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Sur le papier ou en ligne, de petites échoppes offrent aux publics curieux des textes, des dessins, des images qui sortent de l’ordinaire. Deux d’entre elles sont à la fête ces jours. L’hebdomadaire satirique «Vigousse» vient de publier son 500ème numéro. Et dans un tout autre registre, le site Antipresse en est à sa 300ème édition, sans manquer un seul de ses rendez-vous dominicaux. Deux exploits. A force de persévérance, d’abnégation et de talent. Car ces minuscules équipes ne sont guère rémunérées. Elles vivent pratiquement avec les seules ressources de leurs fidèles abonnés. Comme BPLT, soit dit en passant.
Vigousse, rappelle son infatigable co-fondateur, le dessinateur Barrigue – avec un demi-siècle de cette passion au compteur – c’est la liberté de rire de tout. Mais pas n’importe comment. Une liberté menacée? Il soulignait l’autre matin dans l’émission Médialogues la difficulté de l’exercice. Les dessins circulent aujourd’hui sur le net, vus par des gens peu ou pas familiers de l’esprit du titre, à la différence de ceux qui l’achètent régulièrement. C’est ce qui a déclenché la furie meurtrière contre Charlie Hebdo en 2015. L’équipe de Vigousse ne s’autocensure pas pour autant mais reste dans la tonalité du pays romand, avec une certaine bonhomie. Il veut d’abord faire rire ou au moins sourire. Faire vivre à tout prix le dessin de presse. Révéler des talents. Tels ceux de la Genevoise Bénédicte ou la Jurassienne Caro qui se lance dans le reportage crayon en main, pour ne citer que des femmes.
L’humeur du magazine? Elle se veut un brin provocatrice, sinon insolente, surtout quand il s’agit d’épingler les rupins. Plus sage aussi quand le virus rôde… Un de ses chroniqueurs s’est même fait une spécialité de passer les complotistes au scanner. On aime ou pas ce mélange d’articles plus ou moins informatifs et de dessins poivrés, on rit ou pas, mais on tire son chapeau devant le succès, dont tant doutaient au départ, d’une toute petite équipe qui sait se renouveler, avec très peu de moyens financiers, vivant principalement des abonnements. A la différence de grandes entreprises médiatiques qui ne cessent de se «restructurer» sans guère trouver quelque nouveau souffle.
Antipresse, c’est une toute autre histoire. Un homme d’abord, d’une puissance intellectuelle hors du commun, Slobodan Despot. Avec son fidèle acolyte, Eric Werner et quelques autres, il touille chaque dimanche un chaudron de la pensée. D’origine serbe, ancré en Valais, voyageur impénitent, romancier, accro de l’écriture, ce pilier du site est d’une assiduité époustouflante. Non content d’écrire, de lire ses papiers pour la version audio, il envoie sur Youtube, chaque vendredi, une introduction au propos en video. Où qu’il se trouve. Cet été il était en Russie. S’adressant à nous du fond des campagnes, d’une maison sans eau courante mais joignable par les ondes téléphoniques!
Certains lui collent une étiquette politique simpliste qu’ils jugent dérangeante. Il a certes sa fibre propre, ses convictions, mais c’est mal le connaître que de voir en lui un agitateur idéologique. Ses dires peuvent heurter ici ou là, mais il est en perpétuel questionnement. Il ne craint pas la contradiction argumentée. Son exploration des profondeurs de l’événement est nourrie par une impressionnante connaissance littéraire et historique, par des lectures dans les nombreuses langues qu’il maîtrise. Soutenue aussi par sa relation avec les gens qu’il rencontre dans ses pérégrinations, avec la nature qu’il perçoit intensément, des sentiers valaisans aux steppes lointaines. On ne sort jamais indemne de ses considérations. On retourne, dimanche après dimanche, remuer le bouillon de sa pensée, pour le plaisir des neurones. Son audience s’est accrue depuis le début de la crise dite sanitaire, si manifestement politique et philosophique aussi. Il ne dénonce pas, il explique, il s’en prend à l’aveuglement des sociétés que la peur et la manipulation conduisent à sacrifier des libertés fondamentales. «Pour notre bien», comme disent les autorités. Sans désigner, comme le font cependant les gourous du «transhumanisme», les perspectives qu’ouvrent ces mesures et ces outils, vers la surveillance et le conditionnement des individus. Un travail de fond. Qui ne tourne pourtant pas à l’obsession chez Despot. Il garde les yeux sur les soubresauts du monde, ce qui relativise d’ailleurs nos frayeurs locales. Avec la dent dure. Hors, bien sûr, de la vision américano-centrée qui s’impose sur tant de sujets dans ce qu’il appelle «les médias de grand chemin».
