de Shanghai ; puis, aux côtés du Brésil, il a cherché à jouer un rôle dans le dossier nucléaire iranien. En Syrie, il s’est rapproché de la Russie et de l’Iran pour former un trio à l’influence décisive dans la conflit. En Libye, il a dépêché des renforts au secours du gouvernement de Tripoli, et dans le Haut-Karabakh à celui des Azéris. Enfin, on a vu le déploiement de forces en Méditerranée orientale pour élargir ses espaces maritimes, selon sa doctrine de « Patrie bleue ».
Évidemment, toutes les portes ne lui sont pas grandes ouvertes : le président américain Joe Biden l’a fait attendre six mois avant de le rencontrer, l’UE le traite désormais avec circonspection, le monde arabe n’est plus un terrain conquis… D’où l’idée consolatrice de « la valeureuse solitude » brandie de temps en temps !
Le monde islamique, première destination des tentatives d’Erdogan d’inventer une politique active et multidimensionnelle, n’ayant pas donné les résultats souhaités, l’Afrique apparaît désormais comme un terrain plus facilement accessible vers lequel se tourner pour le leader turc.
Recep Tayyip Erdogan en Afrique : quelles relations entretiennent la Turquie et le continent ? France 24, 19 octobre 2021.
Par rapport aux anciennes puissances coloniales, mais aussi face à la Russie et la Chine, la Turquie, avec un profil plus modeste, adresse aux Africains un discours séduisant, qui donne l’impression de privilégier ses interlocuteurs dans une relation d’égal à égal et dans un partenariat gagnant-gagnant.
Le président turc prend ainsi ostensiblement une posture anti-impérialiste en Afrique et ne cesse de répéter que la Turquie ne porte « aucune tache » d’impérialisme ou de colonialisme. Il se présente comme un leader bienfaiteur d’une puissance sans passé colonial et n’hésite pas à accuser la France d’« avoir utilisé l’Afrique comme un continent à exploiter ».
Ces discours, centrés sur la justice et l’abnégation, associés aux offres de coopération économique, semblent plaire aux Africains. Selon le baromètre Africaleads du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), la Turquie bénéficie d’ores et déjà d’une image positive auprès des leaders d’opinion africains : 15 % d’entre eux la citent comme le pays non africain dont ils ont la meilleure image.
Cette montée en puissance est accompagnée, entre autres acteurs, par la compagnie aérienne Turkish Airlines qui, ces dernières décennies, a multiplié les liaisons aériennes entre Istanbul et les grandes villes africaines.
De la culture à l’armement
Accompagnant ces développements, on constate un essor remarquable de la Turquie dans l’industrie de défense ces dernières années.
Entre autres produits, les drones armés attirent l’attention des acheteurs internationaux. Efficaces et à prix abordable, ils ont fait leur preuve en Irak contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en Libye contre les assauts du maréchal Haftar sur Tripoli, en Syrie contre l’armée syrienne et, surtout, dans le conflit du Haut-Karabakh.
Ces armes redoutables intéressent aussi beaucoup les armées confrontées au défi terroriste. Le Maroc et le Burkina Faso en ont ainsi déjà acheté et l’Éthiopie et la Tunisie pourraient les imiter.
Il faut aussi signaler le début d’une présence militaire turque sur le continent : Ankara dispose d’une base en Somalie et d’une autre au Niger avec un accord datant de 2020, qui prévoit l’envoi de soldats turcs pour combattre Boko Haram.
Suite à la réduction de la présence des forces occidentales au Sahel, y a-t-il une conjoncture favorable pour que la Turquie prenne pied en Afrique ? Diplomates et militaires s’interrogent.
L’agence de presse russe Sputnik, bien connue pour relayer les éléments de propagande russe, voit la montée en puissance turque en Afrique comme étant de nature à générer une situation plus « confuse », voire « conflictuelle », traduisant un certain agacement des diplomates russes face à cette situation.
Solidarité islamique ?
L’islam offre également à la diplomatie turque un avantage d’affinité pour traiter avec les pays africains musulmans. Disparate, contradictoire, multiforme et en même temps omniprésent, l’essor de l’islam politique constitue un adjuvant à la politique de rayonnement turc.
Ainsi, la Direction des affaires religieuses (DIB), se déploie sur le continent, entre autres en participant à la construction de mosquées. La deuxième plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest, construite par les Turcs, a ainsi été inaugurée cette année à Accra, capitale du Ghana.
