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'content' => '<p style="text-align: center;">Entretien mené par <strong>Florian Louis</strong>, publié dans <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/08/21/cest-lennui-politique-suisse-qui-fait-la-force-de-son-systeme-une-conversation-avec-giuliano-da-empoli/" target="_blank" rel="noopener"><em>Le Grand Continent</em></a> le 21 août 2022</p>
<hr />
<p><strong>LGC: Vous êtes né en France et possédez les nationalités italienne et suisse. Quelle est la nature et la spécificité de votre rapport au dernier de ces trois pays?</strong></p>
<p><strong>Giuliano da Empoli: </strong>Au contraire de l’Italie et de la France, je n’ai jamais habité en Suisse. Mais c’est l’endroit où je suis toujours revenu. Ma relation avec ce pays a été, je pense, influencée par les circonstances de mon enfance. Au milieu des années 1980, mon père a été victime d’un attentat terroriste à Rome, auquel il a survécu, et à partir de ce moment-là, il a vécu sous protection policière. Notre vie en Italie était donc pour le moins particulière et l’une des images que je garde de mon enfance, c’est lorsque nous arrivions à la frontière suisse et que les carabiniers italiens qui nous escortaient en permanence, nous saluaient et restaient en-deçà de la frontière. Nous entrions en Suisse sans eux et nous y étions en sécurité. C’est donc l’image on ne peut plus classique de la Suisse comme un refuge, où régnait la paix, qui a conditionné mon rapport à ce pays. Dans les années qui ont suivi, la Suisse a conservé cette signification pour moi et c’est tout naturellement qu’elle est devenue le lieu d’écriture de presque tous mes livres.</p>
<p><strong>D’un point de vue plus impersonnel, qu’est-ce qui fait selon vous la singularité de la Suisse au regard de ces deux autres pays, la France et l’Italie, avec lesquels elle partage aussi beaucoup de choses?</strong></p>
<p>La singularité suisse est très forte. Pour un Italien par exemple, il suffit de se rendre au Tessin pour s’en rendre compte. Lugano est à moins d’une heure de route de Milan, on est au sud des Alpes, près des grands lacs italiens dont certains sont transfrontaliers, on parle italien et la cuisine ressemble à celle de la péninsule. Pourtant, il saute aux yeux qu’il n’y a rien à voir entre la mentalité d’un Tessinois et celle d’un Italien. Il en va de même entre les Romands et les Français. Les Romands sont très tournés vers la France, mais ils n’en sont pas moins très différents des Français. Et c’est encore plus vrai des Suisses alémaniques par rapport aux Allemands. Et inversement, Tessinois, Romands et Alémaniques, bien que parlant des langues différentes, se ressemblent énormément. Je pense que cela tient essentiellement à leur rapport à la collectivité. Les Suisses partagent une forme de citoyenneté singulière basée sur la milice et dans laquelle l’effort et la responsabilité de chacun par rapport au collectif sont très forts. Cela est visible à tous les niveaux. La Suisse est par exemple le pays qui compte la plus forte concentration d’associations au monde, l’armée est une armée de miliciens qui sont rappelés tous les ans pour faire un service militaire, le parlement est un parlement de citoyens qui ne se réunissent qu’à certains moments de l’année pour ne pas avoir à se professionnaliser dans la politique, du moins en théorie. Ce sens de l’engagement citoyen fait la singularité de la Suisse par rapport à l’Italie où prévaut le chacun pour soi ou à la France où on attend de l’État qu’il s’occupe de tout. </p>
<p><strong>Comment ces citoyens suisses, qui conservent malgré tout une grande diversité, linguistique ou religieuse notamment, parviennent-ils à se fondre dans ce collectif? Quelle est la recette de ce «miracle suisse» que vous décrivez?</strong></p>
<p>C’est d’abord le temps qui est responsable de ce miracle. «Le meilleur de la Suisse du passé, dit Paul Morand, ce sont des excès au service d’une sagesse». La coexistence suisse entre religions, langues et cultures différentes n’est pas venue toute seule. Les premières populations francophones ont rejoint la confédération dès le XIVe siècle et la réforme protestante a donné lieu à pas moins de quatre guerres de religion. Le modèle suisse est né de ces conflits et il s’est développé progressivement, un petit peu à l’image de ce que nous observons aujourd’hui avec la construction européenne qui est elle aussi née après des siècles de déchirements. La manière européenne d’aplanir les conflits, de créer du consensus et d’avoir des procédures à tous les niveaux pour faire décanter voire pour ennuyer, qui est beaucoup critiquée, n’est pas sans rappeler le modèle suisse. Les Suisses pratiquent depuis fort longtemps l’ennui politique et ils ont transformé cela en une forme d’art: l’ennui politique suisse est une des leçons de l’histoire pour désamorcer les conflits.</p>
<p><strong>A titre personnel, êtes-vous plus particulièrement attaché à une partie de la Suisse?</strong></p>
<p>Je suis citoyen du canton d’Argovie d’où ma mère est originaire, mais je suis surtout lié au canton de Berne et plus précisément à la cité d’Interlaken, où se trouve la maison de vacances de ma famille suisse. C’est un des hauts-lieux du tourisme helvétique, où les premiers voyageurs, Goethe, Madame de Staël et Madame de Récamier, ont débarqué dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et depuis le flux n’a jamais cessé, même s’il a subi plusieurs métamorphoses. Le résultat est une forme de cosmopolitisme un peu fou: la seule statue d’Interlaken est aujourd’hui celle d’un metteur en scène de Bollywood, qui a tourné plusieurs films dans les environs. Ce phénomène est parfois décrié en Suisse, qui accueille pourtant beaucoup d’étrangers, où l’on voit en Interlaken une sorte de symbole d’un tourisme excessif aboutissant à une perte d’identité du fait de l’afflux de Japonais et d’Américains dans mon adolescence, d’Arabes du Golfe et d’Asiatiques aujourd’hui. Mais cela fait précisément partie de l’identité du lieu selon moi: c’étaient les Anglais jadis, ce sont les Coréens aujourd’hui. Tous ont contribué à faire de cet endroit un lieu bien plus complexe et surprenant que s’il était resté un simple bourg de bûcherons. Ce qui est drôle c’est que – bien que je considère Interlaken comme mon village et que si je somme toutes les périodes que j’ai passées ici, j’y ai vécu des années – quand je m’y promène, comme je préfère l’anglais au suisse allemand et que j’ai plutôt un physique méditerranéen, on me prend généralement pour un touriste libanais qui vient de débarquer et s’apprête à repartir. Ce qui, je dois le dire, ne me dérange pas le moins du monde. C’est une des richesses de la Suisse que cette liberté qu’elle laisse d’être un pied dedans et un pied dehors et c’est sans doute ce qui attire nombre d’étrangers qui choisissent d’y vivre. </p>
<p><strong>Sur le plan littéraire, pouvez-vous nous parler d’une œuvre qui illustre selon-vous la singularité suisse?</strong></p>
