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<p style="text-align: center;">Cet article de <strong>Dennis Bühler</strong> a été originellement publié dans <a href="https://www.republik.ch/2019/12/03/ignazio-cassis-die-schadensbilanz" target="_blank" rel="noopener">Republik </a>le 3 décembre 2019. Traduit par <strong>Marta Czarska</strong>.</p>
<hr />
<p>Il est sur la défensive. Et visiblement désespéré. Déjà en septembre, des collègues de parti et des proches collaborateurs du Département des affaires étrangères racontaient qu’Ignazio Cassis craignait d’être destitué. Au soir du 20 octobre, lors de la victoire électorale des Verts, historique dans les circonstances suisses, sa tension a viré à la panique.</p>
<p>Depuis, la pression sur le Conseiller fédéral PLR a encore augmenté. Après le deuxième tour, il est devenu clair que son parti n’a pas amélioré son score au Conseil des États, alors que les Verts y occupent soudain 5 sièges. Par ailleurs, avec Regula Rytz, la menace a désormais un visage. Présidente des Verts, populaire et avec un bon réseau au Parlement, la politicienne représente pour Cassis un défi pour les élections fédérales du 11 décembre. En tant qu’ancienne membre du gouvernement bernois, elle dispose de plus d’expérience à l’exécutif. Mais une destitution reste cependant peu probable. Cependant, le ministre des affaires étrangères tremblera jusqu’au résultats finaux des élections.</p>
<p>Ainsi, l’homme de 58 ans s'est mis en mode combat. Par précaution, il se présente dans les interviews comme la victime d’une majorité qui ne sait pas s’y prendre avec les minorités. Tessinois, il est désavantagé et le ressent en tant que Conseiller fédéral comme jamais auparavant. «<em>Les minorités sont bien bonnes pour les discours du 1er août</em>», dit-il. «<em>Mais quand il s’agit de partager le pouvoir, elles ne jouent plus aucun rôle</em>.» Il serait devenu une cible car il provient d’une autre culture et d’une autre région linguistique. Son origine le différencie de ses collègues du Conseil fédéral. «<em>Et les différences dérangent</em>.»</p>
<p>Vraiment? Et si c’est vrai, est-ce là toute la vérité?</p>
<p>Ou est-ce avant tout sa politique, est-ce sa gestion du poste?</p>
<h3>Rupture avec la politique de ses prédécesseurs</h3>
<p><em>Republik</em> s'est entretenu au cours des 3 derniers mois avec plus d’une douzaine de diplomates actifs et retraités, avec divers employés du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), avec des observateurs de longue date de la politique étrangère, des représentants de l’économie, des syndicalistes et des membres du PLR.</p>
<p>L’image qui ressort de ces entretiens: jamais personne n’avait chamboulé la politique étrangère de la Suisse si vite que l’a fait Ignazio Cassis. Avec son Secrétaire général et ancien chef des services secrets Markus Seiler, qui est devenu une espèce d’éminence grise, il joue depuis plus de deux ans une sorte de jeu du pouvoir: contre ses propres diplomates, contre ses collègues du Conseil fédéral, contre les valeurs éprouvées de la politique étrangère suisse. </p>
<p>Pierre Aubert, René Felber, Flavio Cotti, Joseph Deiss, Micheline Calmy-Rey, Didier Burkhalter: depuis la création du DFAE il y a 40 ans, tous les ministres des affaires étrangères ont jugé importante une participation forte de la Suisse aux institutions multilatérales. Tous s’y sont engagés pour les droits humains et les principes de l’État de droit.</p>
<p>Mais pas Ignazio Cassis.</p>
<h3>1. Les antécédents</h3>
<p>Ignazio Cassis est entré en politique par le fruit du hasard. Après ses études en médecine à Zurich et Lausanne, il est médecin cantonal au Tessin depuis 7 ans lorsqu’il accepte en 2003, pour rendre service au PLR, de figurer comme bouche-trou sur la liste pour les élections au Conseil national. A sa propre surprise, l’homme alors âgé de 42 ans surpasse plusieurs de ses collègues de parti et obtient la première place de remplaçant. Quand Laura Sadis est élue en 2007 au Conseil des États, il se précipite pour prendre sa place au Conseil national.</p>
<p>Après sa réélection une demi-année plus tard, Cassis abandonne son métier et devient lobbyiste à plein temps, au Parlement et en dehors. D’abord pour la FMH, la Fédération des médecins suisses, puis pour l’Association des caisses-maladies Curafutura. Le mandat lui rapporte 180 000 francs par an et le sobriquet peu flatteur de «Krankencassis». </p>
<p>S’il a commencé à Berne dans la frange politique de gauche du PLR, Cassis se positionne avec le temps de plus en plus à droite. Ce changement lui permet d’avoir plus d’influence. En 2015, il devient chef du groupe parlementaire et président de l’importante Commission de la sécurité sociale et de la santé publique. </p>
<p>Lors des élections parlementaires d’octobre 2015, le PLR et l’UDC remportent à eux deux 101 des 200 sièges nationaux, une petite majorité. Donnant le ton aux libéraux, Cassis essaye de renforcer la cohésion bourgeoise. «J'ai personnellement tout fait pour nous mettre d’accord avec l’UDC sur les thèmes que nous abordons de manière similaire, c’est-à-dire la plupart», dit-il peu avant Noël 2016 à la <em>Weltwoche</em>, qui le désigne comme parlementaire masculin le mieux vêtu.</p>
<p>Lorsque, en été 2017, le ministre des affaires étrangères Burkhalter annonce sa démission, Cassis est tout de suite favori pour lui succéder. Pendant les 3 mois de la campagne électorale, il ne laisse passer aucune occasion de maximiser ses chances. Neuf jours avant l’élection, il rejoint le lobby des armes Pro Tell et, après avoir essuyé de fortes critiques dans les médias pour cela, il le quitte 3 semaines après avoir été élu. Coup médiatique, il renonce à son passeport italien, qu’il avait depuis la naissance. Il promet qu’en politique européenne, il mettra les compteurs à zéro, sans trop expliquer ce qu’il entend par là. Et il s’assure du soutien de l’UDC en parlant leur langage lors des auditions des candidats («<em>Cassis a dit à peu près ce que nous voulions entendre</em>»).</p>
<p>Cette stratégie porte ses fruits. Cassis distance sans peine ses concurrents romands Pierre Maudet et Isabelle Moret le 20 septembre 2017 et est élu au second tour au Conseil fédéral. Grâce à lui, le Tessin revient au gouvernement fédéral 18 ans après le départ de Flavio Cotti (PDC).</p>
<h3>2. Le faux départ</h3>
<p>La première apparition importante du ministre des affaires étrangères Cassis a lieu en janvier 2018 au Forum économique de Davos. Après une rencontre avec son homologue saoudien, il s’enthousiasme des progrès sans compromis menés par le prince héritier dans la sécularisation de son pays.</p>
<p>Il ne mentionne ni les 154 exécutions ayant eu lieu en 2017, ni la charia, ni l’oppression des femmes.</p>
<p>Lors du WEF, Cassis réussit aussi à irriter avec ses déclarations sur la politique européenne. Le Conseil fédéral voudrait conclure dans les mois à venir un accord-cadre avec Bruxelles, dit-il devant les médias. Mais les conseillers fédéraux Ueli Mauer et Johann Schneider-Amman, aussi présents à Davos, rectifient publiquement le tir. Cassis fait marche arrière. Même la <em>NZZ</em>, d’habitude favorable au Tessinois, parle de «<em>comédie de communication</em>».</p>
<p>Le prochain faux-pas de Cassis a lieu en mai 2018, lors de sa visite en Jordanie. Il ouvre une nouvelle ambassade et visite un centre de formation pour réfugiés palestiniens géré par l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens au Proche-Orient (UNRWA). Sur le chemin du retour, il dit à une journaliste qui voyage avec lui: «Je me demande: est-ce que l’UNRWA est une part de la solution ou une part du problème?» Et donne lui-même la réponse: «Elle est l’un et l’autre.» Car aussi longtemps que les Palestiniens pourront vivre dans des camps de réfugiés, il est clair qu’ils voudront rentrer dans leur patrie. Sa conclusion: «En soutenant l’UNRWA, nous maintenons le conflit en vie.»</p>
<p>Avec cette déclaration, Cassis, connu déjà de son époque parlementaire pour son penchant vers Israël, brise les décennies de soutien suisse à l’agence. Un porte-parole du parti du président palestinien Mahmud Abbas se montre «irrité, choqué et surpris». En Suisse aussi, la voix du ministre des affaires étrangère met mal à l’aise. A son retour, le président de la Confédération Alain Berset le convoque et lui fait ensuite déclarer par écrit que la politique du Conseil fédéral au Proche-Orient n’a en rien changé. «Il n’y a en particulier aucun changement quant au soutien accordé à l’UNRWA.»</p>
<p>Quatre semaines plus tard, Cassis fait la gaffe suivante. Lors d’une interview radiophonique, il remet en question les lignes rouges du Conseil fédéral dans ses négociations avec Bruxelles. Si l’on veut conclure l’accord-cadre, tant l’UE que la Suisse devraient sortir de leurs costumes et trouver des «voies créatives», dit-il. Concrètement, la Suisse devrait abandonner la règle des 8 jours, une composante élémentaire des mesures de protection salariale.</p>