La mosquée Nationale du Ghana, à Accra, la capitale du pays. C’est la deuxième plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest. Fquasie/wikimedia, CC BY-SA
Cependant, en dépit d’une solidarité religieuse a priori favorable, le pouvoir turc est handicapé par ses contradictions internes. Bien avant Erdogan, Fethullah Gülen, l’ancien allié devenu le meilleur ennemi du président turc, a mené une politique d’influence éducative, en disséminant un peu partout en Afrique et ailleurs des collèges et des lycées de qualité reconnue, qui semblent avoir joué un grand rôle dans la formation des élites africaines.
Mais comme ce prédicateur est tenu pour responsable du putsch raté de juillet 2016, la plupart de ces écoles ont soit fermé leurs portes, soit ont été transférées à une fondation (Maarif) contrôlée par l’État turc.
Pourtant, le puissant mouvement planétaire créé par Fethullah Gülen (« Hizmet » – service en turc) associant modernité et islam a longtemps été encouragé et protégé par les gouvernements AKP depuis l’arrivée du parti au pouvoir en 2002.
Mais le divorce idéologique, intervenu en 2014, entre Erdogan et son ancien allié, affaiblit le mouvement. Depuis le putsch raté du 15 juillet 2016, le président turc présente le Hizmet comme un mouvement « terroriste » et tente de l’éradiquer, autant au sein de la Turquie qu’à l’international. C’est pourquoi, lors de ses visites, Erdogan ne cesse de demander aux dirigeants africains leur soutien pour combattre l’organisation de Fethullah Gülen.
Enfin, on observe également un activisme humanitaire concrétisé en Afrique par les aides apportées par la Turquie à travers ses organismes comme TIKA (Agence turque de coopération et de coordination), le Croissant-Rouge turc (Kızılay) ou l’AFAD (l’Agence turque de Gestion des catastrophes et des situations d’urgences).
La Turquie en Afrique, une volonté d’Erdogan
Le pouvoir turc peut donc paraître « soft », comme dans les Balkans ou en Afrique, ou « hard », comme en Syrie, en Irak ou en Libye, selon le moment et les circonstances.
Dans les pérégrinations planétaires du président turc, l’Afrique marque une poussée originale, sinon rentable de la politique turque de ces dernières décennies. Mise à part l’Afrique du Nord où il y a eu une longue présence ottomane, la Turquie n’avait jamais montré un grand intérêt pour le reste du continent.
C’est ce qui distingue Erdogan des élites républicaines l’ayant précédé ; jamais aucun responsable n’avait imaginé la présence turque en dehors de son pré carré ; ni en Afrique, ni dans l’espace, ni en Arctique… Même symbolique, même insignifiant, pour Erdogan, la Turquie doit avoir droit au chapitre partout dans le monde ; c’est l’ambition planétaire qui l’anime.
Il reste à voir, désormais, s’il parviendra à prolonger sa présence au pouvoir aux prochaines élections en juillet 2023, et si la Turquie, malgré une économie actuellement en berne, réussira à poursuivre ses ambitions à l’horizon de l’année du centenaire de la République en octobre 2023.
Michel Bozdémir, Professeur émérite de langue et civilisation turques, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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La percée est spectaculaire.</p> <p>Le nombre d’ambassades turques sur le continent est ainsi passé de <a href="https://www.mfa.gov.tr/les-relations-entre-la-turquie-et-l_afrique.fr.mfa">12 en 2002 à 43 aujourd’hui</a> et le volume des échanges commerciaux de 5,4 milliards de dollars à <a href="https://www.trt.net.tr/francais/economie/2021/10/21/le-volume-des-echanges-commerciaux-turco-africain-a-atteint-25-3-milliards-de-dollars-en-2020-1723003">25,3 milliards en 2020</a>. Une dynamique que le président turc entend conforter. Au dernier Forum d’Économie et d’Affaires Turquie-Afrique, il a ainsi <a href="https://fr.allafrica.com/stories/202110250725.html">déclaré</a> :</p> <blockquote> <p>« Notre objectif est d’atteindre d’abord 50 puis 75 milliards de dollars d’échanges commerciaux. »</p> </blockquote> <p>Par ailleurs, les exportations, importations, investissements et projets privés turcs en Afrique ont fortement augmenté ces vingt dernières années, faisant de la Turquie un partenaire commercial important du continent, particulièrement pour les pays où l’enjeu alimentaire est primordial, étant donné l’autosuffisance alimentaire turque.</p> <p>Le continent africain est ainsi devenu, en l’espace de deux décennies, un axe majeur de la politique d’influence d’Ankara. D’abord culturel et économique, l’intérêt turc se diversifie et prend de plus en plus des allures stratégiques. Cependant, il convient de rappeler l’échelle des grandeurs : face à la Chine, à la Russie ou à l’Union européenne, la Turquie est loin d’être la plus grande puissance ayant des intérêts en Afrique. Les interventions turques se mesurent en millions de dollars alors que d’autres <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_2076">y déversent des milliards</a>.