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Actuel / Décryptage d'une belle pagaille

Chantal Tauxe

18 juin 2019

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On ne se souvient pas que les Suisses, négociateurs scrupuleux, aient attendu plus de six mois pour parapher un accord. La Commission de Bruxelles s'en agace. De premières représailles apparaissent. Le Conseil fédéral a trop tardé à bâtir le consensus intérieur. L'attentisme n'est pas une stratégie, mais il a un coût.



Bruxelles semble ne pas vouloir prolonger l’équivalence boursière pour la Suisse. La décision formelle devrait tomber vendredi. Ce sont de premières représailles à l’attentisme qui sert de stratégie au Conseil fédéral.

Les intérêts de la place financière seront-ils sacrifiés? Techniquement, le gouvernement a encore quelques jours pour trouver une solution. On verra.

En attendant, essayons de décrypter cette pagaille et d'en comprendre les origines:

C’est la Suisse qui est demandeuse d’un accord cadre pour fluidifier et consolider les accords bilatéraux avec l’Union européenne. Redorer la voie bilatérale (dont les Européens ne veulent plus vraiment tant elle est fastidieuse), c’est l’option préférée des partis gouvernementaux pour éviter la question d’une adhésion à l’UE.

Les négociations ont duré cinq ans. La Commission attend depuis décembre dernier que la Suisse veuille bien en parapher le résultat, ce qui ne signifie pas encore signer et ratifier. Il appartient aux diplomates de parapher, au Conseil fédéral de signer, et aux Chambres fédérales, puis au peuple de ratifier.

La Suisse a la réputation d’être une négociatrice efficace et fiable. On ne se souvient pas qu’elle ait attendu six mois pour parapher un accord.  Ce que nous faisons depuis lors est tout à fait inhabituel.

Nos négociations avec l’UE ont toujours été à double face. Il y a le front extérieur – celui de la négociation – et il y a le front intérieur, celui de la préparation de l’opinion à la votation finale.

Ce qui cloche cette fois-ci, c’est que le front intérieur a été complètement négligé. Didier Burkhalter et Johann Schneider-Ammann n’ont rien entrepris de sérieux pour informer les partenaires sociaux et les amener à une même table pour définir un nouveau paquet de mesures d’accompagnement.

Beaucoup de temps a été perdu dans la constitution de ce consensus intérieur. D’où la pagaille actuelle, les demandes de clarifications ou de renégociations que l’UE estime, à juste titre, tardives et irrecevables.

Nouveaux venus dans la gestion de l’épineux dossier de nos relations avec l’UE, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter et le président de l’Union syndicale suisse Pierre Yves Maillard ont pris les choses en mains, un peu à la dernière minute. Ils veulent se donner une marge de manœuvre temporelle, que leurs prédécesseurs ont gaspillée, et qu’ils ne sont pas sûrs d’obtenir de Bruxelles.

Il est totalement légitime que les syndicats veuillent défendre le niveau des salaires en Suisse. Mais, de facto, les syndicats prennent en otage la question européenne. Ils l’utilisent pour obtenir ce qu’ils n’ont pas réussi à négocier jusqu’ici avec les associations patronales.

La liste des mesures de protection ou de compensation sur lesquelles les partenaires sociaux pourraient se mettre d’accord, indépendamment de Bruxelles, est longue. Rien n’empêche les cantons et la Confédération d’intensifier les contrôles sur les chantiers. Rien ne les empêche non plus de consolider les données récoltées pour bannir les moutons noirs qui pratiquent le dumping salarial.

Nombre d’avancées sociales en Suisse ont été portées par des représentants de la droite et de la gauche qui ont pris la responsabilité de forger un compromis, malgré de profondes divergences. Dans cette veine, appeler à plus de responsabilité sociale de la part des entreprises en matière d’embauche et d’adjudication ne paraît pas hors de portée. Labelliser les sociétés qui s’engagent à contrôler leurs sous-traitants est une autre piste.

Enfin, le partage des fruits de la croissance amenée par les accords bilatéraux – qui ont simplifié l’accès au marché européen – devrait être mieux assuré. Cela pourrait être le cas via des augmentations de salaires, l’introduction d’un congé paternité, l’instauration de quelques jours de vacances supplémentaires.