<p>En conséquence, les syndicats se retirent des négociations sur l'accord-cadre. Leur directeur en chef Paul Rechsteiner proteste que Cassis a brisé toutes les règles en vigueur depuis 20 ans et qu’il a «<em>perdu la tête</em>». Le DFAE essaye de relativiser les déclarations du ministre. Mais le mal est fait.</p>
<p>Cassis ne se laisse pas arrêter pour autant. Dans une interview pour le journal italien <em>Corriere della Sera</em>, il prophétise l’implosion de l’UE si elle ne se décentralise pas, il se moque du «vieil esprit impérial» du président français et la difficile formation de la coalition en Allemagne. Le fameux journal le compare à Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur de droite et nationaliste italien. «<em>Avec Cassis, le vent populiste, souverainiste et identitaire qui vient de l’Est souffle aussi à Berne</em>.»</p>
<p>Et la question se pose en Suisse après la première année de Cassis au Conseil fédéral: le Tessinois ne sait-il pas communiquer? Ou provoque-t-il par calcul?</p>
<h3>3. Le non-diplomate</h3>
<p>Le poste au Département des affaires étrangères est difficile pour Cassis. En tant que politicien de la santé au Conseil national, il n’a pas eu à faire avec les thèmes de la politique extérieure et se retrouve soudain face à des centaines d’experts. Des diplomates qui sont au service de l’État depuis des décennies et pensent tout mieux savoir que leur nouveau supérieur. Nombre d’entre eux ont fait carrière sous la conseillère fédérale PS Calmy-Rey et sont arrivés à des postes de direction sous le libéral de gauche Burkhalter. Ils observent Cassis avec méfiance. Ils ont pris note de ce qu’il a clairement déclaré avant le vote: «<em>Il ne faut pas que les employés décident du chemin à prendre, c'est le rôle du chef</em>.»</p>
<p>Alors que Burkhalter travaillait souvent à domicile et vouvoyait tout le monde, même ceux qui le connaissaient du PLR et le tutoyaient, Cassis est au bureau tous les jours et tutoie la plupart des diplomates. Mais il ne voit pas que les changements qu’il désire introduire dans la politique étrangère passeraient mieux si ses 5500 collaborateurs étaient de la partie.</p>
<p>La première année, ce n’étaient que des petites piques que Cassis lançait dans ses discours et interviews. Il souligne souvent qu’il est politicien, pas diplomate. Mais avec le temps, il a haussé le ton. Dès l’automne 2018, le «non-diplomate», comme l’appelle <em>Bilanz</em>, fonce vers la confrontation.</p>
<p>En septembre, il se plaint qu’au Département règne «toujours cette euphorie de chanter en chœur et l’impression qu’il y a des ressources illimitées pour tout». Ce qu’il veut, lui, c'est trouver des solutions «<em>qui sont bonnes pour notre pays, et non pas des solutions qui n’ont pour seul but que de plaire à l’ONU.</em>»</p>
<p>En novembre, il affirme que les diplomates qui ne travaillent pas «toujours globalement et en accord avec la politique intérieure» devraient pouvoir décider de leur propre chef du soutien à donner à l’Agenda 2030 de l’ONU pour le développement durable. Et il se gausse de ce que certains s’imaginent que le Conseil fédéral est un lieu indépendant des valeurs, des partis et de la politique au sein duquel des anges s’occupent du bien-être de la population. «<em>C'est très romantique. Mais la formule magique n’existe pas pour rien.</em>» Il reste un politicien avec un cahier des charges du parti, même comme conseiller fédéral.</p>
<p>En décembre, il trouve amusant, dans l’édition de Noël de la <em>Weltwoche,</em> que de nombreux collaborateurs du DFAE ne se rendent même pas compte qu'ils suivent une certaine idéologie. «Ils s’adaptent à la majorité et peuvent ainsi avancer dans leur carrière. Il est très difficile de briser cet esprit grégaire.» Le pacte migratoire, aux négociations duquel la Suisse a tenu un rôle majeur pendant plus de 2 ans, est un bon exemple du fait que la politique extérieure a perdu le fil de la politique intérieure. «On aurait dû remarquer que l’on ne pouvait pas garder une affaire si délicate sous la table et la passer en fraude, mais qu’il fallait en discuter en long et en large. Cela ne doit plus arriver.»</p>
<p>La critique fondamentale de Cassis ne passe pas bien dans son Département. «Avec cette interview à la <em>Weltwoche</em>, il a vraiment dépassé les bornes», dit une diplomate.</p>
<p>De nombreux collaborateurs se sentent abandonnés par leur chef. Ils lui en veulent de ne s’être jamais engagé même un peu pour la reconnaissance du pacte migratoire (auquel la Suisse, après de longues semaines de débats au Parlement et dans les médias, n’a pas adhéré). Mais plus grave est le fait que Cassis ne prenne pas la défense de son personnel, lorsqu’un représentant du mouvement autrichien identitaire d’extrême-droite tient des propos incendiaires contre deux diplomates suisses. Une demi-année plus tard, la Secrétaire aux États Pascale Baeriswyl fait ce que Cassis aurait dû faire. Lors de la conférence de presse où elle parle de sa mutation à New York, elle fait remarquer qu’il aurait fallu donner du personnel de protection aux deux diplomates durant plusieurs semaines.</p>
<p>Pendant que Mme Baeriswyl met en garde contre la brutalité de ces mœurs, Cassis est assis là et fait mine de rien.</p>
<h3>4. L'éminence grise</h3>
<p>Quelques semaines après son élection au Conseil fédéral, Cassis joue un coup de génie, pour tous les intéressés. Il fait venir l’ancien chef des services secrets Markus Seiler au Secrétariat général du DFAE. </p>
<p>Cassis, inexpérimenté en matière de politique étrangère, profite ainsi du savoir-faire et du réseau de Seiler, tandis que Seiler peut fuir le service des renseignements, déjà entaché par une affaire d’espionnage. Cette mutation arrange aussi le PLR. Ainsi, le parti a un chaperon à un poste-clef pour son nouveau conseiller fédéral. On devrait donc pouvoir éviter ce qui est arrivé avec Burkhalter. Le neuchâtelois, en devenant ministre des affaires étrangères, s’était au cours du temps distancié du parti et avait fini par ne plus l’informer, même de son projet de démission.</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1575975696_file6xgwvnmqib5bifqjixo.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p>
<h4 style="text-align: center;">L'éminence grise de Cassis, Markus Seiler. © DFAE</h4>
<p>Seiler, promu politologue débute sa carrière de fonctionnaire au Secrétariat général du PLR où il parvient jusqu’au poste de directeur de presse. En 1997, il sera conseiller dans l’équipe du ministre des finances Kaspar Villiger et deviendra rapidement son collaborateur personnel. En 2002, il entre au Département de la défense de Samuel Schmid (qui appartenait encore à l’époque à l’UDC) et en devient 3 ans plus tard Secrétaire général. Il le restera encore sous le successeur de Schmid, Ueli Maurer, avant que celui-ci le place en 2010 à la tête du service des renseignements qui se forme à la suite de la fusion des services secrets internes et externes.</p>
<p>A l’époque déjà, on disait de Seiler qu’il était un homme de carrière et de pouvoir qui poursuit son but avec calcul. La description vaut encore aujourd’hui.</p>
<p>Depuis 2 ans, Seiler domine le DFAE à volonté. Les diplomates, tant ceux en place que les anciens, sont d’accord pour dire que dans les faits, c’est lui qui dirige le Département et décide de la politique étrangère. «<em>Et pas Cassis.</em>»</p>
<p>Son prédécesseur Benno Bättig avait bien plus de retenue. Il voyait le bon fonctionnement de l’administration comme relevant de sa responsabilité et préparait pour Burkhalter les affaires du Conseil fédéral des autres départements. Seiler, lui, agit de manière stratégique, voyage lui-même à l’étranger et se mêle de tout. Et il garde un œil attentif sur l’administration. Selon les employés du DFAE, depuis 2 ans, il n’y a eu au Département de réunion à laquelle n’aurait pas participé soit Seiler, soit son remplaçant Charles Jean-Richard. Jean-Richard travaillait déjà en étroite collaboration avec Cassis en tant que secrétaire du groupe parlementaire du PLR jusqu’à l’automne 2017. Cassis entretient aussi des rapports particulièrement étroits avec ses collaborateurs personnels Anna Fazioli et Cédric Stucky.</p>
<p>Seiler fait également des apparitions publiques, ce qui est peu usuel pour un Secrétaire général. La semaine passée, il a parlé à l’Université de Zurich de la question de savoir si, pour Cassis, les intérêts économiques pèsent plus lourd que le droit dans la politique étrangère. «L’idée n’est pas nouvelle», dit-il. «Déjà dans le premier rapport sur la politique étrangère en 1993, la politique étrangère signifiait avant tout la défense des intérêts à l’extérieur. Le rapport avait été rédigé par Jakob Kellenberger et Peter Maurer, plus tard présidents de la Croix-rouge internationale, sûrement pas des idéologues néo-libéraux.» Dans les années 2000, il a eu une réaction qui a remis la valeur de la solidarité au premier plan. «<em>Nous disons maintenant: les valeurs et les intérêts sont les deux côtés de la même médaille.</em>»</p>
