Actuel / Décryptage d'une belle pagaille
Depuis des années, le Conseil fédéral joue la carte de l'attentisme, lambine comme un escargot. Bruxelles a fini par s'en agacer. © PxHere
On ne se souvient pas que les Suisses, négociateurs scrupuleux, aient attendu plus de six mois pour parapher un accord. La Commission de Bruxelles s'en agace. De premières représailles apparaissent. Le Conseil fédéral a trop tardé à bâtir le consensus intérieur. L'attentisme n'est pas une stratégie, mais il a un coût.
Bruxelles semble ne pas vouloir prolonger l’équivalence boursière pour la Suisse. La décision formelle devrait tomber vendredi. Ce sont de premières représailles à l’attentisme qui sert de stratégie au Conseil fédéral.
Les intérêts de la place financière seront-ils sacrifiés? Techniquement, le gouvernement a encore quelques jours pour trouver une solution. On verra.
En attendant, essayons de décrypter cette pagaille et d'en comprendre les origines:
C’est la Suisse qui est demandeuse d’un accord cadre pour fluidifier et consolider les accords bilatéraux avec l’Union européenne. Redorer la voie bilatérale (dont les Européens ne veulent plus vraiment tant elle est fastidieuse), c’est l’option préférée des partis gouvernementaux pour éviter la question d’une adhésion à l’UE.
Les négociations ont duré cinq ans. La Commission attend depuis décembre dernier que la Suisse veuille bien en parapher le résultat, ce qui ne signifie pas encore signer et ratifier. Il appartient aux diplomates de parapher, au Conseil fédéral de signer, et aux Chambres fédérales, puis au peuple de ratifier.
La Suisse a la réputation d’être une négociatrice efficace et fiable. On ne se souvient pas qu’elle ait attendu six mois pour parapher un accord. Ce que nous faisons depuis lors est tout à fait inhabituel.
Nos négociations avec l’UE ont toujours été à double face. Il y a le front extérieur – celui de la négociation – et il y a le front intérieur, celui de la préparation de l’opinion à la votation finale.
Ce qui cloche cette fois-ci, c’est que le front intérieur a été complètement négligé. Didier Burkhalter et Johann Schneider-Ammann n’ont rien entrepris de sérieux pour informer les partenaires sociaux et les amener à une même table pour définir un nouveau paquet de mesures d’accompagnement.
Beaucoup de temps a été perdu dans la constitution de ce consensus intérieur. D’où la pagaille actuelle, les demandes de clarifications ou de renégociations que l’UE estime, à juste titre, tardives et irrecevables.
Nouveaux venus dans la gestion de l’épineux dossier de nos relations avec l’UE, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter et le président de l’Union syndicale suisse Pierre Yves Maillard ont pris les choses en mains, un peu à la dernière minute. Ils veulent se donner une marge de manœuvre temporelle, que leurs prédécesseurs ont gaspillée, et qu’ils ne sont pas sûrs d’obtenir de Bruxelles.
Il est totalement légitime que les syndicats veuillent défendre le niveau des salaires en Suisse. Mais, de facto, les syndicats prennent en otage la question européenne. Ils l’utilisent pour obtenir ce qu’ils n’ont pas réussi à négocier jusqu’ici avec les associations patronales.
La liste des mesures de protection ou de compensation sur lesquelles les partenaires sociaux pourraient se mettre d’accord, indépendamment de Bruxelles, est longue. Rien n’empêche les cantons et la Confédération d’intensifier les contrôles sur les chantiers. Rien ne les empêche non plus de consolider les données récoltées pour bannir les moutons noirs qui pratiquent le dumping salarial.
Nombre d’avancées sociales en Suisse ont été portées par des représentants de la droite et de la gauche qui ont pris la responsabilité de forger un compromis, malgré de profondes divergences. Dans cette veine, appeler à plus de responsabilité sociale de la part des entreprises en matière d’embauche et d’adjudication ne paraît pas hors de portée. Labelliser les sociétés qui s’engagent à contrôler leurs sous-traitants est une autre piste.
Enfin, le partage des fruits de la croissance amenée par les accords bilatéraux – qui ont simplifié l’accès au marché européen – devrait être mieux assuré. Cela pourrait être le cas via des augmentations de salaires, l’introduction d’un congé paternité, l’instauration de quelques jours de vacances supplémentaires.
S’ils n’obtiennent pas de résultats, certains syndicalistes laissent entendre qu’ils n’hésiteront pas à faire campagne aux côtés de l’UDC contre l’accord-cadre. Stupéfiant calcul: ils feraient donc alliance avec ceux-là mêmes qui, depuis 25 ans, ont empêché toute avancée sociale?
