Actuel / La Suisse en retard d’une guerre
Des soldats de l'armée suisse se formant à l'utilisation des mitrailleuses, durant la guerre de 1914-1918. © DR
Se prémunir contre des attaques belliqueuses? Par ces temps de folies, cela paraît raisonnable même à qui déteste la guerre. Mais comment? En achetant des dizaines d’avions de combat? L’examen des périls réels amène à de toutes autres conclusions. Par ce choix, la Suisse est en retard d’une guerre. Ce n’est pas la première fois…
Rappel historique piquant. Quand éclata le conflit de 1914-1918, le Conseil fédéral ne croyait pas du tout à l’aviation. C’est la Société suisse des officiers, des particuliers, des industriels qui prirent l’initiative de construire des appareils militaires et firent une collecte dans ce but! Au lendemain de la Première guerre mondiale, l’armée suisse resta dans les vieilles habitudes, privilégiant l’infanterie et l’artillerie, peu intéressée par les avions et les chars. Puis, voyant que ces engins modernes allaient jouer un grand rôle, elle acheta en toute hâte quelques Morane français et plusieurs Messerschmitt allemands. Problème! Lorsque la Seconde guerre mondiale éclata, en mai-juin 1940, l’aviation nazie tenta plus d’une fois de survoler la Suisse pour conquérir la France. Il survint quelques sérieux incidents, pas moins de 11 avions de la Luftwaffe ont été abattus par la DCA et l’aviation suisses. Hitler se fâcha de voir des machines allemandes s’en prendre aux siennes, et le 20 juin 1940, après une crise diplomatique sévère, le général Guisan dut donner l’ordre de ne plus s’en prendre aux vols des Allemands.
Mais depuis ce lointain passé, la guerre a pris tant d’autres formes, utilisé tant d’autres outils. Dans les dernières décennies, il y eut toutes sortes de conflits terriblement meurtriers mais peu de combats aériens. Le Vietcong a chassé les Américains du Vietnam sans un seul avion, en dépit des effroyables bombardements subis. Les talibans sont en train de reprendre le contrôle de l’Afghanistan sans aviation, face à l’armada américaine. La dernière bataille des airs date de 1973, lors de la guerre du Kippour, quand les Israéliens ont mis en déroute les armées arabes dont les appareils furent détruits, faute d’équipements électroniques modernes. Quant aux djihadistes d’aujourd’hui qui grignotent des pans entiers de l’Afrique, ils ne savent pas voler mais ils parviennent à résister aux attaques du ciel.
Les drones offensifs
Un épisode récent devrait faire réfléchir nos stratèges. Le 14 septembre 2019, les rebelles yéménites aidés par l’Iran ont bombardé deux centres pétroliers d’Arabie saoudite avec des drones offensifs. L’aviation saoudienne qui compte des centaines d’appareils ultra-modernes est restée impuissante, totalement dépassée face à cette technologie.
Toutes les grandes puissances œuvrent à se doter de ces engins, pouvant voler à très haute et à très basse altitude, souvent capables d’échapper à la surveillance des radars. Elles espèrent trouver de nouveaux moyens pour s’en protéger grâce à des technologies de pointe en pleine évolution.
La Suisse n’est pas totalement en reste. En plus des engins de surveillance, elle a acheté six drones lourds israéliens (Hermès 900 HFE) dont le premier est arrivé en décembre mais ne vole pas encore. Pour bombarder qui? Le vrai défi, c’est de s’en protéger. Récemment, en 2017, l’armée s’est dotée d’un «Centre suisse des drones et de la robotique», encore modeste, qui planche sur les dernière innovations. Histoire de ne pas se retrouver en retard d’une guerre. Voilà qui serait bien plus prioritaire que l’achat d’avions de combat!
Qu’il faille assurer une police du ciel capable d’intercepter les aéronefs égarés ou suspects, c’est l’évidence. Ce que nous n’avons d’ailleurs pas été capables de faire 24 heures sur 24 jusqu’à tout récemment. Pour cela, un nombre limité d’avions suffit, sans que ceux-ci soient équipés pour des missions de bombardements au long cours.
