Klaus Schwab, fondateur du World Economic Forum, lors de l'ouverture de la 50ème réunion annuelle à Davos, le 21 janvier. © DR via Twitter/WEF
Ce n’est pas celle du roman de Thomas Mann qui, à Davos en 1924, explorait les troubles de l’âme et du siècle. Celle du magicien d’aujourd’hui sert de scène à un show mondial et tapageur. Klaus Schwab fête les 50 ans de son forum avec une assurance époustouflante. Il déclare dans une interview à la NZZ qu’il a contribué à «améliorer le monde». En réunissant des dirigeants ennemis, en sensibilisant les plus puissants chefs d’entreprises à l’intérêt général au-delà du leur. Dans le jargon, on appelle ça le management des shareholders value. A-t-il atteint son but? La notoriété extraordinaire de l’évènement, sans doute. L’humanisation du capitalisme? Haha…
Les opposants systématiques au WEF qui y voient le complot des puissants et des super-riches sont à côté de la plaque. Il ne se trame rien, il ne se décide rien là-haut. On y nourrit un immense bavardage. Ce qui d’ailleurs peut avoir son utilité: tous les contacts ainsi noués ne sont pas inutiles. De là à voir un espoir pour l’humanité… quelle folle ambition. Et quelle hypocrisie. Amener dans les mêmes parages Trump et Greta, des chefs d’Etat antagonistes, des milliers de grands patrons plus rivaux que copains, des dirigeants d’ONG pleins de bonnes intentions et en quête de reconnaissance, c’est flatteur pour eux, c’est impressionnant pour le public, ce n’est sûrement pas faire bouger les lignes face aux défis d’aujourd’hui. Rabâcher les discours sur l’enjeu climatique n’incite pas forcément à l’action, à la réelle réinvention de nos modes de production et de consommation. La jeune Suédoise devenue l’emblème incontournable de la cause peut trépigner et distiller sa colère encore longtemps. Et la présidente de la Confédération pourra ressortir plus d’une fois son laïus gentillet sur le même thème.
Il n’y a pas à condamner le raout de Davos. Sans lui le monde ne se porterait pas mieux. Mais le célébrer à tout va, c’est s’interdire la réflexion. On peut ainsi se demander ce que montre ce théâtre et ce qu’il ignore. Les hôtes choisis de Klaus Schwab ont abordé un grand nombre de sujets. Il y en a un qui, comme par hasard, n’émerge pas: l’incroyable et grandissante concentration des richesses. L’injustice fondamentale liée au capitalisme et aux dérives financières d’aujourd’hui suscite l’indignation dans tant de pays. La seule réponse qu’elle appelle est politique. Elle n’est pas dans les discours apparemment consensuels.
Il y a dans l’esprit de Davos un côté «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil». Les ennemis dialoguent, les big boss se serrent la main autour d’un coupe de champagne, les super-riches écoutent même les sages portes-parole de la contestation. Une façon d’enfumer les antagonismes profonds.
A preuve de cet angélisme clinquant, l’étonnante présence du WEF sur le réseau social qui fait un malheur chez les jeunes du monde entier: Tiktok. Une plateforme d’échanges chinoise, nourrie de petites videos (pas plus de 60 secondes!). Surtout des jeunes filles qui se trémoussent, des mecs qui jouent les gros bras, des gags minuscules. Mais attention, pas d’érotisme, pas de politique! Des modérateurs chinois veillent au grain. C’est un succès fou. Or le WEF y a sa page, à côté des milliers de minettes et minets, à-côté des starlettes qui, en tête du palmarès des «tiktokers», réunissent des millions d’abonnés. On y trouve de brefs spots sur tout ce qui va bien dans le monde, choisis par quelques-uns des 800 employés de Klaus Schwab. Des Africains qui recueillent le plastique pour en faire des briques, les requins hier menacés qui vont mieux aujourd’hui, Singapour qui est l’économie la plus compétitive du monde, une jeune fille expliquant que les leaders ne sont pas des gentils mais que les meilleurs d’entre eux sont ceux capables d’empathie… On se pince. La page du WEF compte 130 000 abonnés. Pas autant qu’une certaine Loren Gray, 17 ans, sexy et couverte de bijoux, qui en a attiré 38 millions en se trémoussant. Mais pas mal tout de même. La pauvre Greta Thunberg, récemment arrivée, n’en a que… 568. Il faut dire que le patron chinois et américain de Tiktok, Alex Zhu, reconnaît dans une interview au Spiegel qu’il n’en a jamais entendu parler. Il explique aussi que la politique, ce n’est pas la tasse de thé de la maison. Il faut bien, selon lui, des lieux où on ne l’aborde pas, comme les musées, les théâtres… et sa plateforme géante.
On ne va pas juger la belle réussite de Klaus Schwab à l’aune de cette communication marginale. Mais celle-ci laisse songeur, non?
