Actuel / L’homophobie dans le milieu de la pédale
«Les sportifs pro sont tous épilés comme des femmes. Ils se sautent dessus, ils s’embrassent, mais ça doit être viril, il y a une sorte de paradoxe.»
© PxHere
Dans le jargon du cyclisme, «les chaussettes en titane», c’est l’équivalent de la pédale légère. Les jours avec, quand les cols se laissent avaler presque sans résistance. Olivier Chapuis en a fait le titre d’un micro-roman tout frais paru chez l’éditeur lausannois BSN presse, dans la collection Uppercut. Une collection de petits livres percutants, tous liés au sport, initiée en 2017 et aujourd’hui forte d’une dizaine de titres.
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Mon rôle consistait à me tenir à disposition des visiteurs pour des renseignements concrets, une écoute, à leur proposer des ateliers qui sortaient du cadre habituel et permettaient aux parents détenus d’avoir un rendez-vous de plus avec leur enfant. </p> <p><strong>Ce doit être particulièrement déstabilisant quand un parent, censé inculquer le respect de la loi et mettre en garde contre les risques liés à la toxicomanie, bascule dans la délinquance et en particulier dans le trafic de drogue?</strong></p> <p>Je tenais à montrer l’évolution d’Oriane qui commence par soutenir son père, puis prend conscience de la gravité de ses actes et s’octroie le droit de porter un jugement sur lui, parce qu’il ne tient plus son rôle de garant du cadre. 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Les proches sont au premier front pour encaisser les jugements. Mais à la fondation Repère, j’ai aussi rencontré des gens très à l’aise avec l’idée d’avoir un proche derrière les barreaux, et très décomplexés.</p> <p><strong>Votre narratrice a parfois l’air plus adulte que ses parents. Est-elle parentalisée ou est-ce juste une impression due au fait que le lecteur n’a que son point de vue?</strong></p> <p>Un peu des deux. Quand j’avais encore trois points de vue, j’essayais de montrer comment chacun pense avoir raison. C’est intéressant de chercher l’angle d’interprétation à partir duquel les gens estiment faire ce qu’il faut. Oriane a ce rôle de grande sœur réconfortante.</p> <p><strong>Vous décrivez un lien très fort et très touchant entre la grande sœur et son petit frère. Est-ce que les circonstances les amènent à mettre de côté les disputes habituelles au sein d’une fratrie?</strong></p> <p>Non, je pense que leur relation serait la même en d’autres circonstances. Cet amour très fort et cet agacement ultime existent avant l’incarcération du père. S’y ajoutent ensuite l’inquiétude et le besoin de protéger le petit frère. Oriane en veut à ses parents de devoir porter leur mensonge.</p> <p><strong>Votre narratrice est gardienne de foot dans une équipe mixte: le prétexte pour ajouter une petite touche féministe à votre livre?</strong></p> <p>Oui clairement. Je me suis demandée ce qu’on faisait à cet âge comme activité extrascolaire. J’ai voulu choisir quelque chose d’éloigné de mes propres activités pour éviter qu’Oriane ne devienne une sorte d’alter ego. C’était un bon moyen de prendre de la distance.</p> <p><strong>Comment avez-vous réussi à restituer de façon aussi convaincante les tics de langage, l’attitude très entière propre à l’adolescence, mais aussi une forme de mal-être, de crainte du jugement sans doute exacerbée par ce qu’elle vit?</strong></p> <p>C’est venu très naturellement. J’avais beaucoup travaillé la voix de Noah: dans tous les ateliers d’écriture, j’essayais de faire parler un enfant. J’ai construit Oriane par antithèse en m’inspirant de la façon de parler des gens qui m’entourent. J’avais vingt-et-un ans à l’époque, j’étais encore assez proche de l’adolescence. J’ai aussi pris soin d’éviter un vocabulaire trop précisément daté. J’y ai plus réfléchi comme un souffle que comme une langue.</p> <p><strong>Et la logorrhée de l’enfant?</strong></p> <p>C’est comme une pelote qu’on déroule et qui part dans tous les sens sans jamais se censurer.</p> <p><strong>Pourquoi avoir choisi de fondre les dialogues dans la narration?</strong></p> <p>Les dialogues ont eu beaucoup de formes différentes. Dans les premières versions, j’étais dans cette idée de flux de pensée rendue sous forme de monoblocs avec des dialogues juste marqués par des tirets. Ensuite j’ai quand même ajouté des retours à la ligne, mais comme Oriane a de la peine à dire tout ce qu’elle pense, je trouvais intéressant de maintenant le flou entre dialogue et pensée, pour que le lecteur puisse se demander si elle l’a réellement dit ou juste pensé et si elle a été entendue. Ce qu’elle dit s’inscrit dans une continuité par rapport à son flux de pensée.