Actuel / La Suisse plus présente en Syrie qu’il n’y paraît
Les dégâts causés par les séismes du 6 février dernier dans la ville syrienne de Jandairis (nord ouest). © UNOCHA/Mohanad Zayat
Avant la tragédie sismique, on ne parlait guère de la Syrie. Il s’y passait pourtant des évolutions notables. Les pays du Golfe qui avaient mené la guerre contre elle aux côtés des djihadistes dès 2011, reconnaissant leur échec, renouent discrètement des relations avec Damas. Chez les Occidentaux, partisans d’un embargo total, certains y songent désormais. Et la Suisse? Elle s’active aussi. Au plan humanitaire depuis des années. Ainsi qu’au plan politique. Sur la pointe des pieds.
La doctrine est claire: la Suisse entretient des relations diplomatiques avec tous les Etats reconnus internationalement. Indépendamment des régimes. Pourtant en 2011, quand éclata la guerre civile en Syrie, Micheline Calmy-Rey, cheffe du DFAE, puis son successeur Didier Burkhalter, fermèrent l’ambassade helvétique dans ce pays, d’ailleurs contre l’avis de leur entourage. Rejoignant la plupart des Occidentaux qui depuis multiplièrent les sanctions et l’isolement du président Bachar El Assad. Dictateur désigné comme «le boucher», le plus souvent sans que soient rappelés les massacres commis par les organisations djihadistes (Daesh, Al Qaida, etc…) qui tentèrent de renverser l’Etat, de chasser les chrétiens et d’éliminer la minorité alaouite. La détresse est insondable dans les populations frappées par la guerre, tentant de reconstruire leurs villes malgré les sanctions économiques rigoureuses et maintenant ravagées pour certaines d’entre elles par le tremblement de terre. Cette double malédiction impose de revoir certaines positions dogmatiques des Européens.
Un fil est aujourd’hui tendu entre Berne et Damas. L’ambassadrice à Beyrouth, Marion Weichelt, une femme de haute stature, fort déterminée, représente la Suisse au Liban et de plus, en qualité de chargée d’affaires, en Syrie où elle se rend fréquemment. Ce double mandat est très lourd et il serait temps que la Suisse dispose à nouveau d’une représentation permanente dans la capitale syrienne. Car elle est plus que jamais une pièce essentielle dans le puzzle en recomposition du Moyen-Orient. Dans la violence. D’où la nécessité d’une large action diplomatique. A l’heure où nous siégeons au Conseil de sécurité des Nations Unies, rouvrir l’ambassade suisse à Damas aurait tout son sens. La politique des embargos donne bonne conscience aux moralistes mais marginalise ceux qui s’y accrochent. L’Europe en fait l’expérience: elle est larguée dans ce pan si voisin du monde, où elle a joué un grand rôle, pour le pire et le meilleur. Odieuse morale, prétendument pro-démocratique, qui différencie les damnés de la terre, ceux que l’on aide et ceux que l’on délaisse.
Il y a un domaine au moins où la Suisse s’est montrée plus pragmatique et audacieuse que les Européens: la présence humanitaire. La DDC (l’aide au développement) a dépensé en Syrie, depuis le début de la crise en 2011, plus de 610 millions de francs. 60 millions en 2022. Sur place et dans les pays voisins qui ont accueilli les réfugiés. Afin de soulager les populations éprouvées par la guerre et l’inefficacité des services publics: accès à l’eau potable, à la nourriture, aux soins médicaux de base. Avec un effort aussi en matière de prévention des conflits et de promotion de la paix. La DDC apporte aussi son soutien à la délégation du CICR ainsi qu’à d’autres organisations partenaires.
Aussitôt après le tremblement de terre, la Suisse a amené des sauveteurs en Turquie avec une célérité remarquable, ainsi que des secours matériels. Elle n’a pu le faire dans la même mesure en Syrie. Notamment en raison des sanctions internationales. Un avion-cargo d’Arabie saoudite, par exemple, a pu se poser avec des tonnes de matériel à Alep. En s’affranchissant de l’embargo, la Suisse aurait pu faire de même. Pourquoi pas un vol humanitaire Zürich-Alep? Ou acheminer l’aide via le Liban tout proche. Les freins politiques ont gravement ralenti les efforts de solidarité. Mais les secours finiront par arriver, tant d’ONG internationales et locales s’y emploient. Des experts de la DDC sont à l’œuvre sur le terrain, en particulier à Alep, pour évaluer et coordonner les soutiens. La tâche est d’autant plus compliquée que l’administration de Damas n’est présente que sur un tiers du territoire. La zone d’Idlib, où sont concentrées les formations djihadistes, avec des millions de familles déplacées, se trouve sous le contrôle turc. Quant à la région séparatiste kurde, où stationnent des troupes américaines à proximité des puits de pétrole, elle est de fait rattachée à l’Irak et sous la vigilance turque. En outre les donateurs se méfient, non sans raison, du gouvernement syrien. Soucieux, disent-ils, de ne pas renforcer «le régime de Bachar El Assad». Celui-ci, après avoir réclamé le contrôle de la distribution des aides, a dit confier cette responsabilité au CICR, largement présent dans le pays depuis de nombreuses années. Sa présidente, Mirjana Spoljaric, s’est entretenue avec les autorités syriennes et déclare avoir été «encouragée» par ces discussions. L’aide humanitaire devrait parvenir dans toutes les régions touchées. Des équipes sont déjà sur place, en partenariat avec le Croissant-Rouge arabe syrien, et répondent aux besoins urgents à Alep, Lattaquié et Tartous. Le CICR attend les fonds recueillis par la Chaîne du Bonheur et s’attachera à leur efficace utilisation. Il y a urgence.