</p> <h3>La confiance en soi retrouvée, moteur d’une nouvelle politique</h3> <p>Après avoir suivi une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-3-page-587.htm">politique pro-occidentale</a> durant plusieurs décennies après la Seconde Guerre mondiale, la Turquie s’oriente depuis l’arrivée au pouvoir du parti de la Justice et du Développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan vers une autonomie politique <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2017-4-page-15.htm">qui menace ses rapports avec ses alliés</a>, plus particulièrement avec les États-Unis et la France.</p> <p>Profondément installé dans une logique de ressentiment anti-occidental, un sentiment d’hostilité victimaire se diffuse en permanence dans la société turque, aussi bien au sein des catégories les plus croyantes du peuple qu’au niveau des élites islamoconservatrices.</p> <p>Ces discours sont marqués par la justification du repli sur soi, qui s’exprime après chaque déception dans l’adage populaire <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/en-bref/les-turcs-pensent-que-la-turquie-na-dautres-damis-que-les-turcs">« Le Turc n’a pas d’amis »</a>. De là, on passe à « la confiance en soi » fièrement revendiquée et un brin narcissique, à l’origine de l’ambition de rayonnement du pays sur tous les continents, et pas seulement dans le monde arabo-musulman.</p> <p>Cette ambition s’est exprimée sur de nombreux théâtres : à la recherche de nouveaux espaces d’influence, le président turc a d’abord pensé adhérer à <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/la-turquie-rejoindra-t-elle-lorganisation-de-la-co.html">l’Organisation de coopération de Shanghai</a> ; puis, aux côtés du Brésil, il a cherché à <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/05/17/accord-sur-le-combustible-nucleaire-iranien_1352601_3216.html">jouer un rôle dans le dossier nucléaire iranien</a>. En Syrie, il s’est <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/5f47t9k2mq994ofs0n3q2veq3v/resources/2018-02-balci-turquie-iran-russie-etude-235-236.pdf">rapproché de la Russie et de l’Iran</a> pour former un trio à l’influence décisive dans la conflit. En Libye, il a <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/guerre-en-libye-quels-roles-jouent-la-turquie-et-la-russie">dépêché des renforts</a> au secours du gouvernement de Tripoli, et dans le Haut-Karabakh <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/12/le-haut-karabakh-une-victoire-en-demi-teinte-pour-la-turquie_6059454_3210.html">à celui des Azéris</a>. Enfin, on a vu le déploiement de forces en Méditerranée orientale pour élargir ses espaces maritimes, selon sa doctrine de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/de-lidee-a-laction-quatre-doctrines-geopolitiques-34-eurasisme-la-russie-veut-sa-part-deurope">« Patrie bleue »</a>.</p> <p>Évidemment, toutes les portes ne lui sont pas grandes ouvertes : le président américain Joe Biden l’a fait attendre six mois avant de le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/turquie-erdogan-estime-qu-une-nouvelle-ere-s-est-ouverte-avec-washington-20210621">rencontrer</a>, l’UE le traite désormais <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-europe-sceptique-face-au-ton-conciliant-d-erdogan-20210623">avec circonspection</a>, le monde arabe n’est <a href="https://www.canal-u.tv/video/ifea/la_turquie_de_l_akp_vue_du_monde_arabe_entre_attraction_et_mefiance.51929">plus un terrain conquis</a>… D’où l’idée consolatrice de « la valeureuse solitude » brandie de temps en temps !</p> <p>Le monde islamique, première destination des tentatives d’Erdogan d’inventer une politique active et multidimensionnelle, n’ayant pas donné les résultats souhaités, l’Afrique apparaît désormais comme un terrain plus facilement accessible vers lequel se tourner pour le leader turc.</p> <h4 style="text-align: center;"><iframe frameborder="0" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fdKCsRf15e0?wmode=transparent&start=0" width="440"></iframe></h4> <h4 style="text-align: center;"><em><span>Recep Tayyip Erdogan en Afrique : quelles relations entretiennent la Turquie et le continent ? France 24, 19 octobre 2021.</span></em></h4> <p>Par rapport aux anciennes puissances coloniales, mais aussi face à la Russie et la Chine, la Turquie, avec un profil plus modeste, adresse aux Africains un discours séduisant, qui donne l’impression de privilégier ses interlocuteurs dans une relation d’égal à égal et dans un partenariat gagnant-gagnant.</p> <p>Le président turc prend ainsi ostensiblement une posture anti-impérialiste en Afrique et ne cesse de répéter que la Turquie ne porte <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/angola/avec-une-nouvelle-tournee-en-afrique-de-l-ouest-le-president-turc-erdogan-poursuit-methodiquement-sa-strategie-diplomatique-africaine_4814593.html">« aucune tache »</a> d’impérialisme ou de colonialisme. Il se présente comme un leader bienfaiteur d’une puissance sans passé colonial et n’hésite pas à accuser la France d’« avoir utilisé l’Afrique comme un continent à exploiter ».