Ce qui est certain c’est que, face au défi de réinventer nos relations bilatérales avec nos principaux partenaires commerciaux, la diabolisation de l’UE – qui a essaimé de l’UDC à la plus grande partie de notre classe politique – est un autogoal. De la sorte, nous abaissons notre noble démocratie directe au rang d’outil populiste, ce qu’elle n’est pas. Nous laissons accréditer que les objectifs de paix et de prospérité de l’UE sont incompatibles avec la démocratie. C’est profondément idiot et tous ceux qui cèdent à cette facilité s’en mordront les doigts un jour.
Corollaire de ce besoin de transformer l’UE en bouc-émissaire de toutes les impuissances helvétiques, il existe une forte tendance à faire passer les proeuropéens de Suisse pour des imbéciles heureux, naïfs et aveugles qui ne verraient pas les immenses défauts de l’UE. Ce mépris est stérile. L’adhésion au projet européen ne signifie pas l’absence de critiques ou d’ambitions pour que celui-ci se réforme. Mais, en tant que Vaudoise, je n’exige pas la sécession de mon canton, quand je ne suis pas enchantée par une décision de la Confédération.
L’UE est très imparfaite, mais elle reste l’espace économique, juridique et moral dans lequel nos principaux partenaires commerciaux, l’Allemagne, la France et l’Italie, ont décidé de vivre (avec 24 autres pays européens). Nous nous devons de trouver une solution, nous ne pouvons pas – sauf à vouloir nous appauvrir et à sacrifier des milliers d'emplois – laisser la substance des accords bilatéraux se dégrader, et se multiplier à l’insu de notre plein gré. Les entraves au commerce, aux exportations, aux collaborations sécuritaires, scientifiques, culturelles, qui nous sont hautement bénéfiques.
Ceux qui, actuellement, prennent le risque de saboter la voie bilatérale en torpillant l’accord-cadre, ou en faisant le lit de l’initiative dite de limitation de l’UDC (dont l’acceptation entraînerait la fin des accords bilatéraux) jouent avec le feu, alors qu’ils croient seulement affirmer une souveraineté qui n’existe déjà plus (scoop pour ceux qui ne le savent pas: à chacune de ses séances, le Conseil fédéral glisse déjà beaucoup de droit européen dans notre législation, sans grand tamtam).
L'UE ne peut pas se montrer moins intransigeante avec nous qu'avec les Britanniques. Si elle se montre désormais prête à affronter un Brexit sans accord, elle n’aura pas trop d’états d’âme à laisser les Suisses s’auto-saborder. Ceux qui, dans les diverses institutions européennes, connaissent encore le dossier, savent que la Suisse, petit pays pragmatique, ne bouge que sous la pression des événements, rarement de manière autonome et fière, même si elle aime se raconter la fable d’une splendide indépendance.
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Pas un petit problème helvétique en matière de transports, de criminalité, d’aménagement du territoire, de gestion de la main d’œuvre ou de financement des assurances sociales dont la responsabilité n’ait été attribuée aux « méchants Européens ».</p> <h3><strong>Un message limpide</strong></h3> <p>Le message délivré le 27 septembre par six citoyens sur dix est pourtant limpide comme de l’eau de roche: les accords bilatéraux avec l’UE valent bien plus que les éventuels inconvénients qu’ils génèrent. Certains espèrent que l’UDC se le tiendra pour dit, et ne récidivera pas avec une énième initiative visant à abattre l'édifice.</p> <p>C’est bien mal connaître les Blochériens. Pour nos «nationalistes», l’instrument de l’initiative populaire est avant tout un outil marketing, à déployer quelques mois avant les élections fédérales, histoire de galvaniser les troupes. Que ce mésusage de la démocratie directe perturbe notre agenda diplomatique et comprime la réflexion des autres partis sur les objectifs et les moyens de notre politique étrangère, le premier parti de Suisse, nanti de deux conseillers fédéraux, s’en fiche éperdument. Il n’est pas là pour gouverner ou régler les problèmes, il est là pour affaiblir l’Etat afin que prospèrent sans cadre légal trop contraignant ou trop coûteux les affaires de la famille Blocher et de ses amis milliardaires.