<p>Des arguments similaires émanaient au début de l'année d’un groupe de travail dirigé par Seiler et chargé par Cassis d’élaborer une «Vision de politique étrangère 2028». En font partie les deux super managers Peter Voser (ABB) et Thomas Wellauer (Swiss Re), mais pas un seul représentant d’organisation non-gouvernementale. Avec le résultat escompté. L’idée essentielle du papier stratégique de 50 pages est que l’engagement de la Suisse pour les droits humains, la démocratie, l’État de droit ne devrait pas «<em>avoir pour effet que les droits humains et l’économie soient en contradiction.</em>»</p>
<p>L’influence de Seiler, selon l’opinion de diplomates et employés d’autres départements, ne se réduit pas au DFAE. Depuis que Walter Thurnherr a tourné le dos au Département de l’infrastructure pour devenir Chancelier fédéral et que Stefan Brupbacher a quitté le Département de l’économie, aucun autre Secrétaire général n’a plus pu traiter avec Seiler. Comme il a par ailleurs une ligne directe avec son ancien patron et actuel ministre des finances Ueli Maurer, ainsi que de bonnes relations datant de son époque à la direction des services des renseignements au Département de la défense de Viola Amherd, il peut influer sur la politique du gouvernement dans son ensemble. C'est ainsi qu’en parlent plusieurs initiés de l’administration fédérale.</p>
<p>Au DFAE, on craint que les pouvoirs de Seiler continuent à augmenter lorsque la Secrétaire aux États Pascale Baeriswyl, nommée par Burkhalter, partira à la fin de l'année. Elle serait une des rares personnes à contredire Seiler de temps à autre. La plupart des autres diplomates préfèrent sortir du chemin du plus proche collaborateur de Cassis.</p>
<h3>5. <em>Switzerland first</em></h3>
<p>2019 commence pour Cassis comme l’année précédente, par une gaffe suivie de critiques publiques.</p>
<p>Le ministre des affaires étrangères visite en Zambie une mine de cuivre du négociant en matières premières Glencore et s’en enthousiasme ensuite sur Twitter: «Impressionné par les efforts de modernisation des installations et la formation des jeunes.» Le tweet s'accompagne de photos le montrant lui et son entourage en casques et vestes jaunes sur les terrains de la mine.</p>
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<h4 style="text-align: center;">La visite d'Ignazio Cassis dans une mine de cuivre de Glencore en Zambie / via Twitter</h4>
<p>Glencore se réjouit de ce coup de pub gratuit et le partage immédiatement comme tweet publicitaire payant.</p>
<p>Les critiques reprochent à Cassis de faire de la propagande électorale contre l’initiative pour des multinationales responsables, dont il sera bientôt débattu au Parlement. Mais le Tessinois ne se rend pas compte de sa faute. Trois semaines encore après son voyage en Afrique, il estime qu’avec son tweet, il n’a fait qu'exprimer son impression positive. «<em>Le reste est du fait des médias.</em>» Peu après, le <em>Blick</em> révèle que plusieurs riverains de la mine ont dû être hospitalisés pour empoisonnement, avant et après la visite de Cassis. Glencore doit fermer la mine pour assainissement.</p>
<p>En été, le Département tombe à nouveau en discrédit, cette fois en raison d’une collaboration avec le cigarettier Philip Morris. Il a encaissé 45 000 francs pour l’ouverture d’une nouvelle ambassade à Moscou et veut recevoir 1.8 millions de francs pour le pavillon suisse à l’Exposition universelle de Dubai. Les recherches de <em>Republik</em> montrent que des diplomates de la République de Moldavie sont intervenus pour empêcher le durcissement de la loi anti-tabac, un service amical qui contredit les buts de la politique suisse en matière de santé et de développement.</p>
<p>Fin juillet, lors d’une interview, le Secrétaire général Seiler déclare que le DFAE n’a eu «que des conversations préliminaires» avec Philip Morris, afin d’évaluer des possibilités de collaboration. Une déclaration démentie 3 mois et demi plus tard par des documents internes du Département: la collaboration avec le cigarettier était une affaire conclue.</p>
<p>Pendant ce temps, le DFAE provoque l’indignation en Suisse centrale, car il ordonne au fabriquant d’avions Stans Pilatus de se retirer dans les 3 mois d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Pour Pilatus, il s’agirait d’une rupture de contrat. L’entreprise s'est engagée en 2017 à fournir pendant 5 ans un soutien technique et à assurer l’entretien des avions PC-21 livrés. En septembre, le Tribunal administratif fédéral admets un recours de Pilatus avec effet suspensif, c’est pourquoi les techniciens du fabricant sont toujours encore en activité dans les Etats du Golfe - une défaite pour le Département des affaires étrangères.</p>
<p>Les agissements du ministre des affaires étrangères suscitent aussi l’irritation de son parti. «<em>Il est nécessaire d’améliorer l’évaluation politique des affaires</em>», critique un initié du PLR. «<em>Quel homme normal se mettrait du côté de multinationales Glencore et Philip Morris mais taperait sur les doigts d’une entreprise suisse traditionnelle comme Pilatus?</em>» Cassis nuit à l’image du parti qui s’est efforcé au cours des 10 dernières années de ne plus apparaitre comme le larbin des grands groupes.</p>
<p>L’agenda du ministre est manifeste dans le message sur la coopération internationale des années 2021 à 2024 que le Conseil fédéral mettra en consultation au mois de mai. Cassis, toujours suivi de son Secrétaire général Seiler, met au premier plan les intérêts de la Suisse. La coopération pour le développement ne doit plus servir avant tout à soulager la détresse et la misère, mais assurer de l'emploi et donner de l’élan à l’économie, mais aussi endiguer la migration. A noter que le thème de la migration prend presque 2 fois plus de place dans le message que les 3 autres thèmes principaux (emploi, changement climatique, État de droit) mis ensemble.</p>
<p>«<em>Switzerland first</em>»: la devise sied à la perfection à Cassis. Lorsque le PLR tessinois le choisit officiellement comme son candidat unique à l’élection fédérale, le 1er août 2017, il porte un t-shirt rouge à croix blanche. Un an plus tard, il aimerait le ressortir de l’armoire, mais ses collaborateurs le lui déconseillent. Cela n'est pas adéquat pour un conseiller fédéral. A la question posée par <em>Schweizer Familie</em> de savoir si un maillot à croix suisse le jour de la fête nationale équivaut à l'expression «Switzerland first», Cassis répond: «<em>Justement. J’essaie encore d’en convaincre mon équipe. Qui sait, peut-être vais-je y arriver.</em>»</p>
<p>Un an plus tard, le vent a tourné.</p>
<p>Lors de la campagne électorale, les Verts et la gauche tirent sur lui à boulets rouges et l’impopulaire Cassis commence à s’inquiéter pour sa réélection. Et pour une fois, il déclare que l’on ne l’entendra jamais dire «<em>Switzerland first</em>».</p>
<h3>6. Les adversaires</h3>
<p>Lorsque Cassis est élu à l'automne 2017 au Conseil fédéral, l’équilibre du gouvernement est modifié. Alors que son prédécesseur Burkhalter faisait pencher la balance parfois plus à droite, parfois plus à gauche, Cassis la fait à tous les coups pencher à droite. Au fond, le Conseil fédéral n'avait pas vraiment à se réunir en 2018, les deux conseillers PRL et les deux conseillers UDC prenant en règle générale d’avance les mêmes positions. En tout temps, les intérêts économiques sont déterminants pour toutes les décisions du gouvernement. La politique étrangère n'est rien d’autre que politique économique étrangère.</p>
<p>Le glissement est visible dans le domaine, controversé depuis des années, de l’exportation du matériel de guerre. En juin 2018, le Conseil fédéral assouplit ses décisions. Sous certaines conditions, les armes suisses pourront aussi être exportées dans des pays touchés par la guerre civile. L’humaniste Burkhalter avait toujours combattu cette idée, et expliquera plus tard sa démission entre autres par le fait qu’il ne pouvait plus supporter les pressions subies à ce sujet: ses valeurs fondamentales n’étaient plus en accord avec celles du collège.</p>
<p>Cassis n’a pas ce genre d’inquiétude.</p>
<p>Pourtant, à l'automne 2018 sa position s’aggrave. Karin Keller-Sutter, qui succède à Johann Schneider-Ammann, est moins dogmatique que son prédécesseur. Pour l’ancienne conseillère aux États PLR, il est important de concilier les intérêts économiques de la Suisse avec ses traditions humanitaires. De plus, elle se donne de la peine pour faire régner l'harmonie, selon des sources proches du Conseil. Mme Keller-Sutter essaie d’intégrer dans les prises de décision les deux conseillers PS Alain Berset et Simonetta Sommaruga autant que la conseillère PDC Viola Amherd élue en même temps qu’elle.</p>
<p>Mais ce sont surtout les rapports entre Mme Keller-Sutter et Cassis qui sont dès le départs glaciaux et rapidement brisés.</p>
<p>Cela commence par le fait que Cassis n'a pas soutenu Mme Keller-Sutter mais Guy Parmelin lorsque les deux ont annoncé leur intérêt pour le Département de l’économie et de la formation. Un coup dur pour la nouvelle élue, qui comptait sur la solidarité de son collègue de parti et qui a dû se contenter du Département de la justice qu’elle a déjà géré au gouvernement de Saint-Gall, et dont elle ne voulait à aucun prix. L'ambiance est si mauvaise que le président de la Confédération Berset retarde de 3 jours l'annonce des nominations afin de rendre possible une solution amiable. En vain.</p>