</p> <p>Ces discours, centrés sur la justice et l’abnégation, associés aux offres de coopération économique, semblent plaire aux Africains. Selon le <a href="https://www.cian-afrique.org/media/2021/03/barometre_Africaleads2021_defweb.pdf">baromètre Africaleads</a> du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), la Turquie bénéficie d’ores et déjà d’une image positive auprès des leaders d’opinion africains : 15 % d’entre eux la citent comme le pays non africain dont ils ont la meilleure image.</p> <p>Cette montée en puissance est accompagnée, entre autres acteurs, par la compagnie aérienne <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/lebel_turkish_airlines_2020.pdf">Turkish Airlines</a> qui, ces dernières décennies, a multiplié les liaisons aériennes entre Istanbul et les grandes villes africaines.</p> <h3>De la culture à l’armement</h3> <p>Accompagnant ces développements, on constate un <a href="https://les-yeux-du-monde.fr/actualites-analysees/proche-moyen-orient/49141-lessor-de-lindustrie-de-defense-de-la-turquie/">essor remarquable</a> de la Turquie dans l’industrie de défense ces dernières années.</p> <p>Entre autres produits, les <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/armement-les-ventes-de-drones-militaires-un-vecteur-de-linfluence-turque-en-afrique">drones armés attirent l’attention des acheteurs internationaux</a>. Efficaces et à prix abordable, ils ont fait leur preuve en Irak contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en Libye contre les assauts du maréchal Haftar sur Tripoli, en Syrie contre l’armée syrienne et, surtout, dans le conflit du Haut-Karabakh.</p> <p>Ces armes redoutables intéressent aussi beaucoup les armées confrontées au défi terroriste. Le Maroc et le Burkina Faso en ont ainsi déjà acheté et l’Éthiopie et la Tunisie pourraient les imiter.</p> <p>Il faut aussi signaler le début d’une présence militaire turque sur le continent : Ankara dispose d’une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/la-turquie-installe-en-somalie-sa-plus-importante-base-militaire-a-l-etranger_3058607.html">base en Somalie</a> et d’une autre au Niger avec un accord datant de 2020, qui prévoit <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/sahel/turkey-sahel">l’envoi de soldats turcs pour combattre Boko Haram</a>.</p> <p>Suite à la réduction de la présence des forces occidentales au Sahel, y a-t-il une conjoncture favorable pour que la Turquie prenne pied en Afrique ? Diplomates et militaires s’interrogent.</p> <p>L’agence de presse russe Sputnik, <a href="https://www.franceculture.fr/numerique/rt-sputnik-cctv-ces-organes-de-propagande-qui-reussissent-a-se-respectabiliser">bien connue pour relayer les éléments de propagande russe</a>, voit la montée en puissance turque en Afrique comme étant de nature à générer une situation plus « confuse », voire « conflictuelle », traduisant un certain agacement des diplomates russes face à cette situation.</p> <h3>Solidarité islamique ?</h3> <p>L’islam offre également à la diplomatie turque un <a href="https://www.la-croix.com/Religion/En-Afrique-Turquie-joue-carte-islam-2021-09-20-1201176335">avantage d’affinité</a> pour traiter avec les pays africains musulmans. Disparate, contradictoire, multiforme et en même temps omniprésent, l’essor de l’islam politique constitue un adjuvant à la politique de rayonnement turc.</p> <p>Ainsi, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Diyanet_%C4%B0%C5%9Fleri_Ba%C5%9Fkanl%C4%B1%C4%9F%C4%B1">Direction des affaires religieuses</a> (DIB), se déploie sur le continent, entre autres en participant à la construction de mosquées. La deuxième plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest, construite par les Turcs, a ainsi été <a href="https://www.dw.com/en/ghanas-massive-new-national-mosque/av-58691690">inaugurée cette année à Accra</a>, capitale du Ghana.</p> <h4 style="text-align: center;"><img src="https://images.theconversation.com/files/428810/original/file-20211027-13-cyl855.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="" /><em><span>La mosquée Nationale du Ghana, à Accra, la capitale du pays. C’est la deuxième plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest.</span> <span><span>Fquasie/wikimedia</span>, <a href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></em></h4> <p>Cependant, en dépit d’une solidarité religieuse a priori favorable, le pouvoir turc est handicapé par ses contradictions internes. Bien avant Erdogan, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fethullah_G %C3 %BClen">Fethullah Gülen</a>, l’ancien allié devenu le meilleur ennemi du président turc, a mené une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2015-3-page-23.htm">politique d’influence éducative</a>, en disséminant un peu partout en Afrique et ailleurs des collèges et des lycées de qualité reconnue, qui semblent avoir joué un grand rôle dans la formation des élites africaines.