</p> <blockquote> <p><em>Ces gens-là se sont battus comme des lions pour empêcher l'UDC de dynamiter le pont bilatéral, et maintenant ce sont eux qui vont poser leurs propres mines. </em></p> </blockquote> <p><span>Or donc, depuis dimanche soir, au lieu de savourer leur victoire, ceux que nous appellerons les «bilatéralistes» ( pour l’attachement indéfectible qu’ils vouent à la solution «accords bilatéraux» permettant de régler nos relations avec le premier bloc commercial de la planète), sombrent dans une crise de masochisme. Au lieu de considérer avec sérénité la prochaine étape, les présidents de partis et les partenaires sociaux rivalisent de mots graves et accablants pour enterrer la ratification de l’accord-cadre négocié pendant 5 ans et en attente de paraphe depuis décembre 2018. Ces gens-là se sont battus comme des lions pour empêcher l’UDC de dynamiter le pont bilatéral, et maintenant ce sont eux qui vont poser leurs propres mines.</span></p> <h3><strong>Jalousie, arrogance et fatalisme</strong></h3> <p>Comment en est-on arrivé à une telle absurdité? Depuis la fin des années 1990, la Suisse appréhende le dossier de ses relations avec une communauté européenne en constant développement par un mélange de jalousie, d’arrogance et de fatalisme.</p> <p>La jalousie se manifeste dans l’obsession, qui détermine toute sa stratégie de politique économique extérieure, de ne pas être discriminée par rapport à ses principaux concurrents, de mieux en mieux organisés sur le plan économique. La Confédération ne veut pas être membre du club, mais elle veut pouvoir utiliser toutes ses commodités.</p> <p>L’arrogance tient dans la conviction d’une bonne partie des Suisses qu’ils pourraient se passer sans trop de dommages de relations privilégiées avec les Européens. Le mythe d’une Suisse splendidement indépendante carbure à plein régime, générant les succès électoraux de l’UDC, au mépris de notre histoire réelle: de 1291 à nos jours, les Confédérés doivent leur prospérité aux échanges économiques, militaires et culturels avec leurs voisins.</p> <p>Un fatalisme désabusé s’est installé dans maintes têtes: l’UE nous est indispensable, mais elle passe son temps à nous torturer avec ses exigences sans la moindre considération pour notre souveraineté nationale. Nombre de bilatéralistes aimeraient pouvoir appuyer sur le bouton pause, alors que l’UE ne cesse d’agrandir ses domaines d’activités.</p> <h3><strong>Le bon élève muet</strong></h3> <p>Notre culture politique étant également empreinte d’une solide dose de pragmatisme la doctrine de notre attitude face aux Européens fut ainsi résumée par Franz Blankart, alors Secrétaire d’Etat chargé de négocier l’accord sur l’Espace économique européen: «être en position d’adhérer pour ne pas avoir à le faire». Le masochisme du bon élève, en quelques sortes: être prêt à répondre, mais ne jamais prendre la parole pour donner son point de vue.</p> <h3><strong>Un objectif, une option et puis plus rien du tout...</strong></h3> <p>Justement, la discussion sur les avantages d’une adhésion à l’Union européenne a été liquidée par les partis politiques, dès les bilatérales lancées au tournant des années 2000. Les bénéfices d’une adhésion ne sont même plus analysés dans les rapports du Département fédéral des affaires étrangères, alors que l’Union a aimanté presque tous les pays de notre continent. L’adhésion fut pourtant «l’objectif» de notre politique d’intégration, puis reléguée sous l’influence de l’UDC au rang d’option, puis plus rien du tout. Même pas un souvenir dans la tête des conseillers fédéraux en place. Pour parler de la solution de l’adhésion de la Suisse à l’UE, nos ministres attendent d’être à la retraite. Tout comme la plupart des diplomates qui se sont occupés du dossier.</p> <h3><strong>La surenchère étonnée </strong></h3> <p>À la lumière de ce non-dit, face à ce trou noir, l’accord-cadre, dotant les accords bilatéraux d’un mécanisme de règlement des différences d’interprétation du droit européen repris par la Suisse, devrait être considéré comme la solution miracle, épargnant aux partis politiques et au gouvernement toute réflexion sur une solution plus ambitieuse. Mais non. Le président du PDC, Gerhard Pfister, fait mine de découvrir que le Conseil fédéral injecte du droit européen dans les lois suisses chaque semaine, et que la Cour de justice de l’Union européenne étant <em>in fine</em> la garante de l’application du droit européen, la Suisse ne peut prétendre à l’interpréter pour elle-même.</p> <p>A gauche, la surenchère étonnée est également surjouée. On fait mine de croire que la lutte contre le dumping salarial ne peut être réalisée que par Bruxelles, alors que partenaires sociaux, cantons et Confédération peuvent demain matin décider ensemble de mieux contrôler les chantiers et les conditions des travailleurs détachés. 