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.</p> <p>N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. 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Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.</p> <p>Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. Tout comme la rivale du vainqueur, arrivée en deuxième position, Elena Lasconi, qui voit là «un retour des jours sombres du communisme». Mme von der Leyen croit bon au contraire d’appuyer le président roumain sortant qui réclame une enquête sur les ingérences hypothétiques de la Russie lors de la campagne, largement menée sur les réseaux sociaux.</p> <h3><strong>Qui veut la peau de Călin Georgescu ?</strong></h3> <p>C’est piquant si l’on songe que sur l’autre bord, l’influence américaine pèse lourd sur ce pays. Son commandant en chef, le général Vlad, a été formé dans la plus haute école militaire aux USA et a même participé à l’opération menée contre l’Irak en 2003. Depuis la guerre en Ukraine, la pression de l’OTAN et des lobbies de l’armement est énorme. Le budget de la défense roumaine a augmenté de 53 %, il représente 3 % du PIB. Une grande base est en construction à la frontière avec la Russie. Des contingents étrangers sont sur place, notamment avec environ 1000 soldats français. </p> <p>Alors évidemment Georgescu est un gêneur. Il ne veut pas quitter l’OTAN, mais considère que l’intérêt de la Roumanie, c’est l’arrêt au plus vite de la guerre. Ce qui lui vaut aussitôt chez nous l’étiquette de pro-russe. Il s’oppose aussi à une dépense prévue de 6,5 milliards de dollars pour l’achat d’une flotte de FA-35 dans un pays où le quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. On voit dès lors qui veut sa peau, au-delà des appareils politiques locaux accrochés à leurs pouvoirs et leurs privilèges. </p> <p>L’impertinent aggrave encore son cas avec sa revendication d’un meilleur contrôle et d’une plus forte imposition des sociétés internationales (notamment américaines, françaises, autrichiennes, kazakhs, émiratis... et russes) qui exploitent les considérables ressources minières de la Roumanie, pétrole et gaz en tête. Le discours nationaliste passe bien ailleurs et fort mal là… A noter qu’il ne souhaite nullement la sortie de l’UE mais souhaite y défendre mieux les intérêts de son pays. Comme à peu près tous. </p> <h3><strong>Portrait d’un personnage peu banal</strong></h3> <p>L’image caricaturale qui nous est proposée de ce personnage peu banal est à côté de la plaque. Cet ingénieur agronome écologiste a fait carrière dans les institutions de son pays et aux Nations Unies (avec un passage à Genève). Il maîtrise son propos, plutôt mesuré. Mais avec le sens de la formule. Par exemple, à propos des partis traditionnels qui ont connu bien des cas de magouilles et de corruptions: «ils essuient leurs bottes sales sur le visage de la démocratie!»</p> <p>C’est un conservateur comme on en trouve en France, en Allemagne. Avec en plus des préoccupations sociales, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la condition paysanne. Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. Plus inquiétant pour lui: divers services s’activent pour trouver quelques charges à son encontre qui permettraient d’écarter une nouvelle candidature. «Comme il n’y a rien à me reprocher, il leur faut du temps pour fabriquer des preuves…», commente l’intéressé. Il appelle de ses vœux des enquêteurs internationaux, européens, américains. Ajoutant: «Nous respectons nos partenaires démocratiques, mais j’ai le sentiment qu’ils nous lâchent, j’espère me tromper.»</p> <h3><strong>L’Union européenne discréditée </strong></h3> <p>Il y a bien lâchage du côté de Mme von der Leyen et ses gens. Soucieux d’abord de s’aligner sur la ligne de l’OTAN et de l’administration Biden, entraînant tant de médias dans ce sillage. Il s’agit là d’une dérive de l’UE et de ses principes. Une fois de plus, la tactique du «deux poids deux mesures». On tance un Erdogan, un Fico (le président slovaque), mais pas un mot sur le président roumain Iohannis qui prolonge son mandat en cassant une élection. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@gugus 26.01.2020 | 19h58
«OK, alors on ne fait rien? Mettre les gens de tous bords en contact autour des thèmes actuels ne sert à rien?" L'incroyable et grandissante concentration des richesses" est un sujet qui est récurent au WEF depuis des années, me semble - t -il. Le salaire d'un CEO peut être 1300 à 1700 fois plus élevé que celui d'un simple employé. Interviewé par Darius Rochebin, K. Schwab a suggéré que ça ne devrait pas être plus de 20 fois! A part augmenter les impôts au niveau mondial pour cette catégorie de salaire je ne vois que trafiquer l'ADN des milliardaires comme solution!»
@stef 16.02.2020 | 16h03
«Quand le 98% de la population comprendra enfin que les super-riches ne se préoccupent aucunement de nous, sauf pour réfléchir comment nous traire encore mieux et le plus légalement du monde, en édictant de nouvelles qu’ils auront sû édicter grâce au noyautage des gouvernements, appelé "lobbying" !»