</p> <p>Mais comme ce prédicateur est <a href="https://www.lesechos.fr/2016/07/qui-est-fethullah-guelen-accuse-par-erdogan-de-la-tentative-de-putsch-215718">tenu pour responsable</a> du putsch raté de juillet 2016, la plupart de ces écoles ont soit fermé leurs portes, soit ont été transférées à une fondation (Maarif) <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/erdogan-aura-t-il-la-peau-des-ecoles-gulen-d-afrique_3059173.html">contrôlée par l’État turc</a>.</p> <p>Pourtant, le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/hizmet-le-puissant-reseau-des-gulenistes-en-turquie-et-a-l-etranger-17-07-2016-2055075_24.php">puissant mouvement planétaire</a> créé par Fethullah Gülen (« Hizmet » – service en turc) associant modernité et islam a longtemps été encouragé et protégé par les gouvernements AKP depuis l’arrivée du parti au pouvoir en 2002.</p> <p>Mais le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2014/03/KAZANCIGIL/50236">divorce idéologique, intervenu en 2014</a>, entre Erdogan et son ancien allié, affaiblit le mouvement. Depuis le putsch raté du 15 juillet 2016, le président turc présente le Hizmet comme un mouvement « terroriste » et tente de l’éradiquer, autant au sein de la Turquie qu’à l’international. C’est pourquoi, lors de ses visites, Erdogan ne cesse de demander aux dirigeants africains leur soutien pour combattre l’organisation de Fethullah Gülen.</p> <p>Enfin, on observe également un activisme humanitaire concrétisé en Afrique par les aides apportées par la Turquie à travers ses organismes comme <a href="https://www.tika.gov.tr/en">TIKA</a> (Agence turque de coopération et de coordination), le <a href="https://www.kizilay.org.tr/kizilayhaftasi/">Croissant-Rouge turc</a> (Kızılay) ou <a href="https://en.afad.gov.tr/">l’AFAD</a> (l’Agence turque de Gestion des catastrophes et des situations d’urgences).</p> <h3>La Turquie en Afrique, une volonté d’Erdogan</h3> <p>Le pouvoir turc peut donc paraître « soft », comme dans les Balkans ou en Afrique, ou « hard », comme en Syrie, en Irak ou en Libye, selon le moment et les circonstances.</p> <p>Dans les pérégrinations planétaires du président turc, l’Afrique marque une poussée originale, sinon rentable de la politique turque de ces dernières décennies. Mise à part l’Afrique du Nord où il y a eu une <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/4505">longue présence ottomane</a>, la Turquie n’avait jamais montré un grand intérêt pour le reste du continent.</p> <p>C’est ce qui distingue Erdogan des élites républicaines l’ayant précédé ; jamais aucun responsable n’avait imaginé la présence turque en dehors de son pré carré ; ni en Afrique, ni dans l’espace, ni en Arctique… Même symbolique, même insignifiant, pour Erdogan, la Turquie doit avoir droit au chapitre partout dans le monde ; c’est l’ambition planétaire qui l’anime.</p> <p>Il reste à voir, désormais, s’il parviendra à prolonger sa présence au pouvoir aux prochaines élections en juillet 2023, et si la Turquie, malgré une <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Leconomie-turque-pleine-zone-turbulences-2021-03-22-1201147040">économie actuellement en berne</a>, réussira à poursuivre ses ambitions à l’horizon de l’année du centenaire de la République en octobre 2023.<img src="https://counter.theconversation.com/content/170579/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/michel-bozdemir-1285026">Michel Bozdémir</a>, Professeur émérite de langue et civilisation turques, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/institut-national-des-langues-et-civilisations-orientales-inalco-2285">Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)</a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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La percée est spectaculaire.</p> <p>Le nombre d’ambassades turques sur le continent est ainsi passé de <a href="https://www.mfa.gov.tr/les-relations-entre-la-turquie-et-l_afrique.fr.mfa">12 en 2002 à 43 aujourd’hui</a> et le volume des échanges commerciaux de 5,4 milliards de dollars à <a href="https://www.trt.net.tr/francais/economie/2021/10/21/le-volume-des-echanges-commerciaux-turco-africain-a-atteint-25-3-milliards-de-dollars-en-2020-1723003">25,3 milliards en 2020</a>. Une dynamique que le président turc entend conforter. 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Cependant, il convient de rappeler l’échelle des grandeurs : face à la Chine, à la Russie ou à l’Union européenne, la Turquie est loin d’être la plus grande puissance ayant des intérêts en Afrique. Les interventions turques se mesurent en millions de dollars alors que d’autres <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_2076">y déversent des milliards</a>.