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La panoplie juridico-commerciale de l’UE prévoit pour les non-membres un partenariat rapproché au sein de l’Espace économique européen (refusé par nous en 1992), ou le statut d’état tiers, bien moins avantageux économiquement que nos accords bilatéraux. Renoncer à l’accord-cadre, c’est renoncer à ce statut d’exception. La probabilité que l’UE nous en concède un meilleur relève de l’utopie, surtout dans le contexte du Brexit. </p> <p>Dans la définition de sa politique européenne, le Conseil fédéral a toujours un peu peur de son ombre. Il a tendance à jouer la montre. Accueillant avec satisfaction le vote du 27 septembre, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a ainsi pris soin d’indiquer qu’elle était disponible pour des éclaircissements sur la portée de l’accord-cadre négocié, mais qu’elle s’attendait à ce que le Conseil fédéral entame sa ratification «rapidement».</p> <h3><strong>Expliciter le contenu</strong></h3> <p>Notre gouvernement devrait donc sans tarder présenter et expliciter le contenu de l’accord-cadre. On ose espérer qu’il a utilisé les derniers mois pour obtenir de Bruxelles les clarifications sur les points litigieux, tout en les gardant secrètes afin de ne pas perturber la campagne de votation du 27 septembre.</p> <p>Les trois autres options qui s’offrent au Conseil fédéral ne sont guère réalistes. Laisser tomber l’accord-cadre est une option idiote. Cela reviendrait à enterrer la voie bilatérale alors qu’elle vient d’être sauvée par le peuple et les cantons. Laisser pourrir la mise à jour des accords actuels, bloquée par la non ratification de l’accord-cadre, ne serait pas très intelligent au moment où l’économie suisse a besoin des meilleures conditions possibles pour faire face aux conséquences de la pandémie. Demander à renégocier représente une option hautement improbable, maintes fois exclue par la Commission. Mais entre renégociation formelle et éclaircissements politiques, il y a peut-être une petite marge pour permettre à tous les interlocuteurs de sauver la face.</p> <p>Comme souvent quand une crise semble insurmontable, il faut envisager une sortie par le haut, ambitieuse et courageuse. 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Après tout, l'unanimité des prises de position contre le texte de l'UDC de la part notamment des milieux économiques, syndicaux, académiques, de la recherche, ou encore des cantons, signale, par delà toute considération politique, la vacuité et l'irréalisme de la proposition. </p> <hr /> <p style="text-align: center;"><strong>Lire aussi</strong>: <a href="https://bonpourlatete.com/analyses/un-president-et-quelques-points-d-interrogation" target="_blank" rel="noopener"><em>Un président et quelques points d'interrogation</em></a></p> <hr /> <p>En général, lorsqu’une initiative est soumise au jugement du peuple suisse, il appartient aux initiants de prouver que leur idée tient la route, et qu’il vaut la peine de tout renverser. Or, chaque fois que nous votons sur une problématique européenne, ce sont les partisans des accords bilatéraux qui sont acculés à défendre la situation actuelle, alors que les auteurs de l’initiative sont traités comme de doux contestataires, dont les agissements seraient sans conséquences.</p> <p>Par exemple, l’UDC ne nous dit pas comment elle entend que le gouvernement agisse diplomatiquement avec nos partenaires européens. Bien que disposant de deux élus au Conseil fédéral, elle s’est bien gardée de revendiquer la direction du Département fédéral des affaires étrangères, lors des récentes rocades. Pourtant, en cas de oui le 27 septembre, ne vaudrait-il pas mieux que Guy Parmelin ou Ueli Maurer aillent «renégocier» avec l’Union européenne, puisque leur parti pense que ce serait tellement simple et facile?</p> <p>L’UDC ne nous indique pas non plus quel solde migratoire serait acceptable pour elle, ni quel taux de croissance supérieur ou taux de chômage inférieur aux actuels nous pourrions espérer en cas de oui.</p> <h3>Croissance en berne</h3> <p>Dans leur argumentaire, les partisans de l’initiative dite «de limitation» minimisent les conséquences de la résiliation des accords bilatéraux, liés par la clause guillotine. Ils avancent que «la catastrophe prévue n’a pas eu lieu» après le fameux non à l’EEE de 1992. Ce faisant, ils omettent de préciser que:</p> <p><strong>1.</strong> les années qui suivirent la croissance suisse fut en berne, et qu’elle est repartie à la hausse grâce à l’entrée en vigueur des accords bilatéraux;</p> <p><strong>2.</strong> les autres pays de taille similaire à la nôtre englobés dans l’EEE (par exemple l’Autriche) ont connu une croissance supérieure;</p> <p><strong>3.</strong> l’écart de croissance entre eux et nous ne s’est jamais comblé.