<p>Parmi les écrivains suisses, j’aime particulièrement Robert Walser qui incarne, à mes yeux, un type de sensibilité tout à fait helvétique. D’une part, c’est un auteur très sophistiqué, ce que les Américains appellent «<em>a writers’ writer</em>», un écrivain pour écrivains, qui a suscité à l’époque l’enthousiasme de Kafka et de Musil et qui est considéré aujourd’hui comme l’un des auteurs les plus originaux de la première moitié du XXe siècle. D’autre part, Walser revendique une approche volontairement naïve au monde, qui est l’expression de sa poétique résolument antihéroïque, dénuée de toute emphase et attachée à la seule poésie du quotidien. Il suffit de lire <em>La promenade</em> pour entrer en résonance avec le paysage physique et mental que Walser nous fait traverser. C’est pourquoi j’aurais tendance à être d’accord avec Hermann Hesse lorsqu’il dit que si Walser avait cent mille lecteurs, le monde serait meilleur. Dommage que, même aujourd’hui, Walser reste un auteur assez confidentiel…</p>
<p><strong>Vous vous êtes fait connaître des lecteurs francophones par vos recherches sur les populismes et leurs stratèges. Qu’en est-il de la question populiste en Suisse? Le pays est-il affecté par ce phénomène de la même manière que le reste du monde?</strong></p>
<p>La Suisse est évidemment touchée par le phénomène populiste. D’une certaine façon, elle a même anticipé la dernière vague populiste européenne puisque Christoph Blocher, richissime entrepreneur leader de l’UDC, à l’origine du référendum sur l’interdiction des minarets, a émergé dès la fin des années 1990, donc avant l’onde populiste qui s’est ensuite répandue sur le reste de l’Europe. Seule l’Italie ayant commencé un peu avant. Blocher est une sorte de fusion entre Berlusconi et les populistes plus xénophobes et anti-immigrationnistes, ce qui n’était pas le cas de Berlusconi en 1994 qui avait un discours anti-establishment mais pas axé sur la question migratoire ou la dénonciation de l’Union européenne. Blocher, dès la fin des années 1990, fusionnait ces deux populismes à la faveur d’une phase de crise d’identité suisse. La fin des années 1990 est un moment où les Suisses s’interrogent sur l’opportunité ou non d’entrer dans l’Union européenne, font face à des difficultés économiques et à l’apparition du chômage, tandis que des scandales éclatent sur les avoirs juifs sur fond de contestation du secret bancaire. Christoph Blocher, comme tous les populistes ailleurs dans le monde, a profité de ce contexte d’inquiétude et de remise en question. Mais le système suisse s’est, d’une certaine façon, refermé sur lui. Ce système construit pour gérer les conflits aboutit à ce que Blocher, bien qu’il gagne les élections en 2007, soit évincé du Conseil fédéral, le gouvernement suisse au sein duquel siègent tous les partis – il n’y a pas en Suisse de gouvernement et d’opposition : tous les partis sont au gouvernement. Blocher donc, bien qu’il ait gagné les élections, n’a pas siégé au Conseil fédéral, alors même que son parti y participe. Le leadership charismatique sur lequel les populistes s’appuient beaucoup est ainsi désamorcé par le consensualisme politique suisse. L’amélioration de la situation économique a finalement fait retomber cette vague populiste précoce. Elle peut bien sûr repartir, mais la Suisse comme je viens de l’esquisser, dispose d’antidotes. </p>
<p><strong>En Europe, nombre de populismes prospèrent sur les fractures intranationales: métropoles contre périphéries; Italie septentrionale contre Italie méridionale. La Suisse constitue a priori, par la diversité dont nous avons parlé, un terrain propice à ce type de divisions. Pourtant, on a l’impression que le populisme y est avant tout tourné contre les étrangers et moins sur des divisions entre Suisses.</strong></p>
<p>Ce qui est intéressant en Suisse, c’est qu’il y a toujours une pluralité de fractures qui ne se recoupent pas totalement et tendent donc à se neutraliser les unes les autres. Il y a bien sûr ici aussi une fracture entre les villes et les campagnes et la fracture linguistique est présente: on a beaucoup parlé du<em> Röstigraben </em>séparant les Romands, plus pro-européens, des Alémaniques, plutôt opposés à l’Europe par attachement à la tradition de neutralité. Mais même cette fracture-là est contrebalancée par d’autres, notamment les fractures sociales, religieuses et ainsi de suite. Le fait que toutes ces lignes de fractures s’entrecroisent fait qu’il est finalement difficile d’en choisir une seule pour fonder une bataille politique. </p>
<p><strong>La pratique suisse de la démocratie directe constitue-t-elle selon vous un antidote ou au contraire une porte ouverte au populisme?</strong></p>
<p>Il est vrai que le référendum est un instrument potentiellement populiste par lequel les majorités peuvent écraser les minorités. Mais comme en Suisse on vote énormément sur les sujets les plus différents et à tous les niveaux, tant local que national, les fractures se recomposent constamment. Si bien qu’on n’a jamais une majorité qui écrase systématiquement une minorité, car une majorité va se former sur un thème économique qui sera différente de la majorité qui se formera sur un thème sociétal. La fréquence et l’intensité du vote référendaire font qu’il est difficile d’en faire l’instrument d’une tyrannie de la majorité et qu’il s’agit bien plutôt d’une arme anti-populiste en ce qu’il donne le sentiment d’un contrôle citoyen. Or quel est le ressort fondamental des populismes si ce n’est ce sentiment d’une perte de contrôle sur son destin d’un point de vue économique, culturel ou sociétal? Les Brexiters n’ont-ils pas adopté pour slogan «Take back control»? Le référendum à la Suisse vient régulièrement infliger des gifles à la classe politique: pour chaque vote, les électeurs reçoivent une brochure dans laquelle chaque parti donne son opinion et le Conseil fédéral fait une «suggestion» de vote… qui est très souvent désavouée. Mais cela n’implique pas pour autant la démission des conseillers fédéraux. Ces référendums constituent une forme d’exutoire et de respiration démocratique qui me semble salutaire et propre à écarter les dérives populistes.</p>
<p><strong>Dès lors, pourrait-on s’inspirer de ce modèle suisse de démocratie directe dans d’autres pays européens ou bien est-il selon vous difficilement transposable car trop lié aux spécificités suisses?</strong></p>
<p>Je suis persuadé que l’injection d’éléments de démocratie directe constitue une des réponses à la crise de représentation politique que traversent nombre de pays européens. C’est très mal vu par les politologues qui y voient un risque de dérive plébiscitaire. Et il est vrai que la façon dont cet instrument est ou a été utilisé en Italie, au Royaume-Uni ou en France peut leur donner raison. Mais c’est précisément parce qu’il n’y a pas l’habitude créée par la fréquence des référendums. Il faut donc du temps mais il faut bien commencer le processus, peut-être au niveau local par exemple. </p>
<p><strong>Inversement, y a-t-il selon vous des pratiques étrangères dont la Suisse gagnerait à s’inspirer pour perfectionner son fonctionnement démocratique?</strong></p>