S’ils n’obtiennent pas de résultats, certains syndicalistes laissent entendre qu’ils n’hésiteront pas à faire campagne aux côtés de l’UDC contre l’accord-cadre. Stupéfiant calcul: ils feraient donc alliance avec ceux-là mêmes qui, depuis 25 ans, ont empêché toute avancée sociale?

Ce qui est certain c’est que, face au défi de réinventer nos relations bilatérales avec nos principaux partenaires commerciaux, la diabolisation de l’UE – qui a essaimé de l’UDC à la plus grande partie de notre classe politique – est un autogoal. De la sorte, nous abaissons notre noble démocratie directe au rang d’outil populiste, ce qu’elle n’est pas. Nous laissons accréditer que les objectifs de paix et de prospérité de l’UE sont incompatibles avec la démocratie. C’est profondément idiot et tous ceux qui cèdent à cette facilité s’en mordront les doigts un jour.

Corollaire de ce besoin de transformer l’UE en bouc-émissaire de toutes les impuissances helvétiques, il existe une forte tendance à faire passer les proeuropéens de Suisse pour des imbéciles heureux, naïfs et aveugles qui ne verraient pas les immenses défauts de l’UE. Ce mépris est stérile. L’adhésion au projet européen ne signifie pas l’absence de critiques ou d’ambitions pour que celui-ci se réforme. Mais, en tant que Vaudoise, je n’exige pas la sécession de mon canton, quand je ne suis pas enchantée par une décision de la Confédération.

L’UE est très imparfaite, mais elle reste l’espace économique, juridique et moral dans lequel nos principaux partenaires commerciaux, l’Allemagne, la France et l’Italie, ont décidé de vivre (avec 24 autres pays européens). Nous nous devons de trouver une solution, nous ne pouvons pas – sauf à vouloir nous appauvrir et à sacrifier des milliers d'emplois – laisser la substance des accords bilatéraux se dégrader, et se multiplier à l’insu de notre plein gré. Les entraves au commerce, aux exportations, aux collaborations sécuritaires, scientifiques, culturelles, qui nous sont hautement bénéfiques.

Ceux qui, actuellement, prennent le risque de saboter la voie bilatérale en torpillant l’accord-cadre, ou en faisant le lit de l’initiative dite de limitation de l’UDC (dont l’acceptation entraînerait la fin des accords bilatéraux) jouent avec le feu, alors qu’ils croient seulement affirmer une souveraineté qui n’existe déjà plus (scoop pour ceux qui ne le savent pas: à chacune de ses séances, le Conseil fédéral glisse déjà beaucoup de droit européen dans notre législation, sans grand tamtam). 

L'UE ne peut pas se montrer moins intransigeante avec nous qu'avec les Britanniques. Si elle se montre désormais prête à affronter un Brexit sans accord, elle n’aura pas trop d’états d’âme à laisser les Suisses s’auto-saborder. Ceux qui, dans les diverses institutions européennes, connaissent encore le dossier, savent que la Suisse, petit pays pragmatique, ne bouge que sous la pression des événements, rarement de manière autonome et fière, même si elle aime se raconter la fable d’une splendide indépendance.  

 

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

8 Commentaires

@Lagom 19.06.2019 | 12h21

«Il est indéniable que les diplomates des 2 partis ont discuté pendant 5 années mais ce texte de "l'accord-cadre" semble être libellé par l'UE uniquement, et la Suisse n'avait aucun mot à dire, autrement comment vous expliquez que Conseil fédéral avait toutes ces questions à poser. M. Juncker a promis des réponses dans de brefs délais aux préoccupations de la Suisse, elles sont où?

L'UE ressemble au vendeur de la voiture qui fuit de l'huile dans la pub en disant à l'acheteur "faites vite". Il est lassant de lire des articles qui font du tort à notre pays et qui ne nous apporte rien que malaise et incompréhension.

Dans la première réponse de M. Juncker à M. Maurer il se réjouissait du progrès positif / l'accord-cadre" et hier au sujet de l’équivalence; la Commission européenne considérait qu'il n'y a pas eu de progrès sur l'accord-cadre.