C’est dire que la Suisse a plusieurs cartes à jouer, directement ou indirectement, dans ce malheureux pays, déchiré, dévasté par la guerre. Et tout autour.
(Dans un prochain article, nous évoquerons la situation au Liban, plongé dans une crise politique, économique et sociale effroyable, ainsi que les sursauts d’une population déterminée à sortir du chaos.)
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Peu audible d’ailleurs chez lui et chez ses partenaires, guère enthousiastes de cette prétention au leadership. En termes exaltés et alarmistes, le président français en appelle au renforcement massif de la défense européenne. Non sans raisons. Mais pour quoi faire? Affronter la menace de la Russie? Voyons son armée. Elle s’escrime autour de quelques villages dans l’est de l’Ukraine, à quelques kilomètres de chez elle, elle peine à prendre la ville voisine de Karkhiv malgré d’horribles destructions. Elle n’est manifestement pas de taille à s’en prendre aux pays de l’OTAN, ni matériellement ni humainement. Les divers pays européens sont loin d’être démunis de moyens militaires. Même si leur base industrielle a des lacunes. On le sait aussi au Kremlin, où, quoi qu’on en dise, on est réaliste, on n’a pas la folie des grandeurs. Point effectivement à soulever: il est vrai que les Européens feraient bien de se préoccuper davantage de la défense anti-drones et anti-missiles. Ces engins, peu coûteux à produire mais ruineux pour s’en défendre, jouent un rôle-clé dans les conflits d’aujourd’hui. Et les Russes ne sont pas seuls à en disposer. Dans la cybersécurité aussi, il y a aussi de sérieux efforts à faire. Comme en Suisse, où le Département de la Défense confie cette tâche à son entreprise boiteuse Ruag qui s’appuie elle-même sur l’entité issue de Crypto AG, célèbre pour le scandale de ses tricheries. La Confédération a misé en plus sur une société bernois brinquebalante, Xplain, et admet aujourd’hui le désastre. Même des informations confidentielles sur les Conseillers fédéraux ont été balancés dans le «darknet». </span></p> <p><span>Mais nos militaires et leur cheffe ne rêvent que d’acquérir toujours plus d’avions, de blindés et de canons… à acheter aux Etats-Unis bien sûr. Viola Amherd se frotte les mains: une curieuse proposition agite le Parlement. Il s’agit de faire sauter la limite aux dépenses fédérales et de consacrer dix milliards supplémentaire pour l’armée et cinq pour l’Ukraine d’ici à 2030. C’est un groupe inhabituel de femmes parlementaires alémaniques qui est à la besogne. Dont une centriste, Marianne Tinder («Je suis en mesure d'évaluer la gravité de la menace même sans jours de service militaire»), sa collègue de parti entrée au Parlement en décembre dernier («Quand j'entends que l'armée n'a même pas assez de gilets de protection, cela me fait réfléchir»), la socialiste Franziska Roth («Nous ne pouvons pas nous cacher constamment derrière des lignes rouges»). A compter aussi dans ce que le <em>Tagesanzeiger</em> appelle les «dealmakers»: une autre centriste, Andrea Gmür, la socialiste Sarah Wyss, la verte libérale Corina Gredig. Etonnant, ce quarteron féminin, inter-partis, prônant l’urgence des armes.</span></p> <p><span>Bien que le président du PS Cedric Wermuth et la Fédération des sociétés militaires – curieux attelage! – applaudissent l’idée, celle-ci passe mal. Le patron du Centre Gerhard Pfister tousse, les radicaux, derrière Karin Keller-Suter, préoccupés par l’endettement, s’y opposent. Et il se trouvera sans doute des socialistes pour refuser cet emballement. Quant au petit peuple à qui on ne demandera pas son avis, il sait que de telles dépenses supplémentaires entraîneront inévitablement des coupes là où cela lui fait mal. </span></p> <p><span>Il vaut la peine de s’interroger sur les ressorts de cette outrance militariste. Que ce soit dans le mode déclamatoire d’un Macron ou dans les chuchotements du Palais fédéral. 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Qui pourrait bien en rajouter une couche à la frénésie belliqueuse. Alors même que le moment approche où les belligérants, plus ou moins épuisés, devront bien se résoudre à cesser le feu et à engager des pourparlers. Plus ils attendront, plus la malheureuse Ukraine sera mal prise. Regrettant que l’accord à bout touchant du tout début de la guerre ait été sabordé.