<p>Comme je l’évoquais à propos du Conseil fédéral, j’ai longtemps pensé que la Suisse avait besoin d’intégrer une plus grande dose de compétition politique. C’est le seul système démocratique avancé dans lequel le vote pour élire les représentants n’a quasiment aucun effet sur le gouvernement qui reste fondamentalement le même. Le degré de compétition politique est très limité en Suisse et la qualité du personnel politique n’est pas extraordinairement élevée. J’y ai longtemps vu un défaut mais j’ai aujourd’hui plutôt tendance à penser que c’est en fait une qualité car cela fait partie d’un art suisse de dompter cette bête féroce qu’est le pouvoir. À l’occasion d’un forum organisé ici à Interlaken, Nicolas Sarkozy s’était il y a quelques années moqué du président suisse en pointant le fait qu’on ne sait même pas de qui il s’agit. Et c’est vrai que personne ne connaît le président suisse ni aucun politicien suisse. Mais c’est précisément ce qui fait la force du système politique suisse: l’ennui et l’anonymat de son fonctionnement. Je m’intéresse en ce moment à l’actualité politique de certains pays de l’Afrique sub-saharienne et il m’arrive de regarder des chaînes de télévisions de la région, par exemple Télé Congo. Le journal télévisé, de la première à la dernière minute, y est tout entier axé sur ce qu’ont fait de leur journée le président et ses ministres dont les noms sont sans cesse ressassés. En Suisse, on ne connaît même pas le nom des ministres, et j’y vois plutôt un signe de progrès.</p>
<p><strong>L’anonymat politique suisse tranche avec la personnalisation du pouvoir aujourd’hui en vigueur en Russie, pays dont vous traitez dans <em>Le Mage du Kremlin</em>, votre dernier ouvrage qui est aussi votre premier roman. Y a-t-il là deux modèles politiques absolument opposés?</strong></p>
<p>Oui, on pourrait dire que la Suisse est par certains aspects une «anti-Russie». Dans <em>Le Mage du Kremlin</em>, j’ai choisi d’utiliser la question du pouvoir comme une porte d’entrée dans la Russie contemporaine. Il faut dire que la première fois où j’ai débarqué à Moscou, j’ai eu la sensation d’un endroit entièrement tenu par la main d’un pouvoir de fer. La Russie est un endroit où l’emprise et la violence du pouvoir sont très fortes et ne connaissent que peu de limites. La Suisse au contraire, comme j’ai essayé de vous le montrer, est à l’opposé de ce modèle car c’est l’endroit au monde qui a le mieux sur dompter, limiter, diluer le pouvoir pour en faire quelque chose de contrôlé. Les Suisses sont parvenus à transformer cette bête féroce qu’est le pouvoir en un animal de compagnie, au point de le rendre presque ridicule tellement il est ennuyeux et inoffensif. </p>
<p><strong>Ce caractère inoffensif du pouvoir suisse se retrouve d’ailleurs aussi en politique étrangère avec le choix de la neutralité qui peut apparaître comme une forme de renonciation à la puissance.</strong></p>
<p>La Suisse a eu par le passé une phase d’expansion militaire hors de ses frontières. Elle s’est terminée en 1515 avec la défaite de Marignan. À partir de ce moment, la Suisse n’a plus jamais essayé de projeter sa puissance à l’extérieur. Parler de puissance suisse peut prêter à rire aujourd’hui, mais si vous relisez Machiavel, vous verrez qu’il avait très peur que les Suisses, plutôt que de se mettre au service des puissances de l’époque comme mercenaires, forment une armée unifiée et fondent sur l’Europe. Encore une fois, ce sont les leçons de l’histoire et non une sagesse innée qui ont poussé les Suisses à renoncer à la puissance. </p>
<p><strong>Malgré ou à cause de leurs différences, les liens entre la Suisse et la Russie sont forts et anciens. Je pense notamment aux nombreux Russes ayant élu domicile en Suisse, depuis les révolutionnaires et opposants au XIXe siècle jusqu’à certains oligarques aujourd’hui. Comment expliquer ces liens privilégiés entre ces deux pays que tout oppose?</strong></p>
<p>Comme je le disais en réponse à votre première question à propos de mon cas personnel, je pense que la Suisse attire les gens qui vivent dans des conditions violentes ou chaotiques et qui sont attirées par la paix, l’organisation et l’ordre suisses. Dans le cas de la Russie, la neutralité politique est pour beaucoup dans l’attraction qu’exerce la Suisse. Elle a toujours accueilli des dissidents, des réfugiés, même des anarchistes dont elle a longtemps été le quartier général. Et dans le même temps, elle accueillait les ministres du tsar, puis les hommes du KGB et aujourd’hui les oligarques proches de Poutine. C’est une spécificité suisse que cette neutralité qui contraste fortement avec ce qui prévaut en Russie où il est impossible d’être neutre: il faut forcément être dans un camp. Un personnage de mon livre dit que la politique russe est comme la roulette russe: il faut jouer, qu’on le veuille ou non. Il faut être d’un côté ou de l’autre. Le fait que la Suisse soit capable de vous accueillir quel que soit le côté duquel vous vous situez est pour beaucoup dans l’attirance qu’elle exerce sur les Russes.</p>
<p><strong>La Suisse a également joué un grand rôle dans l’édition et la diffusion de la littérature russe en Occident. Je pense notamment au travail de deux maisons d’éditions, L’Age d’homme, aujourd’hui en sourdine mais qui publia notamment en 1980 la première édition de <em>Vie et Destin</em> de Grossmann, et les Éditions des Syrtes qui poursuivent aujourd’hui une politique de traduction de la littérature russe en langue française. </strong></p>
<p>Ces liens littéraires dérivent de la connexion russo-suisse plus générale. Les auteurs russes ont beaucoup fréquenté la Suisse, à l’image de Dostoïevski, Tourgueniev ou Nabokov qui vécut plusieurs décennies sur les rives du lac de Genève, à Montreux. S’agissant des maisons d’édition que vous évoquez, c’est intéressant car on y retrouve cette dualité dont je parlais: L’Age d’homme était une maison fondée par Vladimir Dimitrijević, un serbe plutôt russophile mais dissident à l’égard du pouvoir communiste et qui publia de nombreux dissidents dans les années 1980; les éditions des Syrtes relèvent au contraire plutôt de la diplomatie culturelle du pouvoir russe, leur fondateur, Serge de Pahlen, est un aristocrate très proche de Vladimir Poutine. Même sur le plan de l’édition, on retrouve donc cet œcuménisme suisse qui permet à toutes les voix de s’exprimer, tant les opposants que les hommes du pouvoir. </p>
<p><strong>Cette longue tradition de liens privilégiés entre la Suisse et la Russie s’est récemment trouvée affectée par l’invasion de l’Ukraine qui a conduit la Suisse à adopter des sanctions à l’égard des intérêts russes. De ce fait, elle se trouve accusée par certains de rompre avec sa traditionnelle neutralité quand d’autres lui reprochent au contraire de ne pas en faire assez et de ménager les intérêts russes. </strong></p>