Difficile à traiter avec un partenaire peu fiable par ce qu'il se considère être gros et invulnérable. »


@arnolphe 19.06.2019 | 13h24

«Une question, en guise de commentaire…
Que je sache, la Norvège ne fait pas non plus partie de l'UE. Comment ont-elles réglé leurs relations ? On n'en entend jamais parler…»


@Amèle 19.06.2019 | 21h02

«@arnolphe, la réponse de Chantal Tauxe:

La Norvège est membre de l'Espace économique européen - ce que les Suisses ont refusé en décembre 1992.

Dans la négociation avec l'UE, les Suisses ont obtenu une très grosse concession: la création d'une cour arbitrale pour régler les différends. Il y aura un juge suisse, un juge européen et un juge nommer par les deux parties. Préalablement l'UE ne voulait pas d'un tel dispositif et proposait de soumettre les conflits à la seule compétence de la Cour de justice de Luxembourg. Les Suisses ont aussi obtenu de pouvoir faire valoir leur point de vue en amont des décisions du Conseil européen dans certains domaines. Ce n'est pas rien. Avec l'accord-cadre, la Suisse préserve mieux et plus ses intérêts que les pays membres de l'EEE. Pour plus de détails, je vous recommande la lecture des prises de position de l'association La Suisse en Europe: https://suisse-en-europe.ch/fr/»


@Orgétorix 20.06.2019 | 10h03

«La Suisse a "berné" l'UE pendant longtemps en lui faisant miroiter qu'elle finirait bien par adhérer "un jour", ce qui lui a permis d'obtenir des concessions et des avantages qui normalement étaient attachés au statut de membre à part entière de l'Union. Ce petit jeu a fini par atteindre ses limites. La Suisse doit maintenant choisir, soit elle garde sa totale et pleine "splendide indépendance", et alors elle devient un simple pays tiers vis-à-vis de l'UE, soit elle consolide ses relations avec l'UE et accepte alors forcément de s'aligner sur un minimum de règles et principes de base de celle-ci. Avec le Brexit, l'UE ne peut plus accorder à la petite Suisse des passe-droits qu'elle devrait alors aussi concéder au Royaume-Uni, un tout autre morceau pour elle! Dans la première hypothèse, nous devrions néanmoins nous rappeler. 1/ que dans la plus grand partie de leur histoire les Suisses ont dû s'expatrier et littéralement "vendre leur peau" à des puissance étrangères pour ne pas crever de faim à domicile, notre prospérité est récente et essentiellement due à notre ouverture sur le monde qui nous entoure, nos voisins européens en tout premier; 2/ que l'UE peut sans grand problème se passer de nous, mais que l'inverse n'est pas vrai (nous sommes les demandeurs, pas l'UE).»


@Lagom 20.06.2019 | 13h42

«@Orgétorix: Les anti- politique suisse se donnent à cœur-joue, à déverser leur haine sur notre pays qui les nourrie, et personne ne les contredit. L'UE nous vend plus qu'elle nous achète d'environ 20 milliards par an, sans parler du commerce transfrontalier d'environ 10 milliards, et des salaires des frontaliers de 20 milliards.
La prospérité de la Suisse est due partiellement à l'UE, car elle profite de la mauvaise gouvernance de Bruxelles, qui a causé la catastrophe du Brexit et bientôt, je ne l'espère pas, la catastrophe de la fin des bilatéraux. Un peu de retenu Orgétorix»