</p> <p><strong>L’histoire se déroule dans un milieu social très modeste: est-ce que la précarité économique excuse en partie le dérapage du père?</strong></p> <p>Je ne pense pas qu’elle l’excuse, mais elle l’explique. J’avais quand même envie qu’il y ait d’autres solutions, par exemple solliciter l’aide de la grand-mère. Mais les alternatives sont maigres. Maintenant que j’ai travaillé comme assistance sociale, je développerais ces problématiques autrement. Je pourrais imaginer un texte centré sur Léonore (la mère) qui montre la complexité du système social.</p> <p><strong>Y a-t-il là aussi une volonté militante de votre part, montrer par exemple que la pauvreté se transmet d’une génération à l’autre, puisque la fille exclut d’emblée la voie des études?</strong></p> <p>J’ai montré par petites touches que la situation économique cloisonne toute la famille, mais les enfants pourraient en pâtir beaucoup plus. Léonore fait parapluie et préserve sa fille. Je voulais creuser la manière dont un parent doit jongler pour faire face aux besoins de base des enfants et la frustration de devoir le priver. </p> <p><strong>L’art en général, le théâtre en l’occurrence a-t-il un effet rédempteur?</strong></p> <p>Oui, c’est là que Léonore retrouve une place et une famille. Je pense que le théâtre est un outil de résilience, d’ailleurs, je viens de terminer une pièce qui réunit sur scène des migrants et des Fribourgeois dans l’idée qu’on peut avoir des histoires de vie très différentes et se retrouver autour d’un projet qui crée du lien. </p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1721306618_eh_231ecouvmarilourytz_md1200x2000.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="333" /></p> <h4>«Quand papa est tombé malade», Marilou Rytz, Editions de l’Hèbe, 288 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'quand-papa-deale-et-maman-ment', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 108, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2859, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5018, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Un tableau sociologique qui se déguste avec bonheur', 'subtitle' => 'L’autrice genevoise Marie Beer excelle dans l'art de camper des personnages hauts en couleur et de jouer sur les contrastes. 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L’écrivain se glisse dans la peau d’un des champions du Tour de France. Une machine à gagner, un forçat du bitume qui enchaîne les étapes la tête dans le guidon. Cette obsession de la victoire ne l’empêche pas d’aimer sa femme, de souffrir de devoir réfréner ses élans quand elle le rejoint à une étape, compétition oblige, tout en s’estimant heureux de pouvoir au moins l’embrasser en public. Un de ses coéquipiers se trouve pour sa part contraint de vivre sa relation affective dans la plus grande discrétion. Parce que, dans ce milieu, l’homosexualité, ça ne pardonne pas.
En parallèle, plusieurs manifestations contre l’homophobie perturbent la course, profitant de la visibilité offerte par la Grande Boucle.
Un récit enlevé, rythmé, plein de délicatesse, pimenté par le sens de la métaphore auquel l’auteur nous a habitués dans ses ouvrages précédents, qui soulève des questions intéressantes sur la société et la condition humaine.
Olivier Chapuis. © Anne Bichsel
Vous avez déjà écrit sur l’homophobie dans le recueil Gay story paru chez Grimal en 2011, pourquoi ce sujet vous touche-t-il autant?
L’identité sexuelle est un sujet qui me travaille, parce que si la reproduction était le but de la nature, on devrait tous être hétéros. Or, on voit toutes sortes de configurations qui donnent lieu à des discriminations. Dans mon enfance, j’ai été touché par la problématique des minorités à travers la maladie de mon père ou par le fait que j’étais plus grand que tout le monde, gaucher, etc..
Les homosexuels sont-ils encore victimes de discrimination de nos jours en Europe occidentale?
J’ai placé l’histoire dans le sport professionnel, parce que là, il y a encore un problème. Je l’ai constaté en écoutant des interviews. Dans l’ensemble, ça s’est amélioré, on accepte mieux l’idée qu’il existe plusieurs orientations sexuelles. Mais du coup, les homosexuels s’affichent plus facilement et les homophobes ont ainsi des cibles toutes désignées.
Est-ce qu’on n’est pas tombés dans une forme de politiquement correct où on n’ose même plus plaisanter sur le sujet?