<p>La guerre en Ukraine a mis à l’épreuve la tradition suisse de neutralité. Mais encore plus que la neutralité, le principe fondateur de la politique étrangère suisse est selon moi le pragmatisme et c’est ce qui explique que le pays a fini par se rallier aux sanctions. Certains y ont en effet vu une entorse au principe de neutralité, à l’image du leader populiste de l’UDC Christoph Blocher qui a annoncé son intention de lancer un référendum pour inscrire le principe de neutralité dans la constitution. Mais la neutralité suisse est en fait avant tout militaire et ce principe-là n’a pas été affecté: la Suisse n’envoie pas d’aide militaire à l’Ukraine et a même refusé d’accueillir des militaires ukrainiens blessés considérant qu’il s’agirait d’une aide militaire à l’un des belligérants. Elle a accepté en revanche d’accueillir des femmes et des enfants blessés. On retrouve ici ce subtil équilibre propre à la Suisse. Il n’en demeure pas moins que la Russie a fait montre de son courroux à l’encontre de la Suisse, par exemple en se retirant des négociations sur l’avenir de la Syrie qui sont en cours à Genève.</p>
<p>La position suisse reflète les évolutions du pays qui aurait pu arguer de sa neutralité pour refuser d’appliquer les sanctions et ainsi en affaiblir considérablement la portée en permettant de les contourner. C’eût été d’un certain point de vue dans la tradition helvétique. Mais la Suisse, avec la disparition du secret bancaire, n’est plus un Etat qui protège les parias. Elle reste militairement neutre, mais elle n’est plus la feuille de vigne des autocraties et des trafiquants en tous genres. C’est une évolution positive, mais je pense qu’il faut veiller à préserver la neutralité suisse. Disposer d’un endroit de ce type, surtout dans la période troublée que nous traversons, me semble utile à l’Europe et même au monde. Ce n’est pas un hasard si la Société des Nations et la Croix-Rouge sont nées à Genève et si la diplomatie helvétique joue toujours un rôle crucial de médiation dans de nombreux conflits à travers la planète. Hugo Ball, l’un des fondateurs du mouvement Dada à Zurich en 1916, disait, en pleine Première Guerre mondiale, que la Suisse est une cage de canaris entourée de lions rugissants. Face à la recrudescence de l’agressivité des puissances impériales que documente au quotidien <em>le Grand Continent</em>, préserver cette cage de canaris me paraît essentiel, et pas seulement pour la Suisse.</p>',
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<hr />
<p><strong>LGC: Vous êtes né en France et possédez les nationalités italienne et suisse. Quelle est la nature et la spécificité de votre rapport au dernier de ces trois pays?</strong></p>
<p><strong>Giuliano da Empoli: </strong>Au contraire de l’Italie et de la France, je n’ai jamais habité en Suisse. Mais c’est l’endroit où je suis toujours revenu. Ma relation avec ce pays a été, je pense, influencée par les circonstances de mon enfance. Au milieu des années 1980, mon père a été victime d’un attentat terroriste à Rome, auquel il a survécu, et à partir de ce moment-là, il a vécu sous protection policière. Notre vie en Italie était donc pour le moins particulière et l’une des images que je garde de mon enfance, c’est lorsque nous arrivions à la frontière suisse et que les carabiniers italiens qui nous escortaient en permanence, nous saluaient et restaient en-deçà de la frontière. Nous entrions en Suisse sans eux et nous y étions en sécurité. C’est donc l’image on ne peut plus classique de la Suisse comme un refuge, où régnait la paix, qui a conditionné mon rapport à ce pays. Dans les années qui ont suivi, la Suisse a conservé cette signification pour moi et c’est tout naturellement qu’elle est devenue le lieu d’écriture de presque tous mes livres.</p>
<p><strong>D’un point de vue plus impersonnel, qu’est-ce qui fait selon vous la singularité de la Suisse au regard de ces deux autres pays, la France et l’Italie, avec lesquels elle partage aussi beaucoup de choses?</strong></p>
<p>La singularité suisse est très forte. Pour un Italien par exemple, il suffit de se rendre au Tessin pour s’en rendre compte. Lugano est à moins d’une heure de route de Milan, on est au sud des Alpes, près des grands lacs italiens dont certains sont transfrontaliers, on parle italien et la cuisine ressemble à celle de la péninsule. Pourtant, il saute aux yeux qu’il n’y a rien à voir entre la mentalité d’un Tessinois et celle d’un Italien. Il en va de même entre les Romands et les Français. Les Romands sont très tournés vers la France, mais ils n’en sont pas moins très différents des Français. Et c’est encore plus vrai des Suisses alémaniques par rapport aux Allemands. Et inversement, Tessinois, Romands et Alémaniques, bien que parlant des langues différentes, se ressemblent énormément. Je pense que cela tient essentiellement à leur rapport à la collectivité. Les Suisses partagent une forme de citoyenneté singulière basée sur la milice et dans laquelle l’effort et la responsabilité de chacun par rapport au collectif sont très forts. Cela est visible à tous les niveaux. La Suisse est par exemple le pays qui compte la plus forte concentration d’associations au monde, l’armée est une armée de miliciens qui sont rappelés tous les ans pour faire un service militaire, le parlement est un parlement de citoyens qui ne se réunissent qu’à certains moments de l’année pour ne pas avoir à se professionnaliser dans la politique, du moins en théorie. Ce sens de l’engagement citoyen fait la singularité de la Suisse par rapport à l’Italie où prévaut le chacun pour soi ou à la France où on attend de l’État qu’il s’occupe de tout. </p>
<p><strong>Comment ces citoyens suisses, qui conservent malgré tout une grande diversité, linguistique ou religieuse notamment, parviennent-ils à se fondre dans ce collectif? Quelle est la recette de ce «miracle suisse» que vous décrivez?</strong></p>
<p>C’est d’abord le temps qui est responsable de ce miracle. «Le meilleur de la Suisse du passé, dit Paul Morand, ce sont des excès au service d’une sagesse». La coexistence suisse entre religions, langues et cultures différentes n’est pas venue toute seule. Les premières populations francophones ont rejoint la confédération dès le XIVe siècle et la réforme protestante a donné lieu à pas moins de quatre guerres de religion. Le modèle suisse est né de ces conflits et il s’est développé progressivement, un petit peu à l’image de ce que nous observons aujourd’hui avec la construction européenne qui est elle aussi née après des siècles de déchirements. La manière européenne d’aplanir les conflits, de créer du consensus et d’avoir des procédures à tous les niveaux pour faire décanter voire pour ennuyer, qui est beaucoup critiquée, n’est pas sans rappeler le modèle suisse. Les Suisses pratiquent depuis fort longtemps l’ennui politique et ils ont transformé cela en une forme d’art: l’ennui politique suisse est une des leçons de l’histoire pour désamorcer les conflits.</p>
<p><strong>A titre personnel, êtes-vous plus particulièrement attaché à une partie de la Suisse?</strong></p>