</p> <p>Ils font comme si le Conseil fédéral n’avait pas agi et signé, après des négociations difficiles, deux paquets d’accords bilatéraux avec l’Union européenne, qui nous ont permis grosso modo d’obtenir les mêmes avantages que ceux promis par l’EEE.</p> <h3>Accord de libre-échange insuffisant</h3> <p>Visant la suppression de la libre-circulation des personnes (LCP) avec l’UE, les partisans du texte de l’UDC vont jusqu’à prétendre que la Suisse peut se passer des autres accords bilatéraux, dont la valeur pour les entreprises serait surestimée. Là encore, leur trou de mémoire est béant. La Suisse a vécu dans les années 1990 sans accords bilatéraux avec l’UE, sous le toit du seul accord de libre-échange signé en 1972 avec les Communautés européennes (et que l’UDC cite aussi beaucoup). Mais la situation a été jugée insatisfaisante par les milieux économiques, car depuis 1972, les flux économiques se sont beaucoup modifiés. Les accords bilatéraux ont été voulus par la Suisse et négociés pour nous mettre sur un pied d’égalité avec nos concurrents européens. Ils sont le plan B, imaginé après le refus de l'EEE. </p> <h3>S'infliger une double peine?</h3> <p>Les partisans de l’initiative ne prennent pas non plus en compte les chaînes de valeur qui se sont créées <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/quand-guy-parmelin-voudra-bien-nous-parler-de-notre-principal-marche" target="_blank" rel="noopener">au sein du marché européen</a>, c’est-à-dire la part et le rôle des sous-traitants. Une automobile allemande comprend des pièces usinées en Italie, en Suisse,... et dans cette chaîne, il est crucial que les produits puissent passer les frontières sans obstacles. Sinon, l’entreprise en bout de chaîne se choisira d’autres sous-traitants. L’industrie suisse d’exportation subit déjà le poids du franc fort, pas sûr qu’il soit malin de lui infliger une «double peine» en faisant sauter l’accord sur la reconnaissance mutuelle des produits et en lui infligeant des complications et de la paperasserie supplémentaire.</p> <p>Un des gros problèmes des partisans du texte de l’UDC est que la Suisse jouit en comparaison internationale d’une prospérité inouïe (en tout cas jusqu’à la pandémie du COVID19). Pourquoi changer les paramètres d’une économie qui gagne, placée dans le peloton des nations les plus innovantes?</p> <p>Les initiants nous racontent donc que cette prospérité n’est pas partagée par tous, que la libre-circulation des personnes ne bénéficie pas aux catégories les plus précaires de la population. Il est vrai que la croissance du PIB par habitant n’est pas au mieux de sa forme depuis 2007, mais cela est dû aux effets de la crise financière de 2008 pas à la LCP ou à l’UE.</p> <p>Surtout, si l’UDC veut se focaliser sur le pouvoir d’achat des plus faibles, beaucoup d’autres leviers existent, plus efficaces, que le bouleversement des conditions-cadre qui nous lient à nos principaux partenaires commerciaux. On pourrait agir sur les primes d’assurance-maladie, la politique salariale, la fiscalité,… Autant de domaines où le premier parti de Suisse se distingue par son refus de toute mesure sociale.</p> <h3>La neutralité économique? Du vent</h3> <p>Pour convaincre, nos isolationnistes essayent également d’élargir la focale et de nous abstraire d’un continent dont nous sommes le centre géographique: la Suisse devrait, selon eux, privilégier le multilatéralisme et viser la neutralité économique. Ils font semblant d’ignorer que le système multilatéral est en panne, grippé par un Donald Trump qu’ils trouvent par ailleurs formidable. Il convient de leur rappeler que même quand le système multilatéral fonctionnait bien, dans les années qui ont suivi la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, la Suisse a éprouvé le besoin d’avoir des accords bilatéraux privilégiés avec l’UE.</p> <p>Quant à la neutralité économique, ça n’existe pas, ça n’a jamais existé, même pendant les guerres (chaudes ou froides) où la Suisse la proclamait haut et fort. Au surplus, cette posture fait fi de toute préoccupation éthique (ce qui compterait, c’est de commercer et pour le reste, <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/les-bons-amis-suisses-d-alexandre-loukachenko" target="_blank" rel="noopener">on fermerait les yeux</a>), une posture qui ne cadre guère avec notre rôle traditionnel de garant du droit humanitaire.