Sans doute, comme pour le harcèlement sexuel, c’est tout juste si on ose encore demander l’heure à une femme dans la rue ou prendre un enfant par la main. Toute plaisanterie sur l’homosexualité est susceptible de tomber sous le coup de la censure et peut prendre des proportions aberrantes.
L’homophobie est-elle particulièrement répandue dans le milieu du sport?
J’ai fait du foot et du hockey, ce sont des sports qui se veulent virils, on mange de la viande, pas du quinoa ou des petits pois, il y a toujours un moment où quelqu’un dit: «On n’est pas des pédés, on va remonter le score.» Les gens ne sont pas forcément homophobes, mais ces déclarations sont plus que péjoratives, carrément rabaissantes. Pourtant, les sportifs pro sont tous épilés comme des femmes. Ils se sautent dessus, ils s’embrassent, mais ça doit être viril, il y a une sorte de paradoxe.
À quoi s’expose un sportif/une sportive qui fait son coming-out?
Au rejet principalement, de la part de son équipe, du milieu. Il/elle peut être lâché.e par les sponsors. Certains ont même été poussés à arrêter leur carrière, voire à se suicider. Il y a aussi des sportives comme la joueuse de tennis Amélie Mauresmo ou la capitaine de l'équipe américaine de foot Megan Rapinoe qui se sont certes attirées des critiques et des moqueries, mais aussi des récompenses et des soutiens.
Que revendiquent les manifestants LGBT que vous mettez en scène dans votre récit?
La tolérance et l’acceptation.
Comme dans une gay pride?
J’ai imaginé plutôt une manifestation à laquelle s’associent aussi des hétéros. Les gay pride ont un caractère outrancier qui dérange beaucoup de monde. Je pense que c’est contreproductif.
Comment se manifeste l’homophobie ordinaire?
Le plus souvent par des remarques dépréciatives, des moqueries, parfois par des agressions. Ces derniers mois, il y en a eu une à Lausanne et une à Genève me semble-t-il. Il y a des pays où l’homosexualité est très sévèrement réprimée. Plus on va dans le Nord, plus les homosexuels peuvent se montrer.
Pourquoi avoir placé votre intrigue dans le monde du cyclisme?
D’abord la collection demande que l’intrigue ait pour cadre un sport, ensuite le cyclisme, j’en pratique pas mal en tant qu’amateur, j’ai même fait quelques courses, je connais un peu le milieu, je sais qu’il y a de l’homophobie, ça tombait bien, puisque je voulais parler de ce sujet.
Peut-on considérer les forçats du bitume comme l’emblème de l’aliénation des travailleurs en général?
On peut établir un parallèle. Après, on a l’impression que le cycliste choisit sa profession, qu’il aime l’effort, la sensation de puissance, l’effet des endorphines. Je ne pense pas que l’ouvrier d’usine soit dans la même situation.
Vous montrez bien le côté inhumain de la compétition, les sacrifices et les souffrances que les coureurs s’infligent. Tous ces sacrifices ne sont-ils pas encore plus absurdes et pathétiques de la part des viennent-ensuite du classement?
Sans doute. Le Tour de France vient de commencer, j’ai déjà vu la photo d’un cycliste pris dans une chute qui saignait à l’arcade, avec une pizza sur l’épaule. En 2003, Tyler Hamilton, un coureur américain, a accompli tout le Tour avec une double fracture de la clavicule, partagé entre l’envie de hurler et celle de vomir. Il a fini quatrième au classement général. Dans chaque équipe, il y a un leader pour gagner les sprints ou jouer la victoire du tour. Les autres ont leur rôle: certains doivent l’amener dans la meilleure position possible à 70 mètres de l’arrivée. Les porteurs d’eau sont là pour donner leur propre roue en cas de crevaison si la voiture ne peut pas intervenir assez vite. Au début tout le monde est assigné à ce rôle ingrat. Certains font quinze ans de carrière à porter les bidons des autres ou à tirer le peloton en avant.
Pourquoi avoir choisi comme personnage un des meilleurs coureurs et laissé une fois de plus les suivants dans l’ombre? N’y a-t-il pas un potentiel romanesque dans le rôle de celui qui se ruine la santé sans espoir de jamais poser le pied sur le podium?
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Les chaussettes en titane - Olivier Chapuis - Ed. BSN.