<p>Je suis citoyen du canton d’Argovie d’où ma mère est originaire, mais je suis surtout lié au canton de Berne et plus précisément à la cité d’Interlaken, où se trouve la maison de vacances de ma famille suisse. C’est un des hauts-lieux du tourisme helvétique, où les premiers voyageurs, Goethe, Madame de Staël et Madame de Récamier, ont débarqué dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et depuis le flux n’a jamais cessé, même s’il a subi plusieurs métamorphoses. Le résultat est une forme de cosmopolitisme un peu fou: la seule statue d’Interlaken est aujourd’hui celle d’un metteur en scène de Bollywood, qui a tourné plusieurs films dans les environs. Ce phénomène est parfois décrié en Suisse, qui accueille pourtant beaucoup d’étrangers, où l’on voit en Interlaken une sorte de symbole d’un tourisme excessif aboutissant à une perte d’identité du fait de l’afflux de Japonais et d’Américains dans mon adolescence, d’Arabes du Golfe et d’Asiatiques aujourd’hui. Mais cela fait précisément partie de l’identité du lieu selon moi: c’étaient les Anglais jadis, ce sont les Coréens aujourd’hui. Tous ont contribué à faire de cet endroit un lieu bien plus complexe et surprenant que s’il était resté un simple bourg de bûcherons. Ce qui est drôle c’est que – bien que je considère Interlaken comme mon village et que si je somme toutes les périodes que j’ai passées ici, j’y ai vécu des années – quand je m’y promène, comme je préfère l’anglais au suisse allemand et que j’ai plutôt un physique méditerranéen, on me prend généralement pour un touriste libanais qui vient de débarquer et s’apprête à repartir. Ce qui, je dois le dire, ne me dérange pas le moins du monde. C’est une des richesses de la Suisse que cette liberté qu’elle laisse d’être un pied dedans et un pied dehors et c’est sans doute ce qui attire nombre d’étrangers qui choisissent d’y vivre. </p>
<p><strong>Sur le plan littéraire, pouvez-vous nous parler d’une œuvre qui illustre selon-vous la singularité suisse?</strong></p>
<p>Parmi les écrivains suisses, j’aime particulièrement Robert Walser qui incarne, à mes yeux, un type de sensibilité tout à fait helvétique. D’une part, c’est un auteur très sophistiqué, ce que les Américains appellent «<em>a writers’ writer</em>», un écrivain pour écrivains, qui a suscité à l’époque l’enthousiasme de Kafka et de Musil et qui est considéré aujourd’hui comme l’un des auteurs les plus originaux de la première moitié du XXe siècle. D’autre part, Walser revendique une approche volontairement naïve au monde, qui est l’expression de sa poétique résolument antihéroïque, dénuée de toute emphase et attachée à la seule poésie du quotidien. Il suffit de lire <em>La promenade</em> pour entrer en résonance avec le paysage physique et mental que Walser nous fait traverser. C’est pourquoi j’aurais tendance à être d’accord avec Hermann Hesse lorsqu’il dit que si Walser avait cent mille lecteurs, le monde serait meilleur. Dommage que, même aujourd’hui, Walser reste un auteur assez confidentiel…</p>
<p><strong>Vous vous êtes fait connaître des lecteurs francophones par vos recherches sur les populismes et leurs stratèges. Qu’en est-il de la question populiste en Suisse? Le pays est-il affecté par ce phénomène de la même manière que le reste du monde?</strong></p>
<p>La Suisse est évidemment touchée par le phénomène populiste. D’une certaine façon, elle a même anticipé la dernière vague populiste européenne puisque Christoph Blocher, richissime entrepreneur leader de l’UDC, à l’origine du référendum sur l’interdiction des minarets, a émergé dès la fin des années 1990, donc avant l’onde populiste qui s’est ensuite répandue sur le reste de l’Europe. Seule l’Italie ayant commencé un peu avant. Blocher est une sorte de fusion entre Berlusconi et les populistes plus xénophobes et anti-immigrationnistes, ce qui n’était pas le cas de Berlusconi en 1994 qui avait un discours anti-establishment mais pas axé sur la question migratoire ou la dénonciation de l’Union européenne. Blocher, dès la fin des années 1990, fusionnait ces deux populismes à la faveur d’une phase de crise d’identité suisse. La fin des années 1990 est un moment où les Suisses s’interrogent sur l’opportunité ou non d’entrer dans l’Union européenne, font face à des difficultés économiques et à l’apparition du chômage, tandis que des scandales éclatent sur les avoirs juifs sur fond de contestation du secret bancaire. Christoph Blocher, comme tous les populistes ailleurs dans le monde, a profité de ce contexte d’inquiétude et de remise en question. Mais le système suisse s’est, d’une certaine façon, refermé sur lui. Ce système construit pour gérer les conflits aboutit à ce que Blocher, bien qu’il gagne les élections en 2007, soit évincé du Conseil fédéral, le gouvernement suisse au sein duquel siègent tous les partis – il n’y a pas en Suisse de gouvernement et d’opposition : tous les partis sont au gouvernement. Blocher donc, bien qu’il ait gagné les élections, n’a pas siégé au Conseil fédéral, alors même que son parti y participe. Le leadership charismatique sur lequel les populistes s’appuient beaucoup est ainsi désamorcé par le consensualisme politique suisse. L’amélioration de la situation économique a finalement fait retomber cette vague populiste précoce. Elle peut bien sûr repartir, mais la Suisse comme je viens de l’esquisser, dispose d’antidotes. </p>
<p><strong>En Europe, nombre de populismes prospèrent sur les fractures intranationales: métropoles contre périphéries; Italie septentrionale contre Italie méridionale. La Suisse constitue a priori, par la diversité dont nous avons parlé, un terrain propice à ce type de divisions. Pourtant, on a l’impression que le populisme y est avant tout tourné contre les étrangers et moins sur des divisions entre Suisses.</strong></p>
<p>Ce qui est intéressant en Suisse, c’est qu’il y a toujours une pluralité de fractures qui ne se recoupent pas totalement et tendent donc à se neutraliser les unes les autres. Il y a bien sûr ici aussi une fracture entre les villes et les campagnes et la fracture linguistique est présente: on a beaucoup parlé du<em> Röstigraben </em>séparant les Romands, plus pro-européens, des Alémaniques, plutôt opposés à l’Europe par attachement à la tradition de neutralité. Mais même cette fracture-là est contrebalancée par d’autres, notamment les fractures sociales, religieuses et ainsi de suite. Le fait que toutes ces lignes de fractures s’entrecroisent fait qu’il est finalement difficile d’en choisir une seule pour fonder une bataille politique. </p>
<p><strong>La pratique suisse de la démocratie directe constitue-t-elle selon vous un antidote ou au contraire une porte ouverte au populisme?</strong></p>