<p>Mme Keller-Sutter se venge de Cassis en lui retirant la gestion du dossier de l’UE. En quelques mois, elle arrive à arrondir les angles sur tous les fronts et à faire revenir les syndicats à la table des négociations. Elle fait ainsi remonter les chances de succès de l'accord-cadre bien plus que n’en étaient capables Cassis et son Secrétaire aux États pour l’Europe Roberto Balzaretti, malgré tous leurs efforts au cours de l'année 2019.</p>
<p>La distribution des rôles ne devrait pas beaucoup changer au cours des mois à venir. Entre autres parce la ministre de la justice Keller-Sutter va mener la bataille contre l’initiative populaire de l’UDC contre la libre circulation des personnes qui devrait arriver aux urnes en mai 2020. En bref, Mme Keller-Sutter vole cette année la vedette à Cassis.</p>
<p>Le deuxième grand adversaire de Cassis au gouvernement est le ministre de l'intérieur Alain Berset. Comme Mme Keller-Sutter, il ne fait pas mystère dans son cercle restreint du peu de considération qu’il a pour son collègue conseiller fédéral, comme le rapportent à l’unanimité plusieurs sources proches du gouvernement.</p>
<p>Son aversion est devenue manifeste en août 2018, lorsque Berset fait un discours à la première conférence des ambassadeurs de Cassis. Guerre, changement climatique et inégalité mondiale exigent «un engagement vigoureux des institutions internationales pour la paix, les droits humains et la démocratie», déclare le président de la Confédération. «Mais d’autre part, nous vivons dans de nombreux pays un recul vers le national, un rétrécissement de l’horizon politique, ce qui a pour corolaire la méfiance envers le multilatéralisme». La plupart des ambassadeurs présents ont compris le discours comme un coup porté contre Cassis. Après tout, le Tessinois a critiqué les organisations multilatérales dès son entrée en fonction.</p>
<h3>7. L'aversion des voyages</h3>
<p>Comme cela fait partie du programme obligatoire d’un ministre des affaires étrangères, Cassis a pris part en septembre à l'Assemblée générale de l’ONU à New York. Pour ce qui est des voyages qui ne sont pas indispensables, il y renonce; il n’a ainsi quitté la Suisse qu’à 8 reprises en 2018. A titre de comparaison: Burkhalter a fait 29 voyages à l’étranger au cours de sa première année à ce poste.</p>
<p>Cassis a réalisé son slogan «<em>la politique étrangère est une question de politique intérieure</em>», répond le DFAE à une demande de renseignement sur ce point. Ainsi, son programme contient, outre les voyages à l’étranger, de nombreuses apparitions en Suisse. Les visites à Genève ont par ailleurs «qualité de voyages à l’étranger», puisqu’il y est accueilli par le Secrétaire général de l’ONU ou qu’il prend part à des conférences internationales auxquelles se rendent des représentants de gouvernements étrangers. Il en est de même pour les déplacements au WEF à Davos.</p>
<p>Diplomates actifs ou retraités déplorent à l’unanimité qu’en raison de son aversion pour les voyages, Cassis n’a pas réussi à se bâtir un réseau personnel, une négligence qui, dans le monde des relations internationales, peut se révéler catastrophique à moyen et à long terme. </p>
<p>Pas seulement pour lui, mais pour le pays.</p>
<p>Un exemple: début août 2019, Cassis renonce à participer à une conférence de la Fédération des pays du Sud-Est asiatique. Il s'agit d’une importante organisation partenaire de la Suisse en Asie du Sud-Est, une région où vivent 650 millions de personnes et où les entreprises suisses ont investi l'équivalent de 37 milliards de dollars. Se rendent entre autres à Bangkok les ministres des affaires étrangères des Etats-Unis, de la Chine, du Japon, de l’Inde, de la Corée du Sud, de la Russie, de l’Australie ainsi que les représentants de l’Union européenne.</p>
<p>Par son absence, Cassis gâche en même temps deux chances: il ne renforce pas les liens avec l’Asie du Sud-Est et il ne mène aucune discussion bilatérale avec ses homologues de haut rang.</p>
<p>Pourquoi Cassis a-t-il laissé tomber la conférence? Il avait mieux à faire. Du 31 juillet au 2 août il prononce pas moins de 4 discours à Krachthal, L’Etivaz, Chiasso et Zuoz pour les festivités de la journée nationale suisse.</p>
<p><em>Switzerland first</em> tient bon.</p>',
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<p style="text-align: center;">Cet article de <strong>Dennis Bühler</strong> a été originellement publié dans <a href="https://www.republik.ch/2019/12/03/ignazio-cassis-die-schadensbilanz" target="_blank" rel="noopener">Republik </a>le 3 décembre 2019. Traduit par <strong>Marta Czarska</strong>.</p>
<hr />
<p>Il est sur la défensive. Et visiblement désespéré. Déjà en septembre, des collègues de parti et des proches collaborateurs du Département des affaires étrangères racontaient qu’Ignazio Cassis craignait d’être destitué. Au soir du 20 octobre, lors de la victoire électorale des Verts, historique dans les circonstances suisses, sa tension a viré à la panique.</p>
<p>Depuis, la pression sur le Conseiller fédéral PLR a encore augmenté. Après le deuxième tour, il est devenu clair que son parti n’a pas amélioré son score au Conseil des États, alors que les Verts y occupent soudain 5 sièges. Par ailleurs, avec Regula Rytz, la menace a désormais un visage. Présidente des Verts, populaire et avec un bon réseau au Parlement, la politicienne représente pour Cassis un défi pour les élections fédérales du 11 décembre. En tant qu’ancienne membre du gouvernement bernois, elle dispose de plus d’expérience à l’exécutif. Mais une destitution reste cependant peu probable. Cependant, le ministre des affaires étrangères tremblera jusqu’au résultats finaux des élections.</p>
<p>Ainsi, l’homme de 58 ans s'est mis en mode combat. Par précaution, il se présente dans les interviews comme la victime d’une majorité qui ne sait pas s’y prendre avec les minorités. Tessinois, il est désavantagé et le ressent en tant que Conseiller fédéral comme jamais auparavant. «<em>Les minorités sont bien bonnes pour les discours du 1er août</em>», dit-il. «<em>Mais quand il s’agit de partager le pouvoir, elles ne jouent plus aucun rôle</em>.» Il serait devenu une cible car il provient d’une autre culture et d’une autre région linguistique. Son origine le différencie de ses collègues du Conseil fédéral. «<em>Et les différences dérangent</em>.»</p>
<p>Vraiment? Et si c’est vrai, est-ce là toute la vérité?</p>
<p>Ou est-ce avant tout sa politique, est-ce sa gestion du poste?</p>
<h3>Rupture avec la politique de ses prédécesseurs</h3>
<p><em>Republik</em> s'est entretenu au cours des 3 derniers mois avec plus d’une douzaine de diplomates actifs et retraités, avec divers employés du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), avec des observateurs de longue date de la politique étrangère, des représentants de l’économie, des syndicalistes et des membres du PLR.</p>
<p>L’image qui ressort de ces entretiens: jamais personne n’avait chamboulé la politique étrangère de la Suisse si vite que l’a fait Ignazio Cassis. Avec son Secrétaire général et ancien chef des services secrets Markus Seiler, qui est devenu une espèce d’éminence grise, il joue depuis plus de deux ans une sorte de jeu du pouvoir: contre ses propres diplomates, contre ses collègues du Conseil fédéral, contre les valeurs éprouvées de la politique étrangère suisse. </p>
<p>Pierre Aubert, René Felber, Flavio Cotti, Joseph Deiss, Micheline Calmy-Rey, Didier Burkhalter: depuis la création du DFAE il y a 40 ans, tous les ministres des affaires étrangères ont jugé importante une participation forte de la Suisse aux institutions multilatérales. Tous s’y sont engagés pour les droits humains et les principes de l’État de droit.</p>
<p>Mais pas Ignazio Cassis.</p>
<h3>1. Les antécédents</h3>
<p>Ignazio Cassis est entré en politique par le fruit du hasard. Après ses études en médecine à Zurich et Lausanne, il est médecin cantonal au Tessin depuis 7 ans lorsqu’il accepte en 2003, pour rendre service au PLR, de figurer comme bouche-trou sur la liste pour les élections au Conseil national. A sa propre surprise, l’homme alors âgé de 42 ans surpasse plusieurs de ses collègues de parti et obtient la première place de remplaçant. Quand Laura Sadis est élue en 2007 au Conseil des États, il se précipite pour prendre sa place au Conseil national.</p>
<p>Après sa réélection une demi-année plus tard, Cassis abandonne son métier et devient lobbyiste à plein temps, au Parlement et en dehors. D’abord pour la FMH, la Fédération des médecins suisses, puis pour l’Association des caisses-maladies Curafutura. Le mandat lui rapporte 180 000 francs par an et le sobriquet peu flatteur de «Krankencassis». </p>
<p>S’il a commencé à Berne dans la frange politique de gauche du PLR, Cassis se positionne avec le temps de plus en plus à droite. Ce changement lui permet d’avoir plus d’influence. En 2015, il devient chef du groupe parlementaire et président de l’importante Commission de la sécurité sociale et de la santé publique. </p>