Les menaces de la cyberguerre
Enfin il devient tellement évident que les menaces d’aujourd’hui sont de tout autre ordre. La cyberguerre a déjà frappé notre territoire. En 2014, l’usine d’armements Ruag, propriété de la Confédération, a fait l’objet d’une attaque cybernétique face à laquelle elle s’est trouvée totalement dépourvue. Les espions eurent accès à une masse énorme d’informations sensibles. De mêmes agressions pourraient perturber ou paralyser nos systèmes de communications, nos entreprises, nos centrales électriques… Le département de la défense s’en préoccupe bien sûr, mais pour l’heure il ne fournit aucun plan complet et crédible, il ne chiffre pas les besoins financiers pour empoigner sérieusement ce pan vital de notre sécurité. Et quand on sait l’ampleur des fiascos informatiques de l’administration fédérale, on a de quoi s’inquiéter.
Le risque d’une guerre classique avec attaques aériennes contre nous est devenu quasiment nul. Et dans cette hypothèse invraisemblable, la riposte ne serait envisageable qu’en étroite coopération avec les pays voisins… qui verraient les méchants avions dans leur ciel bien avant qu’ils ne survolent nos Alpes. Ce qui veut dire en clair qu’une telle flotte guerrière n’aurait de sens qu’en s’intégrant au système de l’OTAN. L’armée suisse le reconnaît d’une certaine manière puisque notre aviation a participé à plusieurs manœuvres otanesques (dans le cadre du «Partenariat pour la paix»), notamment sur la mer du Nord.
Cette proposition d’achat d’avions de combat résulte soit d’une vision dépassée de la guerre, soit d’une volonté de satisfaire les Américains qui s’égosillent pour demander un renforcement des armées européennes… avec les armes qu’ils produisent. Ou alors, l’une et l’autre raison.
Les milliards demandés peuvent servir à d’autres buts infiniment plus sages. Dans tous les domaines. Y compris celui de la sécurité.
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Peu audible d’ailleurs chez lui et chez ses partenaires, guère enthousiastes de cette prétention au leadership. En termes exaltés et alarmistes, le président français en appelle au renforcement massif de la défense européenne. Non sans raisons. Mais pour quoi faire? Affronter la menace de la Russie? Voyons son armée. Elle s’escrime autour de quelques villages dans l’est de l’Ukraine, à quelques kilomètres de chez elle, elle peine à prendre la ville voisine de Karkhiv malgré d’horribles destructions. Elle n’est manifestement pas de taille à s’en prendre aux pays de l’OTAN, ni matériellement ni humainement. Les divers pays européens sont loin d’être démunis de moyens militaires. Même si leur base industrielle a des lacunes. On le sait aussi au Kremlin, où, quoi qu’on en dise, on est réaliste, on n’a pas la folie des grandeurs. Point effectivement à soulever: il est vrai que les Européens feraient bien de se préoccuper davantage de la défense anti-drones et anti-missiles. Ces engins, peu coûteux à produire mais ruineux pour s’en défendre, jouent un rôle-clé dans les conflits d’aujourd’hui. Et les Russes ne sont pas seuls à en disposer. Dans la cybersécurité aussi, il y a aussi de sérieux efforts à faire. Comme en Suisse, où le Département de la Défense confie cette tâche à son entreprise boiteuse Ruag qui s’appuie elle-même sur l’entité issue de Crypto AG, célèbre pour le scandale de ses tricheries. La Confédération a misé en plus sur une société bernois brinquebalante, Xplain, et admet aujourd’hui le désastre. Même des informations confidentielles sur les Conseillers fédéraux ont été balancés dans le «darknet». </span></p> <p><span>Mais nos militaires et leur cheffe ne rêvent que d’acquérir toujours plus d’avions, de blindés et de canons… à acheter aux Etats-Unis bien sûr. Viola Amherd se frotte les mains: une curieuse proposition agite le Parlement. Il s’agit de faire sauter la limite aux dépenses fédérales et de consacrer dix milliards supplémentaire pour l’armée et cinq pour l’Ukraine d’ici à 2030. C’est un groupe inhabituel de femmes parlementaires alémaniques qui est à la besogne. Dont une centriste, Marianne Tinder («Je suis en mesure d'évaluer la gravité de la menace même sans jours de service militaire»), sa collègue de parti entrée au Parlement en décembre dernier («Quand j'entends que l'armée n'a même pas assez de gilets de protection, cela me fait réfléchir»), la socialiste Franziska Roth («Nous ne pouvons pas nous cacher constamment derrière des lignes rouges»). A compter aussi dans ce que le <em>Tagesanzeiger</em> appelle les «dealmakers»: une autre centriste, Andrea Gmür, la socialiste Sarah Wyss, la verte libérale Corina Gredig. Etonnant, ce quarteron féminin, inter-partis, prônant l’urgence des armes.