<p>Il est vrai que le référendum est un instrument potentiellement populiste par lequel les majorités peuvent écraser les minorités. Mais comme en Suisse on vote énormément sur les sujets les plus différents et à tous les niveaux, tant local que national, les fractures se recomposent constamment. Si bien qu’on n’a jamais une majorité qui écrase systématiquement une minorité, car une majorité va se former sur un thème économique qui sera différente de la majorité qui se formera sur un thème sociétal. La fréquence et l’intensité du vote référendaire font qu’il est difficile d’en faire l’instrument d’une tyrannie de la majorité et qu’il s’agit bien plutôt d’une arme anti-populiste en ce qu’il donne le sentiment d’un contrôle citoyen. Or quel est le ressort fondamental des populismes si ce n’est ce sentiment d’une perte de contrôle sur son destin d’un point de vue économique, culturel ou sociétal? Les Brexiters n’ont-ils pas adopté pour slogan «Take back control»? Le référendum à la Suisse vient régulièrement infliger des gifles à la classe politique: pour chaque vote, les électeurs reçoivent une brochure dans laquelle chaque parti donne son opinion et le Conseil fédéral fait une «suggestion» de vote… qui est très souvent désavouée. Mais cela n’implique pas pour autant la démission des conseillers fédéraux. Ces référendums constituent une forme d’exutoire et de respiration démocratique qui me semble salutaire et propre à écarter les dérives populistes.</p>
<p><strong>Dès lors, pourrait-on s’inspirer de ce modèle suisse de démocratie directe dans d’autres pays européens ou bien est-il selon vous difficilement transposable car trop lié aux spécificités suisses?</strong></p>
<p>Je suis persuadé que l’injection d’éléments de démocratie directe constitue une des réponses à la crise de représentation politique que traversent nombre de pays européens. C’est très mal vu par les politologues qui y voient un risque de dérive plébiscitaire. Et il est vrai que la façon dont cet instrument est ou a été utilisé en Italie, au Royaume-Uni ou en France peut leur donner raison. Mais c’est précisément parce qu’il n’y a pas l’habitude créée par la fréquence des référendums. Il faut donc du temps mais il faut bien commencer le processus, peut-être au niveau local par exemple. </p>
<p><strong>Inversement, y a-t-il selon vous des pratiques étrangères dont la Suisse gagnerait à s’inspirer pour perfectionner son fonctionnement démocratique?</strong></p>
<p>Comme je l’évoquais à propos du Conseil fédéral, j’ai longtemps pensé que la Suisse avait besoin d’intégrer une plus grande dose de compétition politique. C’est le seul système démocratique avancé dans lequel le vote pour élire les représentants n’a quasiment aucun effet sur le gouvernement qui reste fondamentalement le même. Le degré de compétition politique est très limité en Suisse et la qualité du personnel politique n’est pas extraordinairement élevée. J’y ai longtemps vu un défaut mais j’ai aujourd’hui plutôt tendance à penser que c’est en fait une qualité car cela fait partie d’un art suisse de dompter cette bête féroce qu’est le pouvoir. À l’occasion d’un forum organisé ici à Interlaken, Nicolas Sarkozy s’était il y a quelques années moqué du président suisse en pointant le fait qu’on ne sait même pas de qui il s’agit. Et c’est vrai que personne ne connaît le président suisse ni aucun politicien suisse. Mais c’est précisément ce qui fait la force du système politique suisse: l’ennui et l’anonymat de son fonctionnement. Je m’intéresse en ce moment à l’actualité politique de certains pays de l’Afrique sub-saharienne et il m’arrive de regarder des chaînes de télévisions de la région, par exemple Télé Congo. Le journal télévisé, de la première à la dernière minute, y est tout entier axé sur ce qu’ont fait de leur journée le président et ses ministres dont les noms sont sans cesse ressassés. En Suisse, on ne connaît même pas le nom des ministres, et j’y vois plutôt un signe de progrès.</p>
<p><strong>L’anonymat politique suisse tranche avec la personnalisation du pouvoir aujourd’hui en vigueur en Russie, pays dont vous traitez dans <em>Le Mage du Kremlin</em>, votre dernier ouvrage qui est aussi votre premier roman. Y a-t-il là deux modèles politiques absolument opposés?</strong></p>
<p>Oui, on pourrait dire que la Suisse est par certains aspects une «anti-Russie». Dans <em>Le Mage du Kremlin</em>, j’ai choisi d’utiliser la question du pouvoir comme une porte d’entrée dans la Russie contemporaine. Il faut dire que la première fois où j’ai débarqué à Moscou, j’ai eu la sensation d’un endroit entièrement tenu par la main d’un pouvoir de fer. La Russie est un endroit où l’emprise et la violence du pouvoir sont très fortes et ne connaissent que peu de limites. La Suisse au contraire, comme j’ai essayé de vous le montrer, est à l’opposé de ce modèle car c’est l’endroit au monde qui a le mieux sur dompter, limiter, diluer le pouvoir pour en faire quelque chose de contrôlé. Les Suisses sont parvenus à transformer cette bête féroce qu’est le pouvoir en un animal de compagnie, au point de le rendre presque ridicule tellement il est ennuyeux et inoffensif. </p>
<p><strong>Ce caractère inoffensif du pouvoir suisse se retrouve d’ailleurs aussi en politique étrangère avec le choix de la neutralité qui peut apparaître comme une forme de renonciation à la puissance.</strong></p>
<p>La Suisse a eu par le passé une phase d’expansion militaire hors de ses frontières. Elle s’est terminée en 1515 avec la défaite de Marignan. À partir de ce moment, la Suisse n’a plus jamais essayé de projeter sa puissance à l’extérieur. Parler de puissance suisse peut prêter à rire aujourd’hui, mais si vous relisez Machiavel, vous verrez qu’il avait très peur que les Suisses, plutôt que de se mettre au service des puissances de l’époque comme mercenaires, forment une armée unifiée et fondent sur l’Europe. Encore une fois, ce sont les leçons de l’histoire et non une sagesse innée qui ont poussé les Suisses à renoncer à la puissance. </p>
<p><strong>Malgré ou à cause de leurs différences, les liens entre la Suisse et la Russie sont forts et anciens. Je pense notamment aux nombreux Russes ayant élu domicile en Suisse, depuis les révolutionnaires et opposants au XIXe siècle jusqu’à certains oligarques aujourd’hui. Comment expliquer ces liens privilégiés entre ces deux pays que tout oppose?</strong></p>
<p>Comme je le disais en réponse à votre première question à propos de mon cas personnel, je pense que la Suisse attire les gens qui vivent dans des conditions violentes ou chaotiques et qui sont attirées par la paix, l’organisation et l’ordre suisses. Dans le cas de la Russie, la neutralité politique est pour beaucoup dans l’attraction qu’exerce la Suisse. Elle a toujours accueilli des dissidents, des réfugiés, même des anarchistes dont elle a longtemps été le quartier général. Et dans le même temps, elle accueillait les ministres du tsar, puis les hommes du KGB et aujourd’hui les oligarques proches de Poutine. C’est une spécificité suisse que cette neutralité qui contraste fortement avec ce qui prévaut en Russie où il est impossible d’être neutre: il faut forcément être dans un camp. Un personnage de mon livre dit que la politique russe est comme la roulette russe: il faut jouer, qu’on le veuille ou non. Il faut être d’un côté ou de l’autre. Le fait que la Suisse soit capable de vous accueillir quel que soit le côté duquel vous vous situez est pour beaucoup dans l’attirance qu’elle exerce sur les Russes.</p>