<p>Lors des élections parlementaires d’octobre 2015, le PLR et l’UDC remportent à eux deux 101 des 200 sièges nationaux, une petite majorité. Donnant le ton aux libéraux, Cassis essaye de renforcer la cohésion bourgeoise. «J'ai personnellement tout fait pour nous mettre d’accord avec l’UDC sur les thèmes que nous abordons de manière similaire, c’est-à-dire la plupart», dit-il peu avant Noël 2016 à la <em>Weltwoche</em>, qui le désigne comme parlementaire masculin le mieux vêtu.</p>
<p>Lorsque, en été 2017, le ministre des affaires étrangères Burkhalter annonce sa démission, Cassis est tout de suite favori pour lui succéder. Pendant les 3 mois de la campagne électorale, il ne laisse passer aucune occasion de maximiser ses chances. Neuf jours avant l’élection, il rejoint le lobby des armes Pro Tell et, après avoir essuyé de fortes critiques dans les médias pour cela, il le quitte 3 semaines après avoir été élu. Coup médiatique, il renonce à son passeport italien, qu’il avait depuis la naissance. Il promet qu’en politique européenne, il mettra les compteurs à zéro, sans trop expliquer ce qu’il entend par là. Et il s’assure du soutien de l’UDC en parlant leur langage lors des auditions des candidats («<em>Cassis a dit à peu près ce que nous voulions entendre</em>»).</p>
<p>Cette stratégie porte ses fruits. Cassis distance sans peine ses concurrents romands Pierre Maudet et Isabelle Moret le 20 septembre 2017 et est élu au second tour au Conseil fédéral. Grâce à lui, le Tessin revient au gouvernement fédéral 18 ans après le départ de Flavio Cotti (PDC).</p>
<h3>2. Le faux départ</h3>
<p>La première apparition importante du ministre des affaires étrangères Cassis a lieu en janvier 2018 au Forum économique de Davos. Après une rencontre avec son homologue saoudien, il s’enthousiasme des progrès sans compromis menés par le prince héritier dans la sécularisation de son pays.</p>
<p>Il ne mentionne ni les 154 exécutions ayant eu lieu en 2017, ni la charia, ni l’oppression des femmes.</p>
<p>Lors du WEF, Cassis réussit aussi à irriter avec ses déclarations sur la politique européenne. Le Conseil fédéral voudrait conclure dans les mois à venir un accord-cadre avec Bruxelles, dit-il devant les médias. Mais les conseillers fédéraux Ueli Mauer et Johann Schneider-Amman, aussi présents à Davos, rectifient publiquement le tir. Cassis fait marche arrière. Même la <em>NZZ</em>, d’habitude favorable au Tessinois, parle de «<em>comédie de communication</em>».</p>
<p>Le prochain faux-pas de Cassis a lieu en mai 2018, lors de sa visite en Jordanie. Il ouvre une nouvelle ambassade et visite un centre de formation pour réfugiés palestiniens géré par l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens au Proche-Orient (UNRWA). Sur le chemin du retour, il dit à une journaliste qui voyage avec lui: «Je me demande: est-ce que l’UNRWA est une part de la solution ou une part du problème?» Et donne lui-même la réponse: «Elle est l’un et l’autre.» Car aussi longtemps que les Palestiniens pourront vivre dans des camps de réfugiés, il est clair qu’ils voudront rentrer dans leur patrie. Sa conclusion: «En soutenant l’UNRWA, nous maintenons le conflit en vie.»</p>
<p>Avec cette déclaration, Cassis, connu déjà de son époque parlementaire pour son penchant vers Israël, brise les décennies de soutien suisse à l’agence. Un porte-parole du parti du président palestinien Mahmud Abbas se montre «irrité, choqué et surpris». En Suisse aussi, la voix du ministre des affaires étrangère met mal à l’aise. A son retour, le président de la Confédération Alain Berset le convoque et lui fait ensuite déclarer par écrit que la politique du Conseil fédéral au Proche-Orient n’a en rien changé. «Il n’y a en particulier aucun changement quant au soutien accordé à l’UNRWA.»</p>
<p>Quatre semaines plus tard, Cassis fait la gaffe suivante. Lors d’une interview radiophonique, il remet en question les lignes rouges du Conseil fédéral dans ses négociations avec Bruxelles. Si l’on veut conclure l’accord-cadre, tant l’UE que la Suisse devraient sortir de leurs costumes et trouver des «voies créatives», dit-il. Concrètement, la Suisse devrait abandonner la règle des 8 jours, une composante élémentaire des mesures de protection salariale.</p>
<p>En conséquence, les syndicats se retirent des négociations sur l'accord-cadre. Leur directeur en chef Paul Rechsteiner proteste que Cassis a brisé toutes les règles en vigueur depuis 20 ans et qu’il a «<em>perdu la tête</em>». Le DFAE essaye de relativiser les déclarations du ministre. Mais le mal est fait.</p>
<p>Cassis ne se laisse pas arrêter pour autant. Dans une interview pour le journal italien <em>Corriere della Sera</em>, il prophétise l’implosion de l’UE si elle ne se décentralise pas, il se moque du «vieil esprit impérial» du président français et la difficile formation de la coalition en Allemagne. Le fameux journal le compare à Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur de droite et nationaliste italien. «<em>Avec Cassis, le vent populiste, souverainiste et identitaire qui vient de l’Est souffle aussi à Berne</em>.»</p>
<p>Et la question se pose en Suisse après la première année de Cassis au Conseil fédéral: le Tessinois ne sait-il pas communiquer? Ou provoque-t-il par calcul?</p>
<h3>3. Le non-diplomate</h3>
<p>Le poste au Département des affaires étrangères est difficile pour Cassis. En tant que politicien de la santé au Conseil national, il n’a pas eu à faire avec les thèmes de la politique extérieure et se retrouve soudain face à des centaines d’experts. Des diplomates qui sont au service de l’État depuis des décennies et pensent tout mieux savoir que leur nouveau supérieur. Nombre d’entre eux ont fait carrière sous la conseillère fédérale PS Calmy-Rey et sont arrivés à des postes de direction sous le libéral de gauche Burkhalter. Ils observent Cassis avec méfiance. Ils ont pris note de ce qu’il a clairement déclaré avant le vote: «<em>Il ne faut pas que les employés décident du chemin à prendre, c'est le rôle du chef</em>.»</p>
<p>Alors que Burkhalter travaillait souvent à domicile et vouvoyait tout le monde, même ceux qui le connaissaient du PLR et le tutoyaient, Cassis est au bureau tous les jours et tutoie la plupart des diplomates. Mais il ne voit pas que les changements qu’il désire introduire dans la politique étrangère passeraient mieux si ses 5500 collaborateurs étaient de la partie.</p>
<p>La première année, ce n’étaient que des petites piques que Cassis lançait dans ses discours et interviews. Il souligne souvent qu’il est politicien, pas diplomate. Mais avec le temps, il a haussé le ton. Dès l’automne 2018, le «non-diplomate», comme l’appelle <em>Bilanz</em>, fonce vers la confrontation.</p>
<p>En septembre, il se plaint qu’au Département règne «toujours cette euphorie de chanter en chœur et l’impression qu’il y a des ressources illimitées pour tout». Ce qu’il veut, lui, c'est trouver des solutions «<em>qui sont bonnes pour notre pays, et non pas des solutions qui n’ont pour seul but que de plaire à l’ONU.</em>»</p>
<p>En novembre, il affirme que les diplomates qui ne travaillent pas «toujours globalement et en accord avec la politique intérieure» devraient pouvoir décider de leur propre chef du soutien à donner à l’Agenda 2030 de l’ONU pour le développement durable. Et il se gausse de ce que certains s’imaginent que le Conseil fédéral est un lieu indépendant des valeurs, des partis et de la politique au sein duquel des anges s’occupent du bien-être de la population. «<em>C'est très romantique. Mais la formule magique n’existe pas pour rien.</em>» Il reste un politicien avec un cahier des charges du parti, même comme conseiller fédéral.</p>
<p>En décembre, il trouve amusant, dans l’édition de Noël de la <em>Weltwoche,</em> que de nombreux collaborateurs du DFAE ne se rendent même pas compte qu'ils suivent une certaine idéologie. «Ils s’adaptent à la majorité et peuvent ainsi avancer dans leur carrière. Il est très difficile de briser cet esprit grégaire.» Le pacte migratoire, aux négociations duquel la Suisse a tenu un rôle majeur pendant plus de 2 ans, est un bon exemple du fait que la politique extérieure a perdu le fil de la politique intérieure. «On aurait dû remarquer que l’on ne pouvait pas garder une affaire si délicate sous la table et la passer en fraude, mais qu’il fallait en discuter en long et en large. Cela ne doit plus arriver.»</p>
<p>La critique fondamentale de Cassis ne passe pas bien dans son Département. «Avec cette interview à la <em>Weltwoche</em>, il a vraiment dépassé les bornes», dit une diplomate.</p>
<p>De nombreux collaborateurs se sentent abandonnés par leur chef. Ils lui en veulent de ne s’être jamais engagé même un peu pour la reconnaissance du pacte migratoire (auquel la Suisse, après de longues semaines de débats au Parlement et dans les médias, n’a pas adhéré). Mais plus grave est le fait que Cassis ne prenne pas la défense de son personnel, lorsqu’un représentant du mouvement autrichien identitaire d’extrême-droite tient des propos incendiaires contre deux diplomates suisses. Une demi-année plus tard, la Secrétaire aux États Pascale Baeriswyl fait ce que Cassis aurait dû faire. Lors de la conférence de presse où elle parle de sa mutation à New York, elle fait remarquer qu’il aurait fallu donner du personnel de protection aux deux diplomates durant plusieurs semaines.</p>