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Parce que, dans ce milieu, l’homosexualité, ça ne pardonne pas. <br />En parallèle, plusieurs manifestations contre l’homophobie perturbent la course, profitant de la visibilité offerte par la Grande Boucle. <br />Un récit enlevé, rythmé, plein de délicatesse, pimenté par le sens de la métaphore auquel l’auteur nous a habitués dans ses ouvrages précédents, qui soulève des questions intéressantes sur la société et la condition humaine.<br /><br /></p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w300/1562834436_olivierchapuisannebichselc10o76742.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Olivier Chapuis. <small>© Anne Bichsel</small></h4> <p><strong>Vous avez déjà écrit sur l’homophobie dans le recueil <em>Gay story</em> paru chez Grimal en 2011, pourquoi ce sujet vous touche-t-il autant?</strong></p> <p>L’identité sexuelle est un sujet qui me travaille, parce que si la reproduction était le but de la nature, on devrait tous être hétéros. Or, on voit toutes sortes de configurations qui donnent lieu à des discriminations. Dans mon enfance, j’ai été touché par la problématique des minorités à travers la maladie de mon père ou par le fait que j’étais plus grand que tout le monde, gaucher, etc..</p> <p><strong>Les homosexuels sont-ils encore victimes de discrimination de nos jours en Europe occidentale?</strong></p> <p>J’ai placé l’histoire dans le sport professionnel, parce que là, il y a encore un problème. Je l’ai constaté en écoutant des interviews. Dans l’ensemble, ça s’est amélioré, on accepte mieux l’idée qu’il existe plusieurs orientations sexuelles. Mais du coup, les homosexuels s’affichent plus facilement et les homophobes ont ainsi des cibles toutes désignées.</p> <p><strong>Est-ce qu’on n’est pas tombés dans une forme de politiquement correct où on n’ose même plus plaisanter sur le sujet?</strong></p> <p>Sans doute, comme pour le harcèlement sexuel, c’est tout juste si on ose encore demander l’heure à une femme dans la rue ou prendre un enfant par la main. Toute plaisanterie sur l’homosexualité est susceptible de tomber sous le coup de la censure et peut prendre des proportions aberrantes.</p> <p><strong>L’homophobie est-elle particulièrement répandue dans le milieu du sport?</strong></p> <p>J’ai fait du foot et du hockey, ce sont des sports qui se veulent virils, on mange de la viande, pas du quinoa ou des petits pois, il y a toujours un moment où quelqu’un dit: «On n’est pas des pédés, on va remonter le score.» Les gens ne sont pas forcément homophobes, mais ces déclarations sont plus que péjoratives, carrément rabaissantes. Pourtant, les sportifs pro sont tous épilés comme des femmes. Ils se sautent dessus, ils s’embrassent, mais ça doit être viril, il y a une sorte de paradoxe.</p> <p><strong>À quoi s’expose un sportif/une sportive qui fait son coming-out?</strong></p> <p>Au rejet principalement, de la part de son équipe, du milieu. Il/elle peut être lâché.e par les sponsors. Certains ont même été poussés à arrêter leur carrière, voire à se suicider. Il y a aussi des sportives comme la joueuse de tennis Amélie Mauresmo ou la capitaine de l'équipe américaine de foot Megan Rapinoe qui se sont certes attirées des critiques et des moqueries, mais aussi des récompenses et des soutiens.</p> <p><strong>Que revendiquent les manifestants LGBT que vous mettez en scène dans votre récit?</strong></p> <p>La tolérance et l’acceptation.</p> <p><strong>Comme dans une gay pride?</strong></p> <p>J’ai imaginé plutôt une manifestation à laquelle s’associent aussi des hétéros. Les gay pride ont un caractère outrancier qui dérange beaucoup de monde. Je pense que c’est contreproductif.</p> <p><strong>Comment se manifeste l’homophobie ordinaire?</strong></p> <p>Le plus souvent par des remarques dépréciatives, des moqueries, parfois par des agressions. Ces derniers mois, il y en a eu une à Lausanne et une à Genève me semble-t-il. Il y a des pays où l’homosexualité est très sévèrement réprimée. Plus on va dans le Nord, plus les homosexuels peuvent se montrer.</p> <p><strong>Pourquoi avoir placé votre intrigue dans le monde du cyclisme?</strong></p> <p>D’abord la collection demande que l’intrigue ait pour cadre un sport, ensuite le cyclisme, j’en pratique pas mal en tant qu’amateur, j’ai même fait quelques courses, je connais un peu le milieu, je sais qu’il y a de l’homophobie, ça tombait bien, puisque je voulais parler de ce sujet.