</p> <p>Dans le déboulonnage de l’UE, certains partisans de l’initiative de l’UDC enjoignent la Confédération de prendre ses distances avec une Union sous la coupe du couple franco-allemand. D’abord, il ne faut pas confondre pouvoir d'impulsion du couple franco-allemand avec domination. Les décisions sur le récent plan de relance européen montrent que parmi les 27, chaque pays compte et possède une sorte de droit de veto. Une UE où seuls les Allemands et les Français dirigeraient ne connaîtrait pas les débats et les tensions actuelles. Ces tensions démontrent <em>a contrario</em> que, malgré toutes les critiques, l'UE est un ensemble démocratique où l'on débat des solutions et où on fait des compromis. Enfin, toute notre histoire a été influencée par celle de nos deux plus puissants voisins. Imaginer réduire leur influence sur notre destin national est aussi irréaliste que présomptueux.</p> <h3>Fausse histoire</h3> <p>Derrière ces arguments qui tournent en boucle, il n’y a aucune alternative crédible.</p> <p>L’UDC isolée nous ressasse toujours la même fausse histoire, celle d’un pays envahi et menacé, alors que notre paix sociale, notre stabilité politique et notre prospérité sont enviées. </p> <p>Elle se veut le parti de l’économie, mais l’économie combat de toutes ses forces son initiative.</p> <p>Elle prétend défendre les travailleurs, mais elle ne vote jamais pour de meilleurs contrôles des abus.</p> <p>Elle prétend défendre les chômeurs, mais elle fait tout pour réduire l’aide sociale.</p> <p>Elle prétend vouloir protéger notre patrimoine naturel, mais elle réfute toute politique contre les effets du réchauffement climatique.</p> <p>Elle prétend que l’on pourra renégocier sans soucis, alors que la puissante Grande-Bretagne avec des revendications du même ordre n’a encore rien obtenu d’avantageux.</p> <p>Elle diabolise l'UE, alors qu'il s'agit de notre meilleur rempart contre l'arbitraire des Chinois ou des Américains. </p> <p>Elle adopte une posture de pseudo défense de notre indépendance, alors que son inspirateur Christoph Blocher vise avant tout un affaiblissement de l’Etat, quel qu’il soit, pour mener ses affaires à sa guise, et engranger un maximum de profits.</p> <p>Avec son initiative dite de limitation, l’UDC ne nous offre aucune perspective autre que celle fumeuse des Brexiteurs, qui promettaient de «reprendre le contrôle» et qui depuis quatre ans n’ont repris le contrôle de rien du tout et n’ont su semer qu’une déconcertante incertitude. 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Le Tessinois, qui devrait être désigné à la présidence de l'UDC le 22 août prochain, va très vite connaître son baptême du feu, avec la votation du 27 septembre sur la libre-circulation des personnes. Avec la crise climatique et le COVID19, le camp souverainiste ne peut plus se contenter de ses slogans habituels. Analyse. ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Pour les Latins, il n’est pas anodin que Marco Chiesa entre dans le club des présidents de partis gouvernementaux. Petra Gössi et Gerhard Pfister n’ont pas une grande sensibilité pour les minorités linguistiques. Il est inédit que l’UDC confie les rênes à un non-alémanique. Le parti veut-il <strong>prouver son assise aux quatre coins du territoire</strong>, comme lorsqu’il a projeté Guy Parmelin au Conseil fédéral? 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J'ai une plus haute opinion de mon pays que ça et suis persuadé que la Suisse pourrait jouer un rôle beaucoup plus constructif en Europe; notre expérience d'une société multiculturelle, multi-langues, multi-confessionnel, notre système de démocratie directe, la manière-même dont la Confédération s'est construite, etc., pourraient être très utiles pour une construction européenne encore jeune et perfectible (tout le monde est d'accord sur ce point). Et qu'on ne vienne pas me dire que la Suisse n'aurait aucun poids; je fais suffisamment confiance en la qualité de nos diplomates, qui l'ont souvent démontré, pour avancer des propositions intéressantes qui pourraient très bien être soutenues par une coalition de "petits" pays par exemple (plus nombreux que les "grands" au sein de l'UE, et non sans influence compte-tenu des processus de décision au sein de ladite l'Union). 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
8 Commentaires
@Lagom 19.06.2019 | 12h21
«Il est indéniable que les diplomates des 2 partis ont discuté pendant 5 années mais ce texte de "l'accord-cadre" semble être libellé par l'UE uniquement, et la Suisse n'avait aucun mot à dire, autrement comment vous expliquez que Conseil fédéral avait toutes ces questions à poser. M. Juncker a promis des réponses dans de brefs délais aux préoccupations de la Suisse, elles sont où?