<p>Pendant que Mme Baeriswyl met en garde contre la brutalité de ces mœurs, Cassis est assis là et fait mine de rien.</p>
<h3>4. L'éminence grise</h3>
<p>Quelques semaines après son élection au Conseil fédéral, Cassis joue un coup de génie, pour tous les intéressés. Il fait venir l’ancien chef des services secrets Markus Seiler au Secrétariat général du DFAE. </p>
<p>Cassis, inexpérimenté en matière de politique étrangère, profite ainsi du savoir-faire et du réseau de Seiler, tandis que Seiler peut fuir le service des renseignements, déjà entaché par une affaire d’espionnage. Cette mutation arrange aussi le PLR. Ainsi, le parti a un chaperon à un poste-clef pour son nouveau conseiller fédéral. On devrait donc pouvoir éviter ce qui est arrivé avec Burkhalter. Le neuchâtelois, en devenant ministre des affaires étrangères, s’était au cours du temps distancié du parti et avait fini par ne plus l’informer, même de son projet de démission.</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1575975696_file6xgwvnmqib5bifqjixo.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p>
<h4 style="text-align: center;">L'éminence grise de Cassis, Markus Seiler. © DFAE</h4>
<p>Seiler, promu politologue débute sa carrière de fonctionnaire au Secrétariat général du PLR où il parvient jusqu’au poste de directeur de presse. En 1997, il sera conseiller dans l’équipe du ministre des finances Kaspar Villiger et deviendra rapidement son collaborateur personnel. En 2002, il entre au Département de la défense de Samuel Schmid (qui appartenait encore à l’époque à l’UDC) et en devient 3 ans plus tard Secrétaire général. Il le restera encore sous le successeur de Schmid, Ueli Maurer, avant que celui-ci le place en 2010 à la tête du service des renseignements qui se forme à la suite de la fusion des services secrets internes et externes.</p>
<p>A l’époque déjà, on disait de Seiler qu’il était un homme de carrière et de pouvoir qui poursuit son but avec calcul. La description vaut encore aujourd’hui.</p>
<p>Depuis 2 ans, Seiler domine le DFAE à volonté. Les diplomates, tant ceux en place que les anciens, sont d’accord pour dire que dans les faits, c’est lui qui dirige le Département et décide de la politique étrangère. «<em>Et pas Cassis.</em>»</p>
<p>Son prédécesseur Benno Bättig avait bien plus de retenue. Il voyait le bon fonctionnement de l’administration comme relevant de sa responsabilité et préparait pour Burkhalter les affaires du Conseil fédéral des autres départements. Seiler, lui, agit de manière stratégique, voyage lui-même à l’étranger et se mêle de tout. Et il garde un œil attentif sur l’administration. Selon les employés du DFAE, depuis 2 ans, il n’y a eu au Département de réunion à laquelle n’aurait pas participé soit Seiler, soit son remplaçant Charles Jean-Richard. Jean-Richard travaillait déjà en étroite collaboration avec Cassis en tant que secrétaire du groupe parlementaire du PLR jusqu’à l’automne 2017. Cassis entretient aussi des rapports particulièrement étroits avec ses collaborateurs personnels Anna Fazioli et Cédric Stucky.</p>
<p>Seiler fait également des apparitions publiques, ce qui est peu usuel pour un Secrétaire général. La semaine passée, il a parlé à l’Université de Zurich de la question de savoir si, pour Cassis, les intérêts économiques pèsent plus lourd que le droit dans la politique étrangère. «L’idée n’est pas nouvelle», dit-il. «Déjà dans le premier rapport sur la politique étrangère en 1993, la politique étrangère signifiait avant tout la défense des intérêts à l’extérieur. Le rapport avait été rédigé par Jakob Kellenberger et Peter Maurer, plus tard présidents de la Croix-rouge internationale, sûrement pas des idéologues néo-libéraux.» Dans les années 2000, il a eu une réaction qui a remis la valeur de la solidarité au premier plan. «<em>Nous disons maintenant: les valeurs et les intérêts sont les deux côtés de la même médaille.</em>»</p>
<p>Des arguments similaires émanaient au début de l'année d’un groupe de travail dirigé par Seiler et chargé par Cassis d’élaborer une «Vision de politique étrangère 2028». En font partie les deux super managers Peter Voser (ABB) et Thomas Wellauer (Swiss Re), mais pas un seul représentant d’organisation non-gouvernementale. Avec le résultat escompté. L’idée essentielle du papier stratégique de 50 pages est que l’engagement de la Suisse pour les droits humains, la démocratie, l’État de droit ne devrait pas «<em>avoir pour effet que les droits humains et l’économie soient en contradiction.</em>»</p>
<p>L’influence de Seiler, selon l’opinion de diplomates et employés d’autres départements, ne se réduit pas au DFAE. Depuis que Walter Thurnherr a tourné le dos au Département de l’infrastructure pour devenir Chancelier fédéral et que Stefan Brupbacher a quitté le Département de l’économie, aucun autre Secrétaire général n’a plus pu traiter avec Seiler. Comme il a par ailleurs une ligne directe avec son ancien patron et actuel ministre des finances Ueli Maurer, ainsi que de bonnes relations datant de son époque à la direction des services des renseignements au Département de la défense de Viola Amherd, il peut influer sur la politique du gouvernement dans son ensemble. C'est ainsi qu’en parlent plusieurs initiés de l’administration fédérale.</p>
<p>Au DFAE, on craint que les pouvoirs de Seiler continuent à augmenter lorsque la Secrétaire aux États Pascale Baeriswyl, nommée par Burkhalter, partira à la fin de l'année. Elle serait une des rares personnes à contredire Seiler de temps à autre. La plupart des autres diplomates préfèrent sortir du chemin du plus proche collaborateur de Cassis.</p>
<h3>5. <em>Switzerland first</em></h3>
<p>2019 commence pour Cassis comme l’année précédente, par une gaffe suivie de critiques publiques.</p>
<p>Le ministre des affaires étrangères visite en Zambie une mine de cuivre du négociant en matières premières Glencore et s’en enthousiasme ensuite sur Twitter: «Impressionné par les efforts de modernisation des installations et la formation des jeunes.» Le tweet s'accompagne de photos le montrant lui et son entourage en casques et vestes jaunes sur les terrains de la mine.</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1575975962_d9qdagguyaetjmc.jpeg" class="img-responsive img-fluid center " /></p>
<h4 style="text-align: center;">La visite d'Ignazio Cassis dans une mine de cuivre de Glencore en Zambie / via Twitter</h4>
<p>Glencore se réjouit de ce coup de pub gratuit et le partage immédiatement comme tweet publicitaire payant.</p>
<p>Les critiques reprochent à Cassis de faire de la propagande électorale contre l’initiative pour des multinationales responsables, dont il sera bientôt débattu au Parlement. Mais le Tessinois ne se rend pas compte de sa faute. Trois semaines encore après son voyage en Afrique, il estime qu’avec son tweet, il n’a fait qu'exprimer son impression positive. «<em>Le reste est du fait des médias.</em>» Peu après, le <em>Blick</em> révèle que plusieurs riverains de la mine ont dû être hospitalisés pour empoisonnement, avant et après la visite de Cassis. Glencore doit fermer la mine pour assainissement.</p>
<p>En été, le Département tombe à nouveau en discrédit, cette fois en raison d’une collaboration avec le cigarettier Philip Morris. Il a encaissé 45 000 francs pour l’ouverture d’une nouvelle ambassade à Moscou et veut recevoir 1.8 millions de francs pour le pavillon suisse à l’Exposition universelle de Dubai. Les recherches de <em>Republik</em> montrent que des diplomates de la République de Moldavie sont intervenus pour empêcher le durcissement de la loi anti-tabac, un service amical qui contredit les buts de la politique suisse en matière de santé et de développement.</p>
<p>Fin juillet, lors d’une interview, le Secrétaire général Seiler déclare que le DFAE n’a eu «que des conversations préliminaires» avec Philip Morris, afin d’évaluer des possibilités de collaboration. Une déclaration démentie 3 mois et demi plus tard par des documents internes du Département: la collaboration avec le cigarettier était une affaire conclue.</p>
<p>Pendant ce temps, le DFAE provoque l’indignation en Suisse centrale, car il ordonne au fabriquant d’avions Stans Pilatus de se retirer dans les 3 mois d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Pour Pilatus, il s’agirait d’une rupture de contrat. L’entreprise s'est engagée en 2017 à fournir pendant 5 ans un soutien technique et à assurer l’entretien des avions PC-21 livrés. En septembre, le Tribunal administratif fédéral admets un recours de Pilatus avec effet suspensif, c’est pourquoi les techniciens du fabricant sont toujours encore en activité dans les Etats du Golfe - une défaite pour le Département des affaires étrangères.</p>