@Orgétorix 20.06.2019 | 19h10

«@Reiwa: Si vous pouvez me dire où il y a de la haine pour mon pays dans ce que j'ai écrit, j'aimerais bien vous voir le préciser. De même si vous pouvez me démontrer ce qu'il y aurait de faux dans les faits, bien connus par ailleurs, que j'ai évoqués. Les origines de ma famille remontent en Suisse au moins au début du XIIIème siècle (selon archives de ma commune d'origine, canton de Berne) et je n'ai certainement pas de leçons de patriotisme à recevoir de quiconque! Au contraire, la fierté que j'ai pour ma patrie me fait souhaiter la voir adopter une position plus digne et plus positive que celle du perpétuel quémandeur, cherchant à obtenir des avantages tout en cherchant à se dégager des obligations et contraintes qui vont avec (ce qu'elle n'aurait pas à faire d'ailleurs si nous avions adhéré en son temps à l'EEE, comme la Norvège p.ex. qui s'en porte fort bien). J'ai une plus haute opinion de mon pays que ça et suis persuadé que la Suisse pourrait jouer un rôle beaucoup plus constructif en Europe; notre expérience d'une société multiculturelle, multi-langues, multi-confessionnel, notre système de démocratie directe, la manière-même dont la Confédération s'est construite, etc., pourraient être très utiles pour une construction européenne encore jeune et perfectible (tout le monde est d'accord sur ce point). Et qu'on ne vienne pas me dire que la Suisse n'aurait aucun poids; je fais suffisamment confiance en la qualité de nos diplomates, qui l'ont souvent démontré, pour avancer des propositions intéressantes qui pourraient très bien être soutenues par une coalition de "petits" pays par exemple (plus nombreux que les "grands" au sein de l'UE, et non sans influence compte-tenu des processus de décision au sein de ladite l'Union). »


@Lagom 20.06.2019 | 22h24

«Merci d’avoir pris la peine de me répondre et je vous prie d’accepter SVP mes excuses pour mes propos offensants.

Dans un partenariat économique ce sont les résultats qui donnent la photo exacte de la situation, et non pas les bas commentaires de la Commission européenne, et encore moins les articles des journalistes tendancieux.

L’UE avec 20 milliards, d’excédent commercial par an avec nous ainsi que 10 milliards d’excédent de commerce transfrontalier avec nous + 20 milliards de salaires des frontaliers, récolte CHF 50 milliards de sa relation avec la Suisse chaque année, mais l’ogre est insatiable. Qu’est-ce qu’ils veulent de plus ?

Qu’est-ce qui manque à l’UE pour être meilleure que la Suisse économiquement ? et c’est ce que je leur souhaite pour « qu’ils descendent de notre dos », RIEN, ils ont besoin seulement d’une bonne politique, c’est tout.

Ils ont des territoires interminables, une industrie de pointe à l’exportation, des écoles de qualité, une population en excellent état de santé (en comparaison avec les peuples des USA et de la Russie).

Ils ont coulé le continent à cause de leurs égoïsmes politiques et leurs divisions. A cause des forces négatives qui animent le Commission européenne. Il aurait suffi par exemple de restreindre la « libre circulation » pour empêcher le vote sur le Brexit en 2016.

Pour vous donnez un exemple de leur ignorance ; ils vont peut-être nous annuler l’équivalence boursière, qui sera le plus grand perdant ? les bourses européennes !!! parce qu’elles ne pourront plus dire aux investisseurs internationaux qu’ils servent de « one stop shop » puisque le CF va leur interdire de traiter les titres suisses. Les actions suisses sont dans tous les fonds de placements et les ETF. Quand la GB sortira le 31.10.2019 c’est la bourse anglaise qui va rafler l’essentiel du commerce boursier si l’UE s’entête à vouloir nous faire du tort.

Je vous invite à lire dans le lien ci-dessous qui explique que « le père de l’UE » voulait une Europe des Nations.

http://cahierslibres.fr/2014/05/leurope-selon-robert-schuman-2/
»


@Sai_333 25.06.2019 | 09h02

«Le problème c’est que les textes fondateurs de l’UE sont délétères pour les états. Ils se basent sur une économie de marché et obligent l’ouverture à la concurrence de tous les services. Le système est tout sauf démocratique avec un pouvoir du parlement très faible et des traités fondateurs impossible à remettre en question.
L’UE veut que la Suisse fasse un choix « tout ou rien » avec un accord cadre qui l’oblige à suivre la législation européenne directement (on rappelle que la législation européenne émane seulement de la comission européenne donc c’est se faire dicter des lois par les chefs d’état européens) ou en perdant l’équivalence de la bourse (en gros résumé).
Dans ce contexte, l’option « rien » me semble plus bénéfique chaque fois que j’y repense, et très largement plus souhaitable et pérenne que l’option « tout ».»