<p><strong>La Suisse a également joué un grand rôle dans l’édition et la diffusion de la littérature russe en Occident. Je pense notamment au travail de deux maisons d’éditions, L’Age d’homme, aujourd’hui en sourdine mais qui publia notamment en 1980 la première édition de <em>Vie et Destin</em> de Grossmann, et les Éditions des Syrtes qui poursuivent aujourd’hui une politique de traduction de la littérature russe en langue française. </strong></p>
<p>Ces liens littéraires dérivent de la connexion russo-suisse plus générale. Les auteurs russes ont beaucoup fréquenté la Suisse, à l’image de Dostoïevski, Tourgueniev ou Nabokov qui vécut plusieurs décennies sur les rives du lac de Genève, à Montreux. S’agissant des maisons d’édition que vous évoquez, c’est intéressant car on y retrouve cette dualité dont je parlais: L’Age d’homme était une maison fondée par Vladimir Dimitrijević, un serbe plutôt russophile mais dissident à l’égard du pouvoir communiste et qui publia de nombreux dissidents dans les années 1980; les éditions des Syrtes relèvent au contraire plutôt de la diplomatie culturelle du pouvoir russe, leur fondateur, Serge de Pahlen, est un aristocrate très proche de Vladimir Poutine. Même sur le plan de l’édition, on retrouve donc cet œcuménisme suisse qui permet à toutes les voix de s’exprimer, tant les opposants que les hommes du pouvoir. </p>
<p><strong>Cette longue tradition de liens privilégiés entre la Suisse et la Russie s’est récemment trouvée affectée par l’invasion de l’Ukraine qui a conduit la Suisse à adopter des sanctions à l’égard des intérêts russes. De ce fait, elle se trouve accusée par certains de rompre avec sa traditionnelle neutralité quand d’autres lui reprochent au contraire de ne pas en faire assez et de ménager les intérêts russes. </strong></p>
<p>La guerre en Ukraine a mis à l’épreuve la tradition suisse de neutralité. Mais encore plus que la neutralité, le principe fondateur de la politique étrangère suisse est selon moi le pragmatisme et c’est ce qui explique que le pays a fini par se rallier aux sanctions. Certains y ont en effet vu une entorse au principe de neutralité, à l’image du leader populiste de l’UDC Christoph Blocher qui a annoncé son intention de lancer un référendum pour inscrire le principe de neutralité dans la constitution. Mais la neutralité suisse est en fait avant tout militaire et ce principe-là n’a pas été affecté: la Suisse n’envoie pas d’aide militaire à l’Ukraine et a même refusé d’accueillir des militaires ukrainiens blessés considérant qu’il s’agirait d’une aide militaire à l’un des belligérants. Elle a accepté en revanche d’accueillir des femmes et des enfants blessés. On retrouve ici ce subtil équilibre propre à la Suisse. Il n’en demeure pas moins que la Russie a fait montre de son courroux à l’encontre de la Suisse, par exemple en se retirant des négociations sur l’avenir de la Syrie qui sont en cours à Genève.</p>
<p>La position suisse reflète les évolutions du pays qui aurait pu arguer de sa neutralité pour refuser d’appliquer les sanctions et ainsi en affaiblir considérablement la portée en permettant de les contourner. C’eût été d’un certain point de vue dans la tradition helvétique. Mais la Suisse, avec la disparition du secret bancaire, n’est plus un Etat qui protège les parias. Elle reste militairement neutre, mais elle n’est plus la feuille de vigne des autocraties et des trafiquants en tous genres. C’est une évolution positive, mais je pense qu’il faut veiller à préserver la neutralité suisse. Disposer d’un endroit de ce type, surtout dans la période troublée que nous traversons, me semble utile à l’Europe et même au monde. Ce n’est pas un hasard si la Société des Nations et la Croix-Rouge sont nées à Genève et si la diplomatie helvétique joue toujours un rôle crucial de médiation dans de nombreux conflits à travers la planète. Hugo Ball, l’un des fondateurs du mouvement Dada à Zurich en 1916, disait, en pleine Première Guerre mondiale, que la Suisse est une cage de canaris entourée de lions rugissants. Face à la recrudescence de l’agressivité des puissances impériales que documente au quotidien <em>le Grand Continent</em>, préserver cette cage de canaris me paraît essentiel, et pas seulement pour la Suisse.</p>',
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<p>Dans dix jours c’est Noël mais ce qui tous les ans est une réjouissance pour moi pourrait bien cette année devenir un cauchemar. A cause de mon mari.</p>
<p>Pierre m’est fidèle, j’en suis certaine, même s’il a eu, comme moi, quelques aventures extraconjugales. Il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p>
<p>Mais Pierre a changé.</p>
<p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p>
<p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p>
<p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. Ce que j’ai découvert est effrayant…</p>
<p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p>
<hr />
<h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="149" height="206" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /><span>et de<br /></span><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="154" height="207" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a></h4>',
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<div><hr />
<p>A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1<sup>er</sup> décembre, se sont soldées par un <a href="https://www.rts.ch/info/sciences-tech/environnement/2024/article/echec-des-negociations-du-traite-sur-le-plastique-a-la-session-busan-28713049.html">échec</a>. Les négociations devraient reprendre à une date ultérieure.</p>
<p>En réalité, les négociations sont surtout sont le théâtre de récits concurrents qui s’affrontent. En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p>
<ul>
<li>
<p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p>
</li>
<li>
<p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. Au lieu de cela, ils accusent des <a href="https://psmag.com/environment/the-epa-blames-six-asian-nations-that-the-u-s-exports-plastic-waste-to-for-ocean-pollution/">systèmes de recyclage inadéquats et une mauvaise gestion des déchets</a>.</p>
</li>
</ul>
<p>L’attention portée au recyclage des plastiques et à la gestion des déchets touche en réalité des millions de personnes en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.</p>
<p>Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.</p>
<p>Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.</p>
<h3>Qui sont les ramasseurs informels de déchets?</h3>
<p>Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344924001824#sec0021">grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale</a>. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p>
<p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p>
<p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p>
<ul>
<li>
<p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p>
</li>
<li>
<p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p>