</p> <h3>La confiance en soi retrouvée, moteur d’une nouvelle politique</h3> <p>Après avoir suivi une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-3-page-587.htm">politique pro-occidentale</a> durant plusieurs décennies après la Seconde Guerre mondiale, la Turquie s’oriente depuis l’arrivée au pouvoir du parti de la Justice et du Développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan vers une autonomie politique <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2017-4-page-15.htm">qui menace ses rapports avec ses alliés</a>, plus particulièrement avec les États-Unis et la France.</p> <p>Profondément installé dans une logique de ressentiment anti-occidental, un sentiment d’hostilité victimaire se diffuse en permanence dans la société turque, aussi bien au sein des catégories les plus croyantes du peuple qu’au niveau des élites islamoconservatrices.</p> <p>Ces discours sont marqués par la justification du repli sur soi, qui s’exprime après chaque déception dans l’adage populaire <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/en-bref/les-turcs-pensent-que-la-turquie-na-dautres-damis-que-les-turcs">« Le Turc n’a pas d’amis »</a>. De là, on passe à « la confiance en soi » fièrement revendiquée et un brin narcissique, à l’origine de l’ambition de rayonnement du pays sur tous les continents, et pas seulement dans le monde arabo-musulman.</p> <p>Cette ambition s’est exprimée sur de nombreux théâtres : à la recherche de nouveaux espaces d’influence, le président turc a d’abord pensé adhérer à <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/la-turquie-rejoindra-t-elle-lorganisation-de-la-co.html">l’Organisation de coopération de Shanghai</a> ; puis, aux côtés du Brésil, il a cherché à <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/05/17/accord-sur-le-combustible-nucleaire-iranien_1352601_3216.html">jouer un rôle dans le dossier nucléaire iranien</a>. En Syrie, il s’est <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/5f47t9k2mq994ofs0n3q2veq3v/resources/2018-02-balci-turquie-iran-russie-etude-235-236.pdf">rapproché de la Russie et de l’Iran</a> pour former un trio à l’influence décisive dans la conflit. En Libye, il a <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/guerre-en-libye-quels-roles-jouent-la-turquie-et-la-russie">dépêché des renforts</a> au secours du gouvernement de Tripoli, et dans le Haut-Karabakh <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/12/le-haut-karabakh-une-victoire-en-demi-teinte-pour-la-turquie_6059454_3210.html">à celui des Azéris</a>. Enfin, on a vu le déploiement de forces en Méditerranée orientale pour élargir ses espaces maritimes, selon sa doctrine de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/de-lidee-a-laction-quatre-doctrines-geopolitiques-34-eurasisme-la-russie-veut-sa-part-deurope">« Patrie bleue »</a>.</p> <p>Évidemment, toutes les portes ne lui sont pas grandes ouvertes : le président américain Joe Biden l’a fait attendre six mois avant de le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/turquie-erdogan-estime-qu-une-nouvelle-ere-s-est-ouverte-avec-washington-20210621">rencontrer</a>, l’UE le traite désormais <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-europe-sceptique-face-au-ton-conciliant-d-erdogan-20210623">avec circonspection</a>, le monde arabe n’est <a href="https://www.canal-u.tv/video/ifea/la_turquie_de_l_akp_vue_du_monde_arabe_entre_attraction_et_mefiance.51929">plus un terrain conquis</a>… D’où l’idée consolatrice de « la valeureuse solitude » brandie de temps en temps !</p> <p>Le monde islamique, première destination des tentatives d’Erdogan d’inventer une politique active et multidimensionnelle, n’ayant pas donné les résultats souhaités, l’Afrique apparaît désormais comme un terrain plus facilement accessible vers lequel se tourner pour le leader turc.</p> <h4 style="text-align: center;"><iframe frameborder="0" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fdKCsRf15e0?wmode=transparent&start=0" width="440"></iframe></h4> <h4 style="text-align: center;"><em><span>Recep Tayyip Erdogan en Afrique : quelles relations entretiennent la Turquie et le continent ? France 24, 19 octobre 2021.</span></em></h4> <p>Par rapport aux anciennes puissances coloniales, mais aussi face à la Russie et la Chine, la Turquie, avec un profil plus modeste, adresse aux Africains un discours séduisant, qui donne l’impression de privilégier ses interlocuteurs dans une relation d’égal à égal et dans un partenariat gagnant-gagnant.</p> <p>Le président turc prend ainsi ostensiblement une posture anti-impérialiste en Afrique et ne cesse de répéter que la Turquie ne porte <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/angola/avec-une-nouvelle-tournee-en-afrique-de-l-ouest-le-president-turc-erdogan-poursuit-methodiquement-sa-strategie-diplomatique-africaine_4814593.html">« aucune tache »</a> d’impérialisme ou de colonialisme. Il se présente comme un leader bienfaiteur d’une puissance sans passé colonial et n’hésite pas à accuser la France d’« avoir utilisé l’Afrique comme un continent à exploiter ».