</p> <p><strong>Peut-on considérer les forçats du bitume comme l’emblème de l’aliénation des travailleurs en général?</strong></p> <p>On peut établir un parallèle. Après, on a l’impression que le cycliste choisit sa profession, qu’il aime l’effort, la sensation de puissance, l’effet des endorphines. Je ne pense pas que l’ouvrier d’usine soit dans la même situation.</p> <p><strong>Vous montrez bien le côté inhumain de la compétition, les sacrifices et les souffrances que les coureurs s’infligent. Tous ces sacrifices ne sont-ils pas encore plus absurdes et pathétiques de la part des viennent-ensuite du classement?</strong></p> <p>Sans doute. Le Tour de France vient de commencer, j’ai déjà vu la photo d’un cycliste pris dans une chute qui saignait à l’arcade, avec une pizza sur l’épaule. En 2003, Tyler Hamilton, un coureur américain, a accompli tout le Tour avec une double fracture de la clavicule, partagé entre l’envie de hurler et celle de vomir. Il a fini quatrième au classement général. Dans chaque équipe, il y a un leader pour gagner les sprints ou jouer la victoire du tour. Les autres ont leur rôle: certains doivent l’amener dans la meilleure position possible à 70 mètres de l’arrivée. Les porteurs d’eau sont là pour donner leur propre roue en cas de crevaison si la voiture ne peut pas intervenir assez vite. Au début tout le monde est assigné à ce rôle ingrat. Certains font quinze ans de carrière à porter les bidons des autres ou à tirer le peloton en avant.</p> <p><strong>Pourquoi avoir choisi comme personnage un des meilleurs coureurs et laissé une fois de plus les suivants dans l’ombre? N’y a-t-il pas un potentiel romanesque dans le rôle de celui qui se ruine la santé sans espoir de jamais poser le pied sur le podium?</strong></p> <p>Oui, ça aurait été un looser magnifique. Mais j’avais envie de quelqu’un de fort qui devient lucide sur son activité, qui en vient à se demander si le jeu en vaut la chandelle.</p> <p><strong>Votre livre est dédicacé à l’amour, mais ces sportifs de haut niveau sont-ils déjà capables de s’aimer eux-mêmes? La soif de victoire, le besoin de reconnaissance ne les poussent-ils pas à s’infliger des efforts surhumains?</strong></p> <p>Oui, ils martyrisent leur corps, ils ont des physiques hors norme. Beaucoup ont des troubles du rythme cardiaque, il y a une forme de masochisme, d’autodestruction. Mon personnage a d’autres attaches, une femme, des enfants, des liens forts. C’est son entourage qui l’amène à se poser des questions. J’ai voulu sortir du cliché du sportif monomaniaque. D’un autre côté, la stabilité affective semble jouer un rôle important chez les sportifs d’élite. Elle contribue pour beaucoup à leur équilibre.</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w175/1562834250_ob_bc72da_leschaussettesentitanechapuis.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></h4> <h4>Les chaussettes en titane - Olivier Chapuis - Ed. 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Il m’est finalement apparu que les autres personnages étaient plus intéressants en creux. Parce que c’est clairement autour d’un personnage que je construis ma narration pour un roman: en l’occurrence autour de Noah, dit le puceron, avec la problématique du mensonge et de la prison. La nouvelle en revanche s’articule plutôt autour d’une thématique, parce qu’on a moins de temps pour développer les personnages. Il faut les rendre très clairs en peu de lignes.</p> <p><strong>Qu’est-ce qui vous a inspiré l’envie de parler de la situation des proches de délinquants?</strong></p> <p>Une émission à la radio où Viviane Schekter de la fondation REPR (Relai Enfant Parents Romands) parlait des familles de détenus. La prison m’intéresse depuis longtemps, mais je n’avais jamais pensé à ce que la détention pouvait impliquer pour les familles. J’ai ensuite été bénévole pour Repère pendant des années au Bois-Mermet. 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Les proches sont au premier front pour encaisser les jugements. Mais à la fondation Repère, j’ai aussi rencontré des gens très à l’aise avec l’idée d’avoir un proche derrière les barreaux, et très décomplexés.</p> <p><strong>Votre narratrice a parfois l’air plus adulte que ses parents. Est-elle parentalisée ou est-ce juste une impression due au fait que le lecteur n’a que son point de vue?