L'UE ressemble au vendeur de la voiture qui fuit de l'huile dans la pub en disant à l'acheteur "faites vite". Il est lassant de lire des articles qui font du tort à notre pays et qui ne nous apporte rien que malaise et incompréhension.
Dans la première réponse de M. Juncker à M. Maurer il se réjouissait du progrès positif / l'accord-cadre" et hier au sujet de l’équivalence; la Commission européenne considérait qu'il n'y a pas eu de progrès sur l'accord-cadre.
Difficile à traiter avec un partenaire peu fiable par ce qu'il se considère être gros et invulnérable. »
@arnolphe 19.06.2019 | 13h24
«Une question, en guise de commentaire…
Que je sache, la Norvège ne fait pas non plus partie de l'UE. Comment ont-elles réglé leurs relations ? On n'en entend jamais parler…»
@Amèle 19.06.2019 | 21h02
«@arnolphe, la réponse de Chantal Tauxe:
La Norvège est membre de l'Espace économique européen - ce que les Suisses ont refusé en décembre 1992.
Dans la négociation avec l'UE, les Suisses ont obtenu une très grosse concession: la création d'une cour arbitrale pour régler les différends. Il y aura un juge suisse, un juge européen et un juge nommer par les deux parties. Préalablement l'UE ne voulait pas d'un tel dispositif et proposait de soumettre les conflits à la seule compétence de la Cour de justice de Luxembourg. Les Suisses ont aussi obtenu de pouvoir faire valoir leur point de vue en amont des décisions du Conseil européen dans certains domaines. Ce n'est pas rien. Avec l'accord-cadre, la Suisse préserve mieux et plus ses intérêts que les pays membres de l'EEE. Pour plus de détails, je vous recommande la lecture des prises de position de l'association La Suisse en Europe: https://suisse-en-europe.ch/fr/»
@Orgétorix 20.06.2019 | 10h03
«La Suisse a "berné" l'UE pendant longtemps en lui faisant miroiter qu'elle finirait bien par adhérer "un jour", ce qui lui a permis d'obtenir des concessions et des avantages qui normalement étaient attachés au statut de membre à part entière de l'Union. Ce petit jeu a fini par atteindre ses limites. La Suisse doit maintenant choisir, soit elle garde sa totale et pleine "splendide indépendance", et alors elle devient un simple pays tiers vis-à-vis de l'UE, soit elle consolide ses relations avec l'UE et accepte alors forcément de s'aligner sur un minimum de règles et principes de base de celle-ci. Avec le Brexit, l'UE ne peut plus accorder à la petite Suisse des passe-droits qu'elle devrait alors aussi concéder au Royaume-Uni, un tout autre morceau pour elle! Dans la première hypothèse, nous devrions néanmoins nous rappeler. 1/ que dans la plus grand partie de leur histoire les Suisses ont dû s'expatrier et littéralement "vendre leur peau" à des puissance étrangères pour ne pas crever de faim à domicile, notre prospérité est récente et essentiellement due à notre ouverture sur le monde qui nous entoure, nos voisins européens en tout premier; 2/ que l'UE peut sans grand problème se passer de nous, mais que l'inverse n'est pas vrai (nous sommes les demandeurs, pas l'UE).»
@Lagom 20.06.2019 | 13h42
«@Orgétorix: Les anti- politique suisse se donnent à cœur-joue, à déverser leur haine sur notre pays qui les nourrie, et personne ne les contredit. L'UE nous vend plus qu'elle nous achète d'environ 20 milliards par an, sans parler du commerce transfrontalier d'environ 10 milliards, et des salaires des frontaliers de 20 milliards.