<p>Les agissements du ministre des affaires étrangères suscitent aussi l’irritation de son parti. «<em>Il est nécessaire d’améliorer l’évaluation politique des affaires</em>», critique un initié du PLR. «<em>Quel homme normal se mettrait du côté de multinationales Glencore et Philip Morris mais taperait sur les doigts d’une entreprise suisse traditionnelle comme Pilatus?</em>» Cassis nuit à l’image du parti qui s’est efforcé au cours des 10 dernières années de ne plus apparaitre comme le larbin des grands groupes.</p>
<p>L’agenda du ministre est manifeste dans le message sur la coopération internationale des années 2021 à 2024 que le Conseil fédéral mettra en consultation au mois de mai. Cassis, toujours suivi de son Secrétaire général Seiler, met au premier plan les intérêts de la Suisse. La coopération pour le développement ne doit plus servir avant tout à soulager la détresse et la misère, mais assurer de l'emploi et donner de l’élan à l’économie, mais aussi endiguer la migration. A noter que le thème de la migration prend presque 2 fois plus de place dans le message que les 3 autres thèmes principaux (emploi, changement climatique, État de droit) mis ensemble.</p>
<p>«<em>Switzerland first</em>»: la devise sied à la perfection à Cassis. Lorsque le PLR tessinois le choisit officiellement comme son candidat unique à l’élection fédérale, le 1er août 2017, il porte un t-shirt rouge à croix blanche. Un an plus tard, il aimerait le ressortir de l’armoire, mais ses collaborateurs le lui déconseillent. Cela n'est pas adéquat pour un conseiller fédéral. A la question posée par <em>Schweizer Familie</em> de savoir si un maillot à croix suisse le jour de la fête nationale équivaut à l'expression «Switzerland first», Cassis répond: «<em>Justement. J’essaie encore d’en convaincre mon équipe. Qui sait, peut-être vais-je y arriver.</em>»</p>
<p>Un an plus tard, le vent a tourné.</p>
<p>Lors de la campagne électorale, les Verts et la gauche tirent sur lui à boulets rouges et l’impopulaire Cassis commence à s’inquiéter pour sa réélection. Et pour une fois, il déclare que l’on ne l’entendra jamais dire «<em>Switzerland first</em>».</p>
<h3>6. Les adversaires</h3>
<p>Lorsque Cassis est élu à l'automne 2017 au Conseil fédéral, l’équilibre du gouvernement est modifié. Alors que son prédécesseur Burkhalter faisait pencher la balance parfois plus à droite, parfois plus à gauche, Cassis la fait à tous les coups pencher à droite. Au fond, le Conseil fédéral n'avait pas vraiment à se réunir en 2018, les deux conseillers PRL et les deux conseillers UDC prenant en règle générale d’avance les mêmes positions. En tout temps, les intérêts économiques sont déterminants pour toutes les décisions du gouvernement. La politique étrangère n'est rien d’autre que politique économique étrangère.</p>
<p>Le glissement est visible dans le domaine, controversé depuis des années, de l’exportation du matériel de guerre. En juin 2018, le Conseil fédéral assouplit ses décisions. Sous certaines conditions, les armes suisses pourront aussi être exportées dans des pays touchés par la guerre civile. L’humaniste Burkhalter avait toujours combattu cette idée, et expliquera plus tard sa démission entre autres par le fait qu’il ne pouvait plus supporter les pressions subies à ce sujet: ses valeurs fondamentales n’étaient plus en accord avec celles du collège.</p>
<p>Cassis n’a pas ce genre d’inquiétude.</p>
<p>Pourtant, à l'automne 2018 sa position s’aggrave. Karin Keller-Sutter, qui succède à Johann Schneider-Ammann, est moins dogmatique que son prédécesseur. Pour l’ancienne conseillère aux États PLR, il est important de concilier les intérêts économiques de la Suisse avec ses traditions humanitaires. De plus, elle se donne de la peine pour faire régner l'harmonie, selon des sources proches du Conseil. Mme Keller-Sutter essaie d’intégrer dans les prises de décision les deux conseillers PS Alain Berset et Simonetta Sommaruga autant que la conseillère PDC Viola Amherd élue en même temps qu’elle.</p>
<p>Mais ce sont surtout les rapports entre Mme Keller-Sutter et Cassis qui sont dès le départs glaciaux et rapidement brisés.</p>
<p>Cela commence par le fait que Cassis n'a pas soutenu Mme Keller-Sutter mais Guy Parmelin lorsque les deux ont annoncé leur intérêt pour le Département de l’économie et de la formation. Un coup dur pour la nouvelle élue, qui comptait sur la solidarité de son collègue de parti et qui a dû se contenter du Département de la justice qu’elle a déjà géré au gouvernement de Saint-Gall, et dont elle ne voulait à aucun prix. L'ambiance est si mauvaise que le président de la Confédération Berset retarde de 3 jours l'annonce des nominations afin de rendre possible une solution amiable. En vain.</p>
<p>Mme Keller-Sutter se venge de Cassis en lui retirant la gestion du dossier de l’UE. En quelques mois, elle arrive à arrondir les angles sur tous les fronts et à faire revenir les syndicats à la table des négociations. Elle fait ainsi remonter les chances de succès de l'accord-cadre bien plus que n’en étaient capables Cassis et son Secrétaire aux États pour l’Europe Roberto Balzaretti, malgré tous leurs efforts au cours de l'année 2019.</p>
<p>La distribution des rôles ne devrait pas beaucoup changer au cours des mois à venir. Entre autres parce la ministre de la justice Keller-Sutter va mener la bataille contre l’initiative populaire de l’UDC contre la libre circulation des personnes qui devrait arriver aux urnes en mai 2020. En bref, Mme Keller-Sutter vole cette année la vedette à Cassis.</p>
<p>Le deuxième grand adversaire de Cassis au gouvernement est le ministre de l'intérieur Alain Berset. Comme Mme Keller-Sutter, il ne fait pas mystère dans son cercle restreint du peu de considération qu’il a pour son collègue conseiller fédéral, comme le rapportent à l’unanimité plusieurs sources proches du gouvernement.</p>
<p>Son aversion est devenue manifeste en août 2018, lorsque Berset fait un discours à la première conférence des ambassadeurs de Cassis. Guerre, changement climatique et inégalité mondiale exigent «un engagement vigoureux des institutions internationales pour la paix, les droits humains et la démocratie», déclare le président de la Confédération. «Mais d’autre part, nous vivons dans de nombreux pays un recul vers le national, un rétrécissement de l’horizon politique, ce qui a pour corolaire la méfiance envers le multilatéralisme». La plupart des ambassadeurs présents ont compris le discours comme un coup porté contre Cassis. Après tout, le Tessinois a critiqué les organisations multilatérales dès son entrée en fonction.</p>
<h3>7. L'aversion des voyages</h3>
<p>Comme cela fait partie du programme obligatoire d’un ministre des affaires étrangères, Cassis a pris part en septembre à l'Assemblée générale de l’ONU à New York. Pour ce qui est des voyages qui ne sont pas indispensables, il y renonce; il n’a ainsi quitté la Suisse qu’à 8 reprises en 2018. A titre de comparaison: Burkhalter a fait 29 voyages à l’étranger au cours de sa première année à ce poste.</p>
<p>Cassis a réalisé son slogan «<em>la politique étrangère est une question de politique intérieure</em>», répond le DFAE à une demande de renseignement sur ce point. Ainsi, son programme contient, outre les voyages à l’étranger, de nombreuses apparitions en Suisse. Les visites à Genève ont par ailleurs «qualité de voyages à l’étranger», puisqu’il y est accueilli par le Secrétaire général de l’ONU ou qu’il prend part à des conférences internationales auxquelles se rendent des représentants de gouvernements étrangers. Il en est de même pour les déplacements au WEF à Davos.</p>
<p>Diplomates actifs ou retraités déplorent à l’unanimité qu’en raison de son aversion pour les voyages, Cassis n’a pas réussi à se bâtir un réseau personnel, une négligence qui, dans le monde des relations internationales, peut se révéler catastrophique à moyen et à long terme. </p>
<p>Pas seulement pour lui, mais pour le pays.</p>
<p>Un exemple: début août 2019, Cassis renonce à participer à une conférence de la Fédération des pays du Sud-Est asiatique. Il s'agit d’une importante organisation partenaire de la Suisse en Asie du Sud-Est, une région où vivent 650 millions de personnes et où les entreprises suisses ont investi l'équivalent de 37 milliards de dollars. Se rendent entre autres à Bangkok les ministres des affaires étrangères des Etats-Unis, de la Chine, du Japon, de l’Inde, de la Corée du Sud, de la Russie, de l’Australie ainsi que les représentants de l’Union européenne.</p>
<p>Par son absence, Cassis gâche en même temps deux chances: il ne renforce pas les liens avec l’Asie du Sud-Est et il ne mène aucune discussion bilatérale avec ses homologues de haut rang.</p>
<p>Pourquoi Cassis a-t-il laissé tomber la conférence? Il avait mieux à faire. Du 31 juillet au 2 août il prononce pas moins de 4 discours à Krachthal, L’Etivaz, Chiasso et Zuoz pour les festivités de la journée nationale suisse.</p>
<p><em>Switzerland first</em> tient bon.</p>',
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<hr />
<p>Dans dix jours c’est Noël mais ce qui tous les ans est une réjouissance pour moi pourrait bien cette année devenir un cauchemar. A cause de mon mari.</p>