</strong></p> <p>Un peu des deux. Quand j’avais encore trois points de vue, j’essayais de montrer comment chacun pense avoir raison. C’est intéressant de chercher l’angle d’interprétation à partir duquel les gens estiment faire ce qu’il faut. Oriane a ce rôle de grande sœur réconfortante.</p> <p><strong>Vous décrivez un lien très fort et très touchant entre la grande sœur et son petit frère. Est-ce que les circonstances les amènent à mettre de côté les disputes habituelles au sein d’une fratrie?</strong></p> <p>Non, je pense que leur relation serait la même en d’autres circonstances. Cet amour très fort et cet agacement ultime existent avant l’incarcération du père. S’y ajoutent ensuite l’inquiétude et le besoin de protéger le petit frère. Oriane en veut à ses parents de devoir porter leur mensonge.</p> <p><strong>Votre narratrice est gardienne de foot dans une équipe mixte: le prétexte pour ajouter une petite touche féministe à votre livre?</strong></p> <p>Oui clairement. Je me suis demandée ce qu’on faisait à cet âge comme activité extrascolaire. J’ai voulu choisir quelque chose d’éloigné de mes propres activités pour éviter qu’Oriane ne devienne une sorte d’alter ego. C’était un bon moyen de prendre de la distance.</p> <p><strong>Comment avez-vous réussi à restituer de façon aussi convaincante les tics de langage, l’attitude très entière propre à l’adolescence, mais aussi une forme de mal-être, de crainte du jugement sans doute exacerbée par ce qu’elle vit?</strong></p> <p>C’est venu très naturellement. J’avais beaucoup travaillé la voix de Noah: dans tous les ateliers d’écriture, j’essayais de faire parler un enfant. J’ai construit Oriane par antithèse en m’inspirant de la façon de parler des gens qui m’entourent. J’avais vingt-et-un ans à l’époque, j’étais encore assez proche de l’adolescence. J’ai aussi pris soin d’éviter un vocabulaire trop précisément daté. J’y ai plus réfléchi comme un souffle que comme une langue.</p> <p><strong>Et la logorrhée de l’enfant?</strong></p> <p>C’est comme une pelote qu’on déroule et qui part dans tous les sens sans jamais se censurer.</p> <p><strong>Pourquoi avoir choisi de fondre les dialogues dans la narration?</strong></p> <p>Les dialogues ont eu beaucoup de formes différentes. Dans les premières versions, j’étais dans cette idée de flux de pensée rendue sous forme de monoblocs avec des dialogues juste marqués par des tirets. Ensuite j’ai quand même ajouté des retours à la ligne, mais comme Oriane a de la peine à dire tout ce qu’elle pense, je trouvais intéressant de maintenant le flou entre dialogue et pensée, pour que le lecteur puisse se demander si elle l’a réellement dit ou juste pensé et si elle a été entendue. Ce qu’elle dit s’inscrit dans une continuité par rapport à son flux de pensée.</p> <p><strong>L’histoire se déroule dans un milieu social très modeste: est-ce que la précarité économique excuse en partie le dérapage du père?</strong></p> <p>Je ne pense pas qu’elle l’excuse, mais elle l’explique. J’avais quand même envie qu’il y ait d’autres solutions, par exemple solliciter l’aide de la grand-mère. Mais les alternatives sont maigres. Maintenant que j’ai travaillé comme assistance sociale, je développerais ces problématiques autrement. Je pourrais imaginer un texte centré sur Léonore (la mère) qui montre la complexité du système social.</p> <p><strong>Y a-t-il là aussi une volonté militante de votre part, montrer par exemple que la pauvreté se transmet d’une génération à l’autre, puisque la fille exclut d’emblée la voie des études?</strong></p> <p>J’ai montré par petites touches que la situation économique cloisonne toute la famille, mais les enfants pourraient en pâtir beaucoup plus. Léonore fait parapluie et préserve sa fille. Je voulais creuser la manière dont un parent doit jongler pour faire face aux besoins de base des enfants et la frustration de devoir le priver. </p> <p><strong>L’art en général, le théâtre en l’occurrence a-t-il un effet rédempteur?</strong></p> <p>Oui, c’est là que Léonore retrouve une place et une famille. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Sidonie 12.07.2019 | 10h33
«Excellent interview qui donne envie de lire ce livre, même si l’on ne suit pas de près les exploits sportifs. « Les chaussettes en titane » sont à portée de ma main, malheureusement, j’ai beaucoup d’autres tâches plus rébarbatives à accomplir avant...»