La prospérité de la Suisse est due partiellement à l'UE, car elle profite de la mauvaise gouvernance de Bruxelles, qui a causé la catastrophe du Brexit et bientôt, je ne l'espère pas, la catastrophe de la fin des bilatéraux. Un peu de retenu Orgétorix»
@Orgétorix 20.06.2019 | 19h10
«@Reiwa: Si vous pouvez me dire où il y a de la haine pour mon pays dans ce que j'ai écrit, j'aimerais bien vous voir le préciser. De même si vous pouvez me démontrer ce qu'il y aurait de faux dans les faits, bien connus par ailleurs, que j'ai évoqués. Les origines de ma famille remontent en Suisse au moins au début du XIIIème siècle (selon archives de ma commune d'origine, canton de Berne) et je n'ai certainement pas de leçons de patriotisme à recevoir de quiconque! Au contraire, la fierté que j'ai pour ma patrie me fait souhaiter la voir adopter une position plus digne et plus positive que celle du perpétuel quémandeur, cherchant à obtenir des avantages tout en cherchant à se dégager des obligations et contraintes qui vont avec (ce qu'elle n'aurait pas à faire d'ailleurs si nous avions adhéré en son temps à l'EEE, comme la Norvège p.ex. qui s'en porte fort bien). J'ai une plus haute opinion de mon pays que ça et suis persuadé que la Suisse pourrait jouer un rôle beaucoup plus constructif en Europe; notre expérience d'une société multiculturelle, multi-langues, multi-confessionnel, notre système de démocratie directe, la manière-même dont la Confédération s'est construite, etc., pourraient être très utiles pour une construction européenne encore jeune et perfectible (tout le monde est d'accord sur ce point). Et qu'on ne vienne pas me dire que la Suisse n'aurait aucun poids; je fais suffisamment confiance en la qualité de nos diplomates, qui l'ont souvent démontré, pour avancer des propositions intéressantes qui pourraient très bien être soutenues par une coalition de "petits" pays par exemple (plus nombreux que les "grands" au sein de l'UE, et non sans influence compte-tenu des processus de décision au sein de ladite l'Union). »
@Lagom 20.06.2019 | 22h24
«Merci d’avoir pris la peine de me répondre et je vous prie d’accepter SVP mes excuses pour mes propos offensants.
Dans un partenariat économique ce sont les résultats qui donnent la photo exacte de la situation, et non pas les bas commentaires de la Commission européenne, et encore moins les articles des journalistes tendancieux.
L’UE avec 20 milliards, d’excédent commercial par an avec nous ainsi que 10 milliards d’excédent de commerce transfrontalier avec nous + 20 milliards de salaires des frontaliers, récolte CHF 50 milliards de sa relation avec la Suisse chaque année, mais l’ogre est insatiable. Qu’est-ce qu’ils veulent de plus ?
Qu’est-ce qui manque à l’UE pour être meilleure que la Suisse économiquement ? et c’est ce que je leur souhaite pour « qu’ils descendent de notre dos », RIEN, ils ont besoin seulement d’une bonne politique, c’est tout.
Ils ont des territoires interminables, une industrie de pointe à l’exportation, des écoles de qualité, une population en excellent état de santé (en comparaison avec les peuples des USA et de la Russie).
Ils ont coulé le continent à cause de leurs égoïsmes politiques et leurs divisions. A cause des forces négatives qui animent le Commission européenne. Il aurait suffi par exemple de restreindre la « libre circulation » pour empêcher le vote sur le Brexit en 2016.
Pour vous donnez un exemple de leur ignorance ; ils vont peut-être nous annuler l’équivalence boursière, qui sera le plus grand perdant ? les bourses européennes !!! parce qu’elles ne pourront plus dire aux investisseurs internationaux qu’ils servent de « one stop shop » puisque le CF va leur interdire de traiter les titres suisses. Les actions suisses sont dans tous les fonds de placements et les ETF. Quand la GB sortira le 31.10.2019 c’est la bourse anglaise qui va rafler l’essentiel du commerce boursier si l’UE s’entête à vouloir nous faire du tort.
Je vous invite à lire dans le lien ci-dessous qui explique que « le père de l’UE » voulait une Europe des Nations.
http://cahierslibres.fr/2014/05/leurope-selon-robert-schuman-2/
»
@Sai_333 25.06.2019 | 09h02
«Le problème c’est que les textes fondateurs de l’UE sont délétères pour les états. Ils se basent sur une économie de marché et obligent l’ouverture à la concurrence de tous les services. Le système est tout sauf démocratique avec un pouvoir du parlement très faible et des traités fondateurs impossible à remettre en question.
L’UE veut que la Suisse fasse un choix « tout ou rien » avec un accord cadre qui l’oblige à suivre la législation européenne directement (on rappelle que la législation européenne émane seulement de la comission européenne donc c’est se faire dicter des lois par les chefs d’état européens) ou en perdant l’équivalence de la bourse (en gros résumé).
Dans ce contexte, l’option « rien » me semble plus bénéfique chaque fois que j’y repense, et très largement plus souhaitable et pérenne que l’option « tout ».»