</p> <p>Ces discours, centrés sur la justice et l’abnégation, associés aux offres de coopération économique, semblent plaire aux Africains. Selon le <a href="https://www.cian-afrique.org/media/2021/03/barometre_Africaleads2021_defweb.pdf">baromètre Africaleads</a> du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), la Turquie bénéficie d’ores et déjà d’une image positive auprès des leaders d’opinion africains : 15 % d’entre eux la citent comme le pays non africain dont ils ont la meilleure image.</p> <p>Cette montée en puissance est accompagnée, entre autres acteurs, par la compagnie aérienne <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/lebel_turkish_airlines_2020.pdf">Turkish Airlines</a> qui, ces dernières décennies, a multiplié les liaisons aériennes entre Istanbul et les grandes villes africaines.</p> <h3>De la culture à l’armement</h3> <p>Accompagnant ces développements, on constate un <a href="https://les-yeux-du-monde.fr/actualites-analysees/proche-moyen-orient/49141-lessor-de-lindustrie-de-defense-de-la-turquie/">essor remarquable</a> de la Turquie dans l’industrie de défense ces dernières années.</p> <p>Entre autres produits, les <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/armement-les-ventes-de-drones-militaires-un-vecteur-de-linfluence-turque-en-afrique">drones armés attirent l’attention des acheteurs internationaux</a>. Efficaces et à prix abordable, ils ont fait leur preuve en Irak contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en Libye contre les assauts du maréchal Haftar sur Tripoli, en Syrie contre l’armée syrienne et, surtout, dans le conflit du Haut-Karabakh.</p> <p>Ces armes redoutables intéressent aussi beaucoup les armées confrontées au défi terroriste. Le Maroc et le Burkina Faso en ont ainsi déjà acheté et l’Éthiopie et la Tunisie pourraient les imiter.</p> <p>Il faut aussi signaler le début d’une présence militaire turque sur le continent : Ankara dispose d’une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/la-turquie-installe-en-somalie-sa-plus-importante-base-militaire-a-l-etranger_3058607.html">base en Somalie</a> et d’une autre au Niger avec un accord datant de 2020, qui prévoit <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/sahel/turkey-sahel">l’envoi de soldats turcs pour combattre Boko Haram</a>.</p> <p>Suite à la réduction de la présence des forces occidentales au Sahel, y a-t-il une conjoncture favorable pour que la Turquie prenne pied en Afrique ? Diplomates et militaires s’interrogent.</p> <p>L’agence de presse russe Sputnik, <a href="https://www.franceculture.fr/numerique/rt-sputnik-cctv-ces-organes-de-propagande-qui-reussissent-a-se-respectabiliser">bien connue pour relayer les éléments de propagande russe</a>, voit la montée en puissance turque en Afrique comme étant de nature à générer une situation plus « confuse », voire « conflictuelle », traduisant un certain agacement des diplomates russes face à cette situation.</p> <h3>Solidarité islamique ?</h3> <p>L’islam offre également à la diplomatie turque un <a href="https://www.la-croix.com/Religion/En-Afrique-Turquie-joue-carte-islam-2021-09-20-1201176335">avantage d’affinité</a> pour traiter avec les pays africains musulmans. Disparate, contradictoire, multiforme et en même temps omniprésent, l’essor de l’islam politique constitue un adjuvant à la politique de rayonnement turc.</p> <p>Ainsi, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Diyanet_%C4%B0%C5%9Fleri_Ba%C5%9Fkanl%C4%B1%C4%9F%C4%B1">Direction des affaires religieuses</a> (DIB), se déploie sur le continent, entre autres en participant à la construction de mosquées. La deuxième plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest, construite par les Turcs, a ainsi été <a href="https://www.dw.com/en/ghanas-massive-new-national-mosque/av-58691690">inaugurée cette année à Accra</a>, capitale du Ghana.</p> <h4 style="text-align: center;"><img src="https://images.theconversation.com/files/428810/original/file-20211027-13-cyl855.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" alt="" /><em><span>La mosquée Nationale du Ghana, à Accra, la capitale du pays. C’est la deuxième plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest.</span> <span><span>Fquasie/wikimedia</span>, <a href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></em></h4> <p>Cependant, en dépit d’une solidarité religieuse a priori favorable, le pouvoir turc est handicapé par ses contradictions internes. Bien avant Erdogan, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fethullah_G %C3 %BClen">Fethullah Gülen</a>, l’ancien allié devenu le meilleur ennemi du président turc, a mené une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2015-3-page-23.htm">politique d’influence éducative</a>, en disséminant un peu partout en Afrique et ailleurs des collèges et des lycées de qualité reconnue, qui semblent avoir joué un grand rôle dans la formation des élites africaines.</p> <p>Mais comme ce prédicateur est <a href="https://www.lesechos.fr/2016/07/qui-est-fethullah-guelen-accuse-par-erdogan-de-la-tentative-de-putsch-215718">tenu pour responsable</a> du putsch raté de juillet 2016, la plupart de ces écoles ont soit fermé leurs portes, soit ont été transférées à une fondation (Maarif) <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/erdogan-aura-t-il-la-peau-des-ecoles-gulen-d-afrique_3059173.html">contrôlée par l’État turc</a>.