</span></p> <p><span>Bien que le président du PS Cedric Wermuth et la Fédération des sociétés militaires – curieux attelage! – applaudissent l’idée, celle-ci passe mal. Le patron du Centre Gerhard Pfister tousse, les radicaux, derrière Karin Keller-Suter, préoccupés par l’endettement, s’y opposent. Et il se trouvera sans doute des socialistes pour refuser cet emballement. Quant au petit peuple à qui on ne demandera pas son avis, il sait que de telles dépenses supplémentaires entraîneront inévitablement des coupes là où cela lui fait mal. </span></p> <p><span>Il vaut la peine de s’interroger sur les ressorts de cette outrance militariste. Que ce soit dans le mode déclamatoire d’un Macron ou dans les chuchotements du Palais fédéral. La politique sort alors du champ rationnel, de l’analyse froide des réalités, elle entre dans l’escalade des émotions morales, détermine dans le mode binaire, gagner ou perdre la guerre. Or l’histoire récente donne tant d’exemples où les conflits ont fini par des pourparlers. Plus ceux-ci ont tardé, plus se sont inutilement prolongées les souffrances.</span></p> <p><span>Rester fidèles à nos principes? Bien sûr. Mais alors pourquoi ne pas s’activer plutôt au chapitre de la paix? Pourquoi ne pas tirer toutes les ficelles en vue de véritables négociations dans le conflit Ukraine-Russie? Dans son emportement Emmanuel Macron n’a même pas prononcé ces mots. Et en l’occurence helvétique, les chantres féminins du pactole aux armes n’en ont eu aucun dans ce sens. Et le grand raout prévu au Bürgenstock, direz-vous? L’intention est certes louable mais le cadrage est défini par un seul des camps en présence et par les Etats-Unis. Cela en fait un simulacre de négociations. Qui pourrait bien en rajouter une couche à la frénésie belliqueuse. Alors même que le moment approche où les belligérants, plus ou moins épuisés, devront bien se résoudre à cesser le feu et à engager des pourparlers. Plus ils attendront, plus la malheureuse Ukraine sera mal prise. Regrettant que l’accord à bout touchant du tout début de la guerre ait été sabordé.</span></p> <p><span>Quant à l’autre guerre qui nous bouleverse, au Moyen Orient, elle est promise à durer longtemps, très longtemps, sous une forme ou une autre. Totalement dépassée et discréditée, la Suisse ne songe même pas à proposer une négociation, ni sur l’immédiat, ni sur le fond. Peu dit: un autre pays tente discrètement cet effort, non sans expérience. La Norvège.</span></p> <p><span>Mais le Conseil fédéral paraît tenir à réaffirmer son alignement sur la ligne d’Israël. Après avoir concédé une aide réduite, la commission parlementaire des Affaires étrangères propose de supprimer à terme tout soutien à l’UNRWA. 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Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! ', 'content' => '<p><span>Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! Ces trente dernières années, son entreprise, sise à Lausanne, CAB-Productions, a permis à de nombreux cinéastes, locaux et internationaux, de s’exprimer librement. Tournant en Suisse, avec des comédiens, des techniciens d’ici et d’ailleurs. De Francis Reusser à Dominique de Rivaz, d’Alain Tanner à Jean-François Amiguet, de Marcel Schüpbach à Pierre-Yves Borgeaud, de Greg Zlingski à Olivier Assayas, de Benoît Mariage à Claude Chabrol, et tant d’autres. Dernier en date, Roman Polanski. Avec le tournage à Gstaad de <em>The Palace</em>, en coproduction avec l’Italie et la Pologne. </span></p> <p><span>Lié d’amitié avec cette grande figure du cinéma européen, Porchet a tout fait, trois ans durant, pour que ce film se fasse. Contre vents et tempêtes. Face aux campagnes des ultra-féministes qui rabâchent et déforment une histoire vieille de quarante ans, aux Etats-Unis, impliquant une jeune fille qui aujourd’hui est dans les meilleurs termes avec le prétendu coupable. L’offensive «wokiste» a mis Polanski au ban. En Suisse comme en France, aucun soutien public n’a été apporté au film. Une fois terminé, au début de cette année, il a pu être présenté à Venise mais n’a été diffusé