<p>Pierre m’est fidèle, j’en suis certaine, même s’il a eu, comme moi, quelques aventures extraconjugales. Il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p>
<p>Mais Pierre a changé.</p>
<p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p>
<p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p>
<p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. Ce que j’ai découvert est effrayant…</p>
<p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p>
<hr />
<h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="149" height="206" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /><span>et de<br /></span><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="154" height="207" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a></h4>',
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<div><hr />
<p>A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1<sup>er</sup> décembre, se sont soldées par un <a href="https://www.rts.ch/info/sciences-tech/environnement/2024/article/echec-des-negociations-du-traite-sur-le-plastique-a-la-session-busan-28713049.html">échec</a>. Les négociations devraient reprendre à une date ultérieure.</p>
<p>En réalité, les négociations sont surtout sont le théâtre de récits concurrents qui s’affrontent. En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p>
<ul>
<li>
<p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p>
</li>
<li>
<p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. Au lieu de cela, ils accusent des <a href="https://psmag.com/environment/the-epa-blames-six-asian-nations-that-the-u-s-exports-plastic-waste-to-for-ocean-pollution/">systèmes de recyclage inadéquats et une mauvaise gestion des déchets</a>.</p>
</li>
</ul>
<p>L’attention portée au recyclage des plastiques et à la gestion des déchets touche en réalité des millions de personnes en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.</p>
<p>Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.</p>
<p>Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.</p>
<h3>Qui sont les ramasseurs informels de déchets?</h3>
<p>Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344924001824#sec0021">grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale</a>. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p>
<p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p>
<p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p>
<ul>
<li>
<p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p>
</li>
<li>
<p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p>
</li>
</ul>
<p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p>
<h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3>
<p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p>
<p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p>
<p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p>
<p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p>
<p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p>
<p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p>
<h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3>
<p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p>
<figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a>
<figcaption><span></span></figcaption>
</figure>
<p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p>
<p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p>
<p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p>
<p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p>
<p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p>
<p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p>
<p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p>
<p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. Ils restent toujours relégués aux mêmes tâches manuelles et difficiles, même si leurs conditions de travail en ressortent légèrement améliorées.</p>
<h3>L’industrie du plastique maintient le <em>statu quo</em></h3>
<p>Malgré les bonnes intentions de départ, des termes tels que «économie circulaire inclusive» sont donc trop souvent utilisés à des fins de <em>green washing</em> et même de <em>justice washing</em>, tandis que les travailleurs continuent à endurer des conditions difficiles. Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p>
<p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p>
<p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p>
<p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p>
<p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p>
<h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3>
<p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p>
<p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p>
<p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p>
<p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p>
<p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p>
<hr />
<h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4>
<h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4>
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<hr />
<p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. L'UE et les Etats membres de l'UE financent les 20 % restants.</p>
<p>Avec un budget annuel de 20 millions d'euros et plus de 150 journalistes sur tous les continents, l'<a href="https://www.occrp.org/en">OCCRP</a> − en partie en collaboration avec le <a href="https://www.icij.org/">Réseau international des journalistes d'investigation</a> ICIJ − a lancé les plus grands projets internationaux de journalisme d'investigation de ces dernières années. Parmi eux, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Panama_Papers"><em>The Panama Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pandora_Papers"><em>Pandora Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Suisse_Secrets"><em>Suisse Secrets</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/narcofiles-the-new-criminal-order"><em>Narco Files</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/the-pegasus-project/about-the-project"><em>Pegasus Project</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Cyprus_Confidential"><em>Cyprus Confidential </em></a>et la série <a href="https://de.wikipedia.org/wiki/Die_Geldw%C3%A4scherei"><em>Laundromat</em></a>, qui a révélé les systèmes de blanchiment d'argent des élites dirigeantes en Azerbaïdjan et en Russie.</p>
<h3><strong>Non sans conditions</strong></h3>
<p>Les agences gouvernementales américaines ne financent pas l'OCCRP sans contrepartie: l'<a href="https://www.usaid.gov/"> U.S. Agency for International Development</a> dispose d'un droit de veto sur la nomination des dirigeants de l'OCCRP. De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p>
<p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p>
<p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p>
<p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p>
<p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p>
<p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p>
<p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p>
<h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3>
<p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». Confronté aux dernières découvertes, il a finalement reconnu l'importance du financement de Washington: «C'est le plus grand bailleur de fonds de l'OCCRP, oui, et ce depuis presque le début de notre histoire. [...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p>
<p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p>
<h3><strong>Conditions posées</strong></h3>
<p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p>
<p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p>
<p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p>
<p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p>
<p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p>
<h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3>
<p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p>
<p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p>
<p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p>
<p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p>
<h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3>
<p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p>
<p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. Des faits presque incroyables sur le travail de relations publiques du Pentagone.</p>
<p><strong>20 avril 2008</strong> <a href="https://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/gekaufte-meinung-pentagon-beschaeftigt-pr-armee-fuer-us-tv-a-548519.html">Le Pentagone emploie une armée de RP pour la télévision américaine</a>. Avec une gigantesque troupe de RP, le gouvernement Bush a trompé l'opinion publique américaine pendant des années.</p>',
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2 Commentaires
@Deuborch 12.12.2019 | 12h03
«Je verrais volontiers M.Cassis comme gondolier à Venise...»
@Lagom 12.12.2019 | 18h46
«Pour l'UNRWA je pense qu'il a réussi à suspendre la contribution de la Suisse provisoirement sous prétexte de l'enquête sur son patron démissionnaire, qui est suisse d'ailleurs !!!»