</p> <p>Pourtant, le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/hizmet-le-puissant-reseau-des-gulenistes-en-turquie-et-a-l-etranger-17-07-2016-2055075_24.php">puissant mouvement planétaire</a> créé par Fethullah Gülen (« Hizmet » – service en turc) associant modernité et islam a longtemps été encouragé et protégé par les gouvernements AKP depuis l’arrivée du parti au pouvoir en 2002.</p> <p>Mais le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2014/03/KAZANCIGIL/50236">divorce idéologique, intervenu en 2014</a>, entre Erdogan et son ancien allié, affaiblit le mouvement. 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C’est pourquoi, lors de ses visites, Erdogan ne cesse de demander aux dirigeants africains leur soutien pour combattre l’organisation de Fethullah Gülen.</p> <p>Enfin, on observe également un activisme humanitaire concrétisé en Afrique par les aides apportées par la Turquie à travers ses organismes comme <a href="https://www.tika.gov.tr/en">TIKA</a> (Agence turque de coopération et de coordination), le <a href="https://www.kizilay.org.tr/kizilayhaftasi/">Croissant-Rouge turc</a> (Kızılay) ou <a href="https://en.afad.gov.tr/">l’AFAD</a> (l’Agence turque de Gestion des catastrophes et des situations d’urgences).</p> <h3>La Turquie en Afrique, une volonté d’Erdogan</h3> <p>Le pouvoir turc peut donc paraître « soft », comme dans les Balkans ou en Afrique, ou « hard », comme en Syrie, en Irak ou en Libye, selon le moment et les circonstances.</p> <p>Dans les pérégrinations planétaires du président turc, l’Afrique marque une poussée originale, sinon rentable de la politique turque de ces dernières décennies. Mise à part l’Afrique du Nord où il y a eu une <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/4505">longue présence ottomane</a>, la Turquie n’avait jamais montré un grand intérêt pour le reste du continent.</p> <p>C’est ce qui distingue Erdogan des élites républicaines l’ayant précédé ; jamais aucun responsable n’avait imaginé la présence turque en dehors de son pré carré ; ni en Afrique, ni dans l’espace, ni en Arctique… Même symbolique, même insignifiant, pour Erdogan, la Turquie doit avoir droit au chapitre partout dans le monde ; c’est l’ambition planétaire qui l’anime.</p> <p>Il reste à voir, désormais, s’il parviendra à prolonger sa présence au pouvoir aux prochaines élections en juillet 2023, et si la Turquie, malgré une <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Leconomie-turque-pleine-zone-turbulences-2021-03-22-1201147040">économie actuellement en berne</a>, réussira à poursuivre ses ambitions à l’horizon de l’année du centenaire de la République en octobre 2023.<img src="https://counter.theconversation.com/content/170579/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/michel-bozdemir-1285026">Michel Bozdémir</a>, Professeur émérite de langue et civilisation turques, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/institut-national-des-langues-et-civilisations-orientales-inalco-2285">Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)</a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p> <p>Mais Pierre a changé.</p> <p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p> <p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p> <p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. 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Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p> <p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p> <ul> <li> <p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p> </li> <li> <p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p> </li> </ul> <p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p> <p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p> <p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. 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Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». 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[...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p> <p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p> <h3><strong>Conditions posées</strong></h3> <p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p> <p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p> <h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3> <p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p> <p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. Des faits presque incroyables sur le travail de relations publiques du Pentagone.</p> <p><strong>20 avril 2008</strong> <a href="https://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/gekaufte-meinung-pentagon-beschaeftigt-pr-armee-fuer-us-tv-a-548519.html">Le Pentagone emploie une armée de RP pour la télévision américaine</a>. 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