que dans quelques rares salles, les distributeurs et les exploitants craignant des manifestations féministes. Il est même totalement proscrit en France. </span></p> <p><span>Pour Jean-Louis Porchet les difficultés du début ont tourné à la descente aux enfers. Faute de rentabiliser les droits d’exploitation, sous le poids des dettes contractées pour boucler le financement du tournage, son entreprise est menacée de faillite. L’accumulation des tracas finit par accabler le solide cueilleur de champignons. </span></p> <p><span>Le dimanche 24 mars, en route vers un ami à Rennaz, il s’arrête près de Cully, fume un cigare, son péché parcimonieux, et laisse flotter ses pensées sur le lac. Il repart et là, sans pouvoir l’expliquer encore, dans un blanc soudain, traverse la chaussée et écrase sa voiture du haut mur de Lavaux. Fracassé, il la voit prendre feu, reste prisonnier. Et attend les secours dans d’horribles douleurs. Les deux jambes et des côtes cassées, de graves brûlures.</span></p> <p><span>Le voilà, cinq semaines plus tard, dans une chambre du CHUV. Avec le sens de l’humour. «Les jours d’avant, je me disais sans cesse que j’allais dans le mur. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
7 Commentaires
@Lagom 30.06.2020 | 16h47
«M. Pilet, Vous devriez savoir que notre pays fait parti de l'Occident, neutre, c'est pour le folklore. De temps en temps, il est de notre devoir de déverser dans le trou noir des budgets des fabricants d'armes occidentaux quelques milliards, c'est tout. L'utilité des avions n'est pas stratégique ni tactique, c'est de la solidarité M. Pilet et c'est bien ainsi. Les avions est un équipement de base de tous les pays du monde à part Monaco et le Vatican ! »
@Chuck50 02.07.2020 | 11h49
«D’accord pour les drones, mais l’industrie est encore très loin de créer des drones qui remplaceront les avions de chasse classique et surtout pas moins cher. D’autre part, si on lit les publications aéronautiques, il y a actuellement de nombreux projet d’avion de combat en cours.»
@Chemite 02.07.2020 | 15h12
«Merci.»
@Marianne W. 05.07.2020 | 19h38
«Un propos plein d'un bon sens qu'on ne peut qu'approuver... et souhaiter que nos autorités l'entendent ! Ainsi que le peuple qui sera appelé à se prononcer.»
@Qovadis 06.07.2020 | 17h36
«En pointant une menace qui ne tombe pas du ciel, la cyberguerre, Monsieur Pilet essaie de nous convaincre qu’une armée efficace peut se passer d’une couverture aérienne du territoire qu’elle défend. Je ne pense pas qu’il sera suivi par une majorité de nos concitoyens. Maintenant si c’est une question de sous, je ne vois pas où est le problème. Notre ministre des finances, le conseiller fédéral Ueli Maurer vient d’affirmer que la Suisse peut absorber sans hausse d’impôt la facture du coronavirus, soit 23 à 36 milliards de francs (journal 24Heures du 2 juillet 2020). Cette somme est 4 à 6 fois supérieure au crédit demandé pour l’achat de nouveaux avions. Quant à la BNS, sa solide performance affichée en 2019, avec un bénéfice de 48,9 milliards de francs, a permis de redistribuer 4 milliards de francs à la Confédération et aux cantons. Après ces versements, le solde de la réserve pour distributions futures s'est confortablement inscrit à 84 milliards. Ce serait vraiment bête de prendre le risque de mourir riche à cause d’une défense inadéquate.»
@Fandeski 06.07.2020 | 19h11
«Merci à Jacques Pilet de nous sensibiliser sur ces nouvelles menaces qui peuvent peser sur la paix dans le monde et subséquemment sur celle de notre pays.»
@stef 26.07.2020 | 18h03
«La défense du ciel n'a plus aucune raison d'être !
La souveraineté ? un bien grand mot pour faire croire que c'est important.
Il y a bien plus important que de faire joujou avec des gadgets à plusieurs milliards !
Mais si on analyse plus en finesse, quelles sont les menaces aériennes futures qui pourraient nous tomber sur la gueule ?
- le terrorisme ?
à part pour venir déposer de l'argent dans une de nos banques, je ne vois pas !
- un pays voisin ?
tout le monde sait qu'attaquer son banquier cela ne se fait pas !
- invasion de la Russie ?
la guerre froide est terminée !
Bref, comme vous l'aurez compris, les menaces actuelles ne nécessitent pas d'aviation, mais deux types de renforcements en vue de la crise climatique à venir:
- renforcement sérieux du renseignement, sous toutes ses formes
- renforcement des frontières terrestres»