Qui ne craint pas de bousculer son confort intellectuel se doit de faire un tour dans l’Antipresse. Slobodan Despot est une figure qui marque et enrichit le paysage de la pensée, quelque peu rabougri, de ce pan francophone de la Suisse, en rayonnant d’ailleurs bien au-delà des frontières, géographiques et mentales. Merci à lui et à ceux qui l’accompagnent.
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Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.</p> <p>Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. Tout comme la rivale du vainqueur, arrivée en deuxième position, Elena Lasconi, qui voit là «un retour des jours sombres du communisme». Mme von der Leyen croit bon au contraire d’appuyer le président roumain sortant qui réclame une enquête sur les ingérences hypothétiques de la Russie lors de la campagne, largement menée sur les réseaux sociaux.</p> <h3><strong>Qui veut la peau de Călin Georgescu ?</strong></h3> <p>C’est piquant si l’on songe que sur l’autre bord, l’influence américaine pèse lourd sur ce pays. Son commandant en chef, le général Vlad, a été formé dans la plus haute école militaire aux USA et a même participé à l’opération menée contre l’Irak en 2003. Depuis la guerre en Ukraine, la pression de l’OTAN et des lobbies de l’armement est énorme. Le budget de la défense roumaine a augmenté de 53 %, il représente 3 % du PIB. Une grande base est en construction à la frontière avec la Russie. Des contingents étrangers sont sur place, notamment avec environ 1000 soldats français. </p> <p>Alors évidemment Georgescu est un gêneur. Il ne veut pas quitter l’OTAN, mais considère que l’intérêt de la Roumanie, c’est l’arrêt au plus vite de la guerre. Ce qui lui vaut aussitôt chez nous l’étiquette de pro-russe. Il s’oppose aussi à une dépense prévue de 6,5 milliards de dollars pour l’achat d’une flotte de FA-35 dans un pays où le quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. On voit dès lors qui veut sa peau, au-delà des appareils politiques locaux accrochés à leurs pouvoirs et leurs privilèges. </p> <p>L’impertinent aggrave encore son cas avec sa revendication d’un meilleur contrôle et d’une plus forte imposition des sociétés internationales (notamment américaines, françaises, autrichiennes, kazakhs, émiratis... et russes) qui exploitent les considérables ressources minières de la Roumanie, pétrole et gaz en tête. Le discours nationaliste passe bien ailleurs et fort mal là… A noter qu’il ne souhaite nullement la sortie de l’UE mais souhaite y défendre mieux les intérêts de son pays. Comme à peu près tous. </p> <h3><strong>Portrait d’un personnage peu banal</strong></h3> <p>L’image caricaturale qui nous est proposée de ce personnage peu banal est à côté de la plaque. Cet ingénieur agronome écologiste a fait carrière dans les institutions de son pays et aux Nations Unies (avec un passage à Genève). Il maîtrise son propos, plutôt mesuré. Mais avec le sens de la formule. Par exemple, à propos des partis traditionnels qui ont connu bien des cas de magouilles et de corruptions: «ils essuient leurs bottes sales sur le visage de la démocratie!»</p> <p>C’est un conservateur comme on en trouve en France, en Allemagne. Avec en plus des préoccupations sociales, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la condition paysanne. Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. Plus inquiétant pour lui: divers services s’activent pour trouver quelques charges à son encontre qui permettraient d’écarter une nouvelle candidature. «Comme il n’y a rien à me reprocher, il leur faut du temps pour fabriquer des preuves…», commente l’intéressé. Il appelle de ses vœux des enquêteurs internationaux, européens, américains. Ajoutant: «Nous respectons nos partenaires démocratiques, mais j’ai le sentiment qu’ils nous lâchent, j’espère me tromper.»</p> <h3><strong>L’Union européenne discréditée </strong></h3> <p>Il y a bien lâchage du côté de Mme von der Leyen et ses gens. Soucieux d’abord de s’aligner sur la ligne de l’OTAN et de l’administration Biden, entraînant tant de médias dans ce sillage. Il s’agit là d’une dérive de l’UE et de ses principes. Une fois de plus, la tactique du «deux poids deux mesures». On tance un Erdogan, un Fico (le président slovaque), mais pas un mot sur le président roumain Iohannis qui prolonge son mandat en cassant une élection. 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