</li>
</ul>
<p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p>
<h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3>
<p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p>
<p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p>
<p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p>
<p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p>
<p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p>
<p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p>
<h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3>
<p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p>
<figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a>
<figcaption><span></span></figcaption>
</figure>
<p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p>
<p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p>
<p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p>
<p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p>
<p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p>
<p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p>
<p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p>
<p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. Ils restent toujours relégués aux mêmes tâches manuelles et difficiles, même si leurs conditions de travail en ressortent légèrement améliorées.</p>
<h3>L’industrie du plastique maintient le <em>statu quo</em></h3>
<p>Malgré les bonnes intentions de départ, des termes tels que «économie circulaire inclusive» sont donc trop souvent utilisés à des fins de <em>green washing</em> et même de <em>justice washing</em>, tandis que les travailleurs continuent à endurer des conditions difficiles. Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p>
<p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p>
<p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p>
<p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p>
<p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p>
<h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3>
<p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p>
<p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p>
<p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p>
<p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p>
<p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p>
<hr />
<h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4>
<h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4>
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'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p>
<hr />
<p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. L'UE et les Etats membres de l'UE financent les 20 % restants.</p>
<p>Avec un budget annuel de 20 millions d'euros et plus de 150 journalistes sur tous les continents, l'<a href="https://www.occrp.org/en">OCCRP</a> − en partie en collaboration avec le <a href="https://www.icij.org/">Réseau international des journalistes d'investigation</a> ICIJ − a lancé les plus grands projets internationaux de journalisme d'investigation de ces dernières années. Parmi eux, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Panama_Papers"><em>The Panama Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pandora_Papers"><em>Pandora Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Suisse_Secrets"><em>Suisse Secrets</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/narcofiles-the-new-criminal-order"><em>Narco Files</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/the-pegasus-project/about-the-project"><em>Pegasus Project</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Cyprus_Confidential"><em>Cyprus Confidential </em></a>et la série <a href="https://de.wikipedia.org/wiki/Die_Geldw%C3%A4scherei"><em>Laundromat</em></a>, qui a révélé les systèmes de blanchiment d'argent des élites dirigeantes en Azerbaïdjan et en Russie.</p>
<h3><strong>Non sans conditions</strong></h3>
<p>Les agences gouvernementales américaines ne financent pas l'OCCRP sans contrepartie: l'<a href="https://www.usaid.gov/"> U.S. Agency for International Development</a> dispose d'un droit de veto sur la nomination des dirigeants de l'OCCRP. De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p>
<p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p>
<p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p>
<p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p>
<p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p>
<p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p>
<p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p>
<h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3>
<p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». Confronté aux dernières découvertes, il a finalement reconnu l'importance du financement de Washington: «C'est le plus grand bailleur de fonds de l'OCCRP, oui, et ce depuis presque le début de notre histoire. [...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p>
<p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p>
<h3><strong>Conditions posées</strong></h3>
<p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p>
<p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p>
<p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p>
<p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p>
<p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p>
<h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3>
<p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p>
<p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p>
<p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p>
<p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p>
<h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3>
<p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p>
<p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. Des faits presque incroyables sur le travail de relations publiques du Pentagone.</p>
<p><strong>20 avril 2008</strong> <a href="https://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/gekaufte-meinung-pentagon-beschaeftigt-pr-armee-fuer-us-tv-a-548519.html">Le Pentagone emploie une armée de RP pour la télévision américaine</a>. Avec une gigantesque troupe de RP, le gouvernement Bush a trompé l'opinion publique américaine pendant des années.</p>',
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<p>6 mois : CHF 48.-</p>
<p>3 mois : CHF 24.-</p>
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<p>Envoyez-nous un mail à [email protected] avec votre adresse postale et votre choix d’abonnement (1 an, 6 mois, 3 mois ou 1 mois).</p>
<p>Vous recevrez une facture par mail et nous vous enverrons par la poste une carte cadeau à glisser sous le sapin et indiquant à la personne qui la recevra comment faire pour accéder à Bon pour la tête.</p>',
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Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65
Cake\Routing\Middleware\AssetMiddleware::__invoke() - CORE/src/Routing/Middleware/AssetMiddleware.php, line 88
Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Christode 22.09.2022 | 15h35
«Magnifique entretien. Merci!»