</span></p> <p><span>Quant à l’autre guerre qui nous bouleverse, au Moyen Orient, elle est promise à durer longtemps, très longtemps, sous une forme ou une autre. Totalement dépassée et discréditée, la Suisse ne songe même pas à proposer une négociation, ni sur l’immédiat, ni sur le fond. Peu dit: un autre pays tente discrètement cet effort, non sans expérience. La Norvège.</span></p> <p><span>Mais le Conseil fédéral paraît tenir à réaffirmer son alignement sur la ligne d’Israël. Après avoir concédé une aide réduite, la commission parlementaire des Affaires étrangères propose de supprimer à terme tout soutien à l’UNRWA. 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Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! ', 'content' => '<p><span>Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! Ces trente dernières années, son entreprise, sise à Lausanne, CAB-Productions, a permis à de nombreux cinéastes, locaux et internationaux, de s’exprimer librement. Tournant en Suisse, avec des comédiens, des techniciens d’ici et d’ailleurs. De Francis Reusser à Dominique de Rivaz, d’Alain Tanner à Jean-François Amiguet, de Marcel Schüpbach à Pierre-Yves Borgeaud, de Greg Zlingski à Olivier Assayas, de Benoît Mariage à Claude Chabrol, et tant d’autres. Dernier en date, Roman Polanski. Avec le tournage à Gstaad de <em>The Palace</em>, en coproduction avec l’Italie et la Pologne. </span></p> <p><span>Lié d’amitié avec cette grande figure du cinéma européen, Porchet a tout fait, trois ans durant, pour que ce film se fasse. Contre vents et tempêtes. Face aux campagnes des ultra-féministes qui rabâchent et déforment une histoire vieille de quarante ans, aux Etats-Unis, impliquant une jeune fille qui aujourd’hui est dans les meilleurs termes avec le prétendu coupable. L’offensive «wokiste» a mis Polanski au ban. En Suisse comme en France, aucun soutien public n’a été apporté au film. Une fois terminé, au début de cette année, il a pu être présenté à Venise mais n’a été diffusé que dans quelques rares salles, les distributeurs et les exploitants craignant des manifestations féministes. Il est même totalement proscrit en France. </span></p> <p><span>Pour Jean-Louis Porchet les difficultés du début ont tourné à la descente aux enfers. Faute de rentabiliser les droits d’exploitation, sous le poids des dettes contractées pour boucler le financement du tournage, son entreprise est menacée de faillite. L’accumulation des tracas finit par accabler le solide cueilleur de champignons. </span></p> <p><span>Le dimanche 24 mars, en route vers un ami à Rennaz, il s’arrête près de Cully, fume un cigare, son péché parcimonieux, et laisse flotter ses pensées sur le lac. Il repart et là, sans pouvoir l’expliquer encore, dans un blanc soudain, traverse la chaussée et écrase sa voiture du haut mur de Lavaux. Fracassé, il la voit prendre feu, reste prisonnier. Et attend les secours dans d’horribles douleurs. Les deux jambes et des côtes cassées, de graves brûlures.</span></p> <p><span>Le voilà, cinq semaines plus tard, dans une chambre du CHUV. Avec le sens de l’humour. «Les jours d’avant, je me disais sans cesse que j’allais dans le mur. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@XG 17.02.2023 | 08h12
«Merci Monsieur Pilet pour cet excellent article. Ayant passé moi-même une plus d'une année en République Arabe Syrienne en 2016 et 2017, j'ai pu constater que tout n'était pas aussi blanc et noir que ce qui est répété à l'infini par les médias de grand chemin et les dirigeants politiques occidentaux. Les sanctions internationales affectent surtout la population, qui souffre, par exemple, de ne pas avoir accès aux traitements contre le cancer. Les élites ne sont pas concernées par les sanctions. Si l'opposition "démocratique" et leurs "combattants de la liberté" avaient gagné cette guerre, les minorités alaouites, druzes et chrétiennes, qui représentent un gros quart de la population, auraient très certainement été massacrées. Et les sunnites refusant le totalitarisme religieux aussi. La Syrie est une mosaïque extrêmement complexe qui ne peut pas être décryptée par une lecture en noir et blanc. »
@stef 23.03.2023 | 18h48
«Merci pour cet article !
Stop aux sanctions occidentales contre la Syrie ✊»